- Doit-elle être comptée parmi les dons du Saint-Esprit ?
- Quel est son siège dans l'homme ?
- Est-elle seulement spéculative, ou bien est-elle aussi pratique ?
- La sagesse, qui est un don, peut-elle coexister avec le péché mortel ?
- Existe-t-elle chez tous ceux qui ont la grâce sanctifiante ?
- - 6. Quelle béatitude lui correspond ?
Objections
Non, semble-t-il. En effet, les dons sont plus parfaits que les vertus, nous l'avons dit précédemment. Or la vertu ne se réfère qu'au bien, ce qui a fait dire à S. Augustin que « personne ne fait un mauvais usage des vertus ». À plus forte raison en est-il ainsi des dons du Saint-Esprit, qui ne se réfèrent qu'au bien. Mais la sagesse se réfère aussi au mal. S. Jacques (Jacques 3.15) parle d'une sagesse « terrestre, animale, diabolique ». La sagesse ne doit donc pas être placée parmi les dons du Saint-Esprit.
2. D'après S. Augustin, « la sagesse est la connaissance des choses divines ». Or la connaissance des choses divines dont l'homme est naturellement capable relève de la sagesse, qui est une vertu intellectuelle. Quant à la connaissance surnaturelle des choses divines, elle appartient à la foi qui est une vertu théologale, nous l'avons montré antérieurement. On devrait donc appeler la sagesse une vertu plutôt qu'un don.
3. Nous lisons au livre de Job (Job 28.28) : « La crainte du Seigneur, voilà la sagesse :; s'écarter du mal, voilà l'intelligence. » Quant au texte des Septante utilisé par S. Augustin, il porte : « La piété, voilà la sagesse. » Or, la crainte aussi bien que la piété sont déjà placées parmi les dons du Saint-Esprit. Il n'y a donc pas lieu de compter la sagesse comme un don différent des autres.
En sens contraire, nous lisons en Isaïe (Ésaïe 11.2) : « Sur lui reposera l'esprit du Seigneur, esprit de sagesse et d'intelligence, etc. »
Réponse
Selon le Philosophe, il revient au sage de considérer la cause la plus élevée par laquelle on peut juger de tout avec une grande certitude et d'après laquelle il faut tout ordonner. Or, la cause la plus élevée peut s'entendre d'une double façon : ou bien d'une manière absolue ou bien dans un certain domaine. Celui qui connaît la cause la plus élevée dans un domaine, peut grâce à elle juger et ordonner tout ce qui appartient à cet ordre de choses. Il est sage en ce domaine, par exemple en médecine ou en architecture. « Comme un sage architecte, j'ai posé les fondations », écrit S. Paul (1 Corinthiens 3.10). Mais celui qui connaît d'une manière absolue la cause la plus élevée qui est Dieu, on dit qu'il est sage absolument, en tant qu'il peut juger et ordonner toutes choses selon les règles divines. Or, c'est le Saint-Esprit qui donne à l'homme d'avoir un tel jugement. « L'homme spirituel juge toutes choses », selon S. Paul, car « l'Esprit scrute tout, jusqu'aux profondeurs divines » (1 Corinthiens 2.15). Il est donc évident que la sagesse est un don du Saint-Esprit.
Solutions
1. On parle du bien de deux façons. D'une première façon, le bien est ce qui est vraiment bien et absolument parfait. D'une autre façon, par similitude, on dira qu'un être est bon lorsqu'il est parfait en malice. Ainsi on parlera d'un « bon voleur » ou d'un « parfait voleur », comme le montre Aristote. Et de même qu’il existe une cause suprême dans le domaine des êtres vraiment bons, et c'est le souverain bien, fin ultime dont la connaissance rend l'homme vraiment sage ; de même il existe dans le domaine des êtres mauvais un être auquel les autres réfèrent comme à la fin ultime. L'homme qui connaît est un sage pour faire le mal. « Ils sont sages pour faire le mal, mais ils ne savent pas faire le bien », dit Jérémie (Jérémie 4.22). Quiconque en effet se détourne de la fin requise se donne nécessairement une fin mauvaise, parce que tout agent agit en vue de la fin. Quand on met sa fin dans biens terrestres, la sagesse est « une sagesse terrestre » ; si c'est dans les biens corporels, la sagesse est « une sagesse animale » ; si c'est dans quelque supériorité, la sagesse est « une sagesse diabolique », car on imite l'orgueil du diable qui est (Job 41.26) « le roi de tous les fils de l'orgueil ».
