(29 septembre)
Le nom de Michel signifie « pareil à un dieu ». Saint Grégoire dit que, chaque fois que Dieu veut faire un grand acte de résistance, c’est l’archange saint Michel qu’il charge de le représenter. C’est lui, en effet, comme dit Daniel, qui, au temps de l’Antéchrist, se lèvera pour défendre les élus ; c’est lui qui a lutté contre Satan et ses mauvais anges, et qui les a chassés du ciel ; c’est lui qui a arraché au diable le corps de Moïse, que le diable voulait détruire pour se faire lui-même adorer des Juifs ; c’est lui qui recueille les âmes des saints et les conduit au paradis ; c’est lui qui fut jadis prince de la synagogue, et dont Dieu fit ensuite le prince de son Église ; c’est lui qui apporta aux Égyptiens les sept plaies, qui partagea les eaux de la mer Rouge, qui conduisit le peuple dans le désert jusqu’à la terre promise, c’est lui qui, dans l’armée des anges, porte la bannière du Christ ; c’est lui qui tuera l’Antéchrist au mont des Oliviers ; c’est à sa voix que les morts ressusciteront ; et c’est lui qui, au jour du jugement dernier, présentera la croix, les clefs, la lance et la couronne d’épines.
La fête de saint Michel a pour objet de célébrer son apparition, sa victoire, sa dédication et son souvenir.
1° Son apparition s’est manifestée en plusieurs circonstances. Il est apparu, d’abord, sur le mont Gargan, qui se trouve en Pouille, auprès de la ville de Manfrédonie. L’an du Seigneur 390, vivait dans cette ville un homme, nommé Garganus, qui possédait un énorme troupeau de bœufs et de moutons. Et comme ses troupeaux paissaient au flanc de la montagne, un taureau, laissant ses compagnons, grimpa jusqu’au sommet de la montagne. Garganus se mit à sa recherche, avec une foule de ses serviteurs, et le trouva enfin, au sommet de la montagne, près de l’entrée d’une caverne. Furieux, il lança contre lui une flèche empoisonnée ; mais celle-ci, comme repoussée par le vent, se retourna vers lui et le frappa lui-même. Ce qu’apprenant, la ville entière fut émue et vint demander à l’évêque l’explication du prodige. L’évêque ordonna un jeûne de trois jours, au bout duquel saint Michel apparut, et lui dit : « Sache que c’est par ma volonté que cet homme a été frappé de sa flèche ! Je suis l’archange Michel. J’ai résolu de me garder ce lieu ; et j’ai eu recours à ce signe pour faire connaître que j’en étais l’habitant et le gardien. » Aussitôt l’évêque, avec toute la ville, se rendit en procession sur la montagne. Et, personne n’osant entrer dans la caverne, on pria l’archange devant le seuil.
La seconde apparition eut lieu vers l’an du Seigneur 710, dans un lieu appelé la Tombelaine, qui est au bord de la mer, à une distance de six milles de la ville d’Avranches. Saint Michel apparut à l’évêque de cette ville et lui ordonna de lui élever une église en cet endroit. Et comme l’évêque doutait de l’endroit, exact ou devait être construite l’église, l’archange lui dit qu’elle devait s’élever à l’endroit où l’on trouverait un taureau caché par des voleurs. Or il y avait, dans cet endroit, deux roches qu’aucune force humaine ne pouvait soulever. Saint Michel apparut à un habitant, lui ordonna de se rendre en ce lieu, et de soulever les roches. Et l’homme les souleva aussi aisément que si elles n’avaient eu aucun poids. Ainsi fut construite cette église ; et l’on y transporta, de l’église du mont Gargan, une partie du manteau que l’archange avait déposé sur l’autel, et une partie du marbre sur lequel s’étaient posés ses pieds. Et, comme on manquait d’eau en cet endroit, l’archange dit de creuser un trou dans un rocher très dur ; et aujourd’hui encore l’eau en jaillit, avec une extrême abondance. Cette apparition est célébrée en ce lieu, le 17 novembre, par une fête solennelle.
Le même lieu fut témoin d’un autre miracle mémorable. Il y a là une montagne que la mer entoure de toutes parts ; mais, le jour de la fête de saint Michel, un passage s’y ouvre pour le peuple. Or, un jour qu’une grande foule s’y pressait vers l’église, une femme s’y trouvait mêlée qui était enceinte et près d’accoucher. Et voici que, tout à coup, les vagues affluèrent d’un grand élan, et toute la foule épouvantée s’enfuit sur le rivage, à l’exception de la femme enceinte qui, ne pouvant fuir, fut prise par les flots. Mais l’archange saint Michel la garda de tout mal. Au milieu des flots, elle enfanta un fils, qu’elle allaita de son sein ; puis la mer lui livra passage, et on la vit sortir avec son enfant.
