Nous avons déjà dit deux mots de la mission que les prophètes eurent à remplir auprès des rois ; voyons maintenant comment Israël en vint à avoir des rois.
En dépit de leurs rivalités et de leurs défiancese, les tribus avaient plus d’une fois senti le besoin de s’unir pour résister à leurs ennemis communs. Elles avaient offert à Gédéon la couronne avec le droit de la transmettre à ses descendants. Celui-ci ne l’avait refusée que par fidélité au principe théocratique. « Je ne dominerai point sur vous, avait-il répondu à tous ceux d’Israël, ni mon fils ne dominera point sur vous ; l’Éternel dominera sur vous ! » (Juges 8.23) A sa mort, Abimélech, son fils illégitime, s’éleva et domina trois ans sur Israël (Juges 9.22)f. Sous Samuel, les Israélites purent constater que l’union fait la force, et, comme les peuples voisins, — les Ammonites à l’est, 1 Samuel 12.12, et les Philistins à l’ouest, — étaient toujours menaçants et que les fils de Samuel ne promettaient rien de bon, ils commencèrent à soupirer après un souverain comme en avaient toutes les nations d’alentour, pour les juger (1 Samuel 8.5) et pour conduire leurs guerres (v. 20) ; ils demandèrent positivement un roi.
e – Ephraïm surtout était fort susceptible (Juges 8.1 ; 12.1).
f – Sur Israël, et non pas sur tout Israël : c’est-à-dire, sans doute, sur une partie du peuple.
C’était là rejeter l’Éternel (v. 7). Non pas que l’établissement d’une royauté terrestre fût incompatible avec la suprématie que Dieu doit exercer dans un état théocratique, — Dieu peut employer des moyens naturels dans le gouvernement du monde, sans cesser pour cela d’être le maître absolu de tout ce qui existe ; — mais le peuple était animé d’un mauvais esprit quand il demandait un roi ; il méconnaissait l’honneur insigne dont il jouissait, seul parmi tous les peuples de la terre, d’avoir l’Éternel pour roi ; il doutait que Dieu pût le délivrer ; à ses yeux, la cause de tous ses malheurs ne devait pas être cherchée dans son infidélité, mais bien dans une lacune de la constitution que Moïse lui avait donnée ; améliorer cette constitution, tel est le remède à tous les maux ; la conversion, le retour à Dieu, — on n’y songe pas !
Samuel n’en reçoit pas moins l’ordre de choisir un roi. Puisque le peuple s’était montré trop charnel pour se contenter d’une unité invisible et spirituelle, il ne restait rien d’autre que d’espérer que les rois comprendraient leur rôle, qu’ils ne gouverneraient pas comme des souverains autocrates, mais comme d’humbles et fidèles organes de l’Éternel ; de cette manière, ils pouvaient même rendre de grands services.
L’élu qui va monter sur le trône est un inconnu, de la plus petite famille de la plus petite tribu (1 Samuel 9.21). Dieu fait fi des préjugés humains ; son choix est éminemment libre. Il en sera de même lors de l’élection de David (1 Samuel 16.7, comparé à 2 Samuel 7.8,18 ; Psaumes 78.70).
Samuel oint Saül. Ce n’était pas là une innovation, même s’agissant de chefs politiques (Juges 9.8, 15). Plus tard il oindra David, une première fois en présence de sa famille seulement (1 Samuel 16.3), une seconde fois, lors de son arrivée effective au pouvoir, en présence des anciens (2 Samuel 2.4 ; 5.3). L’onction d’Absalom est encore mentionnée (2 Samuel 19.10), ainsi que celles de Salomon (1 Rois 1.39), qui la reçoit du grand prêtre, — de Joas (2 Rois 11.12), — de Joachas (2 Rois 23.30), et, dans le royaume des dix tribus, de Jéhu (2 Rois 9.3), qui monte sur le trône en vertu d’une prophétie. Ce sont là les seuls cas où il soit parlé d’onction, et c’est ce qui a permis aux Rabbins de dire que l’on n’oignait que dans les cas exceptionnels, ou lorsqu’il y avait changement de dynastieg. S’il en était réellement ainsi, cela venait probablement de ce que l’on pensait que le bénéfice de l’onction se transmettait du chef de la dynastie à tous ses descendantsh. Quoi qu’il en soit, une chose est certaine, c’est que, dans de nombreux passages (Psaumes 20.7 ; 28.8 ; 84.10 ; 89.39, 52 et sq.), le roi est appelé l’oint de l’Éternel par excellence.
