Les anciens théologiens protestants adoptèrent le point de vue auquel s’étaient placés les Pères dans leur lutte contre le montanismea. Ils reconnurent que l’extase, telle que l’avait entendue Augustin, faisait partie de l’inspiration prophétique ; mais ils n’en firent pas un élément constitutif de la prophétie ; ils la considérèrent seulement comme un état par lequel Dieu faisait passer l’homme pour le préparer à recevoir ses révélations. La plus entière passivité, et à côté de cela la continuité des fonctions intellectuelles, sauf quelques interruptions momentanées, voilà les deux points sur lesquels ils insistèrent surtout.
a – Ainsi Carpsov, Introd. V. T., II, page 36.
[Buddeus, Instit. theol. dogm., page 82. Vitringa Typus doctrinæ propheticæ, page 18. Cotta fait dans les Loci de Gerhard, II. page 21, une remarque qui se trouve être la reproduction presque littérale du passage de Buddeus que nous venons d’indiquer. Witsius, dans son traité De prophetis et prophetia, combat (ch. 9) la tendance à déduire la prophétie des dispositions naturelles des prophètes, comme le fait, par exemple. Spinoza, qui regarde les prophètes comme des hommes doués d’une imagination particulièrement vive.]
Mais à mesure que l’orthodoxie vint à décliner, on accorda au caractère personnel du prophète et à ses dons naturels une influence toujours plus grande sur ses prophéties. Crusius, déjà en 1764, dans ses Hypomnemata ad theologiam propheticam, distingue entre le contenu des prophéties et la forme qu’elles revêtent dans la bouche ou sous la plume des hommes de Dieu, et il estime que, pour ce qui est de la forme, ils sont des instruments actifs, et non point passifs, dans la main de Dieu (σύνεργοι τοῦ θεοῦ). A l’égard du contenu des prophéties, il distingue entre l’ἀποκαλυψις proprement dite, qui communique des connaissances nouvelles, et le φωτισμός, qui ne fait que de jeter un jour nouveau sur des vérités déjà connues. Il dit aussi des choses fort justes et fort intéressantes (page 94) sur la nature respective de l’inspiration des prophètes et de l’inspiration des apôtres. Cette dernière est beaucoup plus continue ; Christ habite toujours en eux par le Saint-Esprit. Aussi les apôtres ne se servent-ils qu’exceptionnellement de la formule (1 Corinthiens 7.10) : « Ainsi parle le Seigneur », tandis qu’elle revient continuellement dans l’A. T., ce qui montre bien que l’inspiration est quelque chose d’extraordinaire chez les prophètes.
Au reste, Crusius ne cherche pas même à se rendre un compte détaillé de l’état psychologique des prophètes. Il n’y était engagé ni par son supranaturalisme, ni par son rationalisme, caries supranaturalistes ne s’occupaient guère des prophéties qu’au point de vue des preuves apologétiques qu’elles fournissent en faveur de l’inspiration des saints livres ; et les rationalistes, qui ne voient dans les prophètes que les fondateurs de leur propre tendance, laissaient naturellement tout à fait de côté la question de l’état psychologique d’hommes qui n’avaient en rien différé de ce qu’ils étaient eux-mêmes. Les prophètes parlent de visions, mais c’est là une manière poétique de s’exprimer.
A proprement parler, il n’y a pas de prophétie. Aussi fut-ce un progrès lorsque De Wette, dans la préface de la première édition de son Introduction à l’A. T., déclara qu’on n’avait décidément pas le droit de juger les anciens Voyants à notre point de vue moderne, et qu’il fallait absolument reconnaître qu’ils avaient eu parfois des pressentiments qui ne les avaient point trompés.
On peut se représenter, dans un temps où dominaient, presque partout de semblables doctrines, quel éclat fit Hengstenberg en se plaçant dans la première édition de sa Christologie, page 293b, purement et simplement au point de vue montaniste. « Quand Dieu leur parlait, dit-il carrément, les prophètes se trouvaient transportés, dans un état essentiellement différent de leur état habituel : ils entraient en extase, leur entendement s’éteignait, toute leur vie personnelle était violemment refoulée, et presque supprimée momentanément par l’action, de l’Esprit divin.
b – Dans la 2e édition, il a sensiblement modifié ses vues.
[Il admet cependant cette différence entre les prophètes israé-lites et les devins païens, que les premiers étaient élevés par l’inspiration dans une région supérieure, où ils perdaient, non seulement leur conscience intellectuelle, mais aussi toutes les affections les moins relevées de leur âme, en sorte qu’ils devenaient ainsi des miroirs purs, capables de réfléchir fidèlement ce que Dieu leur montrait, tandis que chez les devins c’était au contraire la partie inférieure de l’âme qui étouffait toute vie personnelle en s’insurgeant contre l’esprit.]