- Le pain et le vin sont-ils la matière de ce sacrement ?
- Une quantité déterminée est-elle requise à la matière de ce sacrement ?
- La matière de ce sacrement est-elle le pain de froment ?
- Est-ce le pain azyme, ou le pain fermenté ?
- La matière de ce sacrement est-elle le vin de la vigne ?
- Faut-il y mêler de l'eau ?
- L'eau est-elle nécessaire ?
- La quantité d'eau à mettre.
Objections
1. Il apparaît que non. Car ce sacrement doit représenter la passion du Christ plus parfaitement que ne faisaient les sacrements de la loi ancienne. Or ceux-ci avaient pour matière des chairs d'animaux, qui représentent la passion du Christ de façon plus vive que le pain et le vin. Ce sacrement devrait donc avoir pour matière des chairs d'animaux, plutôt que le pain et le vin.
2. Ce sacrement doit se célébrer partout. Mais en beaucoup de régions on ne trouve pas de pain de froment, et dans quelques-unes on ne trouve pas de vin. Le pain et le vin ne sont donc pas la matière idoine de ce sacrements.
3. Ce sacrement s'adresse aux bien portants et aux malades. Mais le vin est nuisible à certains malades. Il semble donc que le vin ne doive pas être la matière de ce sacrement.
En sens contraire, le pape Alexandre Ier dit : « Que dans les oblations sacramentelles on n'offre pour le sacrifice que du pain et du vin mêlé d'eau. »
Réponse
Sur la matière de ce sacrement, on a commis de multiples erreurs. Certains, appelés artotyrites, au dire de S. Augustin « offrent » dans ce sacrement « du pain et du fromage, sous prétexte que les oblations célébrées par les premiers hommes le furent avec des produits de la terre et des brebis. » D'autres, les cataphrygiens et les pépuziens, « célèbrent leur eucharistie, paraît-il, en faisant du pain avec du sang de petits enfants, qu'ils tirent de tout leur corps par de petites piqûres, et qu'ils mêlent à la farine ». D'autres, appelés aquariens, sous prétexte de sobriété, n'offrent dans ce sacrement que de l'eau.
Toutes ces erreurs et d'autres du même genre sont éliminées par le fait que le Christ a institué ce sacrement sous l'espèce du pain et du vin, comme on le voit au chapitre 26 de S. Matthieu. Donc le pain et le vin sont la matière idoine de ce sacrement. Et cela s'explique :
1° Quant à l'usage de ce sacrement, qui consiste en sa manducation. De même qu'on prend de l'eau, dans le sacrement de baptême où l'on pratique une ablution de l'âme, parce que les ablutions du corps se font généralement avec de l'eau ; de même dans ce sacrement, où l'on pratique une manducation spirituelle, on prend du pain et du vin qui sont les aliments habituels de l'homme.
2° Quant à la passion du Christ, dans laquelle le sang est séparé du corps ; c'est pourquoi, dans ce sacrement qui est le mémorial de la passion du Seigneur, on prend séparément le pain comme sacrement du corps, et le vin comme sacrement du sang.
3° Quant à l'effet considéré en chacun de ceux qui consomment le pain et le vin eucharistiques ; comme le note S. Ambroise : « Ce sacrement sert à la protection du corps et de l'âme ; et c'est pourquoi le corps du Christ est offert sous l'espèce du pain pour le salut du corps, le sang est offert sous l'espèce du vin pour le salut de l’âme » car le Lévitique dit (Lévitique 17.14) : « L'âme de la chair est dans le sang. »
4° Quant à l'effet de l'eucharistie à l'égard de toute l’Église, qui est constituée de divers fidèles « comme le pain est fait de divers grains et comme le vin coule de diverses grappes » selon la Glose sur ce passage (1 Corinthiens 10.17) : « Tous, si nombreux que nous soyons, nous ne formons qu'un seul corps... »
Solutions
1. Bien que les chairs d'animaux mis à mort représentent plus vivement la passion du Christ, elles sont moins appropriées à l'usage fréquent de ce sacrement et à son symbolisme d'unité ecclésiastique.
