- Est-on tenu d'acquitter les dîmes par un précepte rigoureux ?
- Les biens dont il faut payer la dîme.
- À qui doit-on les dîmes ?
- Qui doit les payer ?
Objections
1. Il semble que non. Car le précepte concernant les dîmes se trouve dans la loi ancienne, ainsi le Lévitique (Lévitique 27.30) : « Les dîmes de la terre, des grains, aussi bien que des fruits des arbres, sont au Seigneur. » Et plus loin : « Tout animal qui naît le dixième, soit des bœufs, des brebis ou des chèvres et de tout ce qui passe sous la houlette du berger, sera la dîme consacrée au Seigneur. » Or on ne peut ranger ce commandement parmi les préceptes moraux, parce que, de droit naturel, rien n'oblige à donner la dixième, plutôt que la neuvième ou la onzième partie. Donc c'est un précepte judiciaire ou cérémoniel. Or nous savons que sous le régime de la grâce ces préceptes n'obligent plus. Donc on n'est pas tenu présentement d'acquitter les dîmes.
2. Les seules observances auxquelles on soit tenu à l'époque de la grâce sont celles que le Christ nous a commandées par ses Apôtres, selon S. Matthieu (Matthieu 28.20) : « Apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. » Et S. Paul dit (Actes 20.27) : « je ne me suis pas dérobé quand il fallait vous enseigner tous les desseins de Dieu. » Or il n'y a rien dans l'enseignement du Christ et des Apôtres sur le paiement des dîmes. Ce que le Christ a dit à ce sujet (Matthieu 23.23) : « Malheureux, vous qui payez la dîme sur la menthe et la rue... il fallait faire cela, etc. », se rapporte au régime passé des observances légales. C'est ainsi que le comprend S. Hilaire : « Cette dîme sur les légumes qui était utile pour préfigurer l'avenir, ne devait pas être omise. » Donc au temps de la grâce nous ne sommes pas tenus au paiement des dîmes.
3. Au temps de la grâce on n'est pas plus tenu aux observances légales qu'avant la loi ancienne. Or à ce moment les dîmes n'étaient pas acquittées en vertu d'un précepte, mais seulement à la suite d'un vœu, selon ce texte de la Genèse (Genèse 28.20) : « Jacob fit un vœu en disant : ‘Si Dieu est avec moi et me garde dans mes démarches... de tout ce que tu me donneras je t'offrirai la dîme.’ » Donc, au temps de la grâce on n'y est pas obligé non plus.
4. La loi ancienne obligeait à trois sortes de dîmes. On en donnait une part aux lévites, disent les Nombres (Nombres 18.24) : « Les lévites auront pour leur part l'offrande des dîmes que j'ai ordonnées à leur usage et à leurs besoins. » Un texte du Deutéronome (Deutéronome 14.22) signale une autre sorte de dîmes : « Tu mettras à part la dixième partie de tous les fruits que la terre produit chaque année et tu mangeras en présence du Seigneur ton Dieu, dans le lieu que Dieu a choisi. » Et ce texte fait ensuite mention d'autres dîmes encore : « La troisième année, tu mettras à part un autre dixième de tous les biens qui te naîtront en ce temps-là, et tu le déposeras dans ta ville. Alors viendra le lévite, qui n'a pas de part à tes possessions ; l'étranger, l'orphelin et la veuve qui sont dans tes villes, et ils mangeront à satiété. » Mais au temps de la grâce on n'est pas tenu à ces deux dernières sortes de dîmes. Ni non plus aux premières.
5. Ce que l'on doit sans détermination de temps oblige aussitôt, sous peine de péché. Si donc au temps de la grâce on était obligé par un précepte rigoureux de payer la dîme, là où on ne le fait pas, tout le monde serait en état de péché mortel ; et les ministres de l'Église n'y échapperaient pas, ayant dissimulé le mal, ce qui paraît inadmissible.
En sens contraire, S. Augustin dit, et on lit dans le droit que les dîmes sont exigées à titre de dette ; ceux qui ne veulent pas les payer ravissent le bien d'autrui.
