« Que dirons-nous de l’âme ? C’est une vérité éclaircie non seulement pour les philosophes, mais je dirai presque pour les hommes du vulgaire, que Platon laisse l’âme immortelle ; il a écrit bien des dialogues sur ce sujet, dans lesquels il démontre, par une grande variété et une grande étendue de preuves, que, en effet, l’âme est immortelle : de plus il a existé une grande émulation entre tous les adhérents aux doctrines de Platon, pour défendre, en même temps que leur maître, ce dogme, qui résume en quelque sorte en lui seul, toute la philosophie de ce grand homme. Tout l’édifice des préceptes moraux s’appuie sur l’immortalité de l’âme, la vertu ne pouvant sauver sa sublimité, sa dignité, son énergie, qu’au moyen de la divinité de l’âme. Les œuvres de la nature elles-mêmes ne peuvent être bien dirigées que sous la conduite de l’âme.
« L’âme universelle, dit-il, surveille tout ce qui est inanimé : transformée sous diverses apparences, elle parcourt le ciel dans toute son étendue. »
« Mais quoi, le flambeau de la science et celui de la sagesse ne s’allument, suivant Platon, que dans l’immortalité de l’âme, puisque toutes les sciences ne sont que des réminiscences ; car il ne croit pas pouvoir expliquer autrement le désir de rechercher et d’apprendre ce qui fait la matière de nos sciences. Si l’âme n’est pas immortelle, il n’y a plus de réminiscence ; et sans la réminiscence, il n’y a plus de science. Puis donc que tous les dogmes de Platon viennent naturellement se grouper et se suspendre à la notion de la divinité et de l’immortalité reconnue dans l’âme, celui qui ne veut point y donner son suffrage ne peut manquer de renverser celle philosophie de fond en comble. Quel est donc le premier agresseur qui ait tenté de combattre ce dogme par ses démonstrations contraires, et de dépouiller l’âme, avec son immortalité, de toutes ses autres prérogatives ? Ce n’est personne autre qu’Aristote. Parmi tous les opposants, les uns lui ont concédé la prolongation d’existence ; s’il en est qui ont refusé ce point, ils ont reconnu au moins à l’âme la puissance sur le corps : ils lui ont attribué le mouvement spontané, les œuvres et les actes volontaires. Autant Platon a rendu vénérable la substance de l’âme, comme principe d’engendrement, comme instruite par Dieu, comme régente de toutes les choses créées ; autant Aristote s’est efforcé de la déprimer, de l’avilir, de la réduire pour ainsi dire à n’être rien. Ce n’est ni un souffle, ni un feu, ni vin corps, ni une substance incorporelle, qui existe et se meut par elle-même ; ce n’est pas même ce qui commande au corps. C’est quelque chose sans mouvement et presque sans vie ; à ce point qu’il a osé ou qu’il a été contraint de retirer à l’âme les premiers mobiles de nos actions, tels que délibérer, réfléchir, conjecturer, se rappeler, raisonner. Aucun de ces mouvements n’émane de l’âme, au dire de cet historien de la nature. Certes, on doit accorder toute confiance, comme ayant parfaitement compris toutes les choses du dehors, à celui qui s’est tellement mépris à l’égard de sa propre âme, qu’il ne peut pas comprendre qu’elle pense.
« Ce n’est pas l’âme, dit-il, c’est l’homme qui produit chacun de ces actes : l’âme est immobile. »
Dicéarque, marchant sur ses traces, a tout-à-fait nié l’existence de l’âme. Que l’âme soit une chose invisible et qui ne tombe pas sous les sens, c’est incontestable ; en sorte que, d’après l’évidence qui résulte pour nos sens, nous ne pourrions pas affirmer qu’il existât des âmes ; mais les mouvements qui lui sont propres, quoique elle échappe à notre vue, nous semblent tels qu’ils nous forcent à avouer qu’il existe une telle chose qu’une âme : car chacun croit comprendre que les actes suivants procèdent de l’âme : délibérer, considérer, penser, de quelque manière que te soit. Quand nous voyons le corps et toutes ses facultés, et quand nous concevons que de pareilles capacités ne sauraient provenir du corps, nous avouons donc qu’il y a en nous quelque chose, autre que lui, qui délibère : voilà ce que nous nommons l’âme. De quel autre principe a pu nous venir celle croyance qu’il existe une âme ? Mais si on lui enlevait tous les actes d’après lesquels nous supposons qu’elle existe, pour les transporter à une autre substance, il ne resterait plus rien de ce qui nous faisait admettre qu’elle est réellement, et l’on ne voit pas à quoi elle serait utile. Quel secours peut tirer celui qui veut que l’âme soit immortelle de celui qui la soumet à la mort ? Quel enseignement sur la manière dont elle se meut, qui nous fasse reconnaître la spontanéité de son mouvement, pouvons-nous attendre de ceux qui lui refusent toute espèce de mouvement ?
« Soit. Mais, nous dirait-on, Aristote est du même sentiment que Platon sur l’immortalité de l’esprit ; car s’il ne veut pas que toute l’âme soit immortelle, au moins il confesse que l’esprit est divin et incorruptible.
« Mais qu’est cet esprit (Νοῦς) quant à l’essence et à la nature ? d’où vient-il ? par quelle voie s’est-il furtivement insinué dans les hommes, et où se réfugiera-t-il en les quittant ? Il le sait sûrement, si toutefois il comprend quelques-unes des choses qu’il écrit sur le Νοῦς ; s’il ne cherche pas à se soustraire à la controverse, en masquant l’incertitude de la chose sous l’obscurité du langage ; et si, comme le poisson la sépia, il n’échappe pas à la poursuite du pêcheur en se couvrant de ténèbres. Eh bien ! même en cela, il est tout à fait en dissidence avec Platon. Platon déclare qu’il est impossible de donner sans l’âme la moindre consistance à l’esprit : Aristote le sépare de l’âme. Le premier lui donne le privilège de l’immortalité, en commun avec l’âme, comme ne pouvant pas le posséder autrement : le second ne l’accorde qu’à l’esprit seul, séparé de l’âme : il ne veut pas non plus que l’âme puisse sortir du corps ; parce que c’est la doctrine de Platon ; mais il arrache forcément l’esprit de l’âme, parce que Platon a reconnu que ce ne pouvait être. »
Toutes ces paroles sont d’Atticus. Je vais y faire suivre des observations de Plotin dans le même sens.