Le sentiment de culpabilité que la loi produit dans, les cœurs consciencieux, les prophètes cherchent à le généraliser et à l’augmenter encore en représentant au peuple combien il est loin de répondre aux saintes et miséricordieuses intentions de Dieu à son égard ; ils vont même jusqu’à déclarer que le but de la loi, qui est la formation d’une nation sainte, ne sera jamais atteint par l’économie actuelle et qu’il faudra pour cela l’adoption d’un nouveau mode de salut.
Pour dire quelques mots encore de l’effet éducatif de la loi, remarquons que c’est peu à peu que cet effet se produit, peu à peu que les témoignages de l’Éternel au peuple deviennent un témoignage de l’Éternel contre le peuple (Deutéronome 31.26)i. Nous ne devons pas nous attendre à trouver dès le principe chez les Israélites la connaissance du péché, l’ἐπίγνωσις ἡαμαρτίας de Romains ch. 7. Au premier abord, ce que l’Israélite pieux éprouve en face de la loi, c’est ce sentiment de repos qu’inspire la vérité : il en est restauré (Psaumes 19.7, Psaumes 119) ; il y prend plaisir ; la loi est jusqu’à un certain point gravée dans son cœur : « La loi de son Dieu est dans le cœur du juste. » (Psaumes 37.31), il ressent quelque chose de cet esprit franc (רוח נדיבה) que le péché fait perdre (Psaumes 51.14), et il peut se rendre le témoignage d’aimer à faire la volonté de Dieu : « Mon Dieu, j’ai pris plaisir à faire ta volonté et ta loi est au-dedans de mes entrailles » (Psaumes 40.9). Toutefois, le Psalmiste prie déjà Dieu de lui pardonner ses péchés cachés et de le préserver des péchés commis par fierté (Psaumes 19.13) ; et non seulement cela, mais encore il sent assez l’incapacité dans laquelle il se trouve de plaire à Dieu, pour soupirer après un cœur pur (crée-moi, ברא–לי, un cœur pur ! Psaumes 51.12), après un esprit ferme et franc (v. 14 et Psaumes 143.10). Voilà donc, clairement exprimée, l’absolue nécessité, pour pouvoir plaire à Dieu, d’une communication réelle de vie divine et d’un changement complet du cœur.
i – « Prenez ce livre de la loi et mettez-le à côté de l’arche de l’Éternel votre Dieu, et il sera là pour témoin contre loi. »
Tel est aussi le sentiment que les prophètes cherchent à produire dans les cœurs. Seulement voici comment pour eux se pose la question : Le peuple répond-il à sa destination ? Toutes les mesures que Dieu a prises pour se former réellement un peuple saint, ont-elles abouti ? — Non ! infidélité, incrédulité, déchéance, voilà ce qu’Israël présente de toutes parts aux yeux des prophètes ; tout ce que Dieu a pu faire jusqu’ici est demeuré vain ; à moins donc de quelque chose de tout nouveau, Israël ne répondra jamais à sa vocation sainte.
Voici, pour entrer dans le détail, la marche ordinaire de la pensée dans les discours des prophètes à ce sujet : 1° Qu’est-ce que l’Éternel vous a donc fait ? De quoi avez-vous à vous plaindre ? A-t-il rien négligé, en fait de grâces ou d’épreuves, de ce qui était propre à réveiller vos consciences et à vous ramener à Lui ? 2° Comment avez-vous répondu à l’amour et aux bons soins de la Providence ? Qu’aurez-vous à avancer pour votre décharge quand Dieu entrera en jugement avec vous ! (Ésaïe 1.5 ; Michée 6.1-16 ; Jérémie 2.1-3, et bien d’autres passages.)
Et d’abord, ce que l’Éternel vous a fait ? — Tout ce que fait pour ses enfants le père le plus tendre. (§ 82, Osée 11.1 ; Ésaïe 1.2 ; 30.1, 9 et sq.) L’Éternel vous a même témoigné tout ce que l’époux le plus dévoué et le plus fidèle peut témoigner à son épouse. (Voyez surtout Osée, la seconde partie d’Esaïe ; Jérémie 2.2j et Ézéchiel ch. 16k. § 27 et 88.)
j – Le séjour dans le désert correspond aux premières années de mariage.
k – C’est à Sinaï que l’alliance s’est conclue.
