(28 octobre)
I. Simon et Jude, appelé aussi Thadée, originaires de Cana, étaient frères de Jacques le Mineur et fils de Marie Cléophas, femme d’Alphée.
Après l’ascension du Seigneur, Jude fut envoyé par Thomas auprès du roi d’Édesse Abgar, qui avait écrit à Notre-Seigneur Jésus la lettre suivante : « Abgar, roi, fils d’Euchassie, au bon Jésus qui s’est montré dans le pays de Jérusalem, salut ! J’ai entendu parler de toi, des guérisons que tu fais sans drogues et sans herbes, et que tu rends la vue aux aveugles, la marche aux paralytiques, la pureté aux lépreux et la vie aux morts : et j’ai conclu de tout cela que, pour accomplir tant de merveilles, tu devais être ou bien Dieu lui-même descendu des cieux, ou bien le fils de Dieu. Je t’écris donc pour que tu daignes prendre la peine de venir jusque chez moi, pour me guérir d’une maladie qui me tourmente depuis longtemps. J’ai appris aussi que les Juifs murmuraient contre toi et voulaient te tendre des pièges. Viens chez moi, je t’en prie ! J’ai à moi une ville qui, en vérité, est petite, mais honnête, et qui nous suffira bien à tous deux ! » Et le Seigneur Jésus répondit en ces termes : « Heureux es-tu, toi qui as cru en moi sans m’avoir vu ! car il est écrit de moi que ceux qui me verront ne croiront pas, et que ceux qui ne me verront pas croiront. Quant à ce que tu me demandes de venir auprès de toi, il faut d’abord que j’accomplisse ce pour quoi je suis envoyé et qu’ensuite je retourne auprès de Celui qui m’a envoyé. Mais, dès que je serai remonté au ciel, je t’enverrai un de mes disciples, pour te guérir et te donner la vraie vie ! » Alors Abgar, comprenant qu’il devait renoncer à voir le Christ en personne, chargea du moins un peintre d’aller faire son portrait. Mais lorsque ce peintre arriva devant le Christ, il trouva le visage de celui-ci rayonnant d’un tel éclat qu’il ne parvint pas à en discerner clairement les traits, ni, par suite, à les dessiner. Ce que voyant, le Seigneur appuya sa sainte face sur le manteau du peintre et y grava ainsi son image à l’intention du bon roi Abgar. Et Jean de Damas, qui nous raconte tout cela d’après une vieille chronique, nous décrit aussi ce portrait du Seigneur. Il nous affirme qu’on y voit l’image d’un homme avec de grands yeux, d’épais sourcils, un visage allongé, et des épaules un peu voûtées, ce qui est signe de maturité. Quant à la lettre du Christ, tel était son pouvoir que, dans la ville d’Édesse, aucun hérétique ni païen ne pouvait vivre, et qu’aucun tyran ne pouvait opprimer les habitants. Mais lorsque Édesse, plus tard, fut prise et profanée par les Sarrazins, elle perdit le privilège de cette sainte lettre.
Lors donc que Jude Thadée vint auprès d’Abgar, pour accomplir la promesse faite par Jésus, le roi découvrit aussitôt sur son visage un rayonnement de splendeur divine. Émerveillé et épouvanté, il dit : « Tu es vraiment le disciple de Jésus, fils de Dieu, qui m’a promis de m’envoyer l’un de ses disciples pour me guérir et pour me donner la vraie vie ! » Et Thadée : « Si tu crois dans le Fils de Dieu, tous les désirs de ton cœur seront réalisés ! » Et Abgar : « Certes, je crois en lui ; et bien volontiers j’égorgerais les méchants Juifs qui l’ont crucifié ! » Or le roi Abgar était lépreux ; mais Thadée prit la lettre du Seigneur, lui en frotta le visage, et aussitôt sa lèpre disparut.
