Préparation évangélique

LIVRE XI

CHAPITRE XVIII
DE NUMÉNIUS SUR LE MÊME SUJET

« Quiconque vent acquérir une connaissance exacte du premier et du second Dieu, doit d’abord définir avec ordre et méthode chacune de ces choses ; ensuite, lorsqu’il croira avoir accompli convenablement ce précédent, il devra s’efforcer d’en parler avec décence, sinon il fera mieux de se taire. S’il venait, en effet, à en parler prématurément, et avant d’avoir fait toutes les dispositions préparatoires, son trésor, suivant le proverbe, ne serait plus que de la cendre. Ne nous exposons donc pas à ce revers. Après avoir invoqué Dieu pour qu’il nous règle lui-même dans cette recherche et qu’il nous découvre le trésor de la pensée méditative, commençons ainsi.

« Il faut, après avoir, prié, définir ainsi :

« Le premier Dieu, existant par lui, est simple, en ce qu’étant compris en lui, il ne peut subir aucune distraction. Le second n’est également qu’un ; mais appliqué à la matière dont le dualisme est le propre, il l’unit, en étant divisé parcelle dont l’instinct est de désirer d’avoir, pour dissiper. En tant qu’il appartient à l’intellect, il aurait voulu se renfermer en lui-même ; mais par le soin qu’il prend de la matière, en la considérant, il cesse de s’occuper de soi-même, et se mettant en contact avec l’être sensible, le cultivant, il contracte dans son propre caractère les qualités de la matière à laquelle il a porté les mains »

Après d’autres choses il ajoute :

« On ne doit donc pas supposer que le premier ait été créateur (Démiurge) ; mais nous devons penser qu’il est père du Dieu créateur, étant le premier Dieu. Si donc, en approfondissant la question du créateur, nous disions que le premier a dû lui préexister ; et que c’est ainsi qu’on peut concevoir qu’il a pu exercer un pouvoir suprême, cette manière d’entrer en discours n’aurait rien que de convenable ; mais si, à l’occasion du même, nous cherchions à comprendre ce qu’est le premier Dieu, je redouterais d’aborder un pareil sujet. Je passerai donc sous silence une semblable matière, et je m’efforcerai de prendre le Commencement de mon discours sous un autre point de vue. Mais avant de le faire, avouons-nous à nous-mêmes, par une confession sincère, que nous entendons que le premier Dieu reste étrangère toute espèce d’œuvre comme Roi, et que c’est le Dieu Démiurge qui gouverne tout, en parcourant le ciel. Lorsque le νοῦς est envoyé dans les régions inférieures, dans ces divagations, c’est par lui que l’intelligence s’approvisionne chez tous les êtres, destinés par leurs facultés à y prendre part. Lorsque le Dieu nous envisage, qu’il s’applique à chacun de nous, alors il arrive aux corps de s’animer et de vivre, le Dieu les réchauffant par ses rayons ; mais s’il détourne ses regards, et les concentre dans sa propre considération, alors les facultés matérielles s’éteignent, mais l’intellect vit en jouissant d’une vie de pure félicité. » Ces paroles sont de Numénius.

Comparez-y ce qui a été, d’ancienne date, chanté par les Hébreux sur le même sujet, et qui est tiré de la prophétie de David.

« O seigneur, combien vos œuvres sont magnifiques ! vous avez tout fait dans la sagesse. La terre s’est couverte de votre création, qui attend tout de vous, pour lui donner les aliments, dans les temps convenables. Leur donnez-vous, ils s’empresseront de récolter ? En ouvrant votre main tout regorgera des dons de votre bonté. Détournez-vous votre visage, la trouble et l’agitation s’en empareront ? Vous leur ôterez la respiration, ils tomberont dans l’anéantissement ; ils rentreront dans la poussière d’où ils sont sortis. Mais vous leur renverrez votre esprit, ils seront récréés, et vous renouvellerez, la face de la terre. »

En quoi cela diffère-t-il de la pensée développée par le philosophe :

« Lorsque le Dieu nous envisage et qu’il s’applique à chacun de nous, alors il arrive aux corps de s’animer et de vivre, le Dieu les échauffant par ses rayons ; mais s’il détourne ses regards et les concentre dans sa propre considération, alors les facultés matérielles s’éteignent. »

Ecoutons encore la parole du Sauveur : « Je suis la vigne, mon père est le vigneron, et vous êtes les pampres (Jean, XV, 1). »

Entendons de nouveau Numénius, professant ses doctrines théologiques sur la seconde cause. Comme il fait parler l’agronome à celui qui cultive, ce rapport se présente d’une manière frappante entre le premier Dieu et le Démiurge. « Le rapport qui existe, dit-il, de l’agronome à celui qui cultive, se présente d’une manière frappante, entre le premier Dieu et le Démiurge. L’être ὁ ὢν, étant le germe de toute âme, jette la semence dans les êtres qui ont en partage de la faire fructifier. Puis le législateur laboure, répartit, laboure une seconde fois dans chacun de nous, ce qui avait été jeté d’avance, venant de dehors. »

