Nous lisons que l’apôtre, parmi beaucoup d’autres choses, dit dans ce chapitre de la première Épître aux Corinthiens, que « la chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu. » Voilà ce passage que les hérétiques nous opposent ; mais ils mettent à découvert toute leur faiblesse et leur folie, pensant par là nous embarrasser, et s’efforçant vainement d’en tirer cette conclusion, que Dieu ne veut pas le salut de sa créature. Ils ne veulent pas comprendre, comme nous l’avons dit plus haut, que l’homme parfait est composé de trois substances ; savoir : la chair, l’âme et l’esprit ; l’esprit opère le salut ; la chair sert de point d’appui à l’esprit et s’unit à lui ; l’âme, enfin, est l’intermédiaire et le lien de communication entre l’esprit et la chair. Mais l’âme, tantôt s’élève avec l’esprit, en suivant sa pente ; tantôt elle s’abaisse avec la chair, en écoutant ses appétits sensuels. Tant que la chair ne se laisse pas vivifier par l’esprit et ne s’unit pas à lui, elle n’est autre chose que chair et sang, sans rapport avec l’esprit de Dieu. Voilà pourquoi notre Seigneur compare les hommes de cette sorte à des morts, quand il dit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts ; » et, en effet, ils n’ont pas en eux l’esprit qui vivifie.
Mais tous ceux qui ont la crainte de Dieu et qui croient au dernier avènement du Messie, qui font habiter Dieu en eux par la foi, ceux-là sont appelés avec raison des hommes purs, spirituels, et qui vivent en Dieu ; car ils sont en possession de l’esprit du Père, qui purifie l’homme et l’élève par l’espérance jusques dans les régions célestes. Notre Seigneur nous l’a assuré lui-même, en disant que la chair est faible et que l’esprit est prompt. Mais l’esprit a le pouvoir de donner plus de perfection à ce qui se trouve placé sous l’action de cette promptitude qui lui est propre ; si donc l’esprit qui est prompt vient à stimuler la paresse de la chair, il en résultera que ce qui est fort dominera ce qui est faible, c’est-à-dire que la faiblesse de la chair sera absorbée dans la force qui est naturelle à l’esprit. L’homme dans lequel s’opère ce phénomène ne sera plus un homme charnel, mais un homme spirituel, par la prédominance de l’esprit en lui ; tels sont les martyrs, que nous voyons mépriser la mort, parce que la promptitude et la force de l’esprit surmontent en eux la faiblesse de la chair et sa révolte contre la souffrance. La faiblesse de la chair étant vaincue, l’esprit paraît dans toute sa puissance ; l’esprit dès lors absorbe en lui et s’approprie la chair avec sa faiblesse ; dès ce moment l’homme devient homme vivant ; homme, par la chair qui forme son corps, vivant, par l’esprit dont il est rempli.
Il est donc vrai que la chair qui n’est pas vivifiée par l’esprit de Dieu est une chair morte, et qui ne peut posséder le royaume de Dieu, parce qu’elle n’a pas la vie ; ce n’est plus autre chose qu’un sang mort que l’on répand à terre. Voilà pourquoi saint Paul dit : « Comme le premier homme a été terrestre, ses enfants sont aussi terrestres. » Là où est l’esprit du Père, là est l’homme vivant, le sang spirituel, mis en réserve par Dieu pour le venger des méchants ; là est la chair qui s’est donnée à l’esprit, en oubliant sa propre nature, pour entrer dans la nature de l’esprit, qui est enfin devenue semblable à la chair du Verbe. C’est pour cela que l’apôtre dit : « Comme donc nous avons porté l’image de l’homme terrestre, portons aussi l’image de l’homme céleste. » Qu’est-ce qui est terrestre ? c’est le corps. Qu’est-ce qui est céleste ? c’est l’esprit. Et, comme le dit encore saint Paul, tant que nous ne sommes pas convertis à l’esprit céleste, nous demeurons dans la chair du vieil homme, et en révolte contre Dieu ; avons-nous reçu l’esprit, nous marchons dans une vie nouvelle, et nous devenons conformes à la volonté de Dieu.
C’est donc parce que nous ne saurions être sauvés sans avoir l’esprit de Dieu, que l’apôtre nous exhorte à conserver en nous cet esprit par la fermeté de notre foi et par une vie chaste et pure ; et comme si nous venions à perdre cet esprit, nous perdrions en même temps le droit à l’héritage céleste ; c’est ce qui lui fait dire hautement que la chair seule et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu.
Et pour dire toute notre pensée, ce n’est pas la chair qui possède, mais c’est elle qui est possédée. Notre Seigneur n’a-t-il pas dit : Heureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre ? ce qui semble dire que la terre, d’où est tirée la matière de notre corps, est soumise à l’esprit de ceux qui sont doux ; aussi le Seigneur veut-il que nous maintenions notre corps dans la pureté, afin que l’esprit de Dieu se plaise à l’habiter, comme un époux avec son épouse. Et de même que l’épouse ne peut posséder l’époux, mais qu’elle est possédée par lui, lorsqu’il arrive et qu’elle entre en son pouvoir ; de même, la chair ne peut toute seule et par elle-même, se mettre en possession de l’héritage céleste ; mais elle en prend possession par l’esprit qui est en elle. Car c’est celui qui est vivant qui possède l’héritage de ceux qui sont morts ; et, autre chose est de posséder l’héritage ; et autre chose, d’être possédé dans l’héritage. Celui, en effet, qui est maître de l’héritage, dispose et jouit de ce qu’il contient comme il l’entend ; tandis que les choses qui sont dans l’héritage, lui sont soumises, lui obéissent et dépendent de son vouloir. Or, qu’est-ce qui est vivant en nous, si ce n’est l’esprit de Dieu ? Et qu’est-ce qui est mort en nous ? Ce sont nos membres corporels, qui sont en dissolution dans la terre. Mais l’esprit de Dieu s’en empare et les vivifie, pour les faire vivre dans le royaume des cieux.
Ainsi le Christ, par sa mort, a manifesté le testament de son Évangile qui a été lu au monde, et qui donne la liberté à tous ceux qui le servent fidèlement ; il les mettra ensuite en possession de son héritage qu’il leur a gardé et qu’ils posséderont par l’esprit, ainsi que nous l’avons déjà dit. Voilà donc quel est l’objet des exhortations de l’apôtre aux fidèles, afin qu’ils gardent précieusement en eux cet esprit, sans lequel ils ne peuvent obtenir l’héritage céleste ; et voilà pourquoi il leur dit que la chair et le sang ne peuvent posséder le royaume des cieux. C’est absolument comme s’il leur eût dit : Prenez bien garde de pécher ; car si le Verbe et l’esprit de Dieu n’habite en vous, tout ce que vous pourriez faire pour être sauvé ne servirait de rien ; et n’étant que chair et que sang, vous ne pourriez posséder le royaume céleste.