2. La sagesse comptée parmi les dons du Saint-Esprit est différente de celle qui est comptée comme une vertu intellectuelle acquise. Car celle-ci s'obtient par l'effort humain, et celle-la, au contraire « descend d'en-haut », comme dit S. Jacques (Jacques 3.15). Elle diffère aussi de la foi, car la foi donne son assentiment à la vérité divine considérée en elle-même, tandis que c'est le jugement conforme à la vérité divine qui est le fait du don de sagesse. Et c'est pourquoi le don de sagesse présuppose la foi, car « chacun juge bien ce qu'il connaît », dit le Philosophe.
3. La piété qui relève du culte divin, manifeste notre foi en tant que nous professons cette foi en rendant un culte à Dieu ; c'est de la même manière que la piété manifeste la sagesse. Voilà pourquoi l'on dit que « la piété est sagesse ». Il en est de même pour la crainte. En effet, l'homme montre qu'il a un jugement juste en ce qui concerne les choses divines, parce qu'il craint et honore Dieu.
Objections
1. Il ne semble pas qu'elle réside dans l'intelligence, car pour S. Augustin « la sagesse est la charité de Dieu ». Mais la charité a son siège dans la volonté et non pas dans l'intelligence, comme on l'a vu plus haut. Donc la sagesse n'a pas son siège dans l'intelligence.
2. « La sagesse qui instruit justifie son nom » (Ecclésiastique 6.22). Or, la sagesse s'appelle ainsi (sapientia) parce qu'elle est une science savoureuse (sapida scientia), ce qui semble relever du sentiment, auquel il appartient d'éprouver les joies et douceurs spirituelles. La sagesse n'a donc pas son siège dans l'intelligence, mais plutôt dans le sentiment.
3. La puissance intellectuelle est pleinement perfectionnée par le don d'intelligence. Et quand une chose suffit pour en parfaire une autre, il est inutile d'en supposer plusieurs. La sagesse n'a donc pas son siège dans l'intelligence.
En sens contraire, selon S. Grégoire, la sagesse est contraire à la sottise. Mais la sottise est dans l'intelligence. Donc aussi la sagesse.
Réponse
La sagesse, nous venons de le dire, implique que l'on juge avec une certaine rectitude selon les raisons divines. Mais cette rectitude de jugement peut exister de deux façons : ou bien en raison d'un usage parfait de la raison ; ou bien en raison d'une certaine connaturalité avec les choses sur lesquelles porte le jugement. Ainsi, en ce qui regarde la chasteté, celui qui apprend la science morale juge-t-il bien par suite d'une enquête rationnelle ; tandis que celui qui a l'habitus de chasteté en juge bien par une certaine connaturalité avec elle. Ainsi donc, en ce qui regarde le divin, avoir un jugement correct, en vertu d'une enquête de la raison, relève de la sagesse, qui est une vertu intellectuelle. Mais bien juger des choses divines par mode de connaturalité relève de la sagesse en tant qu'elle est un don du Saint-Esprit. Denys, parlant d'Hiérothée, dit de lui qu'il est parfait en ce qui concerne le divin « non seulement parce qu'il l'a appris, mais parce qu'il l'a éprouvé ». Cette sympathie ou connaturalité avec le divin nous est donnée par la charité qui nous unit à Dieu selon S. Paul (1 Corinthiens 6.17) : « Celui qui s'unit à Dieu est avec lui un seul esprit. » Ainsi donc, la sagesse qui est un don a pour cause la charité qui réside dans la volonté ; mais elle a son essence dans l'intelligence, dont l'acte est de bien juger, comme on l'a vu antérieurement.
