- Est-elle contraire à la vertu d'amitié ?
- Sa comparaison avec l'adulation.
Objections
1. Il semble que non, car la contestation semble se rattacher à la discorde, de même que la dispute. Mais la discorde s'oppose à la charité, nous l'avons dit. Donc aussi la contestation.
2. On lit dans les Proverbes (Proverbes 26.21) : « L'homme irascible attise la dispute. » Mais l'irascibilité s'oppose à la douceur. Donc, de même la dispute et la contestation.
3. On lit dans la lettre de S. Jacques (Jacques 4.1) « D'où viennent les guerres et les contestations entre vous ? N'est-ce pas de vos convoitises, qui combattent dans vos membre ? » Mais suivre ses convoitises, c'est le contraire de la tempérance. Il semble donc que la contestation ne s'oppose pas à la vertu d'amitié, mais à la tempérance.
En sens contraire, il y a l'autorité d'Aristote qui oppose la contestation à l'amitié.
Réponse
À proprement parler, la contestation consiste en paroles qui contredisent celles d'autrui. Dans cette contradiction on peut envisager deux points de vue. Parfois, la contradiction vient de ce que le contradicteur refuse de s'accorder avec celui qui parle, parce qu'il n'y a pas entre eux cet amour qui unit les cœurs. Et cela relève de la discorde, qui est contraire à la charité. Mais parfois la contradiction, en raison de la personne contredite, provient de ce que l'on ne craint pas de lui faire de la peine. C'est alors qu'il y a contestation, opposée à cette amitié ou affabilité qui nous permet de vivre agréablement avec les autres. Aussi Aristote dit-il : « Ceux qui contrarient toujours afin de contrister sans se soucier de rien, sont appelés gens difficiles et contestataires. »
Solutions
1. La dispute se rattache plus proprement à la contradiction de la discorde, la contestation à la contradiction qui cherche à contrister.
2. L'opposition directe des vices aux vertus n'est pas à envisager selon leurs causes, car il arrive qu'un même vice naisse de diverses causes, mais selon la spécificité de l'acte. Bien que la contestation naisse parfois de la colère, elle peut provenir de beaucoup d'autres causes. Aussi n'est-elle pas toujours opposée directement à la mansuétude.
3. S. Jacques parle ici de la convoitise comme d'un mal général d'où naissent tous les vices, comme dit la Glose (Romains 7.7) : « La loi est bonne car, en interdisant la convoitise, elle interdit tous les maux. »
Objections
1. Il apparaît que la contestation est un péché moindre que le vice contraire, qui est la complaisance ou l'adulation. Car plus un péché est nuisible, plus il est grave. Or l'adulation est plus nuisible que la contestation, car on lit en Isaïe (Ésaïe 3.12) : « Ô mon peuple, ceux qui te disent bienheureux te trompent, et ils effacent les chemins que tu dois suivre. » Donc l'adulation est un péché plus grave que la contestation.
2. Dans l'adulation il y a une certaine tromperie, car l'adulateur dit une chose, et son cœur pense autrement. Or le contestataire est sans tromperie, car il contredit ouvertement. Or celui qui pèche en trompant est plus vil, d'après Aristote. Donc l'adulation est un péché plus grave que la contestation.
3. La honte consiste à redouter le déshonneur, comme le montre Aristote. Mais l'homme éprouve plus de honte à être adulateur que contestataire. Donc la contestation est un péché moins grave que l'adulation.
En sens contraire, c'est un fait qu'un péché apparaît d'autant plus grave qu'il s'oppose davantage à une situation spirituelle. Or la contestation paraît s'opposer davantage à un office spirituel il est dit en effet (1 Timothée 3.2) : « L'évêque ne doit pas être contestataire » et (2 Timothée 2.24) : « Il ne faut pas que le serviteur de Dieu soit contestataire. » Donc la contestation semble être un péché plus grave.
Réponse
Nous pouvons parler de ces deux péchés à un double point de vue. D'abord en considérant l'espèce de ces deux péchés. Et à ce point de vue un péché est d'autant plus grave qu'il s'oppose davantage à la vertu contraire. Or la vertu d'amitié tend plus fondamentalement à faire plaisir qu'à contrister. Et c'est pourquoi le contestataire qui cherche à contrister sans aucune limite pèche plus gravement que le complaisant ou le flatteur qui cherche surabondamment à faire plaisir.
D'autre part on peut considérer ces deux péchés selon leurs motifs extérieurs. Et à ce point de vue l'adulation est parfois plus grave, par exemple quand elle cherche à obtenir de l'honneur ou un profit par une tromperie injustifiable. Mais parfois la contestation est plus grave, par exemple si l'on veut combattre la vérité, ou attirer le mépris sur celui que l'on contredit.
Solutions
1. De même que le flatteur peut faire du mal en trompant secrètement, le contestataire peut parfois nuire en attaquant ouvertement. Or il est plus grave, toutes choses égales d'ailleurs, de nuire ouvertement à quelqu'un, comme par violence, que de façon cachée ; c'est pourquoi la rapine est un péché plus rave que le vol, nous l'avons dit précédemment.
2. Dans les actes humains ce qui est le plus grave n'est pas toujours le plus laid. La beauté de l'homme lui vient de la raison, et c'est pourquoi les péchés les plus laids sont ceux où la chair l'emporte sur la raison. Pourtant les péchés spirituels sont les plus graves, parce qu'ils procèdent d'un plus grand mépris. De même les péchés comportant une tromperie sont plus laids, en tant qu'ils paraissent découler d'une certaine faiblesse et fausseté de la raison, alors que les péchés manifestes viennent parfois d'un plus grand mépris. Et c'est pourquoi l'adulation, comme liée à la tromperie, semble plus laide, mais la contestation venant d'un plus grand mépris, apparaît plus grave.
3. Comme nous l'avons dit, la honte considère la laideur du péché. Aussi n'a-t-on pas toujours plus de honte du péché le plus grave, mais du péché le plus laid. De là vient que l'homme éprouve plus de honte de l'adulation que de la contestation, bien que celle-ci soit plus grave.
Il faut étudier maintenant la libéralité, puis les vices qui lui sont contraires : l'avarice (Q. 118), et la prodigalité (Q. 119).