- L'espoir est-il la même chose que le désir ou avidité ?
- Est-il dans la faculté de la connaissance ou dans celle de l'appétit ?
- Existe-t-il chez les bêtes ?
- A-t-il pour contraire le désespoir ?
- L'expérience est-elle une cause d'espoir ?
- Abonde-t-il chez les jeunes et chez les gens ivres ?
- Le rapport entre l'espoir et l'amour.
- L'espoir aide-t-il à l'action ?
Objections
1. Il semble que oui. L'espoir, en effet, compte pour l'une des quatre passions principales. Or S. Augustin, énumérant ces quatre passions, met l'avidité à la place de l'espoir. Donc l'espoir est identique à l'avidité ou désir.
2. Les passions diffèrent selon leur objet. Or l'objet de l'espoir et de l'avidité ou désir est le même, c'est le bien à venir. Donc espoir et désir sont identiques.
3. Si l'on dit que l'espoir ajoute au désir la possibilité d'atteindre le bien à venir, nous répondons que ce qui est accidentel à l'objet ne change pas l'espèce de la passion. Or la qualité de possible est accidentelle par rapport au bien futur, objet du désir et de l'espoir. Donc l'espoir n'est pas une passion différente du désir ou avidité.
En sens contraire, à puissances diverses correspondent des passions d'espèces diverses. Or l'espoir est dans l'irascible ; le désir et l'avidité dans le concupiscible. L'espoir diffère donc spécifiquement du désir ou avidité.
Réponse
L'espèce de la passion est déterminée par son objet. Or, dans l'objet de l'espoir, nous pouvons considérer quatre conditions. 1° Ce doit être un bien : il n'y a espoir, à proprement parler, que du bien. C'est ce qui distingue l'espoir de la crainte, qui a pour objet le mal. — 2° Il doit être futur, car on n'espère pas ce que l'on possède déjà. En cela l'espoir diffère de la joie, qui a pour objet un bien présent. — 3° Il faut que l'objet de l'espoir soit quelque chose d'ardu, qui ne s'obtienne que difficilement en effet, on n'espère pas une chose de peu d'importance, qu'on peut avoir immédiatement à sa discrétion. Ce caractère distingue l'espoir du désir ou avidité, qui porte de façon absolue sur un bien futur ; c'est pourquoi il ressortit au concupiscible, tandis que l'espoir ressortit à l'irascible. — 4° Cet objet ardu, il faut qu'on puisse l'atteindre : on n'espère pas ce qu'on ne peut absolument pas obtenir. Et par là l'espoir diffère du désespoir.
On voit donc ainsi que l'espoir diffère du désir comme les passions de l'irascible diffèrent de celles du concupiscible. De sorte que l'espoir présuppose le désir, comme toutes les passions de l'irascible présupposent celles du concupiscible, nous l'avons déjà dit.
Solutions
1. S. Augustin remplace l'espoir par l'avidité pour cette raison que tous deux s'adressent au bien à venir, et que le bien qui n'est pas difficile à atteindre est considéré comme peu de chose ; de sorte que l'avidité paraît tendre surtout vers le bien difficile, vers lequel l'espoir tend aussi.
2. L'objet de l'espoir n'est pas le bien futur recherché de façon absolue, mais quelque chose d'ardu et de difficile à obtenir, on vient de le dire.
3. Ce qui définit l'objet de l'espoir par rapport à l'objet du désir, ce n'est pas seulement qu'il soit possible, mais qu'il comporte une difficulté. Par là l'espoir se rattache à cette autre puissance qu'est l'irascible qui vise un but difficile, comme on l'a vu dans la première Partie. Le possible et l'impossible, cependant, ne sont pas tout à fait une condition accidentelle par rapport à l'objet de la puissance affective. Car l'appétit est principe de mouvement, et rien ne se meut vers un objet sinon sous la raison de possible ; car personne ne se meut vers ce qu'il estime impossible à obtenir. Et pour ce motif, l'espoir diffère du désespoir selon la différence entre le possible et l'impossible.