2. Bien que le blé ou le vin ne soient pas produits dans toutes les régions, on peut les transporter facilement partout, autant que c'est nécessaire pour l'usage qu'on en fait dans ce sacrement. Et si l'un des deux manque, on ne doit pas consacrer l'un sans l'autre, parce que ce ne serait pas alors un sacrement complètement achevé.
3. Le vin pris en petite quantité ne peut guère incommoder un malade. Pourtant, si on craint qu'il fasse mal, il n'est pas nécessaire que tous ceux qui reçoivent le corps du Christ reçoivent aussi son sang, comme on le verra plus loin.
Objections
1. Il semble qu'une quantité déterminée de pain et de vin est requise à la matière de ce sacrement. Car les effets de la grâce ne sont pas moins bien réglés que les effets de la nature. Or, dit Aristote : « Tous les éléments de la nature ont une limite fixée, une mesure de grandeur et de croissance. » Donc à bien plus forte raison, dans ce sacrement appelé eucharistie c'est-à-dire « bonne grâce », est requise une quantité déterminée de pain et de vin.
2. Le Christ n'a pas donné à ses ministres un pouvoir tel qu'ils puissent exposer au ridicule la foi et ses sacrements (2 Corinthiens 10.8) : « Dieu nous a donné pouvoir pour l'édification et non pour la destruction. » Mais le sacrement serait exposé au ridicule si un prêtre voulait consacrer tout le pain qu'on vend au marché et tout le vin qui est à la cave. Il ne peut donc le faire.
3. Si quelqu'un baptise dans la mer, la forme du baptême ne sanctifie pas toute l'eau de la mer, mais seulement l'eau qui lave le corps du baptisé. Donc dans ce sacrement, on ne peut consacrer une quantité superflue de pain et de vin.
En sens contraire, beaucoup est le contraire de peu, grand est le contraire de petit, mais il n'y a pas une quantité de pain et de vin si petite qu'on ne puisse la consacrer. De même donc, il n'y a pas une quantité si grande qu'on ne puisse la consacrer.
Réponse
Certains ont dit qu'un prêtre ne peut consacrer une quantité illimitée de pain ou de vin: par exemple tout le pain qui se vend au marché ou tout le vin qui est dans le tonneau. Mais cela ne semble pas vrai. Car, dans tous les êtres qui comportent une matière, la mesure qui détermine la matière se prend par relation à la fin. C'est ainsi qu'on fait une scie avec du fer, pour que cette scie soit capable de couper. Or la fin de ce sacrement, c'est l'usage qu'en font les fidèles. Ainsi faut-il que la quantité de matière, dans ce sacrement, soit déterminée par rapport à l'usage des fidèles. Mais il est impossible de le déterminer par rapport à l'usage des fidèles qui se présentent maintenant. Autrement, un prêtre ayant peu de paroissiens ne pourrait pas consacrer beaucoup d'hosties. Il s'ensuit donc que la matière de ce sacrement se détermine par rapport à l'usage des fidèles, sans aucune autre considération. Or le nombre des fidèles n'est pas mesuré. Aussi ne peut-on dire que la quantité de matière, dans ce sacrement, est déterminée.
Solutions
1. La matière de tout être naturel reçoit une quantité déterminée par rapport à une forme déterminée. Mais le nombre des fidèles, qui règle l'usage de ce sacrement, n'est pas déterminé. Le cas n'est donc pas le même.
2. Le pouvoir des ministres de l'Église est ordonné à deux fins : 1° à l'effet propre du sacrement ; 2° à la fin de cet effet, et la seconde fin ne supprime pas la première. Donc si un prêtre a l'intention de consacrer le corps du Christ en vue d'une fin mauvaise, pour le tourner en dérision ou pour en confectionner un poison, il pèche parce que son intention vise une fin mauvaise. Néanmoins, à cause du pouvoir qui lui a été conféré, il consacre validement.
3. Le sacrement de baptême s'accomplit dans l'usage de la matière ; c'est pourquoi la forme du baptême ne sanctifie pas plus d'eau qu'on n'en emploie. Mais le sacrement d'eucharistie s'accomplit dans la consécration de la matière. Par conséquent la comparaison ne vaut pas.
