L’homme, après sa résurrection, subira un véritable renouvellement, mais il sera renouvelé et perfectionné sans changement dans son identité. Ce n’est donc pas ici la substance ni la condition première de l’être qui disparaît (car celui qui l’a créée l’a solidement établie dans ses éléments constitutifs), ce n’est que la figure de ce monde qui passe, c’est-à-dire qu’il n’y a qu’un renouvellement des formes qui avaient vieilli, parce que l’homme avait vieilli en elles. Voilà pourquoi ce monde a été assujetti dans sa création à des formes purement temporaires ; la prescience de Dieu le voulait ainsi ; c’est ce que nous avons d’ailleurs démontré dans le livre qui précède celui-ci, où nous avons expliqué, autant qu’il était en nous, les causes de la condition passagère des choses d’ici-bas. La figure de ce monde étant donc changée, et l’homme étant renouvelé, il sera doué dès lors de toutes les conditions de l’immortalité, de manière à ne pouvoir plus être atteint par la vieillesse ; il y aura un nouveau ciel et une nouvelle terre, destinés au séjour de l’homme renouvelé, où il chantera sans cesse les louanges de Dieu. C’est l’éternelle durée de cette destinée nouvelle qui fait dire à Isaïe : « Et de même que les nouveaux cieux et la nouvelle terre que j’ai créés seront immuables, ainsi votre postérité et votre nom subsisteront toujours. » Et comme le disent nos docteurs, ceux qui alors seront trouvés dignes du séjour des cieux y seront dès lors transférés ; quant aux autres, les uns jouiront en paix des délices du paradis, tandis que les autres habiteront la Jérusalem nouvelle dans toute sa beauté. Dieu sera présent partout, et le bonheur de chacun dans cette vue de Dieu sera en raison du mérite de ses œuvres.
Telle sera la différence de mesure de bonheur entre ceux qui auront fructifié à raison de cent, et ceux qui n’auront fructifié qu’à raison de soixante, et ceux qui n’auront fructifié qu’à raison de trente ; les premiers iront dans le séjour des cieux, les autres demeureront dans le paradis, et les autres dans la Jérusalem nouvelle. C’est dans ce sens que le Christ a dit qu’il y avait plusieurs demeures dans la maison de son Père. Car Dieu est maître de tout ; c’est lui qui place chaque chose au lieu qu’il convient. Et son Verbe même nous a dit que chacun serait partagé suivant qu’il serait digne, ou suivant qu’il le deviendrait. C’est là que sera la salle du festin, dans laquelle on admettra ceux qui auront été invités aux noces de l’agneau. Tels seront donc l’ordre et les divers degrés du salut, au dire des anciens prêtres qui ont été les disciples des apôtres ; on arrivera au Fils par la grâce de l’Esprit saint ; et on montera ensuite vers le Père par la grâce du Fils, parce que le Fils fera ainsi hommage au Père de son œuvre, qui est le salut de l’homme ; c’est ce qui fait dire à l’apôtre : « Car Jésus-Christ doit régner jusqu’à ce que Dieu ait mis tous ses ennemis sous ses pieds. Or, la mort sera le dernier ennemi qui sera détruit. » Lorsque le temps du règne des justes sur la terre sera venu, l’homme juste déjà ne sera plus sujet à la mort. « Quand l’Écriture dit que tout lui est assujetti, il est indubitable qu’il faut en exempter celui qui lui a assujetti toutes choses. Lors donc que toutes choses auront été assujetties au Fils, alors le Fils sera lui-même assujetti à celui qui lui aura assujetti toutes choses, afin que Dieu soit tout en tout. »
Ainsi, il est certain que saint Jean a prédit clairement la première résurrection des justes, et leur règne futur sur la terre ; et ses prophéties sont entièrement concordantes avec celles des prophètes sur le même sujet. Notre Seigneur lui-même nous a annoncé ces choses, quand il a promis à ses disciples qu’il boirait avec eux du vin de la vigne dans ce nouveau séjour. L’apôtre saint Paul a eu en vue la même vérité, lorsqu’il a parlé de l’espérance que nous avons d’être affranchis de l’asservissement à la corruption, pour participer à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Et dans toutes ces promesses se montre toujours le même Dieu, toujours immuable dans ses volontés et dans ses desseins, qui a formé l’homme de ses mains, qui lui a promis, dans la personne de ses pères, l’héritage de la terre, qui l’affranchira de la mort par la résurrection des justes, et confirmera toutes ses promesses, lorsque viendra le règne de son Verbe ; enfin, qui donnera à sa créature, dans sa bonté infinie, de voir des choses que l’œil n’a point vu, d’entendre ce qu’aucune oreille n’a entendu, et de sentir ce que le cœur de l’homme n’a jamais éprouvé. De même qu’il n’y a qu’un seul fils de Dieu qui accomplit la volonté du Père, ainsi il n’y a qu’un seul genre humain, sur lequel s’accompliront les mystères de ce Dieu que les anges brûlent du désir de voir, et dont ils ne peuvent sonder la sagesse et les desseins. C’est dans les profondeurs de cette divine sagesse que se trouve caché le mystère de l’union du fils de Dieu à l’humanité, et de l’humanité au Verbe. Par cette union, la race de Dieu, c’est-à-dire son Verbe, son fils unique, se mêle à l’homme et s’y incorpore ; et, à son tour, l’homme s’unit au Verbe, et s’élevant, porté par lui, au-dessus des anges, sera fait enfin à l’image et à la ressemblance de Dieu.