Réponse
Dans l'ancienne loi, les dîmes étaient affectées à l'entretien des ministres de Dieu, ce qui ressort de ce texte de Malachie (Malachie 3.10) : « Portez toutes les dîmes dans mon grenier, afin qu'il y ait de la nourriture dans ma maison. » Le précepte d'acquitter les dîmes relevait donc pour une part de la loi morale, fruit de la raison naturelle, et pour une autre part était un précepte judiciaire de droit positif, tenant sa force de l'institution divine. La raison naturelle en effet nous prescrit que le peuple doit pourvoir à l'entretien des ministres du culte divin, qui ont la charge de son salut; de même qu'il doit fournir aux serviteurs du bien commun, princes, soldats, etc., la contribution nécessaire. Aussi S. Paul le prouve-t-il par les coutumes humaines (1 Corinthiens 9.7) : « Qui donc a jamais combattu à ses propres frais ? Qui donc plante une vigne et n'en mange pas le produit ? » Mais la détermination de l'impôt cultuel n'est plus le fait du droit naturel ; Dieu l'a fixée relativement aux conditions de vie du peuple auquel il a donné sa loi. Des douze tribus qui le divisaient, la dernière, celle de Lévi, vouée tout entière au service divin, n'avait pas de propriétés. Il était donc convenable d'obliger les onze autres tribus à donner aux lévites le dixième de leurs récoltes, pour qu'ils vivent plus honorablement, et aussi parce que certains négligeraient ce devoir. Relativement à la détermination de la dixième partie, ce commandement était donc un précepte judiciaire. On nomme ainsi les nombreuses institutions spécialement destinées à maintenir l'égalité selon l'état social de ce peuple. Sans doute ces préceptes préfiguraient-ils l'avenir comme tout ce qui arrivait à ce peuple selon S. Paul (1 Corinthiens 10.11) : « Tout ce qui leur arrivait était figuré. » C'est là un point commun avec les préceptes cérémoniels, dont la raison principale était de préfigurer l'avenir. Il y a donc bien dans le précepte des dîmes un symbolisme pour le futur. Car le dixième symbolise la perfection, en ce que le nombre dix est comme un nombre parfait — c'est la première limite des nombres ; au-delà les nombres ne progressent plus, mais repartent de l'unité. Donc donner le dixième en se réservant les neuf autres parts, c'est signifier qu'on est par soi-même imparfait et qu'on attend de Dieu cette perfection que le Christ devait apporter. Pour autant ce n'est pas un précepte cérémoniel, cela reste un précepte judiciaire.
Or il existe entre les préceptes cérémoniels et les préceptes judiciaires une différence que nous avons jadis signalées. Il est défendu d'observer les premiers au temps de la loi nouvelle. Les seconds au contraire, bien qu'ils aient perdu leur force obligatoire, peuvent être observés sans péché. Et l'on peut y être tenu, s'ils sont réitérés par l'autorité législative. Ainsi la loi ancienne obligeait celui qui avait dérobé une brebis à en rendre quatre (Exode 22.1) : ce commandement devrait être observé, si un roi y soumettait ses sujets. De même l’Église par son autorité a institué que sous le régime de la loi nouvelle on paierait la dîme. Et elle a fait preuve d'une certaine douceur, tout en ne demandant pas moins au peuple chrétien pour l'entretien des ministres du Nouveau Testament qu'il n'était demandé sous l'Ancien, bien que le peuple de la nouvelle loi ait des obligations plus hautes, selon le Seigneur en Matthieu (Matthieu 5.20) : « Si votre justice n'est pas plus parfaite que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux. » Et bien que la dignité des prêtres de la nouvelle Alliance soit supérieure à celle des ministres de l'Ancien Testament selon l'Apôtre (2 Corinthiens 3.7). Il est donc évident qu'on est tenu d'acquitter les dîmes. C'est de droit naturel pour une part, et de droit ecclésiastique pour une autre part. Mais l'Église, appréciant l'opportunité des temps et des personnes, pourrait déterminer différemment le pourcentage qu'on doit acquitter.
