1.[1] Après la mort de Démétrius, tué dans la bataille, comme nous l'avons raconté plus haut[2], Alexandre, devenu maître du royaume de Syrie, écrivit à Ptolémée Philométor pour lui demander sa fille en mariage ; il était juste, disait-il, que Ptolémée s'alliât ainsi à un prince qui avait recouvré le pouvoir paternel, guidé par la protection divine, qui avait vaincu Démétrius, et qui ne serait d'ailleurs nullement indigne d'une alliance avec lui. Ptolémée accueillit favorablement sa proposition ; il répondit qu'il était heureux de le voir recouvrer une puissance qui avait appartenu à son père et promit de lui donner sa fille ; il le priait de venir au devant de lui jusqu’à Ptolémaïs, où il allait la conduire lui-même ; il l'accompagnerait, en effet, d'Égypte jusqu'à cette ville et là l'unirait à Alexandre. Après avoir écrit cette lettre, Ptolémée s'empressa de se rendre à Ptolémaïs en emmenant sa fille Cléopâtre. Il y trouva Alexandre qui était venu à sa rencontre, suivant ses instructions, et lui donna sa fille avec une dot en argent et en or, digne d'un roi.
[1] I Maccabées, 10, 51-58, qui donne la date du mariage, 162 Sél. = 151/2 av. J.-C.
[2] Supra, III, 1.
2.[3] Pendant les fêtes du mariage, Alexandre écrivit au grand-prêtre Jonathas pour l'inviter à venir à Ptolémaïs. Jonathas se rendit auprès des souverains, leur offrit des présents magnifiques et fut traité par tous deux avec la plus grande distinction. Alexandre l'obligea à quitter son vêtement habituel pour en prendre un de pourpre, puis après l'avoir fait asseoir à ses côtés sur l'estrade, il ordonna à ses officiers d'aller avec lui dans la ville et de faire déclarer par un héraut défense de parler contre lui, de lui susciter des difficultés. Les officiers accomplirent leur mission ; et, quand on vit les honneurs rendus publiquement à Jonathas par ordre du roi, tous ceux qui s'apprêtaient à porter des accusations contre lui ou qui le haïssaient s'enfuirent, dans la crainte d'être eux-mêmes victimes de quelque malheur. Et le roi Alexandre poussa la bienveillance pour Jonathas jusqu'à l'inscrire parmi ses « premiers amis[4] ».
[3] I Maccabées, 10, 59-66.
[4] Josèphe omet un fait capital (Maccabées, 10, 65), la nomination de Jonathan comme στρατηγὸς καὶ μεριδάρχης de Judée.
3.[5] La cent soixante-cinquième année[6], Démétrius, fils de Démétrius, avec un nombre considérable de mercenaires que lui fournit Lasthénès le Crétois, s'embarqua en Crète pour la Cilicie[7]. Cette nouvelle jeta dans l'inquiétude et le trouble Alexandre, qui rentra précipitamment de Phénicie à Antioche afin d'y prendre toutes les mesures de sûreté avant l'arrivée de Démétrius. Il laissa, pour gouverner la Cœlé-Syrie, Apollonios Daos[8]. Celui-ci, à la tête d'une armée importante, vint à Iamnée et fit dire au grand-prêtre Jonathas qu'il était injuste que seul il vécut en pleine sécurité et à sa guise, sans obéir au roi ; que de tous côtés on lui reprochait de ne pas se soumettre au roi. « Tranquillement établi dans les montagnes, ajoutait-il, ne te fais pas l'illusion de te croire fort ; si tu as confiance en ta puissance, descends donc dans la plaine, viens te mesurer avec notre armée et la victoire montrera quel est le plus courageux. Sache cependant que les meilleurs de chaque ville sont dans mon armée ; et ce sont les hommes qui ont toujours vaincu tes ancêtres. Viens donc te battre avec nous sur un terrain où l'on puisse lutter non à coups de pierres, mais avec les armes, et où le vaincu n'ait pas de retraite. »
[5] I Maccabées, 10, 67-73.
[6] 165 Sél. = 148/7 av. J.-C.
[7] La mention de la Cilicie est ajoutée par Josèphe. Bevan (House of Seleucus, II, 301) propose à tort de lire εἰς Σελεύκειαν (Séleucie de Piérie).
[8] Josèphe a eu sous les yeux un exemplaire mutilé de I Maccabées. En réalité, c'est Démétrius qui nomme (ou confirme ?) Apollonios comme commandant de la Cœlé-Syrie καὶ κατέστησε Δημήτριος Ἀπολλώνιον τὸν (?) ὄντα ἐπὶ Κοίλης Συρίας (Maccabées, 10, 69). On voit aussi que le surnom de Δαός (latin : taum) ne se trouve que dans Josèphe.