Objections
1. Il semble que l'espoir appartienne à la faculté de connaissance, car il paraît être une sorte d'attente. Et l'Apôtre écrit (Romains 8.25) : « Espérer ce que nous ne voyons pas, c'est l'attendre avec constance. » Or l'attente semble relever de la faculté de connaissance : attendre, en latin ex-spectare, c'est regarder au loin.
2. L'espoir et la confiance sont une seule et même chose, semble-t-il ; aussi bien disons-nous confiants ceux qui espèrent, comme si l'on pouvait employer l'un pour l'autre « avoir confiance » et « espérer ». Or la confiance, comme la foi, semble relever de la faculté de connaître. Il en est donc de même pour l'espoir.
3. La certitude est une propriété de la faculté de connaissance. Or la certitude est attribuée à l'espoir. Donc il appartient à cette faculté.
En sens contraire, l'espoir a pour objet le bien, nous venons de le dire. Or le bien, en tant que tel, n'est pas objet de la faculté cognitive mais de la faculté appétitive. L'espoir n'appartient donc pas à la faculté cognitive mais à la faculté appétitive.
Réponse
Puisque l'espoir implique une certaine extension de l'appétit vers le bien, il appartient manifestement à la faculté appétitive, car le mouvement vers la réalité concerne proprement l'appétit. Or l'action de la faculté de connaître s'accomplit non selon le mouvement du connaissant vers les choses, mais plutôt selon que les choses connues sont dans le connaissant. Mais, parce que la faculté de connaître meut l'appétit en lui présentant son objet, des mouvements divers en résultent dans cet appétit selon les divers aspects de l'objet perçu. En effet, le mouvement qui résulte dans l'appétit de l'appréhension du bien est différent de celui qui vient de l'appréhension du mal ; et de même, les mouvements consécutifs à l'appréhension du présent et du futur, de l'absolu et du difficile, du possible et de l'impossible. Ainsi l'espoir est un mouvement de la faculté appétitive consécutif à l'appréhension d'un bien futur difficile, mais qu'il est possible d'atteindre ; c'est l'extension de l'appétit vers cet objet.
Solutions
1. Puisque l'espoir a pour objet le bien possible, c'est d'une double manière que son mouvement s'élève dans le cœur de l'homme, comme c'est à un double titre qu'une chose lui est possible : en raison de ses propres moyens, et en raison du pouvoir d'un autre. Ce qu'on espère atteindre par ses propres moyens, on ne dit pas qu'on l'attend, mais seulement qu'on l'espère. On attend, à proprement parler, ce qu'on espère du secours d'une force étrangère ; attendre, expectare, c'est comme ex alio spectare, « regarder vers un autre » de qui l'on attend, en ce sens que la faculté de connaître, qui intervient la première, ne regarde pas seulement vers le bien à atteindre mais aussi vers celui dont la puissance fonde son espoir, selon la parole de l'Ecclésiastique (Ecclésiastique 51.7) : « je cherchais du regard un homme secourable. » Le mouvement d'espoir est donc appelé quelquefois attente, expectative, à cause du regard antécédent de la faculté de connaître.
2. Ce qu'on désire et estime pouvoir atteindre, on croit qu'on l'atteindra ; c'est à cause de cette foi qui, dans la faculté connaissante, précède le mouvement de l'appétit qu'on donne à celui-ci le nom de confiance. Le mouvement de l'appétit a pris le nom de la connaissance qui précède, comme un effet prend le nom de sa cause quand celle-ci est mieux connue ; car la faculté d'appréhension connaît mieux son acte propre que celui de l'appétit.
3. La certitude est attribuée non seulement au mouvement de l'appétit sensible mais aussi à celui de l'appétit naturel ; c'est ainsi qu'on dit d'une pierre qu'elle tend avec certitude vers le bas. Et cela en raison de l'infaillibilité qui lui vient de la connaissance certaine précédant le mouvement de l'appétit sensible, ou même de l'appétit naturel.
Objections
1. Il semble que non, car l'espoir porte sur le bien à venir, dit S. Jean Damascène. Or il n'appartient pas aux bêtes de connaître l'avenir, car elles n'ont que la connaissance sensible qui ne s'étend pas à l'avenir.