Solutions
1. Cette Réponse résout l'objection.
2. Le précepte du paiement des dîmes est donné par l'Évangile en ce qu'il a de moral : C'est la parole du Seigneur (Matthieu 10.10) : « L'ouvrier mérite son salaire », et celle de l'Apôtre (1 Corinthiens 9.4). Mais la détermination, précise de ce qu'on doit payer est réservée à l'Église.
3. Avant la promulgation de la loi ancienne, les ministres du culte n'étaient pas spécialisés, mais on nous dit que les premiers-nés étaient prêtres et recevaient à ce titre double portion. C'est pourquoi on n'avait pas fixé la part qui revenait aux ministres sacrés, mais lorsque l'un d'eux se rencontrait, chacun lui donnait spontanément son offrande. C'est ainsi qu'Abraham, poussé par un instinct prophétique, remit la dîme à Melchisédech, prêtre du Dieu Très-Haut (Genèse 14.20). De même Jacob fit vœu de donner la dîme, bien qu'on ne voit pas qu'il ait promis de la donner à des ministres sacrés; c'était plutôt en vue du culte divin, pour l'accomplissement des sacrifices. Ce qu'indiquent ces paroles expresses (Genèse 28.22) « Je t'offrirai la dîme. »
4. Les deuxièmes dîmes prévues pour les sacrifices n'ont plus leur place dans la loi nouvelle, les victimes légales ayant disparu. La troisième sorte de dîmes, celles qu'on devait manger avec les pauvres, s'est au contraire accrue. Car le Seigneur ordonne non seulement de donner la dixième partie, mais tout son superflu aux pauvres, selon Luc (Luc 11.41) : « Ce qui reste, donnez-le en aumône. » — Quant aux dîmes qu'on remet aux ministres de l’Église, eux-mêmes doivent les distribuer aux pauvres.
5. Les ministres de l'Église doivent avoir un plus grand souci de promouvoir le bien spirituel du peuple que de recueillir des biens temporels. C'est pourquoi l'Apôtre ne voulut pas user du pouvoir que le Seigneur lui avait donné, et recevoir son entretien de ceux à qui il prêchait l'Évangile du Christ, de peur de faire obstacle à celui-ci. Ceux qui ne lui donnaient rien ne péchaient pas pour autant. Autrement S. Paul n'aurait pas manqué de les en reprendre. Les ministres de l'Église qui ne réclament pas les dîmes ecclésiastiques, là où on ne peut les exiger sans scandale, l'habitude en étant perdue, ou pour quelque autre motif, méritent des éloges. Pour autant, ne sont pas en état de damnation ceux qui ne s'acquittent pas, dans les régions où l'Église demande rien ; à moins qu'ils y mettent une obstination mauvaise, bien décidés à ne pas payer même si on le demandait.
Objections
1. Il semble qu'on ne soit pas tenu de payer la dîme sur tout. Car le paiement de la dîme semble avoir été introduit par la loi ancienne. Mais dans celle-ci on ne trouve aucun précepte concernant les dîmes à payer sur le produit de son activité personnelle — dans le commerce par exemple, ou l'état militaire. Donc nul n'est tenu de payer la dîme là-dessus.
2. On ne peut faire oblation avec des biens mal acquis, nous l'avons dit Mais les oblations qui sont présentées directement à Dieu, semblent se rattacher à lui plus que les dîmes, offertes à ses ministres. Donc les dîmes prises sur des biens mal acquis ne doivent pas non plus être acquittées.
3. D'après le Lévitique (Lévitique 27.30), la loi ordonna seulement de payer la dîme des grains, des fruits des arbres, et des animaux qui sont sous la houlette du berger. Mais on récolte d'autres choses encore : les herbes qui poussent dans les jardins par exemple. Donc on n'est pas tenu de payer la dîme sur ces produits.
4. On ne peut s'acquitter qu'avec un bien en son pouvoir. Mais tout ce qui provient à l'homme du produit de ses terres ou de ses animaux ne reste pas en son pouvoir. Parfois ses biens lui sont enlevés par vol ou par rapine; parfois ils passent à un autre qui les achète; il les doit à d'autres pour payer l'impôt au prince, leur salaire aux ouvriers. Donc de tout cela on n'est pas tenu de verser la dîme.
