La chair est susceptible de conservation de même qu’elle est susceptible de dissolution ; elle peut vivre et elle peut mourir. Mais la mort et la vie sont exclusives l’une de l’autre ; elles ne peuvent pas être en même temps dans le même sujet ; l’une chasse l’autre ; quand l’une est présente, l’autre est absente. Si c’est la mort qui s’empare de l’homme, cet homme apparaît avec tous les signes de la mort : si c’est la vie qui s’empare de lui, elle chasse la mort, et rend cet homme à Dieu avec tous les signes de la vie. Car, si la mort a le pouvoir d’abattre l’homme, pourquoi la vie, en revenant vers lui, n’aurait-elle pas le pouvoir de le rendre vivant ? Le prophète Isaïe dit : « Le Seigneur engloutira à jamais la mort au moment de ses triomphes ; » et puis encore il ajoute : « Le Seigneur sèchera les larmes de tous ceux qui pleurent. » Ce qui marque que par la rédemption le Christ est venu mettre fin au mode primitif de la vie humaine, qui n’avait été donnée que par le souffle, tandis que la vie nouvelle est donnée par l’esprit.
Autre chose, en effet, est le souffle de vie qui a donné à l’homme la vie animale ; autre chose est l’esprit qui le vivifie et qui l’élève à la vie spirituelle. Voilà ce qui fait dire au même prophète : « C’est ici la parole du Seigneur, du Dieu qui a créé et étendu les cieux, qui affermit la terre et la couvre de fruits, qui donne le souffle aux animaux et la vie aux hommes. » Car Dieu a donné le souffle de la vie en général à tout ce qui respire sur la terre ; mais l’esprit est particulièrement le partage de ceux qui s’élèvent au-dessus des passions humaines. Aussi Isaïe, comme pour donner beaucoup plus de clarté à ce qu’il avait d’abord dit, ajoute un peu plus loin : « Un souffle de l’esprit sortira de moi et je ranimerai les morts. » Or, cet esprit est précisément celui qui sort de Dieu et qu’il a répandu sur le genre humain, depuis la venue du Christ sur la terre, par l’adoption de ceux qui le servent ; tandis que le souffle est cet élément de vitalité qui est départie à toute créature vivante. Il faut donc distinguer la créature qui est créée de celui qui la crée : le souffle qui est une chose créée n’existe que pour un temps, l’esprit existe éternellement. Le souffle de vie prend d’abord un certain accroissement, il persiste quelque temps dans cet état ; ensuite il s’exhale, laissant sans vie le corps qu’il animait auparavant. Mais l’esprit anime sans cesse et l’homme intérieur et l’homme extérieur, sans jamais l’abandonner. « Ce n’est pas le corps spirituel, dit saint Paul, qui a été formé le premier, c’est le corps animal, et ensuite le spirituel, » selon la progression naturelle ; car il fallait que l’homme matériel fût créé d’abord, afin que le corps reçût l’âme en lui, et qu’ensuite l’âme elle-même reçût l’esprit qui lui serait donné. « C’est pourquoi Adam, le premier homme, a été créé avec une âme vivante ; et le second Adam a été rempli d’un esprit vivifiant. » Ainsi, l’homme à qui une âme vivante avait été donnée, meurt spirituellement, s’il tombe dans le péché ; mais s’il revient à une meilleure conduite, l’esprit qui vivifie vient à lui, et il recouvre cette vie spirituelle.
C’est donc le même être qui meurt et qui est ensuite rendu à la vie, comme c’est la même chose que l’on retrouve, après l’avoir perdue. Or, qu’est-ce qui meurt en nous ? c’est la substance de la chair, qui perd le souffle de vie et qui cesse ainsi de respirer. C’est cette partie de nous-mêmes à laquelle Dieu rendra la vie : de même que nous mourrons en Adam, comme hommes corporels ; ainsi, nous revivrons en Jésus-Christ, comme hommes spirituels, conservant la chair et ne renonçant qu’à ses misères et à ses concupiscences, nous mettant en possession de l’Esprit saint. C’est pour cela que l’apôtre nous dit : « Faites donc mourir les membres de l’homme terrestre qui est en vous. » Or, qu’est-ce que c’est que cet homme terrestre ? Il vous le dit : « La fornication, l’impureté, les passions déshonnêtes, les mauvais désirs, et l’avarice, qui est une idolâtrie. » Voilà ce que l’apôtre nous invite à quitter ; il nous engage à nous séparer de ceux qui se livrent à ces choses ; car ils ne sont plus que de la chair et du sang, et ne pourront posséder le royaume de Dieu. Leur âme, en s’abandonnant au mal, s’est abaissée jusqu’aux passions terrestres, et ne mérite plus pour cela de porter d’autre nom que celui de chair terrestre. Un peu plus loin, dans cette même épître, saint Paul nous invite encore à renoncer à toutes les choses de la terre, quand il dit : « Dépouillez-vous du vieil homme et de ses œuvres. » Et en parlant ainsi, il ne faisait pas abstraction du corps ; car comment subsisterions-nous sans lui, puisqu’il est une nécessité de notre mode d’exister ?
