1.[1] Avant qu’aucune solution fût intervenue, Malthacé, mère d’Archélaüs, mourut de maladie, et une lettre de Varus, proconsul de Syrie, annonça le soulèvement des Juifs. En effet, sitôt après l’embarquement d’Archélaüs, tout le peuple s’était agité ; Varus, qui se trouvait présent, avait châtié les fauteurs du mouvement et, après avoir à peu près apaisé la rébellion, qui avait été importante, était parti pour Antioche en laissant à Jérusalem une légion de son armée pour brider les velléités de révolte des Juifs. Pourtant, rien ne pouvait faire cesser la sédition. Varus parti, Sabinus, procurateur de l’empereur, resté sur place, tourmentait grandement les révoltés, persuadé que les troupes qu’on lui avait laissées les accableraient sous le nombre. Ayant beaucoup de gardes armés, il s’en servait pour presser les Juifs et, en les agitant, il entretenait la révolte : en effet, il s’efforçait de s’emparer des citadelles par la force et poursuivait avec acharnement la découverte des trésors du roi, poussé par l’appât du gain et une insatiable cupidité.
[1] Sections 1-3 = Guerre, II, 39-54.
2. Quand arriva la Pentecôte — c’est le nom d’une de nos fêtes nationales — tant par dévotion que parce qu’ils supportaient, avec colère les insolences de Sabinus, on vit se réunir plusieurs dizaines de milliers de gens, Galiléens, Iduméens, toute la population de Jéricho, des habitants de la Transjordanie, enfin la plupart des Juifs eux-mêmes qui s’étaient, joints à cette foule et qui désiraient plus fougueusement que les autres le châtiment de Sabinus. S’étant divisés en trois colonnes, ils campèrent en trois endroits : les uns occupaient l’hippodrome ; des deux autres groupes, l’un était posté sous le mur nord du Temple, face au midi, occupant le quartier Est[2], tandis que le troisième groupe gardait le couchant du côté où s’élevait le palais royal. Tout ce dispositif avait pour but d’assiéger les Romains après les avoir encerclés de toutes parts. [256] Sabinus redoutait le nombre et la résolution de ces gens qui ne craignaient pas la mort et n’acceptaient pas d’être vaincus dans une lutte où la victoire leur paraissait un devoir. Il écrivit donc aussitôt à Varus et ne manqua pas, comme il est d’usage en pareil cas, de le supplier de lui porter immédiatement secours, disant que les troupes qu’on lui avait laissées se trouvaient en grand danger et s’attendaient à se voir bientôt prises et massacrées. Quant à lui, s’étant installé dans la plus élevée des tours de la citadelle, nommée Phasaël parce qu’elle avait été bâtie en l’honneur de Phasaël, frère d’Hérode, et appelée de son nom après que les Parthes l’eurent tué, il exhortait les Romains à faire une sortie contre les Juifs ; n’osant pas lui-même descendre au milieu des siens, il trouvait juste que les autres s’exposassent à la mort pour sa cupidité. Les Romains ayant risqué cette sortie, un violent combat s’engagea où les Romains eurent effectivement l’avantage, sans pourtant que le moral des Juifs fût brisé par la vue de leur péril et le grand nombre de leurs morts. Par des mouvements tournants les Juifs escaladèrent les portiques qui entouraient l’enceinte extérieure du Temple et, engageant une lutte violente[3], ils se mirent à lancer des pierres les uns avec leurs mains, les autres à l’aide de frondes, car ils étaient dressés à ce genre de combat. En même temps les archers rangés en bataille causèrent de grandes pertes aux Romains, parce qu’ils étaient très habiles et difficiles à attaquer, étant hors de portée de javelot et pouvant ainsi plus aisément venir à bout de leurs ennemis, pendant longtemps la lutte se poursuivit dans ces conditions. Puis les Romains exaspérés mirent le feu aux portiques à l’insu des Juifs qui y étaient montés ; la flamme, augmentée par beaucoup de matériaux combustibles, atteignit rapidement la toiture. Celle-ci, formée d’une charpente enduite de poix et de cire avec un revêtement d’or également lié par la cire, céda bientôt. Ainsi furent détruits des ouvrages fameux par leur grandeur et leur magnificence tandis que tous les gens qui étaient sur les portiques furent surpris par une catastrophe imprévue. Les uns furent entraînés dans l’écroulement du toit, les autres abattus de toutes parts par l’ennemi ; beaucoup, désespérant du salut, épouvantés par le fléau qui les cernait, se jetèrent d’eux mêmes dans le feu ou se percèrent de leur épée pour y échapper. Tous ceux qui essayaient de se sauver en reculant vers le chemin par lequel ils étaient montés, furent tués par les Romains parce qu’ils étaient sans défense et que leur courage était abattu, sans que leur désespoir pût leur être d’aucun secours puisqu’ils n’avaient aucune arme. De ceux qui avaient escaladé le toit, pas un n’échappa. Et les Romains, s’élançant à travers les flammes par les endroits praticables, s’emparèrent du trésor où étaient les richesses sacrées : beaucoup furent volées par les soldats, tandis que Sabinus s’appropria ouvertement quatre cents talents.
