Contre les hérésies

LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE IV

Erreur de ceux qui, en admettant un autre Dieu créateur du monde, en font une divinité impuissante et inutile, ou méchante et jalouse, si on admet que ce Dieu ne veut ou qu’il ne peut donner à nos corps la vie éternelle.

Ceux qui admettent un Dieu le père, autre que Demiurgos, se mentent à eux-mêmes, quand ils donnent à leur Dieu le titre de bon ; car, comme ils soutiennent qu’il ne peut donner à nos corps la vie éternelle, il résulte de cette proposition même que c’est un Dieu impuissant, inutile, négligeant, et nous pourrions ajouter, envieux et jaloux. Car, ils reconnaissent bien, avec tout le monde, que l’esprit et l’âme sont de leur nature immortels, parce que Dieu les a créés d’abord ainsi ; mais que le corps ne peut jouir de ce privilège, à moins d’un secours et d’une action particulière de Dieu sur lui. Or, les conséquences de ceci, c’est que si leur Dieu ne donne pas au corps l’immortalité, c’est ou impuissance de sa part, ou jalousie et envie envers sa propre créature. Quant à notre Dieu à nous, il rend la vie aux corps qui étaient morts, il les ressuscite, ainsi qu’il l’a promis par la bouche de ses prophètes, comme nous en avons fourni les preuves plus haut. Quel est donc celui des deux, du nôtre ou du leur, qui se montre le plus puissant, le plus fort et en même temps le meilleur ? Est-ce le nôtre qui immortalise l’homme tout entier, dans son âme et dans son corps ; ou bien sera-ce le leur ? Que fait celui-ci ? il a l’air de donner l’immortalité à des substances qui en sont naturellement douées ; mais quant au corps qui ne peut être immortel que par un secours particulier de Dieu, il ne lui vient point en aide, et il le laisse périr misérablement. Pourquoi donc, s’il peut lui donner la vie éternelle, ne le fait-il pas ? Mais peut être ne le peut-il pas : et bien, s’il ne le peut pas, il n’est pas tout-puissant, il n’est point parfait comme notre Dieu ; car notre Dieu donne l’immortalité, comme nous le prouvons, tandis que le leur ne le peut pas. Admettons cependant que ce ne soit pas de sa part impuissance ; mais alors c’est qu’il manque de bonté, ou bien qu’il est méchant et jaloux.

Peut-être voudront-ils prétendre que si, à la vérité, leur Dieu ne donne pas l’immortalité aux corps matériels, c’est que quelque cause secrète s’y oppose : ils reconnaissent donc alors que cette cause secrète est plus forte que leur Dieu, puisqu’il fléchit devant elle ; mais alors sa puissance disparaît en présence d’une puissance supérieure. C’est une vérité évidente pour tout le monde, que les corps sont aptes à recevoir la vie : ils vivent autant de temps que Dieu veut qu’ils vivent ; et s’ils meurent, on ne peut pas en conclure qu’ils ne pourraient pas encore recevoir le don de la vie. Ainsi, dès qu’ils sont toujours aptes à recevoir la vie, si l’on dit qu’une nécessité ou qu’une autre cause s’oppose à ce qu’ils soient de nouveau vivifiés, il faudra en conclure que ce Dieu de nos adversaires est subordonné à cette nécessité ou à cette cause ; que dès lors il n’est pas libre ni maître de sa puissance.

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