1.[1] Vers le même temps, habitait au bourg de Modéï, en Judée, un certain Mattathias, fils de Jean, fils de Siméon, fils d'Asamonée[2], prêtre de la classe de Joarib, de Jérusalem. Il avait cinq fils, Jean, appelé Gaddès, Simon, appelé Thatis, Judas, appelé Macchabée, Eléazar, appelé Auran, et Jonathas, appelé Apphous. Ce Mattathias déplorait devant ses enfants l'état des affaires, le pillage de la ville et du Temple, les malheurs du peuple, en leur disait qu'il valait mieux pour eux mourir fidèles aux lois nationales que de vivre dans une pareille ignominie.
[1] I Maccabées, 2, 1-14.
[2] τοῦ Ἀσαμωναίου. Ces mots manquent dans notre texte de I Maccabées. On n'oubliera pas que Josèphe appartenait lui-même à cette famille (Vie, § 2). Nous n'insistons pas sur les variantes assez nombreuses que présentent les mss. de Josèphe pour les surnoms des fils de Mattathias (Γαδδίς, Μαθθίς, etc.).
2.[3] Les agents chargés par le roi de forcer les Juifs à accomplir ses ordres vinrent au bourg de Modéï, et ordonnèrent aux habitants de sacrifier, suivant les prescriptions royales. Comme Mattathias était fort considéré pour plusieurs raisons et notamment pour sa belle famille, ils l'invitèrent à offrir le premier un sacrifice ; ils assuraient qu'il serait aussitôt imité par ses concitoyens, et que le roi l'en honorerait. Mattathias refusa, déclarant que, quand bien même tous les autres peuples, par crainte ou par complaisance, obéiraient aux ordres d'Antiochus, jamais on ne le persuaderait, lui ni ses enfants, d'abandonner le culte de leurs pères. A peine s'était-il tu, qu'un autre Juif s'avança et sacrifia suivant les prescriptions d'Antiochus ; Mattathias furieux se jeta sur lui avec ses enfants armés de coutelas et le tua ; il mit à mort aussi le général du roi, Apellès[4], qui voulait les forcer à sacrifier, et quelques-uns de ses soldats, puis, jetant bas l'autel, s'écria : « Que tous ceux qui sont attachés aux coutumes de nos pères et au culte de Dieu me suivent ! » A ces mots, accompagné de ses fils, il s'enfuit dans le désert, abandonnant dans le bourg tous ses biens. Beaucoup d'autres en firent autant, et s'enfuirent aussi avec leurs femmes et leurs enfants dans le désert où ils s'établirent dans les cavernes. A cette nouvelle, les généraux du roi, prenant dans la citadelle de Jérusalem tout ce qui s'y trouvait de troupes, se mirent à la poursuite des Juifs dans le désert ; quand ils les eurent rejoints, ils essayèrent d'abord de les faire changer d'avis et de les persuader de se guider sur leur intérêt, afin de ne pas forcer les soldats à leur appliquer les lois de la guerre. Les Juifs refusèrent et persistèrent dans leur résistance ; on les attaqua donc le jour du Sabbat, et on les brûla dans les cavernes, comme ils s'y trouvaient, sans qu'ils se défendissent ou qu'ils eussent même essayé de fermer les issues : la solennité du jour leur interdisait de se défendre, et ils ne voulurent pas, même en si critique circonstance, transgresser la loi de la sanctification du Sabbat ; car il nous est prescrit de ne rien faire ce jour-là. Ils moururent donc étouffés dans les cavernes avec leurs femmes et leurs enfants, au nombre d'environ un millier[5]. Beaucoup cependant se sauvèrent, vinrent rejoindre Mattathias et le prirent pour chef. Celui-ci les instruisit à combattre même le jour du Sabbat, assurant que s'ils ne le faisaient pas, pour se conformer à la loi, ils seraient leurs propres ennemis ; leurs adversaires, en effet, choisissant ce jour pour les attaquer, s'ils ne se défendaient pas, rien n'empêcherait qu'ils ne périssent ainsi tous sans combattre. Cet argument les convainquit, et jusqu'aujourd'hui, l'usage subsiste chez nous de combattre même le jour du Sabbat, s'il est nécessaire[6]. Mattathias, ayant donc réuni une troupe assez nombreuse, renversa les autels, tua tous ceux des coupables dont il put s'emparer (car beaucoup, par prudence, s'étaient dispersés chez les peuples voisins) ; puis il ordonna que tous les enfants qui n'avaient pas été circoncis le fussent, et chassa ceux qui avaient été chargés de s'opposer à cette mesure.