Objections
1. Il apparaît que non. Car l'eucharistie est le mémorial de la passion du Seigneur. Or le pain d'orge s'accorde mieux à la passion du Seigneur, parce qu'il est plus grossier, et en outre le Seigneur en a nourri les foules sur la montagne (Jean 6.9). Le pain de froment n'est donc pas la matière propre de ce sacrement.
2. C'est la forme extérieure, chez les êtres produits par la nature, qui permet de reconnaître leur espèce. Mais il y a certaines céréales qui ressemblent extérieurement au froment, comme l'engrain et l'épeautre dont, en certains endroits, on fait du pain pour l'usage de ce sacrement. Le pain de froment n'en est donc pas la matière propre.
3. Le mélange détruit l'espèce. Mais on ne trouve guère de farine de froment qui soit pure de tout mélange, à moins qu'on ne trie les grains avec grand soin. Il ne semble donc pas que le pain de froment soit la matière propre de ce sacrement.
4. La dissolution d'un être change son espèce. Mais certains consacrent avec du pain en décomposition qui, de ce fait, ne se présente plus comme du pain de froment. Il semble donc qu'un tel pain ne soit pas la matière propre de ce sacrement.
En sens contraire, ce sacrement contient le Christ qui se compare au grain de froment, lorsqu'il dit (Jean 12.24) : « Si le grain de froment tombé en terre, ne meurt pas, il reste seul. » Donc le pain de froment est la matière de ce sacrement.
Réponse
Nous l'avons déjà dit, on prend pour l'usage des sacrements telle matière que les hommes emploient le plus communément pour cet usage. Entre toutes les sortes de pain, les hommes usent plus communément du pain de froment, car les autres sortes de pain semblent avoir été employées à défaut de celui-là. C'est pourquoi on croit que le Christ a institué ce sacrement sous l'espèce de ce pain. En outre, c'est là le pain le plus fortifiant, et à ce titre c'est la matière la mieux adaptée à signifier l'effet de ce sacrement. C'est pourquoi la matière propre de ce sacrement est le pain de froment.
Solutions
1. Le pain d'orge convient pour symboliser la dureté de la loi ancienne, tant à cause de la dureté de ce pain que parce que, dit S. Augustin, « le grain de l'orge, qui est recouvert d'une balle très résistante, symbolise la loi, dans laquelle l'aliment vital de l'âme était enveloppé dans des signes corporels ; elle symbolise aussi le peuple lui-même qui n'était pas encore dépouillé de ces désirs charnels qui adhèrent à son cœur comme la balle adhère au grain. » Or ce sacrement se rattache au joug du Christ, qui est suave, à la vérité rendue désormais manifeste, et au peuple spirituel. Le pain d'orge ne serait donc pas une matière appropriée à ce sacrement.
2. Celui qui engendre, engendre un être de même espèce. Il y a cependant parfois une dissemblance entre celui qui engendre et celui qui est engendré, quant aux accidents, et cela soit à cause de la matière engendrée qui est différente, soit à cause des déficiences de la vertu générative.
Par conséquent, s'il y a des céréales qui peuvent être engendrées par une semence de froment (comme de la fleur de froment peut naître de grain semé dans des terres pauvres) le pain fabriqué avec une telle céréale peut être la matière de ce sacrement. Mais le cas ne semble pas réalisé avec de l'orge, de l'épeautre, ou même de l'engrain, qui est, de toutes les céréales, la plus semblable au grain de froment. La ressemblance extérieure, chez ces céréales, semble signifier une parenté plutôt qu'une identité d'espèces. Ainsi la ressemblance extérieure entre le chien et le loup prouve qu'ils sont d'espèces voisines mais non identiques. Par conséquent, avec de telles céréales, qui ne peuvent aucunement naître d'une semence de froment, on ne peut fabriquer du pain qui soit la matière exigée pour ce sacrement.
3. Un léger mélange ne change pas l'espèce, car ce qui est en petite quantité est comme absorbé par ce qui est en plus grande quantité. Par conséquent si une autre céréale est mélangée en faible proportion à une quantité très supérieure de froment, on pourra en fabriquer du vrai pain, qui est la matière de ce sacrement. Mais si le mélange est en plus grande proportion, par exemple à égalité ou à peu près, un tel mélange change l'espèce, et le pain ainsi fabriqué ne sera pas la matière exigée pour ce sacrement.