4.[9] Cette provocation irrita Jonathas, qui prit dix mille soldats d'élite et partit de Jérusalem avec son frère Simon. Arrivé à Jopé, il campa hors de la ville, les habitants lui ayant fermé leurs portes ; car ils avaient une garnison établie par Apollonios. Comme Jonathas se disposait à les assiéger, effrayés à l'idée que leur ville pourrait être prise de force, ils lui ouvrirent les portes. Apollonios, à la nouvelle que Jopé était tombé au pouvoir de Jonathas, vint à Azotos, à la tête de trois mille cavaliers et huit mille hommes d'infanterie[10], et de là continua sa route tranquillement et lentement ; arrivé près de Jopé, il attira par une feinte retraite Jonathas dans la plaine, plein d'une confiance aveugle dans sa cavalerie sur laquelle reposaient toutes ses espérances de victoire. Jonathas s'avança et poursuivit Apollonios jusqu'à Azotos. Celui-ci, dès que l'ennemi se trouva en plaine, fit volte-face et l'attaqua. Il avait disposé mille cavaliers en embuscade dans un ravin pour se montrer sur les derrières de l'ennemi ; Jonathas s'en aperçut et ne se laissa pas effrayer. Il fit former le carré par son armée et prit ses dispositions pour recevoir l'ennemi des deux côtés, prêt à résister aux assaillants qui se présenteraient de front et à revers. Le combat se prolongea jusqu'au soir. Jonathas donna alors à son frère Simon une partie de ses troupes avec ordre d'attaquer la phalange des ennemis ; lui-même ordonna à ses gens de se retrancher sous leurs armures et d'y recevoir les traits lancés par les cavaliers. Les soldats exécutèrent cet ordre ; les cavaliers ennemis lancèrent sur eux leurs traits, jusqu'au dernier, sans leur faire aucun mal, car les traits n'atteignaient pas les hommes ; ceux-ci protégés par leurs boucliers fortement unis, grâce à cette épaisse carapace arrêtaient facilement les projectiles qui retombaient inoffensifs. Lorsque les ennemis eurent passé la journée depuis le matin jusqu'an soir à cribler de traits les troupes juives, Simon profita de leur fatigue pour attaquer la phalange, et grâce à l'ardeur de ses soldats, mit les ennemis en fuite. Les cavaliers, voyant fuir l'infanterie, lâchèrent pied à leur tour, et, harassés pour avoir combattu jusqu'à la nuit, perdant d'autre part tout espoir de secours du côté de l'infanterie, ils s'enfuirent en désordre, les rangs mêlés, et se dispersèrent, débandés, à travers toute la plaine. Jonathas les poursuivit jusqu'à Azotos, en tua un grand nombre et força les autres, désespérant de se sauver, à se réfugier dans le temple de Dagon, qui était à Azotos. Il emporta la ville d'assaut et l'incendia ainsi que les villages environnants. Il n'épargna même pas le temple de Dagon, auquel il mit le feu, faisant ainsi périr ceux qui s'y étaient réfugiés. Les ennemis tombés dans le combat et brûlés dans le temple étaient, au total, au nombre de huit mille. Après avoir vaincu des forces aussi importantes, Jonathas partit d'Azotos pour Ascalon ; comme il campait en dehors de la ville, les habitants vinrent à sa rencontre portant les présents d'hospitalité et lui rendant honneur. Jonathas les remercia de leurs bonnes dispositions, et de là retourna à Jérusalem avec un butin considérable, fruit de sa victoire sur les ennemis. Alexandre, à la nouvelle que son général Apollonios avait été battu, feignit de s'en réjouir, parce que celui-ci avait attaqué contre sa volonté Jonathas qui était son ami et son allié[11] ; il envoya à Jonathas l'assurance de sa satisfaction, et le combla d'honneurs et de présents, entre autres une agrafe d'or, comme il est coutume d'en donner aux parents du roi ; enfin il lui concéda Accaron[12] à titre héréditaire avec la toparchie qui en dépend.
[9] I Maccabées, 10, 74-89.
[10] Ce chiffre n'est pas donné par Maccabées.
[11] Josèphe, poursuivant son erreur initiale, imagine cette explication de fantaisie pour justifier les félicitations d'Alexandre.
[12] Ekron, la plus septentrionale des cités philistines.
5.[13] A ce même moment, le roi Ptolémée, surnommé Philométor, arriva en Syrie avec une flotte et des troupes pour prêter assistance à Alexandre, qui était son gendre. Sur l'ordre d'Alexandre, toutes les villes le reçurent avec empressement et lui firent escorte jusqu'à la ville d'Azotos ; là tous l'assaillirent de leurs réclamations au sujet de l'incendie du temple de Dagon ; ils accusaient Jonathas qui avait détruit ce temple, ravagé le pays et tué un grand nombre des leurs. Ptolémée ne se laissa pas troubler par ces plaintes ; et Jonathas, venu à sa rencontre à Jopé, reçut de lui de riches présents et toutes sortes d'honneurs[14]. Après avoir accompagné le roi jusqu'au fleuve appelé Éleuthéros[15], il revint à Jérusalem.