2. L'objet de l'espoir est le bien qu'il est possible d'atteindre. Or le possible et l'impossible sont des différences du vrai et du faux, « qui ne peuvent être que dans l'esprit », selon Aristote. Les bêtes, n'ayant pas d'esprit ne peuvent donc espérer.
3. S. Augustin écrit : « Les animaux se meuvent d'après ce qu'ils voient. » Or l'espoir ne porte pas sur ce qui se voit — « Car ce qu'on voit, comment l'espérer ? », dit S. Paul (Romains 8.24). Les bêtes n'espèrent donc pas.
En sens contraire, l'espoir est une passion de l'irascible. Or l'irascible existe chez les bêtes ; donc aussi l'espoir.
Réponse
Les passions intérieures des animaux peuvent se découvrir par leurs mouvements extérieurs. Ce sont eux qui manifestent l'existence de l'espoir chez les bêtes. En effet, si le chien voit un lièvre, ou l'épervier un oiseau, qui sont trop éloignés, ils ne font vers eux aucun mouvement, comme s'ils n'estimaient pas pouvoir les atteindre ; mais si leur proie est à proximité, ils s'élancent, comme dans l'espoir de l'atteindre. Ainsi qu'on l'a dit plus haute, l'appétit sensible des bêtes dépourvues de raison, et, de même, l'appétit naturel des choses insensibles est consécutif à l'appréhension faite par une intelligence, tout comme l'appétit de la nature intellectuelle, que l'on nomme volonté. La différence consiste en ce que la volonté entre en mouvement du fait d'une appréhension intellectuelle qui lui est conjointe, tandis que le mouvement de l'appétit naturel est consécutif à l'appréhension de l'intelligence séparée qui a créé la nature ; il en va de même pour l'appétit sensitif des bêtes, qui agissent aussi par une sorte d'instinct naturel. Aussi voyons-nous dans les actions des bêtes et des autres êtres de la nature un mode d'agir semblable aux œuvres de l'art. C'est de cette manière qu'il y a espoir et désespoir chez les bêtes.
Solutions
1. Bien que les bêtes ne connaissent pas le futur, cependant leur instinct les pousse vers quelque chose de futur comme si elles le voyaient d'avance. C'est que cet instinct a été mis en elles par l'intelligence divine, qui prévoit l'avenir.
2. L'objet de l'espoir n'est pas le possible en tant qu'il est une différence du vrai ; car c'est ainsi qu'on peut qualifier le rapport d'un prédicat à son sujet. L'objet de l'espoir est le possible considéré par rapport à une puissance. Ce sont deux sens de « possible » distingués par Aristote.
3. Bien que ce qui est futur ne tombe pas sous le regard, ce que l'animal voit présentement meut son appétit vers quelque réalité future, à poursuivre ou à éviter.
Objections
1. Il semble que non, car « il n'y a qu'un contraire pour chaque chose », dit Aristote. Or la crainte est déjà contraire à l'espoir.
2. Les contraires semblent se rapporter à la même chose. Or ce n'est pas le cas de l'espoir et du désespoir, car l'espoir regarde le bien, et le désespoir vient d'un mal qui empêche l'acquisition du bien. Ces deux passions ne sont donc pas contraires.
3. Un mouvement a pour contraire un mouvement, tandis que le repos s'oppose au mouvement comme une privation. Or le désespoir semble impliquer plutôt immobilité que mouvement. Il n'est donc pas contraire à l'espoir, qui implique un mouvement d'expansion vers le bien espéré.
En sens contraire, le désespoir est ainsi nommé comme contraire à l'espoir.
Réponse
Nous avons dit précédemment que, dans les mouvements de mutation, les contraires peuvent se distinguer selon deux points de vue. Dans certains cas, la contrariété des termes vers lesquels on tend fait l'opposition des mouvements ; c'est la seule façon dont les passions du concupiscible peuvent être contraires, comme on le voit pour l'amour et la haine. En d'autres cas, il s'agit d'approche et d'éloignement à l'égard du même terme. Cette dernière sorte de contrariété se vérifie dans les passions de l'irascible, on l'a dit plus haut. Or l'objet de l'espoir, qui est un bien difficile, se présente comme attirant si l'on juge possible de l'atteindre ; l'espoir qui nous porte vers lui implique donc une certaine approche. Mais, dans la mesure où l'on découvre qu'il est impossible de l'obtenir, ce même objet nous repousse en arrière, car « s'ils butent à quelque chose d'impossible, les hommes abandonnent », dit Aristote. Or tel est l'objet du désespoir. Celui-ci implique donc, relativement à son objet, un mouvement d'éloignement. Il est le contraire de l'espoir, comme s'éloigner est le contraire d'approcher.