4. Parfois le pain est si corrompu que la nature du pain disparaît. Si la consistance, le goût, la couleur disparaissent ou que d'autres accidents soient changés, on ne peut avec une telle matière produire le corps du Christ. Parfois, la décomposition n'est pas assez avancée pour détruire l'espèce, mais la matière est sur le point de se décomposer, ce que décèle un changement de saveur. Avec un tel pain on peut produire le corps du Christ, mais celui qui le fait commet un péché par irrévérence envers le sacrement. Quant à l'amidon, qui vient d'un froment profondément altéré, il ne semble pas que du pain fait avec ce produit puisse être transformé au corps du Christ, bien que certains affirment le contraire.
Objections
1. Il semble que non. Car nous devons, en célébrant ce sacrement, nous conformer à ce que le Christ a institué. Or il semble que le Christ a institué ce sacrement avec du pain fermenté car, comme on le voit au livre de l'Exode (Exode 12.15), les Juifs, conformément à la loi, ne commençaient à user de pain azyme que le jour de la Pâque, qui se célébrait le quatorzième jour du mois. Or le Christ a institué ce sacrement à la Cène qu'il célébra « avant le jour de la fête pascale » dit S. Jean (Jean 13.1). Donc nous devons à notre tour célébrer ce sacrement avec du pain fermenté.
2. Les prescriptions légales ne doivent plus être observées sous le régime de la grâce. Mais l'usage de pains azymes était une cérémonie légale, comme on le voit bien dans l'Exode. Dans ce sacrement de la grâce nous ne devons donc pas employer de pains azymes.
3. Comme on l'a vu plus haut, l'eucharistie est le sacrement de la charité, comme le baptême est le sacrement de la foi. Mais la ferveur de la charité est symbolisée par le levain, comme le montre bien la Glose sur le texte de S. Matthieu (Matthieu 13.33) : « Le royaume des cieux est semblable à du levain... » Ce sacrement doit donc être fait avec du pain levé.
4. Être azyme ou fermenté, pour du pain, ce sont des accidents qui ne changent pas l'espèce. Or dans le baptême on ne tient aucun compte des accidents divers qui affectent l'eau, par exemple que celle-ci soit salée ou douce, chaude ou froide. De même dans ce sacrement on ne doit pas tenir compte de ce que le pain est ou azyme ou fermenté.
En sens contraire, la décrétale sur la célébration de la messe punit le prêtre qui « s'est permis de célébrer la messe avec du pain fermenté et une coupe de bois ».
Réponse
Au sujet de la matière de ce sacrement on peut envisager deux points de vue : celui de la nécessité, et celui de la convenance. Ce qui est nécessaire, on l'a vu, c'est que le pain soit fait avec du froment, sans quoi le sacrement n'est pas accompli. Or il n'est pas nécessaire au sacrement que ce pain soit azyme ou fermenté: l'un ou l'autre permet une consécration valide. Mais ce qui est convenable, c'est que chacun observe le rite de son Église dans la célébration du sacrement. Or, sur ce point, les Églises ont des coutumes divergentes. Ainsi S. Grégoire écrit : « L'Église romaine offre des pains azymes parce que le Seigneur a pris une chair très pure. Mais certaines Églises offrent du pain fermenté parce que le Verbe du Père s'est revêtu de chair, de même que le ferment est mêlé à la farine. » Ainsi, de même que le prêtre de l'Église latine pèche s'il célèbre avec du pain fermenté, de même le prêtre de l'Église grecque qui célébrerait avec du, pain azyme, parce qu'il bouleverse le rite de son Église. Cependant la coutume de célébrer avec du pain azyme est plus justifiée.
1° A cause de l'institution du Christ, qui a institué ce sacrement « le premier jour des azymes » selon S. Matthieu (Matthieu 26.17), S. Marc et S. Luc, alors que rien de fermenté ne devait demeurer dans les maisons des juifs, comme le prescrit l'Exode (Exode 12.15-19).
2° Parce que le pain est proprement le sacrement du corps du Christ, qui a été conçu dans la pureté, plus qu'il n'est le sacrement de sa divinité comme on l'établira plus loin.