[13] I Maccabées, 11, 1-7.
[14] Il n’en est point question dans Maccabées.
[15] Le Nahr el Kebir, au N. de Tripolis, qui sépare la Phénicie de la Syrie propre. Mais il est invraisemblable, d'après la suite, que Jonathan ait accompagné Ptolémée aussi loin : il a dû s'arrêter au Kison, avant Ptolémaïs (Acre).
6.[16] Arrivé à Ptolémaïs, Ptolémée, contre toute attente, faillit périr victime des embûches d'Alexandre, de la main d'Ammonios, ami de celui-ci. Le complot ayant été découvert, Ptolémée écrivit à Alexandre pour demander qu'on lui livrât Ammonios, disant que celui-ci avait conspiré contre lui, et qu'en conséquence, il méritait un châtiment. Alexandre refusant de le livrer, Ptolémée comprit qu'il était lui-même l'auteur du complot, et fut vivement irrité contre lui. Déjà auparavant Alexandre était mal vu des habitants d'Antioche à cause d'Ammonios, qui les avait souvent maltraités. Ammonios porta cependant la peine de ses méfaits et fut égorgé honteusement comme une femme, car il essaya de se cacher sous des vêtements féminins, comme nous l’avons raconté ailleurs[17].
[16] Source inconnue (Nicolas de Damas ?). Dans I Maccabées, 11, 10, il n'y a qu'une allusion peu compréhensible au complot d'Alexandre contre Ptolémée, auquel l'auteur ne paraît pas croire.
[17] Nouvel et incroyable lapsus.
7.[18] Ptolémée, se reprochant d'avoir uni sa fille à Alexandre et de s'être allié à lui contre Démétrius, rompit ses liens de parenté avec ce prince. Il lui enleva sa fille, et écrivit aussitôt à Démétrius pour faire avec lui alliance et amitié, promettant de lui donner sa fille en mariage et de le rétablir dans le pouvoir paternel. Démétrius, heureux de ces offres, accepta l'alliance et le mariage. Il restait à Ptolémée à persuader les gens d'Antioche de recevoir Démétrius, qu'ils haïssaient à cause de toutes les injustices commises envers eux par son père Démétrius. Il réussit dans cette tâche ; car les gens d'Antioche détestaient Alexandre, à cause d'Ammonios, comme je l'ai raconté, et le chassèrent de leur ville sans se faire prier. Alexandre, expulsé d'Antioche, passa en Cilicie. Ptolémée, à son arrivée à Antioche, fut choisi comme roi par les habitants et l'armée, et, malgré lui, ceignit deux couronnes, celle d'Asie et celle d'Égypte. Mais honnête et juste de nature, nullement désireux de s'emparer du bien d'autrui, et, de plus, capable de prévoir l'avenir, il résolut d'éviter de donner prise à la jalousie des Romains. Il réunit donc les habitants d'Antioche en assemblée et leur persuada de recevoir Démétrius, alléguant que celui-ci, bien accueilli, ne leur garderait pas rancune de ce qu'ils avaient fait à son père ; lui-même, Ptolémée, proposait d'être son maître et son guide dans la voie du bien, et promettait de ne pas le laisser commettre de mauvaises actions ; quant à lui, le royaume d'Égypte lui suffirait. Par ce discours il décida les habitants d'Antioche à recevoir Démétrius.
[18] I Maccabées, 11, 8-13. Mais le récit de Josèphe est plus détaillé et notamment la fin de la section (Mais honnête et…) provient d’une autre source.
8.[19] Cependant Alexandre, avec une armée considérable et un matériel important, repassa de Cilicie en Syrie et vint incendier et piller le territoire d'Antioche ; Ptolémée marcha contre lui avec son gendre Démétrius ; il avait, en effet, déjà donné à celui-ci sa fille en mariage. Ils battirent Alexandre et le mirent en fuite. Alexandre se réfugia en Arabie. Dans le combat, le cheval de Ptolémée, effrayé par le barrissement d'un éléphant, se cabra et désarçonna le roi ; les ennemis, s'en étant aperçus, se précipitèrent sur lui, lui firent de nombreuses blessures à la tête et le mirent en danger de mort ; arraché de leurs mains par ses gardes du corps, Ptolémée était dans un état si grave que pendant quatre jours il ne recouvra ni la connaissance ni la parole. Le prince des Arabes, Zabélos[20], coupa la tête d'Alexandre et l'envoya à Ptolémée, qui, revenant de ses blessures le cinquième jour et recouvrant ses sens, jouit d'un récit et d'un spectacle réconfortants : la nouvelle de la mort d'Alexandre et la vue de sa tête. Il mourut lui-même peu après, plein de joie de savoir Alexandre mort. Alexandre surnommé Balas avait régné sur l'Asie cinq années, comme nous l'avons dit ailleurs[21].