Solutions
1. La crainte et l'espoir sont contraires en raison de la contrariété de leurs objets, qui sont le bien et le mal. Cette contrariété existe en effet dans les passions de l'irascible, en tant qu'elles dérivent des passions du concupiscible. Mais le désespoir lui est contraire seulement au point de vue de l'approche et de l'éloignement.
2. Le désespoir ne regarde pas le mal sous la raison de mal ; mais, par accident, il regarde parfois le mal en tant qu'il rend impossible l'obtention du bien. Le désespoir peut aussi venir du seul excès du bien.
3. Le désespoir n'implique pas seulement privation de l'espoir, mais aussi un certain éloignement à l'égard de l'objet désiré, parce qu'on estime impossible de l'atteindre. Le désespoir, comme aussi l'espoir, suppose donc le désir, car ce qui ne tombe pas sous notre désir n'est objet ni d'espoir ni de désespoir. C'est pour cela aussi que l'un et l'autre se rapportent au bien, qui est l'objet du désir.
Objections
Il semble que non, car l'expérience est affaire de connaissance, ce qui fait dire au Philosophe : « La vertu intellectuelle a besoin d'expérience et de temps. » Or l'espoir, nous venons de le dire, n'est pas dans la faculté cognitive, mais dans la faculté appétitive. L'expérience n'est donc pas cause d'espoir.
2. Le Philosophe écrit que « les vieillards ont peine à espérer, à cause de leur expérience » : ce qui semble indiquer que l'expérience détruit l'espoir. Or une même chose ne peut causer des effets opposés. Donc l'expérience n'est pas cause d'espoir.
3. Le Philosophe dit encore : « Vouloir se prononcer sur tout, sans exception, est quelquefois un signe de sottise. » Or, qu'un homme veuille tout essayer semble indiquer un grand espoir ; d'autre part, la sottise vient de l'inexpérience. Il semble donc que l'inexpérience soit cause d'espoir plutôt que l'expérience.
En sens contraire, le Philosophe écrit « Certains ont bon espoir pour avoir triomphé souvent et de beaucoup de gens » ; ce qui concerne l'expérience. Donc celle-ci est cause d'espoir.
Réponse
L'objet de l'espoir, avons-nous dit, est un bien futur, difficile, mais qu'il est possible d'atteindre. Peut donc être cause d'espoir ce qui nous procure certaine possibilité, ou encore ce qui nous donne la persuasion de pouvoir aboutir. De la première manière, est cause d'espoir tout ce qui accroît la puissance de l'homme - richesse, force, et autres moyens, parmi lesquels l'expérience. Car l'homme expérimenté est capable de faire les choses avec aisance, et il en retire de l'espoir. Ce qui fait dire à Végèce : « Nul ne craint de faire ce qu'il est sûr d'avoir bien appris. » De la seconde manière, est cause d'espoir tout ce qui fait estimer à quelqu'un qu'une chose lui est possible. Le savoir, et toute espèce de persuasion, peuvent à ce titre causer l'espoir. L'expérience de même, dans la mesure où, par expérience, quelqu'un juge possible pour lui ce qu'auparavant il estimait impossible. Mais de la même manière, l'expérience peut également être cause d'un manque d'espoir, car si l'expérience peut faire estimer possible ce que l'on croyait impossible, il arrive aussi à l'inverse qu'elle fasse juger impossible ce qu'on avait cru d'abord possible. Ainsi donc, l'expérience engendre l'espoir de deux manières et ne l'empêche que d'une seule. On peut donc voir en elle plutôt une cause d'espoir.