3° Parce que cela convient mieux à la sincérité des fidèles, qui est requise pour qu'ils s'approchent de ce sacrement, selon la parole de S. Paul (1 Corinthiens 5.7) : « Le Christ, notre agneau pascal, a été immolé. Aussi nous devons festoyer avec les azymes de la sincérité et de la vérité. » Cependant la coutume des Grecs n'est pas dénuée de raison : à cause du symbolisme que signale S. Grégoire, et pour repousser l'hérésie des nazaréens qui mêlaient les observances légales à l'Évangile.
Solutions
1. Comme on le voit dans l'Exode (Exode 12.7-18), la solennité pascale commençait au soir du quatorzième jour, et c'est alors que le Christ, après l'immolation de l'agneau pascal, a institué ce sacrement. C'est pourquoi ce même jour est donné par S. Jean comme précédant le jour de la Pâque, tandis que les trois autres évangélistes l'appellent le « premier jour des azymes », lorsqu'on ne trouvait plus rien de fermenté dans les maisons des Juifs, comme nous venons de le dire. Nous avons signalé cela plus longuement au traité de la passion du Seigneur.
2. Ceux qui consacrent avec du pain azyme n'ont pas l'intention d'observer les cérémonies de l'ancienne loi, mais de se conformer à l'institution du Christ. Par conséquent, ils ne « judaïsent » pas. Autrement, ceux qui emploient du pain fermenté judaïseraient également. Car les Juifs offraient pour les prémices des pains fermentés.
3. Le levain symbolise la charité à cause de certains de ses effets, parce qu'il donne au pain plus de goût et plus de volume. Mais il symbolise la corruption à cause de sa nature même.
4. Parce que le ferment est un principe de décomposition et qu'avec du pain corrompu on ne peut consacrer validement ce sacrement, nous l'avons vu, la différence entre le pain azyme et le pain fermenté a plus d'importance que la différence entre l'eau chaude et l'eau froide pour le baptême. Car la corruption introduite par le levain pourrait être poussée si loin qu'elle empêcherait la consécration sacramentelle.
Objections
1. Il apparaît que non. Comme l'eau est la matière du baptême, ainsi le vin est-il la matière de ce sacrement. Mais on peut célébrer le baptême avec n'importe quelle eau. On peut donc consacrer ce sacrement avec du vin de grenades, de mûres, etc. D'autant plus qu'il y a des pays où la vigne ne pousse pas.
2. Le vinaigre est une espèce de vin, car il est tiré de la vigne, selon S. Isidore. Mais on ne peut consacrer ce sacrement avec du vinaigre. Il semble donc que le vin de la vigne n'est pas la matière propre de ce sacrement.
3. De la vigne on tire non seulement du vin clarifié, mais du verjus et du moût. Pourtant il ne semble pas qu'on puisse consacrer ce sacrement avec de tels produits. On lit en effet dans les actes du Concile in Trullo : « Nous avons appris que, dans certaines Églises, des prêtres joignent du raisin au vin de l'oblation, et distribuent au peuple ce mélange. Nous prescrivons qu'aucun prêtre n'agisse plus ainsi à l'avenir. » Et le pape Jules Ier réprimande des prêtres qui, dans le sacrement de la coupe du Seigneur, offrent du vin fait de raisin pressé. Il semble donc que le vin de la vigne n'est pas la matière propre de ce sacrement.
En sens contraire, de même que le Seigneur s'est comparé au grain de froment, il s'est comparé à la vigne lorsqu'il dit (Jean 15.1) : « je suis la vraie vigne. » Mais seul le pain de froment est la matière de ce sacrement, nous l'avons vu. Donc seul le vin de la vigne est la matière propre de ce sacrement.
Réponse
C'est seulement avec le vin de la vigne qu'on peut consacrer ce sacrement.
1° A cause de l'institution du Christ, qui a institué ce sacrement avec du vin de la vigne : c'est chose claire d'après ce qu'il dit lui-même touchant l'institution de ce sacrement (Matthieu 26.29) « je ne boirai plus de ce fruit de la vigne. »
2° Nous l'avons déjà dit, on prend comme matière des sacrements ce qui, au sens propre et dans l'usage universel, a telle nature. Or on donne proprement le nom de vin au liquide tiré de la vigne. Les autres liquides ne sont appelés vins que par une certaine ressemblance avec le vin de la vigne.