[19] I Maccabées, 11, 14-18. Les détails sur la mort de Ptolémée sont puisés ailleurs.
[20] Ζαβδιήλ d'après Maccabées.
[21] Toujours la même étourderie. — La mort d'Alexandre eut lieu en 157 Sél. (146/5 av. J.-C.).
9.[22] Démétrius, surnommé Nicanor[23], devenu maître du pouvoir, commença, dans sa méchanceté, par détruire les troupes de Ptolémée[24], oubliant que ce roi lui avait porté secours et était devenu son beau-père et son parent, par le mariage de Démétrius avec Cléopâtre. Les soldats, pour échapper à ses mauvais desseins, s'enfuirent à Alexandrie, mais Démétrius resta maître des éléphants. Cependant le grand-prêtre Jonathas leva une armée dans la Judée entière et alla mettre le siège devant la citadelle de Jérusalem, occupée par une garnison macédonienne et par quelques-uns des juifs apostats qui avaient abandonné les coutumes de leurs pères. Les assiégés tout d'abord méprisèrent les machines que dressait Jonathas pour s’emparer de la citadelle, confiants qu'ils étaient dans la force des lieux ; quelques-uns de ces misérables s'échappèrent de nuit et vinrent rejoindre Démétrius, auquel ils annoncèrent le siège de la citadelle. Démétrius, irrité par cette information, partit d'Antioche avec ses troupes contre Jonathas. Arrivé à Ptolémaïs, il lui manda de se rendre aussitôt auprès de lui dans cette ville. Jonathas n'interrompit pas le siège, mais à la tête des anciens du peuple et des prêtres, chargé d'or, d'argent, de vêtements et de nombreux présents, il se rendit auprès de Démétrius, et grâce à ces cadeaux apaisa si bien la colère du roi, que celui-ci l'honora et lui confirma la sûre possession de la grande prêtrise telle qu'il la tenait des rois ses prédécesseurs. Démétrius n'ajouta aucune foi aux accusations portées contre lui par les transfuges ; tout au contraire, sur la proposition que lui fit Jonathas de payer trois cents talents pour la Judée tout entière et les trois toparchies de Samarie, Pérée et Galilée[25], Démétrius lui donna à ce sujet une lettre dont voici le contenu : « Le roi Démétrius à son frère Jonathas et au peuple juif, salut. Nous vous envoyons copie de la lettre que j'ai écrite à Lasthénès notre parent, afin que vous en preniez connaissance. — Le roi Démétrius à Lasthénès son père, salut. J'ai résolu de reconnaître la bienveillance du peuple juif, qui est mon ami et qui respecte à mon égard la justice. Je leur abandonne avec leurs dépendances les trois districts d'Aphereima, de Lydda, et de Rhamatha[26], qui furent détachés de la province de Samarie pour être réunis à la Judée ; je leur fais, de plus, remise de toutes les taxes que les rois mes prédécesseurs prélevaient sur les sacrifices offerts à Jérusalem, de toutes les redevances sur les fruits de la terre ou des arbres ou autres produits, des marais salants, des couronnes qu'on nous apportait ; à dater de ce jour et à l'avenir ils ne seront plus contraints à payer aucune de ces taxes. Veille donc à ce qu'une copie de cette lettre soit faite, remise à Jonathan, et déposée à une place d'honneur dans le Temple saint. » Telle était cette lettre. Puis Démétrius, voyant que la paix régnait et qu'il n'y avait ni danger ni crainte de guerre, licencia son armée et diminua la solde, ne payant plus que les troupes étrangères qui étaient venues avec lui de Crête et des autres îles. Il s'attira ainsi l'inimitié et la haine des soldats auxquels il ne donnait plus rien, tandis que les rois ses prédécesseurs les payaient même en temps de paix afin de s’assurer leur fidélité et leur dévouement dans les combats, si jamais il était nécessaire.
[22] I Maccabées, 11, 19-38.
[23] La forme officielle est Nicator.
[24] C'est-à-dire qu'il laisse massacrer les garnisons égyptiennes par les villes (Maccabées, 11, 18).
[25] Même erreur (?) que supra, II, 3. Dans Maccabées, 11, 28, on lit τὰς τρεῖς τοπαρχίας καὶ τὴν Σαμαρεῖτιν (Grimm : τῆς Σαμαρίτιδος).
[26] Aphereima paraît être l'Ephraïm de II Samuel, 13, 13, dont le site exact n'est pas connu. Rhamatha ou Rhamathaïm, au N. E. de Modéïn.