Mais il y a plus, et l’apôtre, qui lui-même aussi était né de la femme, ne disait-il pas : « Que les fruits de l’esprit sont le salut de la chair ? » C’est ce qu’il confesse dans l’épître aux Galates, lorsqu’il parle des bonnes œuvres qui sanctifient l’homme. En effet, quel est le but visible des actes de l’esprit, qui est lui-même invisible, si ce n’est de parvenir à rendre la chair capable de devenir incorruptible ? Et quand il disait, s’il m’est plus avantageux de vivre dans la chair, certainement il indique que ce n’était pas en haine de la chair qu’il prêchait le dépouillement du vieil homme et de ses œuvres ; mais il voulait nous faire quitter cette vie d’habitude dans le péché, qui nous conduit à la corruption et à la mort. Aussi, s’en explique-t-il bien clairement dans un autre endroit, lorsqu’il dit : « Revêtez-vous de l’homme nouveau, qui, par la connaissance de la vérité, se renouvelle selon l’image de celui qui l’a créé. » Par ces mots, qui, par la connaissance de la vérité, se renouvelle, il marquait que lui-même, qui autrefois avait été un homme d’ignorance, c’est-à-dire ne connaissant pas Dieu, s’était renouvelé dans la connaissance de la vérité ; car la connaissance de Dieu fait de l’homme un être nouveau. Et ensuite, par ces mots, selon l’image de celui qui l’a créé, il fait bien voir que l’homme revient ainsi à cet état de ressemblance à Dieu, qui lui fut donné lors de la création.
Saint Paul était comme nous un homme né du sein de la femme, c’est-à-dire provenu de la chair du vieil homme, comme il s’en explique lui-même dans l’épître aux Galates, lorsqu’il dit : « Mais lorsqu’il eut plu à Dieu, qui m’a choisi dès le sein de ma mère et qui m’a appelé par sa grâce, de me faire connaître son Fils, afin que je l’évangélisasse parmi les nations. » Ainsi, c’était bien le même homme corporel qui était né de la femme et qui évangélisait Jésus-Christ ; mais quel changement dans l’homme intellectuel ! lui qui était autrefois le persécuteur de l’Église qu’il ne connaissait pas, devenu, après cette révélation du ciel, dans laquelle il entendit la voix du Christ, l’apôtre zélé de l’Évangile, et du Christ, fils de Dieu, qui a été crucifié sous Ponce-Pilate, comme nous l’avons dit dans notre troisième livre ! Les anciennes ténèbres de son esprit furent chassées par la lumière nouvelle dont il fut rempli ; c’est ainsi que les aveugles qui furent guéris par le Seigneur perdirent leur cécité, et eurent dès ce moment des yeux capables de voir ; cependant c’étaient bien leurs mêmes yeux avec lesquels auparavant ils ne pouvaient pas voir. Il en fut de même de celui qui avait une main desséchée et de tous ceux que le Seigneur guérit, et qui tous conservèrent les mêmes membres qu’ils avaient dès leur naissance, et qui furent guéris dans ces mêmes membres.
Le créateur de toutes choses, le verbe de Dieu, qui a créé l’homme au commencement du monde, est venu pour guérir sa créature de toutes les plaies, quelles qu’elles fussent, que le péché lui avait faites ; et le bienfait de cette guérison a eu lieu à l’égard de chaque individu en particulier, comme à l’égard de tout le genre humain en général : par ce moyen l’homme a été rétabli dans sa primitive perfection, état de perfection qui le prépare à la résurrection. Si le Christ n’avait pas eu en vue le salut de ceux qu’il guérissait miraculeusement, y aurait-il eu un motif suffisant pour faire un miracle en leur faveur ? Si ce n’eût été que pour leur procurer un avantage temporel, cela eût-il valu la peine d’un miracle ? Mais comment, après de pareils miracles, pourrait-on soutenir que la chair n’est pas susceptible d’être rappelée à la vie, elle que Dieu fait revenir en état de santé de malade qu’elle était. Car la guérison donne la vie, et la vie donne l’immortalité. Or, celui qui peut donner la guérison peut donner la vie ; et celui qui donne la vie peut donner l’immortalité.