Solutions
1. L'expérience en matière d'action ne cause pas seulement la science mais aussi, du fait de l'accoutumance, elle engendre un certain habitus, qui rend l'opération plus facile. Mais la vertu intellectuelle elle-même contribue à nous faire agir avec aisance, car elle montre la possibilité de certaines choses, et ainsi elle est cause d'espoir.
2. Les vieillards manquent d'espoir du fait de l'expérience, en tant que celle-ci permet d'estimer ce qui est impossible. Aristote ajoute que pour eux « bien des choses ont tourné au pire ».
3. La sottise et l'inexpérience peuvent être cause d'espoir comme par accident, c'est-à-dire en éloignant la science qui ferait estimer à juste titre que telle entreprise n'est pas possible. L'inexpérience est alors cause d'espoir, de la manière dont l'expérience est cause du manque d'espoir.
Objections
Il semble que la jeunesse et l'ébriété ne soient pas cause d'espoir. L'espoir, en effet, implique certitude et constance, ce qui le fait comparer à une ancre (Hébreux 6.19). Or les jeunes et les gens ivres manquent de constance, ils ont l'esprit facilement changeant. La jeunesse et l'ébriété ne sont donc pas cause d'espoir.
2. C'est surtout ce qui augmente la puissance qui est cause d'espoir, comme nous venons de le dire. Or la jeunesse et l'ébriété s'accompagnent de faiblesse.
3. Nous avons dit que l'expérience est cause d'espoir. Or les jeunes n'ont pas d'expérience.
En sens contraire, le Philosophe écrit dans l'Éthique que « les gens ivres ont bon espoir ». Et dans la Rhétorique « Les jeunes ont beaucoup d'espoir. »
Réponse
Comme dit le Philosophe, la jeunesse est cause d'espoir pour trois raisons, qui peuvent se rattacher aux trois conditions du bien objet de cette passion : qu'il est futur, difficile et possible, nous l'avons dit. En effet, les jeunes ont beaucoup d'avenir et peu de passé. Et, parce que la mémoire porte sur le passé, tandis que l'espoir regarde l'avenir, ils ont peu de mémoire, mais beaucoup d'espoir. — De plus, les jeunes gens, à cause de leur chaleur naturelle, abondent en esprits vitaux, ce qui donne à leur cœur beaucoup d'ouverture. Or c'est la dilatation du cœur qui fait tendre aux choses difficiles. C'est pourquoi les jeunes sont entreprenants et pleins d'espoir. — De même aussi, ceux qui n'ont pas essuyé de revers ni rencontré d'obstacles dans leurs efforts s'imaginent facilement que telle chose leur est possible. C'est ainsi que les jeunes gens, à défaut de l'expérience des obstacles et de leurs propres lacunes, croient facilement pouvoir réussir et sont donc pleins d'espoir.
Deux de ces causes se vérifient également pour les gens ivres : la chaleur et la multiplication des esprits vitaux produites par le vin ; et aussi l'irréflexion sur les dangers et sur leurs manques personnels. — Cette dernière raison explique de même que tous les sots et ceux qui ne réfléchissent pas ont toutes les audaces et sont remplis d'espoir.
Solutions
1. Bien que les jeunes et les gens ivres ne soient pas constants en réalité, ils le sont cependant à leur avis, car ils estiment qu'ils obtiendront certainement ce qu'ils espèrent.
2. De même, s'il est vrai que les jeunes et les gens ivres sont faibles, ils n'en sont pas moins persuadés de leur pouvoir, car ils ignorent leurs déficiences.
3. Ce n'est pas seulement l'expérience mais aussi l'inexpérience qui est cause d'espoir d'une certaine manière, nous l'avons dit.
Objections
1. Il semble que l'espoir ne soit pas cause d'amour, car, selon S. Augustin, la première des affections de l'âme est l'amour. Or l'espoir est une certaine affection de l'âme. Il est donc précédé par l'amour, et n'en est pas la cause.
2. Le désir précède l'espoir. Or le désir, a-t-on dit, vient de l'amour. L'espoir est donc aussi postérieur à l'amour et ne le cause pas.
3. On dit plus haut que l'espoir cause du plaisir. Or le plaisir n'a pour objet que ce qui est aimé. L'amour précède donc l'espoir.
