1. A cette époque le roi, voulant être tranquille du côté des Trachonites, décida de créer en un lieu de la contrée une bourgade aussi grande qu’une ville peuplée de Juifs ; ainsi il pourrait rendre inviolable son propre territoire et avoir une place d’armes à portée de ses ennemis, d’où il pourrait s’élancer pour faire chez eux des ravages subits. Il avait appris qu’un Juif de Babylone, avec cinq cents cavaliers tous instruits à tirer de l’arc à cheval et une parenté comprenant environ cent hommes, avait traversé l’Euphrate et se trouvait alors installé à Antioche auprès de Daphné en Syrie, car Saturninus, qui gouvernait alors la province lui avait concédé pour y séjourner une localité nommée Valaha. Il manda ce chef avec tous ceux qui le suivaient, et promit de lui donner des terres dans la toparchie de Batanée, limitrophe de la Trachonitide ; il voulait faire de son établissement une sorte de rempart. Il assura à Zamaris et à ses gens l’exemption de tous impôts directs et de toutes autres contributions, puisque la terre qu’il leur donnait était en friche.
2. Décidé par ces promesses, le Babylonien se rend sur les lieux, occupe le territoire en question et, y élève des murs et une bourgade qu’il nomma Bathyra. Cet homme servit effectivement de bouclier à la fois aux gens de ce pays contre les Trachonites et aux Juifs qui venaient de Babylone sacrifier à Jérusalem, qu’il empêchait d’être molestés par les brigandages des Trachonites. Il vit venir, à lui de partout nombre de gens fidèles aux coutumes juives. Le pays devint très peuplé à cause de la sécurité que lui conférait l’exemption complète d’impôts. Ce privilège subsista tant qu’Hérode vécut : mais quand Philippe son fils lui succéda, il exigea de ces gens peu de chose et pendant peu de temps. En revanche, Agrippa le grand et son fils Agrippa les saignèrent à blanc, sans toutefois rien entreprendre contre leur liberté. Les Romains, dont le pouvoir succéda au leur, confirmèrent eux aussi la liberté qu’ils demandaient, mais les écrasèrent totalement sous le poids des impôts. D’ailleurs je parlerai de cela avec plus de précision dans la suite de l’ouvrage quand s’en présentera l’occasion[1].
[1] Promesse non réalisée.
3. En mourant, Zamaris le Babylonien, qui s’était soumis à Hérode pour obtenir cette région, laissa après une vie vertueuse des fils excellents, entre autres Jacimos, illustre par son courage, qui organisa en troupe de cavalerie ses Babyloniens ; un de leurs escadrons servait de garde aux rois que je viens de nommer. Jacimos, mort à un âge avancé, laissa un fils, Philippe, que sa valeur guerrière et ses autres mérites rendaient aussi estimable qu’homme du monde. Aussi une amitié fidèle et un dévouement solide l’unissaient-ils au roi Agrippa ; de toute l’armée que le roi entretenait, c’était toujours lui l’instructeur et, lorsqu’il y avait une expédition à faire, le commandant.