Solutions
1. S. Augustin parle ici de la sagesse quant à sa cause. C'est de celle-ci qu'elle tient son nom de sagesse, selon qu'elle comporte une certaine saveur.
2. Cela éclaire la réponse à la deuxième objection, si cependant c'est bien le sens qu'il faut donner à ce texte. Il ne le semble pas, parce qu'une telle explication ne convient à la sagesse que selon son nom latin. En grec, ni peut-être en d'autres langues, cela ne va pas. Aussi semble-t-il plutôt que le mot sagesse est pris ici pour la réputation qu'elle possède aux yeux de tous.
3. L'intelligence a deux activités : elle perçoit et elle juge. A la première de ces activités est ordonné le don d'intelligence ; à la seconde, selon les valeurs divines, le don de sagesse, et, en ce qui concerne les valeurs humaines, le don de science.
Objections
1. Il semble que la sagesse ne soit pas pratique, mais seulement spéculative. En effet, le don de sagesse dépasse en excellence la sagesse considérée comme vertu intellectuelle. Or, comme vertu intellectuelle, la sagesse est uniquement spéculative. Donc, à plus forte raison, le don de sagesse est-il d'ordre spéculatif et non d'ordre pratique.
2. L'intelligence pratique concerne les actions à faire, qui sont contingentes. Mais la sagesse concerne le divin, qui est éternel et nécessaire. Donc la sagesse ne peut pas être pratique.
3. Selon S. Grégoire, « dans la contemplation on cherche le principe, qui est Dieu ; dans l'action au contraire, on peine sous le fardeau de la nécessité ». Or, la sagesse s'occupe de la vision du divin qui n'est pas un labeur écrasant ; comme dit le livre de la Sagesse (Sagesse 8.16) : « Sa société ne cause pas d'amertume ni son commerce, d'ennui. » La sagesse est donc uniquement contemplative, elle n'est ni pratique ni active.
En sens contraire, il est écrit dans l'épître aux Colossiens (Colossiens 4.5) : « Conduisez-vous en toute sagesse à l'égard de ceux du dehors. » Cela relève bien de l’action. Donc la sagesse n’est pas seulement spéculative, mais aussi pratique.
Réponse
Selon S. Augustin, la partie supérieure de la raison est consacrée à la sagesse, et sa partie inférieure à la science. Or la raison supérieure, toujours selon S. Augustin, porte son attention sur les valeurs suprêmes « pour les considérer et les consulter ». Pour les considérer en ce qu'elle contemple le divin en lui-même ; pour les consulter en ce qu'à partir du divin elle juge les activités humaines, qu'elle dirige selon les règles divines. Ainsi donc, la sagesse comme don n'est pas seulement spéculative, mais aussi pratique.
Solutions
1. Plus une vertu est élevée, plus son domaine est étendu, d'après le livre Des Causes. C'est pourquoi, du fait que la sagesse comme don est plus excellente que la sagesse comme vertu intellectuelle, puisqu'elle atteint Dieu de beaucoup plus près en raison de l'union qui s'établit entre l'âme et lui, elle a le pouvoir de diriger non seulement la contemplation, mais aussi l'actions.
2. Le divin en lui-même est nécessaire et éternel. Cependant il règle les affaires contingentes qui sont la matière des actes humains.
3. Il faut considérer une chose en elle-même avant de la comparer à une autre. C'est pourquoi la contemplation du divin appartient d'abord à la sagesse, qui est la vision du principe ; ultérieurement il lui appartient de diriger les actes humains selon les valeurs divines. Mais la sagesse n'apporte ni amertume ni labeur aux actes humains queue dirige. À cause d'elle au contraire, l'amertume se tourne plutôt en douceur, et le labeur en repos.
