« Allons donc, et si Dieu mérite que nous l’invoquions jamais, c’est bien sans ce moment que nous devons le faire, lorsque nous nous proposons de démontrer qu’il est des Dieux : invoquons le donc avec zèle, et saisissons-nous de cette pensée, comme d’un cordage sûr, pour nous élever à la démonstration. Il me semble, après y avoir mûrement réfléchi, que le plus sûr moyen d’y parvenir sera de répondre à des questions qu’on se sera posées, ainsi qu’il suit. En conséquence, ô étranger, lorsque l’on me dit : serait-il vrai que tout est immobile et qu’il n’y a aucun mouvement dans l’univers ; ou bien, serait-ce la proposition contraire ; ou enfin dirons-nous que certaines choses sont en mouvement, tandis que les autres sont fixes ; je répondrai que les unes sont mues, les autres sont immobiles. Est-ce dans un lieu quelconque, que les choses immobiles sont privées de mouvement, et que celles qui sont mues cèdent à leur impulsion ? Dans un lieu quelconque. Comment en serait-il autrement ? dirons-nous que les unes reposent sur une base unique, en accomplissant leur révolution, tandis que les autres s’appuient sur plusieurs points ? ne voulez-vous pas parler, dirons-nous, des corps qui, prenant leur point d’appui sur un centré, n’opéreront leur révolution que dans un même lieu, car c’est ainsi que s’accomplit celle des sphères, qui ont le nom de fixes ? Oui. »
A la suite, il ajoute :
« Adressons-nous donc encore de la même manière, des demandes auxquelles nous répondrons de même. Si toutes les choses étaient produites à la fois dans une immobilité complète, ainsi que ; la plupart de ces penseurs ne craignent pas de le dire, quelle pourrait être la nécessité qui déterminerait un premier mouvement quelconque de l’espèce de ceux que nous avons énoncés ?
« Ce ne pourrait être que le· mouvement qui a la faculté de se mouvoir par soi-même ; nul changement ne pont provenir d’une autre cause, puisque les corps n’auraient en eux aucune puissance motrice.
« Il faut donc que nous admettions nécessairement que le premier et le plus puissant de tous les mouvements narrai les corps en repos et ceux qui sont mis en mouvement, est celui qui se produit par soi-même ; que ce mouvement est plus ancien et plus puissant que tous les changements de position déterminés par une cause extérieure ; au lieu que le mouvement dû à un moteur étranger, ne vient qu’en seconde ligne.
« Rien n’est plus vrai.
« Etant parvenus à ce point, répondons encore ceci. – Que voulez-vous dire ? – En considérant les mouvements qui s’opèrent dans les corps terrestres, aquatiques ou ignés, soit isolés ou combinés entre eux, dirons-nous qu’ils nous donnent l’idée d’une énergie propre à un sujet pareil ?
« Serait-ce que vous ayez l’intention de me demander si nous affirmerons qu’il y a vie, dans ce qui se meut par sa propre vertu ?
« Précisément ; dites-vous qu’il y a vie ?
« Comment en serait-il autrement ?
« Lorsque nous découvrons une âme dans quelques corps, confesserons-nous que ce qui lui ressemble, est dans des conditions identiques d’existence ?
« Nous ne nous exprimerons pas autrement.
« Faites bien attention, par Jupiter, à ce que je vais dire. Consentirez-vous à admettre que notre esprit découvre trois termes dans chaque chose ?
« Que voulez-vous dire ?
« L’une est la substance ; une autre, la définition de cette substance ; la troisième, le nom qu’on lui donne ; en sorte que l’on puisse adresser deux questions sur tout être pris dans son ensemble ?
« Quelles deux questions ?
« Premièrement, le nom de chaque chose nous étant proféré le premier, il réclame que nous en demandions la définition ; si c’est, au contraire, la définition qui précède, elle exige qu’on nous lasse connaître le nom. Voudrons-nous encore dire ce qui suit ?
« Quelle chose ?
« Cette division que nous reconnaissons dans les autres choses, nous la· retrouvons dans les nombres. Ainsi, le nom de pair est son nom, comme nombre, et sa définition est : le nombre qui se partage en deux portions égales.
