Pour défendre et justifier notre séparation du polythéisme professé par toutes les nations, et pour prouver qu’en, cela nous avons agi avec discernement, nous avons considéré qu’il était du plus haut intérêt d’ouvrir le livre de la Préparation évangélique par la réfutation de cette solennelle erreur ; nous avons donc consacré les trois premières divisions de cet ouvrage à son examen. Nous ne nous sommes pas bornés à y discuter les fables, telles que les enfants des poètes et des théologiens nous les ont transmises, lorsqu’ils mettent en scène leurs Dieux nationaux ; nous avons encore approfondi les graves et mystérieuses explications tirées de la nature universelle, qui sont l’œuvre de la noble philosophie, laquelle a rapporté au ciel et aux autres parties de l’univers ces mêmes fables ; encore que les théologiens eussent formellement interdit qu’on osât les traduire sous la forme d’emblèmes. On doit donc tenir pour constant, que les plus anciens de leurs théologiens n’ont rien connu de plus que les récits historiques que nous leur devons, et leurs témoignages ne se rapportent qu’aux seules fables. C’est d’accord avec leurs relations, et conséquemment avec ce qui vient d’être dit, que les mystères et les initiations ont été institués dans les villes et dans les campagnes, et que même encore aujourd’hui, on célèbre dans les hymnes et les cantiques que l’on chante en l’honneur des Dieux, leurs mariages, la procréation de leurs enfants, leurs afflictions, leurs enivrements, leurs voyages sans but, leurs amours, leurs colères, leurs infortunes et toutes les péripéties qu’ils ont endurées. Néanmoins, bien que surabondamment, j’ai mis en lumière les jactances théâtrales, les subtilités sophistiques des philosophes qui se sont efforcés de n’y voir qu’une exposition de la nature.
Dans les trois livres qui suivent immédiatement les trois premiers, j’ai mis à nu le prestige qui s’est attaché aux oracles qui ont eu tant de retentissement, et j’ai combattu le préjugé répandu dans le peuple en faveur du destin. J’ai employé pour cela les arguments les plus lucides, dont le mérite ne m’appartient pas seulement ; ils sont pour la plupart empruntés aux philosophes Grecs dont j’ai cité les propres paroles. Passant de là aux livres des Hébreux, j’ai fait voir dans un nombre égal de sections les fondements de leurs dogmes, et la vérité de leur histoire, confirmée par le témoignage des Grecs eux-mêmes. Ensuite, j’ai produit au grand jour la manière dont les Grecs avaient généralement profité des inventions des Barbares, sans qu’aucune, qui fût digne de quelque estime, eût jamais pris naissance sur leur sol. A cet effet, j’ai opposé les temps où ont vécu les plus fameux des Grecs, aux époques qui ont vu fleurir les prophètes des Hébreux.
Dans les trois livres qui ont succédé, j’ai fait voir l’accord qui règne entre les opinions des philosophes les mieux famés de la Grèce et celles des Hébreux, citant toujours en témoignage les paroles de ces philosophes. Néanmoins, j’ai dû constater dans le livre qui précède celui-ci, les divergences d’opinions non seulement des philosophes avec nous ; mais celles qui règnent entre eux, et combien de fois les disciples ont été les premiers à ruiner les systèmes de leurs maîtres. Dans tout cet ouvrage, je crois avoir fait voir, à ceux qui le liront, l’impartialité de jugement la plus entière ; ayant remis, pour ainsi dire, aux faits le soin de démontrer que ce n’est pas sans réflexion, mais d’après les raisonnements les mieux établis et les plus concluants, que nous avons donné la préférences l’ancien culte et à l’ancienne philosophie des Hébreux sur le culte et la philosophie des Grecs : raisonnements qui sont tous appuyés sur les textes mêmes des auteurs Grecs que j’ai invoqués. Je suis maintenant parvenu au quinzième et dernier livre de toute cette composition, dans lequel il me reste à parcourir, et à faire ressortir les dernières doctrines de cette noble philosophie des Grecs, pour en montrer, à tous les regards, l’inanité dans toute son étendue, et pour faire bien comprendre que si nous avons cessé de partager les opinions de ces philosophes, ce n’est pas par l’ignorance de ce qui devait nous les faire admirer, mais par le peu d’estime d’une étude aussi vaine : ce qui nous a portés à consacrer notre existence à la pratique des plus sublimes vertus. Ayant donc imprimé le sceau de la vérité à ce dernier travail, nous aurons, avec la grâce de Dieu, accompli le Traité de la Préparation évangélique. Passant de là à l’œuvre plus parfaite de la Démonstration de ce même évangile, j’aborderai la seconde partie de l’accusation dirigée contre nous, comme annexe de cette première. On nous reproche donc, puisque nous donnions la préférence aux oracles des Hébreux sur ceux de la patrie, de n’avoir pas pris pour règle de conduite l’imitation entière des rites hébraïques. Voilà ce qu’après la conclusion du présent écrit, nous nous efforcerons de traiter avec l’aide de Dieu, et nous pensons qu’en rapprochant les deux parties distinctes de ce travail, on y trouvera l’ensemble d’une même conception, qui les relie, pour ne former qu’un tout parfait. Mais revenons au sujet qui nous occupe maintenant.
Après avoir fait comprendre dans les sections précédentes, que la philosophie de Platon est tantôt en harmonie avec les livres des Hébreux, et tantôt en diffère, (en quoi l’on a fait voir que parfois elle se contredisait elle-même), nous avons passé à l’examen des philosophes appelés physiciens, de là à celui de la succession de l’école platonicienne, à Xénophane, à Parménide et à Pyrrhon, enfin, à tous ceux qui ont fait de la réticence (ἐποχὴ) le principe de leur philosophie ; puis ensuite à tous ceux dont le livre précédent avait condamné les sentiments, comme contraires aux dogmes des Hébreux, à ceux de Platon, enfin à la vérité même, et comme s’attaquant et se blessant eux-mêmes, par leurs propres armes. Il est temps de lever nos regards vers l’orgueil d’Aristote et des Stoïciens, de les contempler du haut du théâtre où ils brillent, de même que toute la physique de ces philosophes qui veulent nous imposer en fronçant le sourcil ; afin de nous instruire tant de ces hautes pensées dont ils tirent vanité, que de la réfutation qu’en ont faite leurs propres compatriotes. C’est ainsi que nous nous laverons, de la manière la plus légitime, des imputations calomnieuses qu’on nous adresse, pour avoir déserté leurs écoles, et nous prouverons que ce n’est pas par ignorance de leurs merveilleux enseignements que nous l’avons fait ; mais que c’est au contraire par un jugement très sain et après un examen approfondi, que nous avons préféré le culte religieux et la vérité philosophique de ceux qu’on nomme Barbares, à toutes les sciences helléniques. Je commencerai par Aristote, que d’autres philosophes ont calomnié pour sa vie privée ; et dans le nombre il en est de très illustres. Mais comme il ne me plaît pas d’entendre calomnier cet homme sur de simples ouï-dire, par ses propres compatriotes, je préfère citer pour sa justification ce qui a été écrit en sa faveur par Aristoclès le péripatéticien, dans le septième livre de son histoire de la philosophie.