Dieu a le pouvoir de donner aux corps toute la durée qu’il lui plait ; si l’on en doute, qu’on lise les Écritures, où l’on verra que nos premiers aïeux ont vécu sur la terre sept cents, huit cents, neuf cents ans et au-delà : leurs corps ont donc pu, pendant ce long espace de temps, être participants de la vie, qui n’a cessé ensuite en eux que lorsque Dieu l’a voulu. Qu’avons-nous besoin d’ajouter d’autres preuves ? Rappelons-nous qu’Énoch, s’étant rendu agréable à Dieu, fut enlevé au ciel dans son corps vivant, comme pour montrer que c’était dans ce séjour où les justes seraient transportés après leur mort. Élie pareillement fut enlevé au ciel dans son corps mortel, montrant ainsi aux justes le chemin du ciel ; et leur corps, comme on voit, ne fut point un obstacle à leur enlèvement au ciel. Car ces mêmes mains, dont Dieu s’était servi pour créer l’homme avec le limon de la terre, au commencement du monde, transportaient les hommes partout où Dieu le voulait. On peut dire que les mains de Dieu s’étaient en quelque sorte habituées, dans le travail de la formation d’Adam, à transporter, à changer de lieu le corps de l’homme, selon sa volonté. En effet, où Adam fut-il placé d’abord ? Dans le paradis, où, comme dit l’Écriture, « le Seigneur Dieu avait planté dès le commencement un jardin de délices, du côté de l’orient ; il y avait placé l’homme qu’il avait formé. » La désobéissance d’Adam fut cause que Dieu l’ôta de ce lieu, et le plaça dans ce monde où nous sommes. Aussi les anciens prêtres, parmi nous, qui ont été les disciples des apôtres, assurent-ils que c’est dans ce paradis que les justes qui ont été enlevés au ciel, ont été placés (car il y a un paradis préparé pour les hommes justes et qui ont eu l’esprit de Dieu ; et c’est là que l’apôtre saint Paul fut transporté, et où il entendit des paroles ineffables), et qu’ils doivent y rester jusqu’à la fin de temps, commençant dans ce lieu à jouir de leur immortalité.
Mais à ceux à qui cette longue vie des corps paraîtrait impossible, et qui prétendraient qu’Élie ne fut pas enlevé dans son corps mortel, et que ce corps aurait été consumé dans le char de feu qui le transportait, je leur répondrai par l’exemple de Jonas, dont le corps fut conservé vivant pendant trois jours dans les abîmes de la mer et dans le ventre de la baleine, et reparut sur la terre à l’ordre de Dieu : je leur rappellerai encore l’exemple d’Ananias, d’Azarias et de Mizaël, qui furent jetés dans une fournaise ardente, chauffée sept fois autant qu’on avait coutume de la chauffer, sans que le feu fît aucun mal à leur corps, qui n’exhalaient même aucune odeur de brûlure. Il est donc évident que ces hommes furent préservés par la toute puissance de Dieu, qui agissait sur leurs corps par des lois particulières et différentes de celles qui régissent les corps dans ce monde : dès lors cette même toute puissance n’a-t-elle pas pu suspendre également les lois ordinaires, en faveur de ceux qui ont été enlevés au ciel ? Mais qui opérait ces merveilles, si ce n’est l’esprit de Dieu, qui faisait dire au roi Nabuchodonosor : « N’avons-nous pas jeté ces trois hommes au milieu du feu, les pieds chargés de chaînes ? Et voilà que je vois quatre hommes libres et marchant au milieu du feu, et la figure du quatrième est celle d’un enfant de Dieu. » Et en effet, peut-il y avoir, parmi les êtres créés, quelque chose qui soit plus fort que la volonté de Dieu ? Or, Dieu ne pourrait pas triompher de la faiblesse de la chair, s’il ne pouvait la vivifier ; car Dieu ne saurait être subordonné aux choses créées : ce sont au contraire les choses créées qui sont subordonnées à Dieu et tout obéit à sa volonté.
Aussi notre Seigneur a-t-il dit : « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. » Et quoique les hommes qui vivent aujourd’hui, parce qu’ils ne connaissent pas les desseins de Dieu, regardent comme incroyable et impossible ce que l’on raconte de la longévité des patriarches, cela n’empêche pas que ces premiers hommes n’aient joui en effet de cette longue vie, et qu’ils n’en jouissent encore dans le paradis terrestre, qui est pour eux un avant-goût de l’éternité. De même, Dieu en a conservé d’autres dans le ventre d’une baleine, et au milieu des flammes d’un foyer ardent, et les a retirés sains et saufs pour montrer sa toute-puissance : il en est de même aujourd’hui quand ceux qui ignorent la puissance de Dieu et les promesses qu’il a faites, veulent conclure de leur ignorance l’impossibilité qu’il y aurait pour Dieu de ressusciter les corps après leur mort et de leur donner la vie pendant l’éternité ; mais heureusement leur incrédulité ne saurait ébranler notre confiance en Dieu.