En face d’un tel amour, le peuple infidèle est une femme adultère. Pressons ce mot. En désobéissant à Dieu, Israël fait plus que de mépriser les ordres d’un Être qui a le droit d’en donner ; il manque à sa parole et il témoigne la plus basse ingratitude au Bienfaiteur que jadis il n’a pu s’empêcher d’aimer. L’infidélité par excellence, c’est l’idolâtrie, l’abandon de Dieu pour les idoles (Lévitique 20.6 ; Osée 2.1-23 ; Jérémie 3.4 et sq.) ; mais toute espèce de péché constitue un cas d’adultère ; tout péché est une révolte contre Celui qui peut seul prétendre à posséder notre cœur tout entier (Nombres 14.33 ; Ésaïe 1.20-21 ; Psaumes 73.26-27).
[זנות : adultère, ceci, pour le dire en passant, nous montre avec quelle pureté morale et quelle profondeur les prophètes, longtemps avant les apôtres, considéraient le mariage. Remarquez l’opposition qu’il y a entre les deux derniers versets du psaume 73 : d’une part les justes ont pris Dieu pour leur partage à toujours. D’autre part, les méchants commettent adultère loin de Dieu : כל זנוה מ.ֻמכ.ֻ.]
Comment Israël pourrait-il se glorifier encore et prétendre à la moindre justice ? Un sentiment vif et profond de culpabilité et d’indignité, voilà ce qui remplit le cœur des prophètes, qui sont en quelque sorte la personnification de la conscience publique. Tout le peuple a péché ; tout le peuple mérite la condamnation.
C’est le peuple tout entierl qui, après avoir entendu les trop justes reproches de Michée 7.1-6, s’écrie dans son abattement : « Je porterai l’indignation de l’Éternel, parce que j’ai péché contre Lui ! » La seconde partie d’Esaïe en particulier revient très souvent sur cette pensée : « Tu m’as fatigué par tes péchés, et m’as travaillé par tes iniquités » Ésaïe 43.24 « Tu as été appelé prévaricateur dès ta naissance » Ésaïe 48.8 et sq. Voyez aussi la prière d’humiliation de Daniel 9.4 et sq., et surtout le v. 18 : « Ce n’est pas sur nos justices que nous présentons nos supplications devant ta face, mais c’est sur tes grandes compassions ! » Les justes eux-mêmes, la meilleure partie de la nation, les serviteurs de Dieu se sentent malades de la maladie générale, et ne se posent jamais comme des exceptions n’ayant rien de commun avec la masse du peuple. Esaïe (Ésaïe 6.5) demeure parmi un peuple souillé de lèvres, mais il est, lui aussi, souillé de lèvres, et c’est pour cela qu’avant de prêcher aux autres la repentance, il doit commencer par être lui-même purifié. De quel droit supposer que le prophète qui a écrit les remarquables paroles : « Ton premier père (Abraham ou Jacob) a péché, et tes intercesseurs (comme Moïse, Samuel, Elie, et tant de prophètes qui se sont tenus à la brèche pour détourner de dessus toi la colère divine), ont prévariqué contre moi » (Ésaïe 43.27), de quel droit, dis-je, supposer qu’il songe à tout le monde sauf à lui, quand il dit positivement : « Nous sommes tous devenus comme une chose souillée, etc. » (Ésaïe 64.6) O Éternel, s’écrie l’auteur de Psaumes 130.3, si tu prends garde aux iniquités, Seigneur, qui est-ce-qui subsistera ?
l – Et non pas seulement, comme le veut Caspari (Michée, 336), la partie infidèle du peuple.