II. Jude prêcha ensuite en Mésopotamie et dans le Pont, et Simon en Égypte. Puis ils se rendirent en Perse, et y trouvèrent deux mages Zaroës et Arphaxal, que saint Matthieu avait chassés de l’Éthiopie. En ce temps-là Baradac, général babylonien, qui s’apprêtait à partir en guerre contre les Indiens, consulta ses dieux sur l’issue de sa campagne. Et il obtint pour réponse que ses dieux ne pourraient lui répondre aussi longtemps que les deux apôtres chrétiens seraient dans le pays. Baradac fit alors rechercher les deux apôtres, leur demanda qui ils étaient et pourquoi ils étaient venus. Et ils répondirent : « De nation, nous sommes Hébreux, de condition, serviteurs du Christ ; et nous sommes venus ici pour ton salut et celui des tiens. » Et Baradac : « Je vous écouterai plus à loisir quand je serai revenu vainqueur de mon expédition. » Et les apôtres : « Mieux vaudrait pour toi connaître dès maintenant celui qui, seul, peut te donner la victoire ! » Et Baradac : « Si vous êtes plus puissants que nos dieux, prédites-moi quelle sera l’issue de ma campagne ! » Et les apôtres : « Pour que tu reconnaisses combien tes dieux sont menteurs, demande-leur d’abord de répondre à ta question ! » Alors les devins, consultés, prédirent une grande guerre, et une grande fuite de peuples après la bataille. Sur quoi les apôtres se mirent à rire. Et Baradac : « Comment ! Je tremble d’effroi, et vous riez ? » Et les apôtres : « Sois sans crainte, car la paix est entrée ici avec nous. Demain, à la troisième heure, des envoyés viendront te trouver ici de la part des Indiens, pour te demander la paix et se soumettre à ton pouvoir. » Alors ce fut au tour des prêtres de railler, et ils dirent à Baradac : « Ces gens-là veulent te tromper afin que, pendant que tu seras sans défiance, l’ennemi se jette sur toi ! » Et les apôtres : « Nous ne t’avons pas dit d’attendre un mois, mais seulement un jour ! Dès demain, tu auras la paix et la victoire ! » Alors Baradac les fit tenir sous bonne garde les uns et les autres. Le lendemain, tout arriva comme les apôtres l’avaient prédit ; et comme Baradac voulait châtier les devins de leur mensonge, les apôtres l’en empêchèrent, disant qu’ils n’étaient pas envoyés pour tuer les vivants, mais pour vivifier les morts. Baradac en fut très surpris, comme aussi de l’insistance qu’ils mettaient à refuser ses présents. Il les conduisit donc à son roi, et lui dit : « Sire, voici des dieux cachés sous la figure humaine ! » Mais les mages, jaloux des apôtres, les accusèrent d’être des méchants, qui méditaient la fin du royaume. Alors Baradac : « Si vous l’osez, discutez avec ces deux hommes ! » Et les mages : « Nous ne voulons pas discuter avec eux ; mais fais venir ici les hommes les plus éloquents de la ville ; et, s’ils peuvent parler, nous reconnaîtrons notre ignorance. » Et, en effet, amenés devant eux, les plus habiles avocats devinrent aussitôt muets et incapables même de s’exprimer par gestes. Et les mages dirent au roi : « Pour te prouver notre pouvoir, nous allons leur permettre de parler, mais nous leur défendrons de marcher ; puis nous leur permettrons de marcher, mais nous les empêcherons de voir, même avec les yeux ouverts. » Et tout cela arriva comme ils l’avaient dit. Alors Baradac mena les avocats en présence des apôtres. Et en voyant ceux-ci tout vêtus de haillons, les avocats les méprisèrent au fond de leur cœur. Mais Simon leur dit : « C’est chose fréquente que des écrins d’or et de diamant ne contiennent que des matières viles, tandis que de viles caisses de bois enferment des bijoux faits de pierres précieuses. Mais si vous promettez de renoncer au culte des idoles et d’adorer le Dieu invisible, nous ferons sur vous le signe de la croix, et vous pourrez confondre les mages ! » Ainsi fut fait ; et lorsque les avocats revinrent auprès des mages, ceux-ci n’eurent plus aucun pouvoir sur eux. Alors la foule se mit à les insulter, et fit amener des serpents pour les étouffer. Mais les deux apôtres, appelés par le roi, prirent les serpents dans leurs manteaux et les lancèrent sur les mages, en disant : « Au nom du Seigneur, vous ne mourrez pas, mais, déchirés par les serpents, vous remplirez l’air de vos cris de douleur ! » Aussitôt les serpents se mirent à dévorer leurs chairs, et les mages hurlaient comme des loups ; et le roi et la foule priaient les apôtres d’ordonner aux serpents de les mettre à mort. Mais les apôtres : « Nous avons été envoyés pour ressusciter les morts, et non pour tuer les vivants ! » Après quoi, ayant prié Dieu, ils ordonnèrent aux serpents de reprendre, dans le corps des mages, tout le venin qu’ils y avaient déposé, puis de s’enfuir aux lieux d’où ils étaient venus. Les serpents obéirent ; et, pendant cette seconde épreuve, la douleur des mages fut plus vive encore. Et les apôtres leur dirent : « Vous souffrirez ainsi pendant trois jours, afin de vous guérir de votre malice ! » Mais, le troisième jour, venant à eux, les apôtres leur dirent : « Notre-Seigneur ne veut pas qu’on le serve par force, donc levez-vous, soyez délivrés de vos souffrances, et allez-vous-en, avec plein pouvoir de faire ce que vous voudrez ! » Et les mages s’en allèrent guéris, mais sans renoncer à leur malice ; et ils soulevèrent contre les apôtres la Babylonie tout entière.