4.[2] Hérode étant, dans l’état d’esprit que j’ai décrit, toutes les affaires étaient du ressort d’Antipater et il avait toute facilité pour les conduire à son avantage, tant son père se confiait en son bon vouloir et sa loyauté. Il s’enhardit d’autant plus à étendre son pouvoir que son père, aveugle à ses mauvaises actions, avait une confiance absolue en ses paroles. Tout le monde le redoutait, à cause de la grandeur de son autorité que de sa méchanceté, née de son inquiétude. Il était surtout courtisé par Phéroras et le courtisait en retour au plus haut degré, non sans l’avoir entouré de ses filets et avoir ameuté contre lui tout le gynécée. En effet, Phéroras était asservi à sa femme, à sa belle-mère et à sa belle-sœur, et cela bien qu’il détestât ces femmes à cause des injurieux traitements dont elles avaient usé envers ses filles encore vierges. Il les supportait pourtant et ne pouvait rien faire sans ces femmes qui épiaient tous ses mouvements et, grâce à leur dévouement mutuel, marchaient toujours d’accord. Antipater se les était entièrement attachées, tant par lui-même que par l’entremise de sa mère ; car les quatre femmes étaient toujours du même avis. Mais entre Phéroras et Antipater des bagatelles faisaient naître des dissentiments. La seule qui leur faisait opposition, c’était la sœur du roi[3], qui de longue date observait tout ce manège et sachant que leur entente visait le malheur d’Hérode, ne se gênait pas pour la dénoncer. Eux, avant reconnu que leur entente déplaisent au roi, imaginèrent de dissimuler leur liaison, feignant même en temps opportun de se détester et de s’injurier, surtout lorsque Hérode se trouvait là ou un espion chargé de lui rapporter ; mais en secret leur amitié réciproque ne devait que s’affermir, et il en fut ainsi. Salomé, qui n’ignorait ni leur entente précédente en vue de cette grande entreprise, ni la persistance de leurs relations, ne lâcha pas prise, dépistant tous leurs artifices et les rapportant grossis à son frère, les entrevues secrètes, les orgies, les conciliabules clandestins : si tout cela n’était pas combiné pour sa perte, quelle raison y avait-il de s’en cacher ? Ces gens qui, en apparence, étaient ennemis et déblatéraient l’un contre l’autre conservaient, à l’écart de tout le monde, leur entente et, dès qu’ils étaient seuls à seuls, ne se privaient pas de se caresser et d’organiser la lutte contre ceux à qui ils dissimulaient leur intelligence avec tant de soin. Elle observait donc tout ces manèges et les dévoilait exactement dans des entrevues avec son frère, qui déjà par lui-même avait deviné la méchanceté, née de plupart de ces choses, mais qui ne se décidait pas à oser[4], bien que ses soupçons fussent éveillés[5] par les rapports de sa sœur. Il y avait une secte de Juifs qui ce vantait d’observer très strictement la loi de leurs pères[6] et affectait un grand zèle[7] pour la divinité, secte à laquelle était soumis le gynécée. On les appelle Pharisiens, gens capables de tenir tête[8] aux rois, prévoyants[9] et s’enhardissant ouvertement à les combattre et à leur nuire[10]. En fait, alors que tout le peuple juif avait confirmé par des serments son dévouement envers l’empereur et le gouvernement royal, ces hommes n’avaient pas juré, au nombre de plus de six mille : et comme le roi leur avait infligé une amende, la femme de Phéroras la paya à leur place. En retour de cette marque d’amitié, ils lui prédirent — car la fréquentation de Dieu leur conférait le don de prophétie — que Dieu avait décrété que le trône échapperait à Hérode et à sa race et que la couronne passerait à elle-même, à Phéroras et à leurs enfants. Ces propos, que Salomé avait découverts, étaient rapportés au roi, ainsi que le fait que quelques courtisans s’étaient laissé corrompre. Le roi fit alors périr les plus coupables des Pharisiens, l’eunuque Bagoas et un certain Carus qui l’emportait sur tous ses contemporains par sa beauté et était son mignon ; il fit mourir aussi tous les gens de sa maison qui étaient d’accord avec les Pharisiens. Bagoas avait été entraîné par ceux qui promettaient de l’appeler père et bienfaiteur du roi à désigner, car, disaient-ils, il exercerait tous les pouvoirs et obtiendrait du prince la puissance que lui auraient donnée un mariage et la procréation d’enfants légitimes[11].
[2] Guerre, I, 567-571.
[3] Salomé.
[4] οὐ διακειμένῳ E A M (in margine), οὐ διὰ κενῆς Naber.
[5] ύπονοιών καθισταμένων WE : ἁπονοῶν καθισταμένῳ Niese.
[6] νόμου WE : νόμων Niese.
[7] προσποιούμενον A : προσποιουμένων Niese vulg.
[8] άντιπράσσειν WE : προϋπτειν Niese.
[9] προμηθεΐς κἀκ τοῦ προὔπτου etc., texte suspect.
[10] On se rappelle que Josèphe appartenait lui-même à la secte des Pharisiens. Visiblement il copie ici, sans réflexion, un auteur qui leur était hostile (Nicolas).
[11] Sens douteux.