« Oui ; je vais développer cette preuve. Ne dirons-nous pas qu’il y a identité d’une façon comme de l’autre ; soit que nous interrogions par la définition, pour obtenir le nom ; ou que nous interrogions· par le nom ; pour· obtenir la définition. Si nous commençons par le nom, nous répondrons par la définition, en disant que tout nombre qui se partage également, est pair, et il en sera de même, dans l’ordre inverse.
« Cela est de toute vérité.
« Maintenant, quelle sera la définition de ce que nous nommons âme ? en avons-nous une autre que celle que nous venons d’en donner : ce qui a la faculté de se mouvoir par soi-même ?
« Vous dites, donc que se mouvoir soi-même, est la définition de cette substance à laquelle, dans l’usage, nous donnons tous, le nom d’âme ?
« Je le dis, en effet, et si les choses sont telles que je viens de les établir, pourrons-nous encore regretter qu’on ne nous ait pas suffisamment démontré ce qu’est l’âme, en disant qu’elle est le premier mouvement et le premier engendrement de tous, les êtres présents, passés et à venir, de tous eux-mêmes qui sont contraires à son essence, puisque, encore une fois, elle se lait reconnaître comme la cause unique de tout changement et de tout mouvement.
« Non, on ne saurait s’en plaindre. On a en effet démontré aussi complètement qu’il se-puisse, que l’âme est la plus ancienne de toutes choses, et le principe de tout mouvement.
« N’est-il pas vrai que le mouvement qui s’opère dans un tiers, par l’action d’un tiers, sans jamais donner à penser qu’il puisse procéder du sujet mu, appartient à une seconde production, d’autant plus rabaissée dans l’ordre des êtres, qu’on peut ajouter plus de nombres, en calculant la distance du point de départ du premier moteur, pour arriver au changement survenu dans un corps complètement inanimé ?
« Oui, cela est juste.
« Assurément, si cela est juste, nous parlerons avec toute vérité et toute raison, en disant que l’âme a précédé l’existence du corps. Que ferons-nous en disant le contraire ? dirons-nous que le corps est en seconde ligne et en position infime, par rapport à l’âme, qui lui commande et à laquelle il est soumis, suivant sa nature ?
« Parlant ainsi, vous le ferez avec la plus exacte vérité.
« Cependant, nous n’avons pas oublié que dans ce qui a précédé, nous avons proclamé que si l’âme paraissait plus ancienne que le· corps, les actes de l’âme auraient également dû précéder ceux du corps.
« Assurément, et il s’en suit que les penchants, les caractères, les voûtions, les raisonnements, les opinions vraies, les préoccupations de l’esprit, les réminiscences, ont existé avant les longueurs, les largeurs, les profondeurs, les forces qui sont des attributs du corps, par ta raison que l’âme a précédé le corps.
« C’en est une conséquence nécessaire.
« C’en est une également d’avouer, par suite, que l’âme est cause des biens et des maux·, des actions louables et honteuses, justes et injustes, et de toutes les oppositions de caractères ; puisque nous avons mis en fait qu’elle est la seule cause d’existence ! de toutes choses.
« Comment cela ne serait-il pas puisque l’âme a créé l’ordre d’après lequel tous les corps muables se meuvent ? Puisqu’elle réside dans ces corps, ne serons-nous pas contraints de reconnaître que c’est elle qui a présidé à l’harmonie qui règne dans le ciel ?
« Comment le nier ?
« En admettrons-nous une ou plusieurs ? Plusieurs, répondrai-je pour vous. Nous n’en admettrons pas certes moins de deux : l’une bienfaisante, et l’autre, pouvant produire le contraire de la première.
« Vous avez parfaitement bien parlé.
« Soit. L’âme régit donc tout ce qui est dans le ciel, sur la terre et dans la mer, par les mouvements qui émanent d’elle, que nous désignons par les noms de vouloir, considérer, s’appliquer, délibérer, opiner bien ou mal. En ce réjouissant, en s’affligeant, en osant, en craignant, en détestant, en chérissant, en s’aidant de tous les mouvements analogues, qui sont principes d’action, puis en s’emparant des mouvements secondaires nés corps, elle dirige toutes choses vers l’accroissement ou le dépérissement, la désunion ou le concert, et en fait suivre leurs dépendances naturelles, chaleur, refroidissement, pesanteur, allégement, dureté, amollissement le blanc, le noir, l’astringent et le doux. L’âme faisant emploi de tous ces instruments, lorsqu’elle reçoit les inspirations de l’esprit toujours divin, étant elle-même divine, dirige notre éducation vers tout ce qui est régulier et heureux. Si, au contraire, elle s’associe à l’extravagance, elle n’exécute que toutes les choses contraires à celles que nous venons d’énoncer. Sommes-nous d’accord pour dire qu’il en est ainsi, ou bien y a-t-il entre nous dissentiment par l’idée qu’il en est autrement ?