En sens contraire, on lit dans la Genèse (Genèse 28.22) : « De tout ce que tu me donneras je t'offrirai la dîme. » Mais tout ce que l'homme possède lui a été donné par Dieu. Donc il doit verser la dîme de tout.
Réponse
Pour juger n'importe quelle action, il faut avant tout la juger à partir de sa racine. Or la racine du paiement des dîmes est la dette que les charnels doivent à ceux qui sèment les biens spirituels, selon cette parole de l'Apôtre (1 Corinthiens 9.11) : « Si nous avons semé en vous les biens spirituels, est-il extraordinaire que nous récoltions vos biens temporels ? » Or toutes nos possessions sont comprises dans les biens temporels. C'est pourquoi il faut acquitter la dîme sur tout ce que nous possédons.
Solutions
1. Il y avait un motif spécial pour que la loi ancienne ne comporte pas de précepte au sujet de dîmes personnelles. Cela tenait à la situation de ce peuple, où les autres tribus avaient des possessions assurées leur permettant de faire vivre les lévites, qui n'en avaient pas ; mais il n'était pas interdit à ceux-ci de pratiquer certains travaux lucratifs, comme les autres Juifs. Or le peuple de la loi nouvelle est répandu dans le monde entier; ses membres, pour la plupart, n'ont pas de propriétés, mais vivent d'affaires qui ne contribueraient nullement à l'entretien des ministres de Dieu s'ils ne payaient pas la dîme sur leurs profits. En outre il est strictement interdit aux ministres de la loi nouvelle de se mêler d'affaires lucratives, selon S. Paul (2 Timothée 2.4) : « Quand on est enrôlé au service de Dieu, on ne se mêle pas des affaires du siècle. » C'est pour cela que dans la loi nouvelle on est tenu à des dîmes personnelles, selon la coutume du pays et les besoins des ministres. Aussi S. Augustin, cité par le Décret dit-il : « Payez la dîme sur les revenus de la vie militaire, du négoce et de l'artisanat. »
2. « Mal acquis » se comprend de deux façons. D'abord en ce que l'acquisition est injuste, par exemple réalisée par la rapine, le vol ou l'usure : on doit alors la restituer, non en payer la dîme. Cependant, si un champ a été acheté par les revenus de l'usure, l'usurier doit payer la dîme de son produit parce que ce produit ne vient pas de l'usure, mais d'un don de Dieu.
On appelle encore « mal acquis » ce qui est acquis par un travail honteux, celui de la prostituée, de l'histrion, etc., qu'on n'est pas tenu de restituer. Aussi doit-on en payer la dîme comme les autres dîmes personnelles. Cependant l'Église ne doit pas les accepter tant que ces gens sont dans le péché, pour ne pas paraître y communier ; mais lorsqu'ils ont fait pénitence, elle peut recevoir ces dîmes.
3. Ce qui est ordonné à une fin doit être jugé selon son rapport à cette fin. Or le paiement de la dîme n'est pas dû pour lui-même, mais pour les ministres, car il ne serait pas digne d'eux qu'ils le réclament avec une exigence minutieuse, car ce serait là un vice signalé par Aristote. C'est pourquoi la loi ancienne ne fixait rien pour les petits produits, mais elle laissait cela à la liberté de chacun, car on compte pour rien ce qui est peu de chose. Aussi les pharisiens, qui s'attribuaient une parfaite observance de la loi, payaient-ils la dîme même sur ces petits produits. Mais ce n'est pas cela que le Seigneur leur reproche, mais seulement de mépriser le plus important : les préceptes spirituels. Il montre que la pratique des pharisiens était en soi recommandable quand il dit : « Il fallait faire cela », et S. Jean Chrysostome explique : « au temps de la loi ancienne ». Et cela semble concerner une convenance plutôt qu'une obligation. Aussi n'est-on pas tenu aujourd'hui de payer la dîme pour ces minuties, sinon parce que c'est la coutume du pays.
