Préparation évangélique

LIVRE XV

CHAPITRE VII
DU MÊME CONTRE LE MÊME SUR LA CINQUIÈME ESSENCE SUPPOSÉE DES CORPS, DONT MOÏSE NI PLATON N’ONT POINT EU CONNAISSANCE

« Quant à ce qu’on nomme éléments, qui sont les principes dont les corps sont formés, Platon cédant à l’évidence a admis, comme ceux qui l’ont précédé, qu’ils étaient au nombre de quatre, qui sont généralement avoués : le feu et la terre, l’air et l’eau ; du mélange et de la combinaison desquels sont issues toutes les choses qui existent. Aristote, à ce qu’il paraît, espérant l’emporter en pénétration sur tous les autres, s’il inventait quelque corps nouveau, a ajouté une cinquième essence aux quatre corps que nous venons de nommer. Mais en voulant se montrer magnifique et généreux envers la nature, il n’a pas conçu que son observateur ne doit pas lui imposer des lois ; mais qu’il doit en étudier la marche. Il est donc clair que le péripatéticien, loin de concourir à établir la preuve qu’il existe quatre premières natures de corps dont la philosophie platonicienne sent le besoin, est à peu près le seul qui, sur ce point, soit en contradiction avec elle. Ainsi, lorsque nous disons que tout corps est ou chaud ou froid, ou humide ou sec, ou mou ou dur, ou léger ou pesant, ou rare ou dense ; c’est que nous avons découvert qu’il ne saurait exister d’autres corps que ceux qui participent aux quatre éléments. Ainsi un corps chaud est formé de feu et d’air : un corps froid, d’eau et de terre ; un corps sec, de feu, et de terre ; un humide, d’eau et d’air ; un mou, d’air et de feu ; un dur, d’eau et de terre : s’il est léger et rare, il sera tel que le feu et l’air : pesant et dense, il sera tel que l’eau et la terre ; enfin de toutes les autres propriétés simples, conçues dans les corps, on n’en peut découvrir aucune qui vienne d’un autre élément. Mais Aristote seul contredit cette vérité, en disant qu’il peut y avoir un corps qui ne participe à aucune de ces qualités : corps qui ne serait ni pesant, ni léger, ni mou, ni dur, point humide sans être sec ; en un mot, un corps qui ne serait point corps ; lui laissant le nom tout seul et lui enlevant toutes les qualités qui font les corps être ce qu’ils sont. Soit donc que nous nous laissions persuader par ce qu’il dit ; alors il nous détachera des opinions platoniciennes : soit que nous conservions fermement les préceptes de Platon ; auquel cas nous repousserons ce qu’il veut y substituer : toujours est-il que jamais Aristote ne viendra en aide à la philosophie de Platon.

« Platon veut encore que tous les corps, considérés comme le produit d’une matière homogène, puissent se changer et se transformer l’un dans l’autre. Aristote, dans les autres corps, admet une essence impassible, incorruptible, et entièrement immuable ; apparemment dans l’espoir de ne pas passer pour avoir découvert une substance de peu de valeur : ne disant d’ailleurs absolument rien de neuf et de spécial, il se borne à transporter à ses découvertes, qui en sont indignes, les observations si bien exposées par Platon, sur les autres corps ; à la manière de quelques sculpteurs modernes, qui, imitant la tête d’un homme, le buste d’un autre, les parties inférieures d’un troisième, et rassemblant cela dans une seule et même statue : quoique ces parties n’eussent aucune harmonie entre elles, voudraient nous persuader qu’ils ont fait quelque chose d’original. En effet, l’ensemble, dont tout le monde blâme le disparate, est bien d’eux ; mais ce qu’il y a de beau dans chacune des parties ainsi rassemblées, ne saurait leur appartenir. De même, Aristote écoutant Platon et apprenant de lui ce qu’est la substance intellectuelle, prise en elle-même : savoir incorporelle, incolore, intangible, ne pouvant, ni naître ni périr, ni varier, ni se métamorphoser, demeurant toujours et imperturbablement dans les mêmes conditions ; ayant encore entendu qu’en parlant des choses célestes, il assurait que c’étaient des corps divins, incorruptibles et impassibles ; il a combiné et accolé l’une à l’autre, ces deux natures ; pour en faire une nature incohérente ; prenant de l’une les corps, prenant de l’autre l’impassibilité, il en a composé des corps impassibles. Dans les statues, encore qu’il ne résulte rien de beau de cet assemblage de différents sujets, la chose est possible, comme Homère nous l’enseigne, lorsqu’il dit d’Agamemnon

« qu’il avait les yeux et la tête semblables à Jupiter qui lance la foudre, la ceinture pareille à Mars et la poitrine à Neptune (Homère, Iliade, B, v. 478). »

Mais le corps impassible ne saurait exister, car étant enchaîné à une substance passible et variable, il partagerait nécessairement les sympathies de ce à quoi il serait attaché. S’il y a quelque essence impassible, elle doit être tout à fait libre et dégagée de ce qui est soumis à la souffrance : elle serait donc placée hors de la matière : tout ce qui est hors de la matière étant, d’un aveu unanime, nécessairement incorporel. »

Appliquons encore notre esprit aux nouvelles preuves qu’il nous donne des autres différences, en grand nombre, qui séparent Aristote de Platon.

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