« Nullement.
« Dirons-nous donc que le ciel, la terre et tout ce qu’ils renferment, sont sous la domination d’une espace essentiellement prudente et pleine de vertus ; c’est-à-dire celle de l’âme ; ou dirons-nous qu’elle ne possède aucune de ces qualités ? Voulez-vous que nous répondions à cette question en ces termes ?
« De quelle manière ?
« O mon ami ! dirons-nous, si toute la voie du ciel et tout son entraînement, ainsi que celui de tous les corps qu’il contient, accuse une nature semblable et intimement liée au mouvement de l’esprit, à ses retours sur lui-même, à ses raisonnements, à toute son action : il est évident, et nous devons l’affirmer, que c’est la meilleure âme qui prend soin de tout cet univers, et qui guide elle-même sa marche.
« Très bien.
« Si, au contraire, tout y procède follement et sans méthode, nous déclarerons que c’est la mauvaise âme qui y exerce son empire.
« Cela est aussi très bien.
« Quelle nature a donc ce mouvement de l’esprit ? Cette question, pour être résolue avec discernement, présente de grandes difficultés ; c’est pourquoi il est juste que je m’entende avec vous pour y répondre pertinemment.
« Vous avez raison.
« Il en est de cela comme du soleil qui, quand on le fixe, éblouit au point de nous plonger dans l’obscurité, en plein midi. Gardons-nous de répondre que l’esprit peut être connu suffisamment par des jeux mortels ; nous en obtiendrons une vue plus certaine, en retournait nos regards yen l’image réfléchie de la chose demandée.
« Comment voulez-vous dire ?
« En les portant vers celui des dix mouvements que nous avons énumérés, qui a le plus d’affinité avec l’esprit ; car c’est en nous rappelant ce qui a été dit à ce sujet, que nous pouvons faire en commun la réponse à cette question :
« Vous ne sauriez mieux parler :
« Autant que ce qui a été dit alors est resté dans notre mémoire, nous nous souvenons qu’il a été convenu que de toutes les choses existantes, les unes se meuvent, les autres restent immobiles.
« Oui.
« Des choses mue, les unes ont un mouvement concentré dans un même lieu, les autres se transportent de lieu en lieu.
« C’est est ainsi accordé.
« De ces deux mouvements, celui qui s’accomplit dans un même lieu et à perpétuité, doit nécessairement s’exercer sur l’axe d’un centre, à la manière de la roue du tourneur. Or, ce mouvement doit avoir une analogie et une parenté aussi grande qu’il se puisse avec la marche de l’esprit.
« Comment dites-vous cela ?
« Le voici : dire que ces mouvements concentriques, celui de l’esprit et de la roue du tourneur, auquel nous l’avons assimilé, sont pareils, qu’ils s’exercent d’une manière invariable, uniforme dans un même circuit, autour d’un même centre, pour une raison semblable et d’après une règle constante, ce n’est pas certes nous exposer à passer pour des artisans grossiers, qui atténuent par leur langage l’excellence de leurs modèles.
« Vous parlez on ne peut mieux.
« Au lieu de cela, si ce mouvement n’a point de données fixes, s’il est variable, passant d’un lieu à l’autre, n’ayant point de centre unique, se produisant sans ordre et sans règle, destitué de cause d’action, ne pourrait-on pas bien dire qu’il est allié à toute espèce de folie ?
« Il le serait très véritablement.
« Il ne se trouvera donc plus d’obstacle à soutenir hautement, que puisque l’âme est pour nous ce qui imprime le mouvement à toute chose, la rotation céleste doit nécessairement puiser en elle son principe ; et ce doit être la meilleure âme et non son antagoniste, qui en prend soin et en règle la marche.