[2] Texte suspect.
[3] Texte altéré (πολλοῖς ἀμάχου γενομένης P. πολλῆς μάχης γεν. ceteri et Naber).
3. Quant aux Juifs, ils étaient également attristés par le deuil de leurs amis tombés dans cette bataille et par le pillage des offrandes. Néanmoins, ceux de leurs éléments qui avaient le plus de cohésion et de valeur vinrent assiéger le palais royal, menaçant de l’incendier et de tuer tous les occupants s’ils ne sortaient sur le champ, mais promettant la vie sauve pour eux et Sabinus s’ils obéissaient à cette injonction. La majorité des troupes royales déserta de leur côté. Mais Rufus et Gratus, qui commandaient à trois mille des meilleurs soldats d’Hérode, hommes solides et entreprenants, et les amenèrent aux Romains, et une partie de la cavalerie qui avait été sous les ordre de Rufus vint aussi renforcer ceux-ci. Pourtant les Juifs, loin de se désintéresser du siège, minaient les remparts et exhortaient les dissidents à ne pas retarder l’heure qui allait leur rendre leur liberté nationale. Sabinus aurait certainement désiré sortir, mais, se souvenant de ses actes, il n’osait se fier à l’ennemi et voyait dans l’excessive générosité des propositions de celui-ci un motif de les rejeter ; en même temps il s’attendait à l’arrivée de Varus, et dans cette pensée, il soutenait le siège.
4.[4] A ce moment il y avait mille autres causes de troubles en Judée, car en maints endroits force individus poussaient à la guerre, soit par espoir de butin, soit par haine des Juifs. Deux mille hommes, qui avaient servi sous Hérode et dont l’engagement était terminé, se réunirent en Judée même pour combattre les troupes royales, tandis qu’Achiab, cousin d’Hérode, leur résistait ; refoulé de la plaine vers les hauteurs par ces guerriers éprouvés, il sauvegarda ce qu’il put, grâce aux difficultés du terrain.
[4] Section 4-5 = Guerre, II, 55-56.
5. Il y avait aussi un certain Judas, fils d’Ézéchias, le redoutable, chef de brigands qui n’avait été pris par Hérode qu’avec les plus grandes peines. Ce Judas, réunit autour de Sepphoris en Galilée une troupe de désespérés et fit une incursion contre le palais royal : s’étant emparé de toutes les armes qui s’y trouvaient, il en équipa ceux qui l’entouraient et emporta toutes les richesses qu’il avait recueillies en cet endroit ; il terrorisait tout le voisinage par ses razzias et ses pillages, visant à une haute fortune et même aux honneurs de la royauté, car il espérait parvenir à cette dignité non par la pratique de la vertu, mais par l’excès même de son injustice.