3° Parce que le vin de la vigne convient davantage à l'effet de ce sacrement, qui est la joie spirituelle, car il est écrit (Psaumes 104.15) : « Le vin réjouit le cœur de l'homme. »
Solutions
1. Ces liquides ne sont pas appelés du vin au sens propre du terme, mais par suite d'une certaine ressemblance. Et, dans les pays où la vigne ne pousse pas, l'on peut toujours transporter du vrai vin en quantité suffisante pour célébrer ce sacrement.
2. Le vin devient du vinaigre en se décomposant, si bien que le vinaigre ne peut redevenir du vin, dit Aristote. Aussi, de même qu'on ne peut consacrer ce sacrement avec du pain complètement décomposé, on ne peut pas davantage le consacrer avec du vinaigre. On peut cependant le consacrer avec du vin qui tourne à l'aigre, comme avec du pain qui est en train de se corrompre, quoique celui qui agisse ainsi commette un péché, nous l'avons vu.
3. Le verjus est du vin en train de se faire, il n'a donc pas la nature du vin, et pour cette raison on ne peut consacrer le sacrement avec ce produit. Le moût a déjà la nature du vin, car sa douceur atteste qu'il est déjà digéré « ce qui est un achèvement produit par la chaleur naturelle », dit Aristote. Par conséquent on peut consacrer ce sacrement avec du moût. Mais on ne doit pas mélanger des raisins naturels à ce sacrement, car alors il y aurait autre chose que du vin. Il est en outre interdit d'offrir dans le calice du moût qui vient d'être exprimé du raisin, car cela est inconvenant à cause de l'impureté du moût. Cela peut se faire toutefois en cas de nécessité. Car le pape Jules Ier ajoute : « Si c'est nécessaire, qu'on presse une grappe dans le calice. »
Objections
1. Il apparaît que non, car le sacrifice du Christ fut préfiguré par l'oblation de Melchisédech. Or la Genèse (Genèse 14.18) ne dit pas que celui-ci ait offert autre chose que du pain et du vin. Il semble donc qu'on ne doive pas ajouter de l'eau dans ce sacrement.
2. Autant de sacrements, autant de matières. Mais l'eau est déjà la matière du baptême. On ne doit donc pas l'employer comme matière de l'eucharistie.
3. Le pain et le vin sont la matière de ce sacrement. Mais on n'ajoute rien au pain. Pas davantage ne doit-on ajouter quoi que ce soit au vin.
En sens contraire, le pape Alexandre Ier écrit : « Dans les oblations sacramentelles qui sont offertes au Seigneur à la messe, qu'on offre du pain seulement, et du vin mêlé d'eau. »
Réponse
On doit mêler de l'eau au vin qui est offert dans ce sacrement.
1° À cause de l'institution. On croit en effet avec de bonnes raisons que le Seigneur a institué ce sacrement avec du vin mêlé d'eau selon la coutume du pays. C'est pourquoi il est écrit dans les Proverbes (Proverbes 9.5) : « Buvez le vin que j'ai mêlé pour vous. »
2° Parce que cela convient à la représentation de la passion du Seigneur. Ce qui fait dire au pape Alexandre Ier : « On ne doit pas offrir dans le calice du vin seul ou de l'eau seule, mais un mélange des deux, car nous lisons dans le récit de la Passion que l'un et l'autre ont jailli de son côté. »
3° Parce que cela convient pour symboliser l'effet de ce sacrement, qui est l'union au Christ du peuple chrétien car, comme dit le pape Jules Ier « nous voyons que l'eau signifie le peuple, et que le vrai vin signale le sang du Christ. Donc, lorsque l'eau est mêlée au vin dans le calice, le peuple est uni au Christ ».