Objections
1. Il semble que oui. En effet, les saints se glorifient avant tout de ces choses qui ne peuvent coexister avec le péché mortel, selon S. Paul, qui dit (2 Corinthiens 1.12) : « Notre gloire, c'est le témoignage de notre conscience. » Mais nul ne doit se glorifier de sa sagesse, selon Jérémie (Jérémie 9.23) : « Que le sage ne se glorifie pas de sa sagesse. » Donc la sagesse peut exister sans la grâce, en compagnie du péché mortel.
2. La sagesse comporte une connaissance du divin, nous venons de le voir. Mais on peut avoir une connaissance de la vérité divine, même avec le péché mortel, si l'on en croit S. Paul (Romains 1:18) : « Ils tiennent la vérité divine captive de l'injustice. » La sagesse peut donc coexister avec le péché mortel.
3. Parlant de la charité, S. Augustin écrit : « Il n'y a rien de plus excellent que ce don de Dieu ; il est le seul à séparer les fils du royaume éternel et les fils de la perdition éternelle. » Or la sagesse est distincte de la charité ; elle ne sépare donc pas les fils du Royaume et les fils de la perdition. Donc elle peut coexister avec le péché mortel.
En sens contraire, on lit au livre de la Sagesse (Sagesse 1.4) : « La sagesse n'entrera pas dans une âme de mauvaise volonté, et n'habitera pas dans un corps soumis au péché. »
Réponse
La sagesse, don du Saint-Esprit, permet de juger correctement le divin, comme on l'a dit , et les autres choses à partir des règles divines, en vertu d'une certaine connaturalité ou union avec le divin. Ce qui se réalise par la charité, nous l'avons dit. C'est pourquoi la sagesse dont nous parlons présuppose la charité. Or la charité ne peut pas exister en même temps que le péché mortel, comme nous l'avons montré plus haut. Aussi faut-il conclure que la sagesse dont nous parlons ne peut coexister avec le péché mortel.
Solutions
1. Cette parole doit s'entendre de la sagesse qui concerne les choses du monde, ou les choses divines, mais jugées à partir des raisons humaines. De cette sagesse les saints ne se glorifient pas, mais ils avouent ne pas la posséder, selon cette parole des Proverbes (Proverbes 30.2) : « La sagesse des hommes n'est pas en moi. » Mais ils se glorifient de la sagesse divine, selon S. Paul (1 Corinthiens 1.30) : « Le Christ est devenu pour nous sagesse de Dieu. »
2. Il s'agit ici de la connaissance du divin que l'on obtient par une étude et une enquête de la raison. Elle peut coexister avec le péché mortel. Tel n'est pas le cas de la sagesse dont nous parlons.
3. Si la sagesse diffère de la charité, elle la suppose cependant. C'est pourquoi elle sépare les fils de la perdition et les fils du Royaume.
Objections
1. Il ne semble pas. Car il vaut mieux posséder la sagesse que l'écouter. Or, il n'appartient qu'aux parfaits d'écouter la sagesse, selon cette parole de S. Paul (1 Corinthiens 2.6) : « Nous parlons sagesse parmi les parfaits. » Ainsi donc, puisque tous ceux qui sont en état de grâce ne sont pas parfaits, il semble beaucoup moins vrai encore que tous ceux qui sont en état de grâce possèdent la sagesse.
2. « Il appartient au sage d'ordonner », d'après Aristote. Et S. Jacques (Jacques 3.17) dit que « la sagesse juge sans hypocrisie ». Mais il n'appartient pas à tous ceux qui ont la grâce de juger les autres ou de leur donner des ordres, mais seulement aux prélats. Ceux qui sont en état de grâce ne possèdent donc pas tous la sagesse.
3. « La sagesse nous est donnée contre la sottise », dit S. Grégoire. Or il y a beaucoup de gens ayant la grâce, qui sont sots par nature. Le cas est net par exemple pour ceux qui, lors de leur baptême étaient déjà en état de démence, ou pour ceux qui ensuite, sans commettre de péché, sont devenus fous. Ainsi donc, la sagesse n'existe pas forcément chez tous ceux qui sont en état de grâce.