6.[5] Ajoutons encore Simon, ancien esclave du roi Hérode, bel homme à qui sa haute taille et sa force physique inspiraient grande ambition et confiance. Exalté par le désordre des affaires, il eut l’audace de ceindre le diadème, et après avoir réuni un certain nombre de gens, il se fit proclamer roi par ces fous, se figurant en être plus digne que tout autre ; il brûla le palais de Jéricho, en livra le contenu au pillage et anéantit de même par le feu beaucoup d’autres maisons royales en bien des endroits du pays, tout en laissant ses compagnons piller le contenu. Il aurait fait pis encore si l’on ne s’était hâté de le châtier. Car Gratus, qui avait amené aux Romains les troupes royales, vint attaquer Simon avec toutes les fortes dont il disposait. La bataille fut acharnée et longue ; la plupart des gens de Pérée, manquant de discipline et combattant avec plus d’audace que de science, furent massacrés. Simon lui-même, au moment où il se sauvait dans un défilé, fut pris par Gratus, qui lui fit couper la tête. Le palais d’Amatha sur le fleuve Jourdain fut aussi incendié par une brande analogue à celle de Simon. Tant était grande la démence qui régnait alors dans le peuple, parce qu’il n’avait pas un roi national capable de maintenir tout le monde en paix par son mérite, que les étrangers vertus pour mettre l’ordre et réprimer les séditions ne faisaient que les exciter sournoisement par leur injustice et leur cupidité.
[5] Section 6 = Guerre, II, 57-59.
7.[6] Même un certain Athrongès, qui n’était pourtant illustre ni par la noblesse de ses ancêtres ni par la grandeur de son mérite ni par l’abondance de ses richesses et qui n’était qu’un simple berger, absolument inconnu de tout le monde et seulement remarquable par sa haute stature et la force de ses bras, osa aspirer à une royauté dont l’acquisition lui donnerais la joie de sévir davantage : s’il devait mourir, il faisait bon marché de sa vie qu’il était prêt à sacrifier pour ce but. Il avait quatre frères[7], eux aussi de grande taille et confiants pour leur succès dans la force de leurs bras ; il les regardait comme le rempart de sa royauté et chacun d’eux commandait un corps de troupes, car une grande foule s’était rassemblée autour d’eux. Ces hommes étaient ses généraux et se battaient pour lui tout, en opérant à leur gré. Quant à lui, couronné d’un diadème, il tenait conseil sur ses affaires et réglait tout souverainement. Cet homme garda longtemps sa puissance, portant le titre de roi et libre d’agir à sa guise. Ses frères et lui s’appliquaient. à massacrer beaucoup de Romains et de soldats du roi, animés de la même haine contre les uns et les autres, détestant les derniers à cause des violences qu’ils avaient commises sous le règne d’Hérode, et les Romains pour les injustices qu’on leur attribuait présentement. Plus le temps passait, plus s’exaspérait leur sauvagerie ; il n’y avait moyen pour personne de leur échapper, en raison soit de leur cupidité, soit de leur habitude du meurtre. Ils tendirent même un jour près d’Emmaüs une embuscade à une troupe de Romains qui envoyait les vivres et les armes de l’armée ; ayant réussi à envelopper ce détachement, ils percèrent de flèches le centurion Arius qui le commandait et quarante de ses plus vaillants fantassins ; les survivants, effrayés par leur malheur, se sauvèrent sous la protection de Gratus et des soldats du roi qui l’entouraient et abandonnèrent les cadavres. Cette guerre d’escarmouches se prolongea longtemps, faisant beaucoup d’ennuis aux Romains et beaucoup de mal à leur propre peuple. Finalement ces chefs furent pris, l’un dans un combat avec Gratus, l’autre par Ptolémée ; l’aîné des frères[8] était tombé aux mains d’Archélaüs. Le dernier, survivant, affligé par le malheureux sort de celui-ci, voyant qu’il ne lui fallait plus désormais espérer de salut à cause de son isolement et de son épuisement, abandonné par son armée, se rendit à Archélaüs sous la foi du serment et de la protection divine. Mais ce dénouement ne se produisit que plus tard.
[6] Section 7 = Guerre, II, 60-65.
[7] Au § 284, il semble bien qu'il n'y eût que quatre frères. Guerre, II, 60 et 64 présentent la même contradiction (G. Mathieu).
[8] Sans doute Athrongès.
