« Si l’on veut se servir de termes plus clairs, on sera fondé à dire que l’univers intellectuel n’est pas autre chose que le Verbe de Dieu apparaissant dans l’œuvre de la création. Une ville, dans la pensée, ne saurait être autre chose que la conception de l’architecte, qui conçoit mentalement le plan d’une ville à construire, et cette doctrine ne m’appartient pas, c’est celle de Moïse. Décrivant en effet la création de l’homme, il déclare ouvertement dans ce qui suit, qu’il a été formé à l’image de Dieu ; or, si la partie n’est qu’une image, on doit croire également que l’ensemble est une imitation dans son espèce ; puis donc que l’univers entier l’emporte de beaucoup sur la substance de l’homme, il ne peut être que l’imitation d’une image divine : et le sceau archétype que nous nommons univers intellectuel est le Paradigme, ou l’idée archétype de toute idée, en un mot le Verbe divin. Moïse dit qu’au commencement, Dieu fit le ciel et la terre, prenant le commencement non dans le sens où le prennent, certains interprètes, c’est-à-dire dans le temps. Le temps en effet, n’avait pas d’existence avant l’univers ; mais le temps a, ou apparu simultanément à l’univers, ou postérieurement à lui : le temps n’est que l’intervalle qui se remarque dans le mouvement de l’univers. Avant la chose mue, il n’y a pas de mouvement possible : il y a donc ou une postériorité nécessaire dans le mouvement, comparativement à l’univers, ou tout au plus une création simultanée ; donc, le temps est nécessairement ou le contemporain de l’univers, ou même une production à posteriori : il serait, en effet, contre toute philosophie, de lui attribuer une existence antécédente. D’après ces données, si le commencement est pris ici en dehors du temps, il sera conséquent de ne l’expliquer que d’un commencement numérique : en sorte que ces expressions : Dieu fit au commencement, équivalent à Dieu fit en premier lieu le ciel· »
Ensuite il dit : « Le créateur fit donc d’abord un ciel incorporel, une terre invisible, l’idée archétype de l’air et du vide, dont il appelle l’une les ténèbres, parce que l’air est noir par nature ; l’autre, l’abîme, parce qu’il a une profondeur indicible, qu’il est vide et béant. Ensuite il créa la substance incorporelle de l’eau et de l’esprit ; et après toutes ces choses, la septième substance créée fut la lumière, qui était également incorporelle, savoir le paradigme intellectuel du soleil, ainsi que de tous les astres lumineux qui devaient briller dans le ciel. L’ordre de priorité fut accordé à l’esprit (πνεῦμα), puis à la lumière. L’un fut nommé esprit de Dieu, parce que l’esprit est ce qu’il y a de plus vivace, et que Dieu est l’auteur de la vie ; l’autre fut nommé lumière, à cause de sa beauté incomparable. Or, la lumière intellectuelle l’emporte autant en éclat et en perspicacité sur la lumière visible, que le fait le soleil sur les ténèbres, le jour sur la nuit, et l’intelligence qui juge les sensations, et qui dirige l’âme entière, sur les yeux du corps. Cette lumière invisible, mais intellectuelle, devint l’image du Verbe divin, qui nous a enseigné lui-même sa génération ; c’est l’astre qui luit au-delà des cieux, c’est la source des astres qui frappent nos sens, que sans crainte de s’égarer, on peut nommer παναύγεια, le centre de toute clarté. C’est là que le soleil, la lune, les étoiles fixes et errantes puisent, en raison de leur force respective, les feux qu’ils nous lancent, qui ne sont qu’une pâle lueur de ce faisceau de lumière pure et sans mélange, qui s’affaiblit à mesure qu’il commence à passer de l’état intellectuel à l’état sensible : rien de tout ce qui est soumis aux sens n’est pur. »
Après quelques phrases il ajoute :
« Lorsque la lumière eut été introduite, et que les ténèbres reculèrent et se retirèrent devant elle, des bornes furent placées entre ces deux extrêmes : le crépuscule du-soir et l’aurore ; et ainsi s’accomplit aussitôt pour la mesure indispensable du temps, ce que le créateur nomma avec raison Jour, non le premier, mais un jour : ainsi appelé pour marquer l’indivisibilité de l’univers intellectuel, dont la monade constitue l’essence. Là, le monde incorporel fondé sur le Verbe divin prit fin, et le monde sensible s’élabora et se compléta sur le modèle du premier. Le créateur fit alors la première et la plus excellente de toutes ses parties : le ciel, qu’il nomma avec raison du nom de firmament ou solide (στερέωμα), comme ayant une existence corporelle : tout corps, en effet, est un solide doué des trois dimensions. Quelle autre notion pouvons-nous concevoir en effet, d’un corps, que celle d’un solide borné sur toutes les faces ? Il était donc d’une parfaite raison, qu’en opposant l’intellectuel et l’incorporel au sensible et au corporel, on appelât ce dernier du nom de solide ou firmament. »
Clément partage entièrement les idées de Philon, dans le sixième livre des Stromates, en ces termes :