En sens contraire, celui qui est sans péché mortel est aimé de Dieu, car ayant la charité il aime Dieu, et « Dieu aime ceux qui l'aiment » (Proverbes 8.17). Or, d'après le livre de la Sagesse (Sagesse 7.28) : « Dieu n'aime que celui qui habite avec la Sagesse. » Donc, chez tous ceux qui sont en état de grâce et qui sont sans péché mortel, il y a la sagesse.
Réponse
La sagesse dont nous parlons comporte une certaine rectitude de jugement en ce qui concerne le divin à considérer et à consulter, nous venons de le dire.
À ce double point de vue, les hommes obtiennent la sagesse à des degrés divers, selon leur union à Dieu. En effet, certains possèdent, en fait de jugement droit, aussi bien dans la contemplation du divin que dans l'organisation des affaires humaines selon les règles divines, uniquement ce qui est nécessaire au salut. Cette sagesse ne manque à personne qui soit sans péché mortel, par la grâce qui rend agréable à Dieu ; car, si la nature n'échoue jamais pour ce qui est nécessaire, la grâce y échoue beaucoup moins encore. C'est pourquoi, dit S. Jean (1 Jean 2.27) : « L'onction vous enseignera toutes choses. »
Mais certains reçoivent le don de sagesse à un degré plus élevé. D'abord pour la contemplation des choses divines, dans la mesure où ils pénètrent les mystères les plus profonds et où ils peuvent les manifester aux autres. Et aussi pour la direction des choses humaines selon les règles divines, dans la mesure où ils peuvent non seulement se gouverner eux-mêmes selon ces règles, mais encore gouverner les autres. Ce degré de sagesse n'est pas commun à tous ceux qui sont en état de grâce, il est du domaine des grâces gratuites que le Saint-Esprit « distribue comme il veut », selon S. Paul (1 Corinthiens 12.8) : « À l'un c'est une parole de sagesse qui est donnée par l'Esprit, etc. »
Solutions
1. L'Apôtre parle ici de la sagesse qui s'étend au mystère caché des choses divines, comme il l'explique au même endroit (1 Corinthiens 2.7) : « Ce dont nous parlons, c'est d'une sagesse divine, mystérieuse et demeurée cachée. »
2. Quoiqu'il appartienne aux seuls prélats de donner des ordres aux autres hommes et de les juger, il appartient cependant à tout homme d'ordonner ses propres actes et de porter un jugement sur eux, comme le montre Denys.
3. Ceux qui sont baptisés sans avoir la raison, comme les enfants, ont cependant l'habitus de sagesse, selon qu'il est un don du Saint-Esprit. Mais ils n'en possèdent pas encore l'acte, à cause de l'obstacle corporel qui empêche en eux l'usage de la raison.
Objections
1. Il semble que la septième béatitude ne corresponde pas au don de sagesse. Cette béatitude dit : « Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu. » Ces deux termes ressortissent immédiatement à la charité. Car on dit dans le Psaume (Psaumes 119.165) : « Il y a une grande paix pour ceux qui aiment ta loi. » De son côté S. Paul a écrit (Romains 5.5) : « L'amour de Dieu a été diffusé dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné », lui qui est « l'Esprit d'adoption des fils, lui qui nous fait crier : ‘Abba, Père’ » (Romains 8.15). La septième béatitude doit donc être attribuée à la charité plutôt qu'à la sagesse.
2. Tout être se manifeste davantage par son effet prochain que par son effet éloigné. Or, l'effet prochain de la sagesse semble bien être la charité, selon cette parole (Sagesse 7.27) sur la Sagesse : « Elle se répand à travers les nations dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophètes. » Quant à la paix et à l'adoption des fils, qui procèdent de la charité, on l'a dit, ce sont, semble-t-il, des effets éloignés de la sagesse. La béatitude qui répond à la sagesse devrait donc être déterminée selon l'amour de charité plutôt que selon la paix.
