Contre les hérésies

LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE XVII

Il n’y a qu’un seul Seigneur et qu’un seul Dieu, père et créateur de toutes choses, qui nous a aimés dans la personne de son Christ, qui nous a donné sa loi et nous a remis nos péchés, dont le Christ a prouvé qu’il était le Verbe et le Fils, en nous faisant trouver grâce devant son Père.

Dieu est, selon son amour, notre père ; selon sa puissance, notre Seigneur ; selon sa sagesse, notre créateur ; et nous avions encouru son animadversion par la transgression de sa loi. Mais lorsque les temps ont été accomplis, le Christ, par le mérite de son incarnation, nous a rétablis dans sa bienveillance, se faisant le médiateur entre Dieu et l’homme ; il nous a rendu propice Dieu le père, que nous avions offensé, rachetant notre désobéissance par son obéissance, et nous rendant capables d’amour et de soumission envers celui qui est notre créateur. C’est pour cela qu’il nous a enseigné à répéter chaque jour, dans notre prière, ces mots : Et remettez-nous nos dettes ; en effet, il était notre père, et nous étions ses débiteurs, comme transgresseurs de sa loi. Était-ce donc là un Dieu inconnu, et qui n’a point révélé sa loi ? ou bien, ce Dieu, dont nous étions les débiteurs, par nos offenses, ne serait-il pas celui que les Écritures annoncent et proclament ? La loi a été donnée à l’homme par le Verbe, qui est la parole : « Adam, dit l’Écriture, entendit la voix du Seigneur Dieu. » Ainsi, c’est avec raison que le verbe de Dieu a dit à l’homme : vos péchés vous sont remis. Celui qui avait été offensé dans le commencement de la création de l’homme, accorde enfin le pardon quand la fin des temps est proche. Mais si c’était un autre Dieu, dont nous eussions transgressé la loi, ce serait donc cet autre Dieu qui aurait dit : Vos péchés vous sont remis. Or, cet autre ne l’a pas dit : il n’est donc ni sincère, ni bon, ni juste. Comment serait-il bon, ne donnant rien ; ou bien comment serait-il juste, prenant ce qui ne lui appartient pas ? Il n’y avait donc que celui qui a été offensé, qui pût pardonner, par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, qui, se levant dans le ciel, nous a visités, c’est-à-dire par son Fils.

Nous lisons dans l’Évangile qu’après la guérison miraculeuse du paralytique, « la multitude voyant cela fut saisie de crainte, et rendit gloire à Dieu qui avait donné une telle puissance aux hommes. » Or, quel était ce Dieu à qui la multitude rendait gloire ? Était-ce un Dieu inconnu, et que les hérétiques auraient découvert ? Mais alors comment le peuple aurait-il glorifié un Dieu dont il n’aurait pas encore soupçonné l’existence ? Il est donc évident que ce Dieu à qui les Juifs rendaient gloire, était celui que les Écritures ainsi que les prophètes ont annoncé, et qui est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ ; c’est pour cela que le Christ apprenait aux hommes, en frappant leurs yeux par des prodiges, à rendre gloire à ce Dieu. Mais si le Christ fût provenu d’un autre Dieu, qu’il eût dit être son père, il eût empêché les Juifs de le connaître et de le glorifier, et de lui rendre grâces comme au sauveur qu’il leur envoyait, puisque, à l’occasion de ses miracles, ces Juifs rendaient gloire au Dieu des prophètes et des Écritures, le seul qu’ils connussent. Mais comme le Christ était le fils unique du Dieu unique qui l’a envoyé sur la terre pour le salut des hommes, il forçait, par les miracles qu’il faisait, les incrédules même à glorifier son père. Aussi disait-il aux pharisiens qui ne voulaient pas le reconnaître pour le fils de Dieu, et qui, par cela même, ne croyaient pas qu’il eût le pouvoir de remettre les péchés : « Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la terre ; » il dit au paralytique de se lever, de prendre son lit, et de s’en aller dans sa maison. Ainsi, par ce miracle, il confondit ces incrédules, manifestant qu’il est lui-même la voix de Dieu, dont il s’est servi pour faire connaître à l’homme ses commandements, commandements que l’homme a transgressés ; de là il est tombé dans les liens du péché, et c’est le péché qui a engendré la paralysie de l’âme et toutes les maladies du corps.

Jésus-Christ, en remettant les péchés aux malades qu’il guérissait, a hautement manifesté sa nature divine ; car il n’y a que Dieu seul qui puisse remettre les péchés. Or, le Christ les remettait en même temps qu’il opérait des guérisons miraculeuses ; il prouvait donc par là qu’il est le verbe de Dieu, devenu volontairement le Fils de l’homme, à qui le pouvoir de remettre les péchés avait été donné par son Père ; il était donc ainsi à la fois homme et Dieu. Comme homme, il a été sujet à la souffrance ainsi que nous ; et, comme Dieu, il a eu pitié de nous, et nous a remis la dette du péché que nous avions contractée en offensant notre Créateur. C’est ce que David avait prophétisé, en disant : « Heureux l’homme à qui Dieu n’a point imputé son crime, et qui ne recèle pas la fraude dans son âme. » Il a annoncé ainsi la venue du médiateur, de celui qui, comme dit saint Paul, « a effacé l’écrit d’obligation qui était contre nous ; il l’a entièrement aboli en l’attachant à la croix. » Ainsi s’est réalisée cette figure, que, de même que nous étions devenus débiteurs de Dieu par le péché, à l’occasion du bois de l’arbre de la science du bien et du mal, ainsi nous avions acquis la rémission de notre dette par l’efficacité du bois de la croix.

Plusieurs prophètes ont prédit cet événement d’une manière figurative ; mais Élisée particulièrement en a montré la figure prophétique. Les fils des prophètes étant allés près du Jourdain pour abattre des arbres afin de se construire des habitations, il arriva que le fer de la cognée dont ils se servaient tomba dans l’eau, et ils ne pouvaient pas le retrouver ; ils s’adressèrent donc à Élisée qui, apprenant ce qui leur était arrivé, vint et jeta un morceau de bois à l’endroit où le fer de la cognée était tombé, et le fer aussitôt surnagea sur l’eau ; il étendit donc la main et le prit. Cette action du prophète peut être considérée comme une figure qui annonçait que la parole de Dieu, que l’homme avait perdue et dont il s’était fait l’ennemi par le bois de l’arbre de la science, lui serait rendue par le bois, c’est-à-dire par le bois de la croix. C’est saint Jean-Baptiste lui-même qui compare le verbe de Dieu à la cognée, quand il dit : « Et déjà la hache est mise à la racine de l’arbre. » Jérémie fait une comparaison semblable quand il dit : « Ma parole n’est-elle pas comme le feu et comme le marteau qui fend la pierre. » Le bois de la croix a donc été la figure par laquelle s’est manifestée à nous la parole de Dieu que nous avions perdue, et que nous ne connaissions plus. C’est par le bois que nous l’avions perdue, c’est par le bois que nous l’avons recouvrée et qu’elle s’est manifestée à tous, montrant dans la croix la figure de sa hauteur, de sa longueur et de sa largeur ; et encore (comme l’a remarqué un ancien) les bras étendus du Christ vers deux points opposés signifiaient deux peuples qui seraient réunis dans le culte du même Dieu, les Juifs et les gentils ; les deux mains aussi, pour marquer les deux peuples dispersés sur la surface de la terre, et qu’elles réunissaient ; et la tête ou milieu, pour marquer un seul Dieu qui domine tout, qui est partout, et qui est dans tout.

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