« Mais, étranger, d’après ce que vous venez de dire, ne doit-on pas se faire un devoir religieux d’affirmer qu’une âme ou plusieurs, renfermant en elles toutes les vertus, ont lancé dans leur carrière, tous ces corps ;
« O Clinias, vous avez parfaitement saisi le fonds de ma pensée ; mais prêtez-moi encore attention.
« Comment cela ?
« Si c’est l’âme qui fait mouvoir le soleil, la lune, et les autres astres, ne le fait-elle pas pour chacun de ces corps pris individuellement ?
« Pourquoi non ?
« Renfermons-donc dans un seul objet les raisonnements qui nous ont paru s’appliquer à l’ensemble des astres.
« Lequel ?
« Tout homme voit le corps du soleil, et personne n’en voit l’âme. Il en est de même pour tout autre corps, nous ne voyons, l’âme d’aucun animal, vivant ou mort, il y a grande apparence que-toute cette classe se refuse à la perception de chacun de nos sens corporels, et ne se conçoit que par l’entendement. Examinons-la donc par l’esprit, et la réflexion, pour voir en quoi elle consiste.
« Comment cela ?
« Si l’âme met le soleil en mouvement, nous sommes fondés à dire qu’elle fait l’une de ces trois choses, sans crainte d’errer.
« Lesquelles ?
« Ou l’âme contenue dans ce corps qui nous semble sphérique, se transporte avec lui ainsi que le fait l’âme contenue au dedans de nous ; ou bien s’étant procuré de dehors, comme certains auteurs le soutienne, un corps soit de feu, soit d’air, elle pousse violemment ce corps par le choc de l’autre ; ou en troisième lieu, étant tout à fait dépourvue de corps, à l’aide de certaines vertus surnaturelles qu’elle possède, elle le garde par un artifice admirable.
« Oui.
« Il est donc nécessaire qu’en dirigeant toute chose, l’âme adopte un de ces trois moyens.
Ce qui précède a été placé, par le philosophe, dans le dixième livre des Lois. Ecoutez maintenant de quelle manière il dispose son argumentation dans le Philèbe.
« Tous les sages, ceux au moins qui ont le droit de se glorifier de ce nom, sont d’accord, avec nous, que l’esprit est roi du ciel et de la terre. Peut-être ont-ils raison de le dire, et si vous le voulez, examinons par de longues recherches, ce que c’est que l’esprit.
« Parlez comme vous le voudrez, sans redouter que la longueur de ce discours nous rebute, ô Socrate.
« Vous avez très bien parlé. Commençons cependant par nous adresser cette demande :
« Laquelle ?
« Savoir, ô Protarque, si nous devons dire, que cet ensemble de choses que l’on nomme Univers, est sous la tutelle d’une puissance sans raison, agissant au hasard, enfin comme cela vient ; ou bien adopterons-nous l’opinion contraire pas laquelle nos devanciers ont déclaré que l’esprit, gouvernait avec une prudence admirable tout ce qu’il a mis en ordre.
« Il n’y a nulle parité entre les deux, ô mon excellent Socrate : il ne me semble pas même, innocent de répéter maintenant ce que vous avez dit. Quant à déclarer que l’esprit est cause de l’ordre qui règne dans l’univers, cela résulte de son aspect, de celui du soleil, de la lune, des astres, de celui de toute la voûte céleste ; et je ne me permettrai jamais de dire ni de penser autrement sur ces choses.
« Vous consentez donc à ce que nous joignions notre suffrage à celui des hommes qui, avant nous, se sont exprimés de la sorte sur ce sujet ; mais nous ne devons pas nous borner à répéter sans danger ce que les autres ont dit : nous affronterons nous-mêmes le péril, encourant le blâme s’il le faut ; lorsqu’un orateur habile osera dire qu’il n’en est pas ainsi, et que toutes les choses de la terre sont livrées au désordre.
« Comment pourrais-je ne pas adhérer à ces sentiments ?
« En ce cas, veuillez considérer la conséquence qui découle de ce que nous venons de dire.
« Parlez sans crainte.
« Ne voyons-nous pas le feu, l’eau, l’air et la terre surnager comme on le dit des naufragés, dans la structure naturelle de tous les corps d’animaux ?
« Certainement, et nous pouvons nous regarder comme des naufragés sur les flots de l’incertitude, dans des discussions pareilles ?
« Soit : concevez-donc à peu près ceci de chacune des substances qui concourent à notre être.
« Quoi ?