Israël n’ayant pas répondu au but que Dieu s’était, proposé en le choisissant parmi tant d’autres peuples, l’adoption d’un nouveau mode de salut est devenu indispensable. Dieu effacera ses péchés par pure grâce, et il le rendra capable de lui plaire en lui communiquant, une vie nouvelle. C’est ce qu’avait déjà prévu Moïse (Deutéronome 30.6), et c’est ce qu’annoncent à plus d’une reprise les prophètes, et surtout Jérémie et Ezéchiel. « je leur donnerai, quand ils seront de retour de l’exil, un cœur pour connaître que je suis l’Éternel. » (Jérémie 24.7) Dans l’économie du salut, Dieu donnera au peuple à venir des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, un cœur pour recevoir (Ésaïe 29.18 ; 30.20 ; 32.3) ; maintenant au contraire l’Éternel a répandu sur les Israélites un esprit d’assoupissement (Ésaïe 29.9 ; 30.9). « Voici, les jours viennent, lisons-nous, dans la grande prophétie de Jérémie 31.31 sur la nouvelle alliance, — les jours viennent, dit l’Éternel, que je traiterai une nouvelle alliance avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda ; non pas comme l’alliance que je traitai avec leurs pères au jour que je les pris par la main pour les faire sortir du pays d’Egypte ; alliance qu’ils ont enfreinte, et toutefois, j’étais leur souverain, dit l’Éternel. Mais c’est ici l’alliance que je traiterai avec la maison d’Israël après ces jours-là, dit l’Éternel : je mettrai ma loi au dedans d’eux et je l’écrirai dans leur cœur, et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Chacun d’eux n’enseignera plus son prochain, ni chacun son frère en disant : Connaissez l’Éternel, car ils me connaîtront tous depuis le plus petit jusqu’au plus grand, dit l’Éternel ; car je pardonnerai leur iniquité, et je ne me souviendrai plus de leur péché.
[On peut aussi traduire « J’étais leur souverain » (ואנכי בעלתי בם) comme le font les versions reçues : « Et toutefois je leur avais été pour époux — Comparez Jérémie 3.14. Mais Luther pèche contre la grammaire, quand il traduit : « J’ai dû leur faire violence. » Plusieurs interprètes modernes ont donné à בעל le sens de בחל, se dégoûter, repousser ; ils n’ont fait en cela que d’en revenir aux Septante : ἠμ’λησα. Mais c’est arbitraire.]
C’est sur ces derniers mots que repose tout ce qui les précède. Le pardon des péchés, l’enlèvement de la coulpe ; Dieu mettant sous ses pieds nos iniquités (יכבוש עונתינו), et jetant tous nos péchés au profond de la mer, selon l’énergique expression de Michée 7.19, voilà ce qui est à la base de la future économie du pardon ; sans pardon point de sainteté !
« Il foulera aux pieds nos péchés », dit Michée 7.19. En effet, le péché est une puissance, et la grâce de Dieu peut seule le subjuguer. Ce n’est pas une petite chose ! N’avons-nous pas entendu dans Ésaïe 43.24, le Tout-Puissant, Celui qui a créé l’univers par sa seule parole, se plaindre en quelque sorte, en repassant dans son esprit tous les efforts infructueux qu’il a faits pour sauver son peuple, — de tout le travail qu’il lui a procuré
par ses iniquités ?
[« Mais pour l’amour de moi, dit l’Éternel au verset suivant, pour sauvegarder ma gloire et la légitimer à tous les yeux, j’effacerai tes péchés et je ne m’en souviendrai plus !]
Une fois le péché écarté, l’action purificatrice et sanctificatrice de Dieu peut se déployer librement. Dieu peut répandre sur les siens des eaux pures pour les nettoyer. Ce que les ablutions légales ne faisaient que de préfigurer, devient enfin une réalité (Psaumes 51.9), et Zacharie annonce que dans le temps du salut, il y aura une source ouverte pour le péché et pour la souillure (Zacharie 13.1). Il n’y a plus lieu maintenant de soupirer comme le faisait Moïse : « O s’ils avaient toujours ce même cœur pour me craindre et pour garder tous mes commandements ! » (Deutéronome 5.29.) Les cœurs sont réellement changés et disposés à faire la volonté de Dieu. La loi n’est plus quelque chose d’objectif seulement ; le cœur de pierre a fait place à un cœur de chair. « Et je ferai, dit l’Éternel, qu’ils n’auront qu’un cœur, et je mettrai en eux un esprit nouveau, et ils garderont mes statuts et ils les pratiqueront. » (Ézéchiel 11.19 ; 37.23-27)
[Nous reviendrons plus tard (§ 223) à la grande prophétie de Jérémie 31.34 où il est dit que les membres de la nouvelle alliance seront tous directement enseignés de Dieu.]