La troisième apparition eut lieu à Rome, au temps du pape Grégoire. Ce pape avait institué de grandes litanies, à cause de la peste qui sévissait à Rome. Et un jour, comme il priait pour son peuple, il vit d’abord, au-dessus d’une forteresse appelée autrefois le tombeau d’Adrien, un grand ange qui essuyait un glaive tout sanglant et le remettait au fourreau. Saint Grégoire reconnut l’archange Michel, et, comprenant que sa prière avait été exaucée, il fit construire en cet endroit une église en l’honneur des saints Anges. Et, aujourd’hui encore, la forteresse porte le nom de fort Saint-Ange. Le souvenir de cette apparition se célèbre le 7 mai, en même temps que celui de l’apparition du mont Gargan.
La quatrième apparition est celle que nous raconte l’Histoire tripartite. Il y a, près de Constantinople, un endroit où l’on célébrait autrefois la déesse Vesta, mais où s’élève aujourd’hui une église en l’honneur de saint Michel, et cet endroit porte le nom de Michaelium. Un homme, appelé Aquilin, y souffrait de la fièvre. Les médecins lui donnèrent une potion ; mais il la rendit, et ensuite il rendait tout ce qu’il avalait. Se voyant sur le point de mourir, il se fit transporter au lieu que j’ai dit ; et là saint Michel, lui apparaissant, lui dit de faire, avec du miel, du vin et du poivre un breuvage où il tremperait tous ses aliments. Aquilin le fit, et fut guéri, bien que ce fût chose contraire aux lois de la médecine de faire prendre à un fiévreux des boissons chaudes.
2° Non moins nombreuses sont les victoires de saint Michel. La première est celle qu’il fit remporter aux habitants de la susdite ville de Manfrédonie. En effet, peu de temps après l’apparition du mont Gargan, les Napolitains, encore païens, se mirent eu guerre contre les habitants de Manfrédonie et ceux d’une ville voisine, Bénévent. Les Manfrédoniens, sur le conseil de leur évêque, demandèrent un armistice de trois jours, pendant lesquels ils jeûnèrent et invoquèrent l’assistance de leur patron saint Michel. La troisième nuit, saint Michel apparut à l’évêque, lui dit que ses prières étaient exaucées, promit la victoire à ses concitoyens, et leur conseilla d’attaquer l’ennemi à quatre heures du matin. Et à peine l’attaque était-elle commencée que le mont Gargan mugit terriblement, les éclairs luirent en foule, suivis d’une obscurité profonde ; et six cents hommes de l’armée ennemie périrent, tant par le fer des Manfrédoniens, que par les flèches de feu provenant d’un arc invisible. Le reste des Napolitains, ayant reconnu la puissance de l’archange, abjurèrent leur idolâtrie pour se convertir à la foi chrétienne.
En second lieu doit être citée la victoire que remporta saint Michel quand il chassa du ciel le dragon, c’est-à-dire Lucifer, avec toute sa suite. On sait, en effet, comment, Lucifer ayant aspiré à devenir l’égal de Dieu, l’archange porte-enseigne des armées célestes le chassa du ciel avec toute sa suite et les enferma, jusqu’au jour du jugement dernier, dans les ténèbres infernales. Car les démons n’ont le droit d’habiter ni dans le ciel, qui est la partie supérieure de l’air, ni sur la terre, où leur séjour nous serait intolérable. Mais ils habitent un espace entre le ciel et la terre : de façon que lorsqu’ils regardent en haut, ils souffrent de la vue du ciel qu’ils ont perdu ; et lorsqu’ils regardent en bas, ils envient le sort des hommes, qui peuvent s’élever là d’où eux-mêmes sont tombés. Mais souvent, avec la permission de Dieu, ils descendent parmi nous pour nous éprouver, et volent autour de nous comme des mouches. Et ils sont innombrables, et tout l’air que nous respirons en est rempli comme de mouches. Mais, suivant l’opinion d’Origène leur nombre diminue à chaque victoire que nous remportons sur eux : car un démon qui a été vaincu par un saint homme ne peut plus, désormais, tenter personne au moyen du vice sur lequel il a été vaincu.
Une autre victoire est celle que saint Michel et ses compagnons remportent tous les jours sur les démons, en nous défendant contre eux et en nous délivrant de leurs tentations. Et c’est en trois façons que les anges nous délivrent de la tentation des démons : 1°en refrénant le pouvoir des démons ; 2° en refrénant notre concupiscence ; 3° en imprimant dans notre esprit le souvenir de la passion du Seigneur.