« Qu’en nous, chacune d’elle est en petite proportion, peu digne d’estime, ne se manifestant d’aucune manière, n’ayant point enfin une énergie égale à sa nature. Maintenant, transportez par la pensée dans l’ensemble des êtres, ce que vous avez observé dans l’être isolé : ainsi le feu, qui est quelque part en nous ; est aussi dans l’univers.
« Quel moyen de le nier ?
« Ce qui en nous est petit, faible et dédaigné, dans toute cette multitude, n’y est-il pas admirable de beauté et de l’énergie entière qui est propre au feu.
« Ce que vous dites est de la plus exacte vérité.
« Mais quoi ! Est-ce de ce feu qui réside en nous que s’alimente et que tiré son origine le feu qui est répandu dans l’univers ; ou, par une marche contraire, est-ce de ce dernier que le mien, que· le votre et celui de tous les autres animaux tire sa source ?
« Cette demande ne mérite pas de réponse.
« Vous avez raison, et je pense que vous me direz la même chose de la terre qui est dans les animaux et de celle qui est dans l’univers, et que vous me répondrez de même pour tout ce sur quoi je vous ai interrogé, il n’y a qu’un instant.
« Quel homme sensé pourrait répondre autrement ?
« Il s’en trouverait difficilement. Mais continuez à entendre ce qui me reste à dire. Toutes ces substances, dont nous venons de parler, leur donnerons-nous le nom de corps, pour les voir réunies dans un seul point ?
« Pourquoi non ?
« Admettez la même opinion à l’égard de ce que nous nommons l’univers ; il sera, en effet, par la même considération, un seul corps étant formé des mêmes substances.
« Vous parlez on ne peut mieux.
« Est-ce donc de ce corps universel que le nôtre a été tiré, ou bien est-ce du nôtre que s’alimente ce dernier, et qu’il a pris et qu’il conserve, tout ce que nous venons de dire de lui en le tirant de nous.
« Mais cette nouvelle supposition, Socrate, n’est pas tolérable.
« Quoi donc ? vais-je dire, une chose qui mérite d’être dite, ou comment m’en parlez-vous ?
« Faites-nous-la connaître ?
« Dirons-nous de notre corps qu’il a une âme ?
« Certes, nous le dirons.
« Cependant, mon cher Protarque, de qui la tient-il, si ce corps de l’univers, par hasard, n’est pas animé ; s’il n’a pas les mêmes facultés que le nôtre, dans un degré infiniment supérieur ?
« Il est certain, ô Socrate, que nous n’aurions pu nullement, les avoir reçues d’ailleurs.
« Nous ne croyons pas, ô Protarque, que ces quatre attributs des choses, la limite, l’infini, le commun et cette espèce de cause qui ne se montre qu’en quatrième dans les substances, soient ce qui a produit l’âme en nous ; nous ne croyons pas que c’est ce qui donne l’activité à notre corps, ce qui, lorsque ce dernier est languissant, a créé l’art de la médecine, ce qui, se combinant diversement dans les diverses positions et exerçant partout son énergie, s’est élevé à toute science dans toutes les parties. Ces mêmes choses se retrouvent dans l’ensemble du ciel en grandes proportions : elles y brillent de tout l’éclat de la beauté et de la lumière ; et cependant ce n’est pas en elles que nous plaçons le mécanisme de la nature, dans ce qu’elle a de plus beau et de plus estimable.
« Cela n’aurait aucune apparence de raison.
« Si ce n’est donc pas cela, ne serons-nous pas bien plus fondés à dire, en suivant la trace de nos précédents discours, ce que nous avons souvent proclamé, que l’infini est répandu dans l’universalité des êtres, que la limite est appropriée à l’être individuel, mais qu’au-delà de ces choses, il existe une cause qui n’est nullement méprisable, qui a tout ordonné, qui a réglé la marche des années, des saisons et des mois, qu’on peut en toute justice appeler sagesse et esprit.
« En toute justice, assurément.
« Or, la sagesse et l’esprit ne sauraient jamais subsister sans une âme.
« Non, bien certainement.
« En conséquence, vous direz que, dans la nature de Jupiter, il y a une âme royale douée d’un esprit royal, parce qu’elle exerce le pouvoir de cause. Dans les autres, il y a d’autres belles choses que l’on doit avouer, en raison de ce qui convient à chacun. »