3. D'après S. Jacques (Jacques 3.17) : « La sagesse d'en-haut est premièrement pure, ensuite pacifique, discrète, compréhensive, conciliante, pleine de miséricorde et féconde en bonnes œuvres, sans partialité, sans hypocrisie. » La béatitude qui correspond à la sagesse ne doit donc pas être comprise selon la paix plutôt que selon les autres effets de la sagesse divine.
En sens contraire, d'après S. Augustin, « la sagesse convient aux pacifiques en qui l'on ne trouve aucun mouvement rebelle, mais l'obéissance à la raison ».
Réponse
La septième béatitude s'adapte très bien au don de sagesse, quant au mérite et quant à la récompense. Au mérite se rattache la parole : « Heureux les artisans de paix. » On appelle ainsi ceux qui font la paix, en eux ou chez les autres. Or, faire la paix, c'est ramener les choses à l'ordre qui convient ; la paix est en effet « la tranquillité de l'ordre », selon S. Augustin. Et comme mettre de l'ordre est du ressort de la sagesse, dit Aristote, il en résulte que la qualité d'artisan de paix est attribuée à la sagesse.
À la récompense se rattache la suite : « Ils seront appelés fils de Dieu. » On appelle certains « fils de Dieu » en tant qu'ils participent d'une similitude avec le Fils unique selon la nature divine, comme dit S. Paul (Romains 8.29) : « Il les a prédestinés à reproduire l'image de son Fils », qui est la Sagesse engendrée. Et c'est pourquoi, par la participation du don de sagesse, l'homme parvient à devenir fils de Dieu.
Solutions
1. Il appartient à la charité de posséder la paix ; mais il appartient à la sagesse ordonnatrice de faire la paix. De même l'Esprit Saint reçoit la dénomination d'Esprit d'adoption en tant qu'il nous donne une ressemblance avec le Fils selon la nature, qui est la Sagesse engendrée.
2. Cela doit s'entendre de la Sagesse incréée qui s'unit à nous d'abord par le don de l'amour, et de ce fait nous révèle les mystères, dont la connaissance constitue la sagesse infuse. C'est pourquoi la sagesse infuse, qui est un don, n'est pas la cause de la charité, mais plutôt son effet.
3. Comme nous l'avons dit récemment, il appartient à la sagesse, qui est don, non seulement de contempler le divin, mais aussi de régler les actes humains. Dans cette régulation se présente d'abord l'éloignement des maux qui sont contraires à la sagesse. C'est pourquoi l'on dit que la crainte est « le commencement de la sagesse », parce qu'elle nous fait fuir les maux. Au terme, par manière de fin, tout est ramené à l'ordre qui convient, ce qui relève de la paix. C'est pourquoi S. Jacques a très bien dit que la sagesse d'en haut qui est don de l'Esprit Saint, premièrement est pure, parce queue évite la corruption du mal ; et qu'elle est ensuite pacifique, ce qui correspond à son effet dernier. C'est pourquoi on lui attribue la béatitude. Ce qui suit dans la citation de S. Jacques montre bien que la sagesse ramène à la paix dans l'ordre qui convient. À celui qui, par la pureté, s'écarte de la corruption, la sagesse se présente d'abord pour qu'il garde la mesure en tout, autant qu'il le peut par lui-même ; en cela elle est dite discrète. Deuxièmement, elle le rend attentif aux conseils des autres, pour ce qui le dépasse ; en cela elle est dite compréhensive. Deux qualités qui permettent à l'homme d'établir la paix en lui-même.
Mais ensuite, pour que l’homme soit en paix avec les autres, il faut d’abord qu’ils ne s’oppose pas au bien des autres ; en cela, la sagesse est dite conciliante. Ensuite, qu’il compatisse par son affection et subvienne par son action aux déficiences d'autrui ; en cela la sagesse est dite pleine de miséricorde et féconde en bonnes œuvres. Enfin, il est nécessaire qu'il s'efforce de corriger les péchés avec charité, et en cela la sagesse est dite sans partialité et sans hypocrisie, car en cherchant la correction, il ne doit pas chercher à apaiser sa haine.