4° Parce que cela répond à l'effet ultime de ce sacrement, qui est l'entrée dans la vie éternelle. D'où la parole de S. Ambroise : « L'eau coule dans le calice et jaillit en vie éternelle. »
Solutions
1. Comme S. Ambroise le dit au même endroit, si le sacrifice du Christ a été symbolisé par l'oblation de Melchisédech, il a encore été symbolisé par l'eau qui, dans le désert, a jailli du rocher, selon la parole de S. Paul (1 Corinthiens 10.4) : « Ils buvaient au rocher spirituel qui les suivait. »
2. L'eau est employée dans le baptême pour laver. Dans l'eucharistie, elle est employée pour rafraîchir, selon la parole (Psaumes 23.2) : « Il m'a conduit auprès des eaux rafraîchissantes. »
3. Le pain est fait avec de l'eau et de la farine. Par conséquent, lorsqu'on mêle de l'eau au vin, ni le pain ni le vin ne se trouvent sans mélange d'eau.
Objections
1. Il semble que oui. Car S. Cyprien écrit à Cecilius : « Ainsi la coupe du Seigneur, ce n'est pas l'eau seule, ni le vin seul, mais le mélange des deux, de même que le corps du Seigneur ne peut être la farine seule, mais tous les deux » (la farine et l'eau). Or le mélange de l'eau à la farine est nécessaire à ce sacrement. Il en est donc de même pour le mélange de l'eau au vin.
2. Dans la passion du Seigneur, dont ce sacrement est le mémorial, il est sorti de son côté non seulement du sang, mais encore de l'eau. Mais le vin, qui est le symbole du sang, est nécessaire à ce sacrement. Il en est donc de même pour l'eau.
3. Si l'eau n'était pas nécessaire à ce sacrement, on pourrait y mettre n'importe quelle eau ; ainsi on pourrait y mettre de l'eau de roses ou n'importe quelle eau analogue, ce que l'usage de l’Église n'admet pas. L'eau est donc nécessaire à ce sacrement.
En sens contraire, S. Cyprien dit ceci : « Si l'un de nos prédécesseurs, par ignorance ou par simplicité, n'a pas observé cette règle » de mêler de l'eau au vin dans le sacrement, « on peut pardonner à sa simplicité ». Ce qui serait impossible si l'eau était nécessaire à ce sacrement, comme le sont le vin et le pain. Le mélange d'eau n'est donc pas nécessaire au sacrement.
Réponse
On doit juger un signe d'après ce qu'il signifie. L'adjonction d'eau au vin a pour but de signifier la participation des fidèles à ce sacrement, en ce que l'eau mélangée au vin symbolise le peuple uni au Christ, nous venons de le voir. Et cela même, que de l'eau ait jailli du côté du Christ crucifié, a la même signification ; car l'eau signifie la purification des péchés, qui a été accomplie par la passion du Christ. Or on a vu plus haut que ce sacrement est accompli dans la consécration de la matière. Tandis que l'usage qu'en font les fidèles n'est pas nécessaire au sacrement, car il n'est qu'une conséquence du sacrement. Il s'ensuit donc que le mélange d'eau n'est pas nécessaire au sacrement.
Solutions
1. Lorsque S. Cyprien parle ici d'impossibilité, il faut l'entendre d'une simple impossibilité de convenance. Ainsi sa comparaison porte sur ce qu'on doit faire, mais elle n'engage pas une nécessité ; car l'eau est essentielle au pain, mais non au vin.
2. L'effusion de sang appartenait directement à la passion du Christ. En effet, il est naturel que d'un corps humain blessé il jaillisse du sang. Mais l'effusion d'eau ne fut pas une conséquence nécessaire de la passion. Elle servait à signaler un effet de la passion, qui est de laver les péchés et de refroidir l'ardeur de la concupiscence. C'est pourquoi l'eau n'est pas offerte à part du vin, dans ce sacrement, comme le vin est offert séparément du pain. Mais l'eau est offerte mêlée au vin pour montrer que le vin, de soi, appartient à ce sacrement, comme en faisant nécessairement partie, tandis que l'eau n'est offerte que comme un élément ajouté au vin.