[3] I Maccabées, 2, 15-48.
[4] Ce nom ne se trouve pas dans le texte de I Maccabées, § 25 (Guerre, I, § 35 et 37 nomme le phrourarque Bacchidès !) et celui que Josèphe appelle στρατηγός (général ou préfet) y est simplement qualifié de « homme du roi ».
[5] I Maccabées n'indique pas que les Juifs aient été asphyxiés. Josèphe s'accorde sur ce détail avec II Maccabées, 6, 11.
[6] Remarquez comment Josèphe insiste sur cet épisode et amplifie le texte de I Maccabées (où l'initiative en question n'est point attribuée à Mattathias). Est-ce parce que le reproche de ne pas combattre le jour du sabbat jouât un grand rôle dans la polémique païenne contre les Juifs, ou peut-être Josèphe voulait ici se justifier auprès de ses coreligionnaires d'avoir violé cette pratique pendant la guerre contre les Romains ?
3.[7] Après avoir exercé le commandement pendant un an, Mattathias tomba malade ; il fit alors venir ses fils, et quand il les vit réunis autour de lui : « Mes enfants, leur dit-il, je pars pour le voyage fixé par le destin ; je vous laisse dépositaires de ma pensée, et vous prie de ne pas en être les gardiens infidèles, mais d'avoir toujours devant les yeux le but poursuivi par celui qui vous a engendrés et élevés : sauver les coutumes nationales, restaurer notre vieille constitution menacée de disparaître, et ne pas faire cause commune avec ceux qui, de gré ou de force, la trahissent. En dignes fils de votre père, restez au dessus de toute violence et de toute contrainte, préparez vos âmes à mourir pour nos lois, s'il le faut ; songez que la divinité, vous voyant tels, ne vous oubliera pas, mais que, admirant votre courage, elle saura le récompenser, et vous rendra la liberté, dans laquelle vous vivrez enfin, jouissant en toute sécurité de vos coutumes, car notre corps est mortel et périssable, et c'est par le souvenir de nos actions que nous conquérons l'immortalité ; je veux qu'épris d'elle vous en recherchiez la gloire, vous attachant aux plus nobles desseins, et n'hésitant pas à y sacrifier votre vie. Je vous conjure surtout de rester unis, et si l'un de vous se trouve avoir sur les autres quelque supériorité en un point, de le seconder volontiers, de manière a utiliser vos talents respectifs. Vous choisirez pour père votre frère Simon, le plus intelligent d'entre vous, et vous suivrez ses conseils ; vous prendrez comme général Macchabée, pour son courage et sa vigueur ; car il défendra le peuple et écartera l'ennemi. Admettez auprès de vous les hommes justes et pieux, et vous augmenterez ainsi votre force. »
[7] I Maccabées, 2, 49-68. Le texte de Josèphe est une paraphrase très libre et très banale de l'original, d'où toute la couleur biblique est effacée.
4.[8] Après avoir ainsi parlé à ses fils et prié Dieu de combattre avec eux et de rendre à son peuple ses coutumes, il mourut ; il fut enterré dans le bourg de Modéï et l'affliction du peuple fut profonde. Son fils Judas, appelé aussi Macchabée, prit la direction des affaires : c'était en l'année cent quarante-six[9]. Avec l'aide dévouée de ses frères et des autres citoyens, il chassa l'ennemi du pays, fit périr ceux de ses compatriotes qui avaient violé la loi et purifia la terre de toute souillure.
[8] I Maccabées, 2, 69–3, 9. Josèphe abrège ce texte poétique.
[9] 167-6 av. J.-C.