8. A ce moment donc la Judée était pleine de brigands et, dès que l’un d’entre eux avait réuni autour de lui une troupe de séditieux, il se proclamait roi et se lançait à l’assaut de sa nation, car s’ils ne s’attaquaient que rarement aux Romains et leur causaient peu de dommages, en revanche ils faisaient un très grand carnage de leurs compatriotes.
9.[9] Dès qu’il eut été informé de l’état des affaires par la lettre de Sabinus, Varus, inquiet pour sa légion, prit avec lui les deux autres — il y en avait trois en tout en Syrie — quatre ailes de cavalerie et tous les auxiliaires que lui fournirent alors les rois ou certains tétrarques, et il se hâta d’aller au secours de ceux qui étaient assiégés en Judée. Tous les détachements qu’il avait envoyés en avant avaient l’ordre de gagner vivement Ptolémaïs. Les gens de Béryte, quand il traversa leur territoire, lui fournirent encore quinze cents auxiliaires. Arétas de Pétra, que sa haine contre Hérode avait rendu l’ami des Romains, lui envoya une grande force de fantassins et de cavaliers. Une fois toutes ces troupes concentrées à Ptolémaïs, Varus en confia une partie à son fils et à un de ses familiers et les envoya combattre les Galiléens qui habitent la région limitrophe de Ptolémaïs. Le fils de Varus fondit sur les ennemis, les mit en fuite et s’empara de Sepphoris, y mit le feu et vendit les habitants comme esclaves. Varus lui-même, partant avec toute son armée en direction de Samarie, épargna la ville parce qu’elle n’avait pas mérité le reproche d’avoir participé à la révolte ; mais il campa dans une bourgade appartenant à Ptolémée[10] et, nommée Arous. Or, les Arabes l’incendièrent par haine d’Hérode et aussi de ses amis, partant de là les Arabes pillèrent une autre localité nommée Sampho et la brûlèrent, bien qu’elle fût très forte et dans une assiette solide. Pendant toute leur marche rien ne fut épargné et ils portèrent, partout le feu et le fer. On incendia aussi Emmaüs sur l’ordre de Varus, pour venger ceux qui y avaient été tués : le village avait été précédemment évacué par les habitants. De là Varus touchait presque Jérusalem, et ceux des Juifs qui campaient de ce côté là pour assiéger la légion lâchèrent pied à la vue de ces renforts et se retirèrent sans poursuivre le siège. Quant aux Juifs de Jérusalem que Varus réprimandait avec véhémence, ils se défendirent contre ses accusations en prétendant que c’était à cause de la fête que le peuple s’était rassemblé, que la guerre n’avait pas été provoquée par leur volonté, mais par l’audace des gens venus du dehors ; eux-mêmes s’étaient réunis aux Romains et avaient été assiégés avec ceux-ci bien plutôt qu’ils n’avaient désiré les assiéger. Déjà s’étaient présentés à Varus Josèphe, cousin du roi Hérode, Gratus et Rufus amenant leurs soldats et les Romains qui avaient été assiégés. Mais Sabinus ne vint pas voir Varus et quitta secrètement la ville pour le bord de la mer.
[9] Sections 9-10 = Guerre, II, 66-79.
[10] Le frère de Nicolas de Damas ?
10. Varus détacha dans le pays une partie de son armée pour rechercher les fauteurs de la rébellion. De ceux qu’on dénonça il fit châtier les uns comme principaux responsables et relâcha les autres ; il y eut deux mille personnes crucifiées pour cette affaire. Ensuite il renvoya son armée qui ne lui semblait plus utile en rien ; d’ailleurs, les soldats avaient commis beaucoup de désordres et avaient enfreint même les consignes de Varus dans le désir des gains que leur procuraient leurs méfaits. Ayant appris que dix mille Juifs s’étaient rassemblés, Varus se hâta d’aller les surprendre. Mais ils n’osèrent pas en venir aux mains et, se rangeant au conseil d’Achiab, ils se rendirent. Pardonnant à la masse les fautes qu’elle avait commises en se révoltant, Varus envoya les chefs à l’empereur. Celui-ci remit en liberté la plupart d’entre eux et châtia seulement les parents d’Hérode qui s’étaient joints à l’insurrection, parce qu’ils avaient lutté contre leurs proches sans nul souci de la justice.