En sens contraire, sur ce texte (Matthieu 1.2) : « Abraham engendra Isaac ; Isaac engendra Jacob », la Glose explique : « C'est-à-dire que la foi engendre l'espérance, et l'espérance la charité. » Or la charité est l'amour, qui est donc causé par l'espoir.
Réponse
L'espoir peut regarder deux choses. Son objet tout d'abord : le bien qu'on espère. Mais parce que ce bien espéré est difficile et accessible, il arrive parfois qu'il soit accessible non par nous mais par d'autres. C'est pourquoi l'espoir regarde en outre le moyen qui nous donne cette possibilité.
En tant que l'espoir regarde le bien espéré, l'espoir est donc causé par l'amour ; car on n'espère que le bien qu'on désire et qu'on aime. Mais dans la mesure où l'espoir regarde celui qui nous rend une chose accessible, c'est l'amour qui est causé par l'espoir, et non inversement. Car du fait que nous espérons pouvoir obtenir des biens par un intermédiaire, nous sommes portés vers lui comme vers notre bien, et nous nous mettons à l'aimer. Mais du simple fait que nous aimons quelqu'un, nous n'espérons pas en lui, sinon par accident, dans la mesure où nous croyons à la réciprocité de son amour. Etre aimé de quelqu'un nous fait donc espérer en lui ; mais c'est l'espoir que nous mettons en lui qui nous conduit à l'aimer.
Voilà ce qui répond aux objections.
Objections
1. Il semble que l'espoir n'aide pas à l'action, mais l'empêche. En effet, la sécurité se rattache à l'espoir. Or, la sécurité entraîne la négligence, laquelle empêche l'action.
2. La tristesse, a-t-on dit, gêne l'action. Or l'espoir cause parfois de la tristesse, selon les Proverbes (Proverbes 13.12) : « L'espoir différé afflige l'âme. » Donc l'espoir entrave l'action.
3. Le désespoir est contraire à l'espoir, on l'a dit. Or le désespoir, surtout à la guerre, favorise l'action, car il est écrit (2 Samuel 2.26 Vg) : « Le désespoir est chose dangereuse. » Donc l'espoir produit un effet contraire, c'est-à-dire empêche l'action.
En sens contraire, « Celui qui laboure doit le faire dans l'espoir de la récolte », dit S. Paul (1 Corinthiens 9.10). Il en va de même pour toutes les autres entreprises.
Réponse
L'espoir, de soi, aide à l'action en l'intensifiant. Et cela à un double titre. D'abord, en raison de son objet, qui est un bien difficile mais accessible. Le sentiment de la difficulté provoque l'attention, et, d'autre part, la persuasion de pouvoir aboutir ne ralentit pas l'effort. De là vient que l'on agit intensément à cause de l'espoir. La seconde raison tient aux effets de l'espoir. Car, nous l'avons déjà dit, il produit le plaisir, qui favorise l'action, on l'a dit. De là vient que l'espoir soutient l'action.
Solutions
1. L'espoir regarde un bien qu'on voudrait obtenir ; la sécurité concerne un mal à éviter. La sécurité semble plutôt s'opposer à la crainte que se rattacher à l'espoir. Et pourtant, si la sécurité entraîne la négligence, c'est seulement dans la mesure où elle affaiblit le sentiment de la difficulté ; par là l'espoir perd son motif. En effet, les entreprises dans lesquelles l'homme ne craint aucun empêchement ne paraissent plus présenter de difficultés.
2. L'espoir, de soi, cause du plaisir, mais, par accident, il cause de la tristesse, nous l'avons dit.
3. À la guerre le désespoir devient dangereux, à cause de l'espoir qui l'accompagne. En effet, ceux qui désespèrent de s'échapper en sont paralysés dans leur fuite, mais espèrent venger leur mort. Dans cet espoir, ils luttent avec plus d'énergie et se rendent ainsi dangereux pour leurs ennemis.
Nous devons traiter à présent de la crainte, puis de l'audace (Q. 45). Au sujet de la crainte, Nous considérerons : 1. La crainte en elle-même (Q. 41) ; 2. son objet (Q. 42) ; 3. sa cause (Q. 43) ; 4. son effet (Q. 44).