4. Celui qui a été dépouillé de ses biens par vol ou par rapine n'est pas tenu de payer les dîmes avant de les avoir récupérés, sauf si ce dommage lui était arrivé par une faute ou une négligence de sa part, car l'Église ne doit pas en souffrir.
Si l'on vend du blé sans avoir payé la dîme, l'Église peut exiger celle-ci et de l'acheteur qui détient un bien dû à l'Église, et du vendeur qui pour sa part a fraudé l'Église. Mais si l'un des deux paye, l'autre n'y est plus obligé.
Quant aux fruits de la terre, on doit la dîme pour eux parce qu'ils proviennent de la bonté divine. C'est pourquoi les dîmes échappent à l'impôt et ne sont pas prises sur le salaire de l'ouvrier. On ne doit donc pas déduire l'impôt et le salaire avant l'acquittement des dîmes ; celles-ci doivent être payées sur la récolte, avant tout prélèvement.
Objections
1. Il semble qu'il ne faut pas les donner aux clercs, car dans l'ancienne alliance on les donnait aux lévites qui n'avaient pas de possessions comme le reste du peuple (voir Nombres 18.23). Mais sous la loi nouvelle, les clercs ont des possessions, biens patrimoniaux, domaines ecclésiastiques. Ils reçoivent en outre les prémices, et les offrandes pour les vivants et les morts. Il est donc superflu de leur donner des dîmes.
2. Un homme habite sur une paroisse, et cultive des champs situés dans une autre; un berger conduit son troupeau une partie de l'année sur le territoire d'une paroisse, et le reste du temps sur une autre ; ou bien il a sa bergerie dans une paroisse et les pâturages dans une autre : dans des cas pareils il semble qu'on ne voie pas nettement à quels clercs on devrait payer les dîmes. Donc il n'apparaît pas qu'on doive payer les dîmes à certains clercs plutôt qu'à d'autres.
3. Dans certains pays, la coutume générale veut que les soldats reçoivent de l'Église les dîmes à titre de fief. Il y a aussi des religieux qui les reçoivent. Donc elles ne sont pas réservées aux clercs ayant charge d'âmes.
En sens contraire, il y a ce texte des Nombres (Nombres 18.21) : « J'ai donné en possession aux fils de Lévi toutes les dîmes d'Israël pour le ministère qu'ils accomplissent dans le service du tabernacle. » Aux fils de Lévi ont succédé les clercs du Nouveau Testament. C'est donc à eux seuls qu'on doit les dîmes.
Réponse
Sur les dîmes deux points sont à considérer le droit de les recevoir, et d'autre part les biens que l'on donne sous ce nom. Le droit de recevoir les dîmes est spirituel ; il résulte de l'obligation qu'on a de pourvoir aux frais des ministres de l'autel, et de donner « les biens temporels à ceux qui sèment les biens spirituels ». C'est le fait des clercs ayant charge d'âmes, et d'eux seuls. Ce droit leur est donc réservé. Quant aux biens eux-mêmes que l'on donne, ils sont d'ordre matériel, et peuvent servir à l'usage de tout le monde. Ils peuvent donc revenir aux laïcs.
Solutions
1. Sous l'ancienne loi il y avait, on l'a dit, des dîmes spécialement destinées à aider les pauvres. Sous la loi nouvelle les dîmes sont données aux clercs non seulement pour leur entretien mais encore pour leur permettre d'aider les pauvres. Elles ne sont pas de trop, par conséquent, et il est nécessaire de les ajouter aux possessions ecclésiastiques, oblations et prémices.
2. On doit les dîmes personnelles à l'Église de la paroisse où l'on habite. Quant aux dîmes territoriales elles appartiennent avec plus de raison à l'Église sur le territoire de laquelle sont situés les domaines qu'on possède. Cependant le droit décide qu'il faut en ce cas s'en tenir à la coutume qui prévaut depuis longtemps. Le berger qui à des époques différentes fait paître son troupeau sur deux paroisses doit proportionnellement payer la dîme à chaque Église. Et parce que les produits du troupeau proviennent du pâturage, il doit plutôt la dîme à l'Église sur le territoire de laquelle paît le troupeau, qu'à celle où se trouve la bergerie.