Plus tard, la fille d’un des principaux de la ville, ayant mis au monde un enfant, accusa un saint diacre de l’avoir violée. Les parents voulaient tuer le diacre ; mais les apôtres, survenant, demandèrent quand l’enfant était né. Et les parents : « Hier, à la première heure ! » Et les apôtres : « Amenez ici cet enfant, et amenez en même temps le diacre que vous accusez ! » Cela fait, les apôtres dirent à l’enfant : « Enfant, au nom de Jésus, dis-nous si c’est bien cet homme-là qui t’a procréé ! » Et l’enfant : « Cet homme-là est chaste et saint, et n’a jamais souillé sa chair ! » Sur quoi les parents de la jeune fille pressèrent les apôtres de faire dire à l’enfant quel était le vrai coupable. Mais les apôtres : « Notre tâche est de faire absoudre les innocents, non de perdre les coupables ! »
Vers le même temps, deux tigres féroces, qu’on avait enfermés dans des caveaux, s’échappèrent, dévorant tous ceux qu’ils rencontraient. Alors les apôtres vinrent au-devant d’eux et, ayant invoqué le nom du Seigneur, les rendirent doux comme des agneaux. Ils voulurent ensuite s’en aller de la ville, mais, à la demande des habitants, ils y restèrent encore pendant un an et trois mois ; et, durant ce temps, plus de soixante mille personnes furent baptisées, y compris le roi et les principaux seigneurs.
Cependant, les deux mages susdits s’étaient rendus dans une ville nommée Suamir, où il y avait soixante-dix prêtres des idoles ; et ils excitèrent ces prêtres contre les apôtres. Lors donc que ceux-ci, après avoir parcouru toute la province, arrivèrent dans cette ville, les prêtres et le peuple s’emparèrent d’eux et les conduisirent au temple du soleil. Sur quoi un ange apparut aux deux saints et leur dit : « Choisissez l’une de ces deux alternatives : ou bien la mort immédiate de ces méchants, ou votre martyre ! » Et les apôtres : « Ce que nous demandons, c’est que Dieu convertisse ces hommes, et nous accorde, à nous, la palme du martyre ! » Puis, au milieu d’un grand silence, ils dirent à la foule : « Afin que vous sachiez que ces idoles sont pleines de démons, nous ordonnons à ceux-ci d’en sortir, et de briser, chacun, sa statue ! » Aussitôt, des statues sortirent des Éthiopiens, noirs et nus, qui, après les avoir brisées, s’enfuirent avec des cris terribles. Ce que voyant, les prêtres se jetèrent sur les apôtres et les égorgèrent. Et aussitôt, dans un ciel d’une sérénité parfaite, des coups de foudre jaillirent qui fendirent en deux le temple et réduisirent les mages à l’état de charbons. Et le roi fit transporter les corps des apôtres dans sa capitale, où il éleva en leur honneur une église magnifique.
D’autre part, Isidore, dans son livre sur la mort des apôtres, Eusèbe dans son Histoire ecclésiastique, Bède dans ses commentaires des Actes des Apôtres et Jean Beleth dans sa Somme, affirment que saint Simon souffrit le supplice de la croix. Suivant eux, le saint, après avoir prêché en Égypte, revint à Jérusalem, où les apôtres l’élurent, d’une voix unanime, pour remplacer Jacques le Mineur sur le siège épiscopal. Il gouverna donc l’Église de Jérusalem pendant nombre d’années et ressuscita trente morts. Il avait atteint l’âge de cent vingt ans, lorsque, sous le règne de Trajan, il fut pris et mis en croix par le consul Atticus. Mais ces mêmes écrivains admettent que ce saint Simon peut avoir été un autre Simon, fils de Cléophas et neveu de saint Joseph.