Quatrième victoire : celle que l’archange saint Michel remportera sur l’Antéchrist quand il le tuera. Car on verra alors, comme le dit Daniel, le prince Michel se lever et protéger les élus contre l’Antéchrist. Puis, comme le dit la Glose de l’Apocalypse, l’Antéchrist feindra d’être mort, se cachera pendant deux jours, puis reparaîtra, se disant ressuscité, et au moyen d’artifices magiques s’élèvera dans les airs. Mais quand il sera parvenu sur le mont des Oliviers, à l’endroit d’où le Seigneur est monté au ciel, Michel se dressera en face de lui et le tuera.
3° La fête de saint Michel est considérée comme une fête de dédication, parce que saint Michel a révélé aux Manfrédoniens que le sommet du mont Gargan lui appartenait et devait lui être dédié. Revenus de leur victoire, les Manfrédoniens se demandèrent s’ils devaient entrer dans le lieu que s’était réservé l’archange, pour le consacrer. L’évêque s’en rapporta, sur ce point, au pape Pélage, qui lui conseilla de s’en rapporter à saint Michel lui-même. De nouveau il y eut trois jours de prières et de jeûnes. Le troisième jour, saint Michel apparut à l’évêque et lui dit : « Vous n’avez pas besoin de consacrer l’église que je me suis construite, car je l’ai consacrée moi-même ! » Et il ordonna à l’évêque de se rendre en ce lieu le lendemain et les jours suivants, avec la foule, pour y prier, ajoutant qu’il se constituait le patron spécial de la ville. Et, en signe de la susdite consécration, il leur dit qu’ils trouveraient des traces de pas d’homme gravées sur le marbre. Le lendemain, donc, l’évêque et tout le peuple entrèrent dans la caverne ; ils y trouvèrent une grande crypte avec trois autels, dont deux à l’occident et un à l’orient, ce dernier entouré d’un manteau rouge. On y célébra la messe, tous les assistants communièrent, et l’évêque établit en ce lieu des prêtres et des clercs, pour y célébrer l’office divin. Dans cette caverne se trouve une source d’eau transparente et douce, que le peuple boit après la communion, et qui guérit diverses maladies. Et c’est en apprenant tout cela que le Souverain Pontife a ordonné de fêter ce jour, dans le monde entier, en souvenir de saint Michel.
4° Enfin l’Église célèbre, ce jour-là, le souvenir de saint Michel et de tous les anges. Nous devons, en effet, nous souvenir d’eux, et les louer et les honorer, pour de nombreux motifs : ils sont nos gardiens, nos assistants, nos frères et concitoyens, les porteurs de nos âmes au ciel, les représentants de nos prières devant Dieu, et nos consolateurs dans les tribulations. Ils sont, d’abord, nos gardiens ; car tout homme a près de lui deux anges, un mauvais pour l’éprouver, et un bon pour le garder. Notre bon ange nous garde dès le sein de notre mère, c’est lui qui nous empêche, sitôt nés, de mourir avant de recevoir le baptême ; et, dans l’âge adulte, il nous exhorte au bien, et nous défend contre l’oppression du tentateur. En second lieu, les anges sont nos assistants ; car, comme le dit le livre des Hébreux, ils sont des esprits chargés de missions. Et rien ne montre autant la bonté divine, ainsi que l’amour de Dieu pour nous, que ce fait que Dieu charge ces esprits sublimes, qui sont ses familiers, de venir nous aider dans notre salut. En troisième lieu, les anges sont nos frères et nos concitoyens. Car tous les élus sont répartis parmi la hiérarchie des anges, d’après leurs mérites ; les uns sont placés parmi les anges du degré supérieur, d’autres parmi ceux du degré inférieur, d’autres parmi ceux du degré moyen. Et seule la sainte Vierge est au-dessus d’eux tous. En quatrième lieu, les anges sont les porteurs de nos âmes au ciel : ainsi, dans l’Évangile de saint Luc, le mendiant Lazare est « porté par un ange dans le sein d’Abraham ». En cinquième lieu, ils sont les représentants de nos prières devant Dieu : témoin l’ange disant à Tobie : « Pendant que tu priais en pleurant et ensevelissais les morts, j’ai présenté ta prière au Seigneur. » En sixième et dernier lieu, les anges sont nos consolateurs dans les tribulations. Ils le sont de trois façons : 1° en nous réconfortant et raffermissant ; 2° en nous aidant à souffrir ; 3° en réfrigérant nos tribulations, comme l’a fait l’ange du Livre de Daniel qui, étant descendu dans la fournaise auprès des trois jeunes gens, y fit souffler, au milieu des flammes, une brise parfumée.