L’histoire de Juda a un caractère essentiellement différent de celle d’Israël. Quoique le plus petit, surtout après que l’Iduméea eut recouvré son indépendance, le royaume de Juda n’en est pas moins le plus-réellement fort : il possède le vrai sanctuaire, le culte légal, les Lévites, dont l’influence était grande, et surtout la royauté légitime, qui se trouvait en possession de toutes les promesses faites à David, le glorieux fondateur de la dynastie.
a – Le seul des pays tributaires qui fût échu à Juda.
[Quelle différence entre les révolutions constantes des dix tribus et la succession régulière des descendants de David sur le trône de Jérusalem ! — Ce n’était pas toujours le fils aîné qui prenait la place de son père (2 Chroniques 21.3). David et Roboam désignèrent pour leur successeur le fils de leur épouse préférée (2 Chroniques 11.21). A la mort de Josias, le peuple offrit la couronne à son fils cadet (2 Rois 23.30). En cas de minorité, il y avait une régence (2 Rois 12.2-3). Les Rabbins citent aussi à l’appui de cette idée Ecclésiaste 10.16. L’influence de la reine-mère paraît avoir été assez considérable. Le roi se prosterne devant elle (1 Rois 2.19), tandis que la reine, épouse du roi, se prosterne devant son mari (1 Rois 1.16). La reine-mère porte le titre de Guevirah, maîtresse, régente (1 Rois 15.13 ; 2 Rois.10.13 ; Jérémie 13.18 ; 29.2). Aussi voyons-nous qu’à l’avènement d’un nouveau roi le nom de sa mère est presque toujours indiqué (1 Rois 14.21 ; 15.2, sq.).]
Des dix-neuf rois qui se succèdent en 387 ans sur le trône de Davidb, quelques-uns sont des hommes pieux et capables : Josaphat, Ezéchias, Josias, montrent décidément que l’idéal du roi théocratique plane devant leurs yeux. Juda acquiert ainsi une force morale qui le préserve des divisions dans lesquelles Israël se consume. Sans doute, l’austérité de la religion du vrai Dieu ne pouvait manquer de déplaire à un peuple naturellement porté à l’idolâtrie et à tous les péchés qui accompagnent ordinairement le culte des idoles ; il y eut donc des conflits et même des conflits d’autant plus violents qu’il n’y avait point, ici de veau d’or, qui ménageât en quelque sorte une transition entre l’Éternel et les dieux étrangersc. Mais, grâce aux racines profondes que la religion de Jéhovah avait jetées dans le royaume de Juda, grâce aux institutions théocratiques qui y avaient leur siège, — nous avons ici, non pas de sanglantes révolutions, mais de simples réformations.
b – Nous laissons Athalie de côté.
c – C’est ce qui explique pourquoi l’idolâtrie, lorsqu’elle put éclater en Juda, s’y montra plus grossière même qu’en Israël.
Autre différence encore : ces réformations ne sont pas le fait des prophètes, mais bien des rois. En Juda, la position des prophètes était tout autre que celle qui leur était faite en Israël. A Jérusalem, il n’est pas rare de voir les représentants des trois grandes charges théocratiques travailler dans la plus parfaite harmonie. On a quelquefois, à propos des plus anciens prophètes, parlé d’un ministère d’action, et à propos des prophètes postérieurs d’un ministère de parole. Cette distinction me paraîtrait plus juste appliquée aux prophètes du royaume d’Israël et à ceux du royaume de Juda. Ceux-ci ayant dans les institutions théocratiques un point d’appui tout trouvé, ne furent pas obligés de s’en chercher de nouveaux ; il n’est point question d’écoles de prophètes en Juda. Les rabbins prétendent qu’il y en a eu, et qu’elles ont duré jusqu’à l’exil, mais ils n’en savent rien. Le seul passage auquel ils en appellent est 2 Rois 22.14 ; mais ils l’ont mal compris ; le mot Mischené (משנה) ne signifie pas maison d’école, — mais ville basse ou seconde enceinte. Nous ne rencontrons jamais à Jérusalem que des prophètes isolésd. Tout ce qu’on peut dire, c’est que les grandes personnalités, telles que Esaïe (Ésaïe 8.16) ou Jérémie, virent se grouper autour d’elles un cercle restreint de disciplese.
d – Ils se succèdent sans interruption notable jusqu’à l’exil.
e – Ainsi Baruch est le fidèle disciple et compagnon de Jérémie.
Au premier abord, l’histoire du royaume de Juda ne semble présenter qu’une série assez uniforme d’infidélités et de châtiments : tel ou tel roi tolère l’idolâtrie ou s’y livre ; Dieu visite son peuple ; un roi pieux surgit, qui rétablit le culte du seul vrai Dieu, et ainsi de suite jusqu’à ce que, après un certain nombre de réformes et de rechutes toujours plus graves, il n’y ait plus place que pour un châtiment définitif.
[C’était ordinairement des hauts-lieux que l’idolâtrie se répandait de nouveau dans le peuple. C’était déjà un péché que de les laisser subsister, mais cette première infidélité en amenait souvent une seconde plus grave encore, l’idolâtrie, l’abandon de Dieu pour des idoles.]
Néanmoins, nous pouvons distinguer trois phases successives dans cette lutte que le principe théocratique soutient ainsi pendant près de quatre siècles contre la corruption croissante du peuple. Une première période, qui s’étend jusqu’à Achaz, nous présente les traits particuliers suivants : Au point de vue religieux, les prophètes, qui du reste ne font guère parler d’eux, s’entendent le mieux du monde avec les prêtres ; l’idolâtrie n’est jamais entièrement extirpée, mais elle n’arrive que par moments à l’emporter sur la vraie religion ; cette idolâtrie est encore celle des Cananéens, le culte des forces de la nature ; au point de vue politique, Juda n’a encore affaire qu’avec ses voisins immédiats, parmi lesquels, au début de cette période, les Egyptiens occupent une place marquante. Deux siècles.
Durant la seconde période, d’Achaz à Josias, — un siècle, — les religions de l’Asie centrale viennent mêler leur influence à celle de l’idolâtrie indigène ; les prophètes ont à lutter en outre contre la fausse politique que veulent suivre les rois ; leur horizon s’étend, ils arrivent à comprendre mieux qu’aucun de leurs devanciers le rôle que le peuple de Dieu est appelé à jouer dans l’histoire du monde. Juda, entraîné par Israël, sort imprudemment de son isolement et entre en conflit avec l’Assyrie. Jérusalem voit succomber Samarie, sa sœur, et n’est sauvée que par un miracle.
Avec la réforme de Josias, réforme qui parait si radicale après les sombres règnes de Manassé et d’Artimon, mais qui ne réussit pourtant pas à rendre au peuple une piété réelle, commence la troisième et dernière période, — quatre-vingts ans. Il y avait longtemps que les prophètes s’élevaient contre l’observation extérieure des cérémonies du culte, contre le pharisaïsme ; maintenant plus que jamais, tel est le péché national ; les prêtres eux-mêmes n’en sont pas exempts.
A peine Josias a-t-il fermé les yeux, que l’idolâtrie se ranime : qu’attendre d’autre que la ruine ?
Le plus grand prophète de la première période est Joël, de la seconde, Esaïe, et de la troisième, Jérémie.