Plus loin, en parlant de la manière dont la seconde cause émane de la première, voici en quels termes il s’exprime :

« Quels sont les dons qui, entrant dans le domaine du donataire au détriment du donateur, sont la marque de sa déférence ? Ce sont les richesses de tout genre, argent monnayé, ciselé, au titre ; toutes ces choses sont mortelles et humaines. Les dons divins sont d’une nature telle, qu’étant donnés et venant d’ici pour aller là, ils n’ont rien enlevé du lieu d’où ils sortent, tout en apportant à celui où ils arrivent. Ils enrichissent l’un sans appauvrir l’autre ; bien plus, ils acquièrent une nouvelle valeur par la réminiscence des choses que l’on connaissait auparavant. Ce trésor, si précieux, c’est la science, cette belle acquisition qui vient au secours de celui qui la reçoit, sans rien ravir à celui qui la donne. Ainsi que l’on voit un flambeau s’allumer à un autre flambeau, qui a la lumière dont celui-ci précédemment était privé ; toutefois c’est la matière inflammable dont il est formé, qui a pu recevoir l’éclat lumineux. Il en est de même de la science ; donnée et reçue, elle demeure également dans le donateur et dans l’impétrant. Quelle en est la cause, ô étranger ? c’est qu’elle n’est pas humaine ; c’est que la substance qui possède l’aptitude à la science est la même dans Dieu qui la donne, et dans vous et moi qui là recevons. C’est par cette cause, dit Platon, que la sagesse a été communiquée aux humains, par Prométhée, avec le concours d’un feu étincelant (Platon dans le Philébus, p. 16 de H· Etienne.) »

Il dit encore en continuant :

« Telles sont les manières d’être du premier et du second Dieu : savoir que le premier, persévère dans son immobilité, que le second est toujours en mouvement ; le premier est exclusivement dans les choses intellectuelles ; le second joint à l’intellect ce qui est du ressort de la sensation. Ne soyez donc pas étonné que j’aie ainsi parlé. Vous apprendrez encore des choses plus merveilleuses. A l’opposé du mouvement rapide du second Dieu, j’appellerai mouvement inné, l’immobilité du premier, d’où est sorti l’ordre de l’univers, dont l’influence unique, éternelle et salutaire, s’étend à tous les êtres. »

Dans le 6e livre, après tout ce que nous venons de lire, il ajoute :

« Comme Platon savait que le Démiurge seul était connu des hommes, tandis que le premier, qu’il appelle du nom de νοῦς, leur était complètement inconnu, ce fut la raison pour laquelle il s’est exprimé comme on le ferait en disant : « O humains, celui que vous supposez · être le νοῦς n’est pas le premier Dieu ; mais il est un autre νοῦς, plus ancien que lui et plus divin. »

Il dit encore, après d’autres choses :

« Le pilote· lancé au milieu de l’Océan, assis sur le banc élevé du gouvernail, dirige le navire, sans quitter sa place, par le mouvement qu’il imprime à la barre. Ses yeux et son esprit, tendus vers les régions supérieures de l’air, cherchent dans les météores célestes la direction du chemin qu’il doit faire suivre au navire, flottant sous lui, à travers les mers. De même, le Démiurge enchaînant par l’harmonie, la matière, afin qu’elle ne s’échappe ni ne s’égare, est également assis sur la matière comme sur le vaisseau, dans la mer, pour en diriger l’harmonie par le gouvernail de la pensée ; mais au lieu de fixer ses regards sur le ciel, c’est vers le Dieu suprême qu’il les porte ; et il puise, dans cette contemplation, le discernement de la sagesse, et dans son élan vers lui, la vertu active. »

Le Verbe-Sauveur a dit :

« Le fils ne peut rien faire de lui-même, s’il ne regarde faire son père (Jean, V, 19).

Tout ce que nous venons de citer sur ce sujet est de Numénius, ou plutôt ; ce sont les doctrines propres à Platon, et non pas les siennes qu’il développe ainsi : ce que nous n’avons pas besoin de confirmer par les propres paroles du philosophe. Mais Platon lui-même n’a pas été le premier à en faire usage, et les extraits que nous avons cités des sages des Hébreux, ont clairement prouvé qu’ils l’avaient devancé. Aussi, l’un des derniers philosophes qui se sont rendus célèbres, Amélius, zélé partisan, s’il en fût, de la philosophie platonicienne, tout en nommant barbare le théologien hébreu, qu’il n’a pas daigné désigner sous son nom, n’a pu, cependant, résister à citer les propres expressions de l’évangéliste Jean. Voici en quels termes.

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