3. Parce que le mélange d'eau au vin n'est pas nécessaire au sacrement, peu importe au point de vue de la nécessité, qu'on mélange au vin n'importe quelle eau, soit naturelle, soit artificielle comme l'eau de roses. Cependant, pour des raisons de convenance à l'égard du sacrement, on pécherait en offrant une eau qui ne serait pas naturelle et véritable. Car ce qui a coulé du côté de Jésus crucifié c'est de l'eau véritable et non pas, comme certains l'ont dit, de la lymphe. Cela, afin de montrer que le corps du Christ était vraiment composé des quatre éléments ; de même l'effusion du sang montrait que son corps était composé des quatre humeurs, dit Innocent III. Mais puisque le mélange de l'eau et de la farine est nécessaire à ce sacrement, comme constituant la substance du pain, si à la farine on mêle de l'eau de roses, ou tout liquide autre que de l'eau véritable, on ne pourrait consacrer le sacrement avec ce pain qui ne serait pas du vrai pain.
Objections
1. Il semble qu'il faudrait mettre de l'eau en grande quantité. De même que le sang a coulé du côté du Christ de façon visible, de même l'eau. Ce qui a permis à S. Jean de dire (Jean 19.25) : « Celui qui l'a vu en rend témoignage. » Mais l'eau ne peut se trouver de façon visible dans ce sacrement si elle n'y est mise en grande quantité.
2. Un peu d'eau mélangée à beaucoup de vin perd sa nature propre, et ce qui disparaît ainsi n'existe plus. C'est donc pareil de mettre dans ce sacrement un peu d'eau ou pas du tout. Mais il n'est pas permis de n'en pas mettre du tout. Il n'est donc pas permis d'en mettre un peu seulement.
3. S'il suffisait d'en mettre un peu, il serait donc suffisant de jeter une goutte d'eau dans tout un tonneau. Mais cela paraît ridicule. Il ne suffit donc pas d'en mettre en petite quantité.
En sens contraire, on lit dans la décrétale sur la célébration de la messe : « Dans vos régions s'est développé un abus funeste. Dans la célébration du sacrifice on met plus d'eau que de vin, alors que, selon la coutume raisonnable de l'Église universelle, on doit mettre plus de vin que d'eau. »
Réponse
Au sujet de l'eau mêlée au vin, une décrétale d'Innocent III reconnaît l'existence de trois opinions.
Pour certains, l'eau ajoutée au vin demeure telle quelle, une fois le vin converti au sang. Mais cette opinion ne peut tenir parce que, dans le sacrement de l'autel, après la consécration, il n'y a plus rien que le corps et le sang du Christ. Car, dit S. Ambroise : « Avant la bénédiction on nomme une autre nature, après la bénédiction c'est le corps du Christ qui est ici désigné. » Autrement on ne pourrait adorer l'oblation. C'est pourquoi, selon d'autres auteurs, de même que le vin est converti au sang, de même l'eau est convertie en l'eau qui a coulé du côté du Christ. Mais on ne peut dire cela raisonnablement, car en ce cas on consacrerait l'eau à part du vin, de même qu'on consacre séparément le pain et le vin. Et c'est pourquoi, comme Innocent III le professe lui-même, la troisième opinion est la mieux fondée, selon laquelle l'eau est convertie au vin, et le vin au sang. Or cela ne peut se produire que si on met de l'eau en quantité assez petite pour qu'elle soit convertie au vin. Par conséquent il est toujours plus sûr de mettre peu d'eau, surtout si le vin est faible. Car si l'on mettait tellement d'eau que le vin en perdrait sa nature, le sacrement ne pourrait être accompli. Aussi le pape Jules Ier réprimande-t-il ceux qui « gardent toute l'année un linge imbibé de moût et qui, au moment du sacrifice, font l'offrande avec de l'eau dans laquelle ils ont trempé ce linge ».
Solutions
1. Il suffit pour la signification de ce sacrement que l'eau soit visible au moment où on la met dans le vin. Mais il n'est pas requis qu'elle reste sensible après le mélange.
2. Si on ne mettait pas d'eau du tout, on évacuerait complètement la signification de ce sacrement. Mais lorsque l'eau se convertit au vin, cela signifie que le peuple est incorporé au Christ.
3. Si l'on mettait de l'eau dans le tonneau, cela ne servirait pas à la signification sacramentelle. Il faut mettre de l'eau dans le vin au moment même de la célébration sacramentelle.