3. Comme l'Église peut remettre à un laïc ce qu'elle reçoit pour la dîme, elle peut aussi bien lui accorder de recevoir les dîmes qu'elle doit percevoir, en réservant le droit de ses ministres. Soit qu'elle subvienne ainsi à ses propres nécessités, comme dans le cas des dîmes concédées en fief à des soldats ; soit pour subvenir aux besoins des pauvres ; c'est ainsi qu'elle les accorde à certains religieux laïcs ou n'ayant pas charge d'âmes, par manière d'aumône. Mais il y a aussi des religieux qui ont droit à les recevoir du fait qu'ils ont charge d'âmes.
Objections
1. Il semble que même les clercs doivent donner les dîmes, car il est de droit commun que l'Église paroissiale doit recevoir la dîme des propriétés qui sont sur son territoire. Or il arrive que ces propriétés appartiennent à des clercs, ou à une autre Église. Le clergé est donc tenu de payer la dîme de ses propriétés.
2. Il y a des religieux clercs, et qui sont cependant tenus de payer aux Églises la dîme des terres qu'ils cultivent de leurs propres mains. Les clercs ne sont donc pas exempts de la dîme.
3. La loi ancienne (Nombres 18.21) ordonne aux lévites de recevoir la dîme du peuple, mais aussi de la donner eux-mêmes au grand prêtre. De même que les laïcs doivent payer la dîme aux clercs, ceux-ci doivent s'en acquitter à l'égard du souverain pontife.
4. La dîme destinée à l'entretien des clercs est aussi ordonnée à subvenir aux besoins des pauvres. Si donc les clercs sont dispensés de la dîme, les pauvres le seront également. Ce qui est faux, comme la raison qu'on en donne.
En sens contraire, le pape Pascal dit dans une décrétale : « Que les clercs exigent la dîme d'autres clercs, c'est un nouveau genre d'exaction. »
Réponse
Si quelqu'un donne et reçoit à la fois, ce ne peut être pour une cause identique; de même que le principe d'activité n'est pas en même temps principe de passivité. Mais il arrive que, pour des causes diverses et sous des rapports différents, le même sujet donne et reçoive, soit actif et passif. C'est en tant que ministres de l'autel chargés d'ensemencer spirituellement les âmes, que les clercs ont droit aux dîmes des fidèles. Les possessions ecclésiastiques appartenant aux clercs considérés comme tels ne sont donc pas soumises à la dîme. Mais ils sont tenus de s'en acquitter lorsqu'ils possèdent à un autre titre : soit en leur propre nom, par héritage, achat, etc.
Solutions
1. Cela résout la première objection. Les clercs doivent payer à l’Église paroissiale la dîme de leurs biens personnels, comme tout le monde, même s'ils appartiennent à la même Église ; car il faut distinguer leurs propriétés personnelles de celles de l'Église. Mais les biens ecclésiastiques ne sont pas soumis à la dîme, même lorsqu'ils sont sur le domaine d'une autre paroisse.
2. Les religieux clercs, s'ils ont charge d'âmes, ne sont pas tenus de payer les dîmes, mais peuvent les recevoir. Quant aux autres religieux, même clercs, qui ne distribuent pas au peuple les biens spirituels, leur cas est différent. Ils sont soumis au droit commun. Toutefois différentes concessions faites par le Saint-Siège leur assurent une certaine immunité.
3. Sous l'ancienne loi on devait les prémices aux prêtres, et la dîme aux lévites. Les lévites étaient subordonnés aux prêtres. Le Seigneur leur ordonna donc de payer au grand prêtre la dîme de la dîme, au lieu de prémices. De même les clercs seraient tenus de payer la dîme au souverain pontife s'il l'exigeait. La raison naturelle prescrit en effet que celui qui est chargé des intérêts généraux de la multitude trouve de quoi faire face aux exigences du salut commun.
4. Les dîmes doivent être employées par les clercs au soulagement des pauvres. Ceux-ci n'ont donc pas de motif pour les recevoir directement, mais ils sont tenus de les payer.