[1] La paix n'était presque pas encore rétablie qu'il revient à Alexandrie ; or de nouveau une révolution et une guerre éclataient ensemble ; si bien qu'il ne lui est pas possible d'exercer sa charge épiscopale à l'égard de tous les frères de la ville ; ceux-ci étaient divisés entre eux et dans l'un et l'autre parti de l'insurrection ; derechef lors de la fête de Pâques, comme s'il était à l'étranger, il s'adresse à eux dans une lettre datée d'Alexandrie même.
[2] Il écrit encore dans la suite à Hiérax, évêque des Égyptiens, une seconde lettre pascale où il mentionne en ces termes la révolution qu'il vit à Alexandrie.
« Quoi d'étonnant qu'il me soit difficile de correspondre même par lettres avec ceux qui habitent au loin, lorsqu'on ce qui me concerne, il m'est impossible de m'entretenir avec moi-même et de réfléchir en mon âme ! [3] Ceux qui sont mes propres entrailles, mes frères qui habitent la même demeure, ceux qui sont la même âme que moi et les citoyens de la même église, il me faut des écrits et des lettres pour les atteindre ; encore aucun moyen ne paraît de les leur faire parvenir. Il serait plus facile à quelqu'un, non seulement d'essayer de parvenir au delà des limites de la province, mais encore d'aller d'Orient en Occident, que d'arriver à Alexandrie, partant d'Alexandrie même. [4] Ce désert vaste et sans chemin qu'Israël a parcouru pendant deux générations est moins profond et plus facile à traverser que la rue la plus au centre de la ville. La mer que les Hébreux trouvèrent divisée et dressée comme un double mur, qui devint praticable pour les chevaux et dont les flots engloutirent les Égyptiens dans le chemin, nos ports calmes et sans vague en sont une image ; souvent en effet ils ont paru, grâce aux meurtres qui y sont commis, semblables à la mer Rouge. [5] Le fleuve qui traverse la ville, tantôt on le voyait plus desséché que le désert sans eau, et plus aride que celui traversé par Israël quand il était tellement dévoré par la soif que Moïse demanda à grands cris qu'un breuvage coulât pour eux d'un rocher isolé et escarpé, par la vertu de Celui seul qui fait des merveilles ; [6] tantôt ce fleuve débordait tellement qu'il inondait tout le pays d'alentour, les routes comme les champs, et qu'il apportait la menace du déluge arrivé sous Noé. Sans cesse il s'en allait souillé de sang, de meurtres et de gens noyés ; c'est ainsi qu'il était pour Pharaon sous Moïse, changé en sang et répandant une odeur fétide. [7] Quelle autre eau pourrait devenir la purificatrice de l'eau qui purifie tout ? Comment l'Océan immense et sans borne pour les hommes pourra-t-il se répandre sur cette mer remplie d'amertume et la purifier ? ou bien comment le grand fleuve qui coule de l'Éden, qui mêle les quatre bras dans lesquels il se divise, au seul cours du Géon pourra-t-il laver ce sang impur ? [8] ou comment l'air vicié par les vapeurs mauvaises venues de partout pourra-t-il devenir pur ? Car les souffles de la terre, les vents de la mer, les brises des fleuves et les émanations des ports exhalent une telle odeur qu'il ne se produit d'autre rosée que le pus des cadavres qui pourrissent dans tous les éléments qui les constituent. [9] Ensuite on s'étonne et on se demande d'où viennent les pestes continuelles, d'où les maladies terribles, d'où ces mortalités de toutes sortes, d'où la dépopulation multiple et grande, pourquoi la ville immense ne contient plus en elle, en comptant depuis les enfants qui ne parlent pas encore jusqu'aux vieillards qui sont aux extrêmes limites de l'âge, autant d'habitants qu'elle nourrissait autrefois de vieillards encore verts ainsi qu'on les appelait. Mais ceux qui avaient de quarante à soixante-dix ans étaient alors tellement plus nombreux, que leur chiffre n'est pas atteint maintenant par ceux qui sont inscrits et immatriculés pour l'allocation des vivres publics et qui sont âgés de quatorze à quatre-vingts ans ; ceux qui paraissaient les plus jeunes sont devenus comme les camarades de ceux qui autrefois étaient les plus vieux. [10] Voyant le genre humain diminuer ainsi successivement et s'épuiser sur la terre, ils ne tremblent pas à la pensée de leur disparition complète qui va croissant et qui est proche. »