Stromates

LIVRE SEPTIÈME

CHAPITRE XVIII

Le sens mystique de la loi, quand elle classe les animaux en purs et en impurs, peut encore aider à distinguer de l’Église les Juifs et les hérétiques.

Pour nous, aussitôt que nous aurons ouvert aux regards avides une sorte de fenêtre par où ils pourront contempler l’intérieur de l’Église, content d’avoir indiqué comment les prescriptions de la loi, en classant les victimes pures et impures, désignaient dans un sens mystique les Juifs, les hérétiques et les infidèles qu’elles séparaient ainsi de l’Église, nous arrêterons à ce point la marche de notre discours. Les animaux qui ont la corne du pied fendue et qui ruminent, victimes pures et agréables à Dieu, suivant l’Écriture, sont l’emblème des justes qui marchent par la foi vers le Père et le Fils. La stabilité est le partage de ceux qui ont la corne du pied fendue et qui ruminent le jour comme la nuit l’aliment de la sainte doctrine dans le réceptacle de l’âme. Quand la loi mosaïque nous parle de victime pure qui rumine, elle a donc voulu nous désigner allégoriquement l’exercice de la gnose. Mais les animaux qui n’ont pas les deux ou au moins l’une des deux propriétés légales, elle les répudie comme immondes. Ceux qui ruminent, sans avoir la corne du pied fendue, représentent symboliquement le vulgaire des Juifs qui, tout eu ayant à la bouche la parole du Seigneur, n’ont cependant ni la foi, ni la base qui repose sur la vérité, et conduit au Père par la médiation du Fils. De là vient que cette espèce d’animaux trébuche facilement, faute d’avoir les pieds fendus et de s’appuyer sur le double support de la foi.

« Car nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui auquel le Fils l’a révélé. »

D’autre part, les animaux sont encore immondes, lorsqu’avec la corne du pied fendue ils n’ont pas cependant la faculté de ruminer. Cette catégorie représente les hérétiques qui marchent au nom du Père et du Fils, mais qui, impuissants à triturer l’interprétation des saintes paroles, et à réduire la doctrine en subtiles molécules, n’exécutent que grossièrement, sans soin ni exactitude, les œuvres de la justice, si tant est qu’ils les exécutent. C’est à eux et à leurs pareils que le Seigneur adresse ces mots :

« Pourquoi me dites-vous Seigneur ! Seigneur ! et ne faites-vous pas ce que je vous ordonne ? »

Quant à ceux qui n’ont pas la corne du pied fendue, et qui de plus ne ruminent pas, la loi les déclare entièrement immondes.

« Pour vous, habitants de Mégare, s’écrie Théognis, vous n’occupez ni le troisième, ni le quatrième, ni le douzième rang, soit en raison, soit en nombre. » — Qu’êtes-vous donc ? « Une paille légère que le vent emporte de la surface du sol ; une goutte d’eau dans un vase d’airain. »

Nous avons comme préludé par ces matières. Maintenant que, fidèle à notre engagement, nous avons discuté rapidement et à diverses reprises le point de morale ; maintenant que les dogmes auxquels s’allume le flambeau de la connaissance véritable ont été disséminés par nous, ça et là, dans le bat de dérober les saintes traditions à ceux qui ne sont pas initiés aux mystères, mettons la main à la discussion que nous avons promise. Nos livres des Stromates, sont loin de ressembler à ces jardins soigneusement entretenus où les arbres et les plantes sont alignés dans un ordre symétrique pour le plaisir des yeux. Je les comparerais plus volontiers à un coteau chargé d’ombres et de fraîcheur, où croissent le cyprès, le platane, le laurier, le lierre, le pommier, l’olivier et le figuier, de sorte que la plante stérile s’élève à côté de l’arbre fécond. Pourquoi ce désordre apparent ? Parce que l’Écriture veut demeurer secrète et mystérieuse, afin d’échapper aux mains rapaces qui dérobent et emportent les plus beaux fruits. Mais dites au laboureur d’aller dans cette pépinière enlever les arbres avec leurs racines vivantes et de les transplanter dans un autre terrain. Il en formera un jardin plein d’agrément et un délicieux bosquet. Nos Stromates n’ont visé ni à la méthode, ni à l’élégance. Les Grecs eux-mêmes suppriment à dessein les ornements du langage, et enveloppent leurs dogmes d’expressions obscures qui ne rendent pas la vérité telle qu’elle est, afin de tenir en haleine l’application et l’intelligence des lecteurs. En effet, il y a des amorces nombreuses et diverses appropriées à la différence des poissons.

Après notre septième livre des Stromates, nous prendrons un autre principe pour point de départ dans les matières qui suivent.

[Note de l’éditeur : Les éditions de saint Clément d’Alexandrie renferment un huitième livre des Stromates, mais qui n’a évidemment aucun rapport avec les matières précédentes. Nous avons suivi l’opinion de Heinsius et de quelques savants commentateurs, qui croient reconnaître dans cette espèce de traité de logique un fragment des Hypotyposes. En conséquence, nous avons reporté ce morceau dans le quatrième volume de notre collection.]

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