g – Voyez Schickard, Jus regum hebrœorum. C’est un ouvrage très peu moderne, mais très bon à consulter encore. Voyez aussi J. G. Carpsov, App. hist. crit. ant. sacr. page 56.
h – Et en effet, aux yeux des auteurs de l’A. T., il y a la plus intime union entre un chef de famille et ses descendants.
[Quelle huile employait-on pour l’onction royale ? De l’huile ordinaire ou bien celle de l’onction sacerdotale ? I1Rois.1.39 ; Psaumes 89.21, parlent plutôt en faveur de la seconde, ainsi que le fait que le verbe iatzag, mot usuel quand il s’agit de l’onction des prêtres, est aussi une couple de fois employé à propos de l’onction d’un roi (1 Samuel 10.1 ; 2 Rois 9.3).]
L’onction est le symbole de la communication de l’Esprit de Dieu (Comparez 1 Samuel 10.1, 8 ; 16.13) ; nul ne peut bien gouverner un peuple s’il n’est assisté dans l’accomplissement de sa tâche par la Sagesse d’En-haut (Proverbes 8.15 et sq.), et la Sagesse est un don de l’Espriti. L’onction rend la personne du roi sacrée (1 Samuel 24.7 ; 26.9 ; 2 Samuel 19.21). L’onction était accompagnée d’autres cérémonies encore : le nouvel élu recevait une couronne, qui avait la forme d’un diadème (2 Rois 11.12 ; 2 Samuel 1.11 ; Psaumes 89.40 ; 132.18), un sceptre, etc. ; il était assis sur un trône. — En guise de sceptre, Saül paraît avoir porté une lance (1 Samuel 18.10 ; 22.6).
i – Voyez dans Esaïe ch. 11 la description anticipée du règne du Messie : « L’esprit de l’Éternel reposera sur Lui, l’esprit de sagesse, etc. »
Pour ce qui est de Saül en particulier, l’onction fut suivie d’une solennelle présentation à toutes les tribus. d’Israël (1 Samuel 10.20-24). A cette occasion, Samuel prononça au peuple le droit du royaume, et l’écrivit dans un livre qui fut déposé comme la Loi, devant l’Éternel, dans le sanctuaire.
[1 Samuel 8.11 et sq., Samuel avertit le peuple de ce qu’il a à attendre du roi qu’il désire si ardemment. On a cru que le droit du royaume était le développement de ce discours. Il n’en est. rien. Au chapitre 8 nous avons le tableau des maux qu’un roi, tel qu’en ont les autres nations, ne manquera pas de faire endurer aux Israélites, tandis que le Droit du Royaume renfermait la pensée de Dieu sur les devoirs réciproques du prince et de ses sujets. Nous-disons la pensée de Dieu, car il ne faudrait pas y voir une constitution dans le sens moderne de ce mot, un arrangement conclu entre la nation et son chef.]
D’après Deutéronome 8.18, tous les rois devaient, lors de leur avènement au trône, copier pour leur usage particulier un double de la loi. Nous trouvons dans 2 Rois 11.12, une trace de cette recommandation : le sacrificateur remet à Joas le témoignage en même temps que la couronne.
Après que Saül eût gagné la confiance et l’affection de son peuple par une campagne victorieuse (1 Sam. ch. 11), Samuel se dépouilla de sa dignité de juge pour n’être plus qu’un prophète, mais un prophète fidèle, une sentinelle à laquelle le nouveau roi ne fournit que trop d’occasions de montrer sa vigilance.