De l’unité de l’Église catholique | Cyprien de Carthage |
Présentation de l’auteur
Cyprien de Carthage, de son vrai nom Thascius Caecilius Cyprianus, né vers 200 et mort en martyr le 14 septembre 258 sous la persécution de Valérien, est un Berbère converti au christianisme, évêque de Carthage et Père de l’Église. Il est, après saint Augustin, l’un des plus grands témoins de la doctrine de l’Église latine des premiers siècles.
1 Le Seigneur nous dit en un avertissement : « C’est vous qui êtes le sel de la terre » (Mt 5.13). Il veut que nous soyons simples jusqu’à l’innocence mais en alliant la prudence à la simplicité. Dès lors, mes bien chers frères, la prévoyance n’est-elle pas pour nous un devoir ? Notre pensée toujours en éveil ne doit-elle pas exercer sa vigilance pour comprendre les ruses sournoises de l’Ennemi, et aussi pour nous en préserver ? Autrement, nous autres qui avons revêtu le Christ, Sagesse du Père, nous aurions l’air de manquer de sagesse dans la défense de notre salut. Ce qui est à redouter, ce n’est pas seulement la persécution, ni les attaques à visage découvert qui visent à abattre et à jeter bas les serviteurs de Dieu. Il est plus aisé de se garder, quand on voit ce qu’il faut craindre et, devant un adversaire qui se montre, l’âme s’arme pour le combat. Plus dangereux et alarmant est un ennemi qui se glisse à petit bruit et qui, sous les dehors d’une paix trompeuse, rampe avec de secrets détours. C’est cette allure qui lui a valu le nom de « serpent ». Telle est son astuce, telle est sa façon ténébreuse et sournoise de circonvenir habilement l’homme. Oui, c’est ainsi que dès l’origine de l’univers, il séduisit et trompa par de menteuses paroles une âme crédule et toute neuve, qui ne se méfiait pas ; c’est ainsi qu’il essaya de tenter le Seigneur Lui-même, s’approchant de Lui à la dérobée, comme en une nouvelle reptation hypocrite. Mais il fut découvert et déjoué ; et sa défaite fut due à ceci, qu’il se vit reconnu et repéré.
2 De là, pour nous, un avertissement exemplaire : fuir les voies du vieil homme, marcher sur les traces du Christ vainqueur, de peur que notre imprudence ne nous rejette dans les lacs de la mort ; parer au péril, et jouir ainsi des joies de l’immortalité. Mais le moyen de la conquérir sans observer les prescriptions du Christ, grâce auxquelles la mort est subjuguée et vaincue ? Voici en propres termes son avertissement : « Si vous voulez accéder à la vie, gardez les commandements » (Mt 17.19). Et encore : « Si vous faites ce que Je vous dis, Je ne vous appelle plus mes serviteurs, mais mes amis » (Jn 15.14-15). Ce sont ceux-là qu’il nomme les forts, les stables, ceux qui demeurent inébranlables sur la pierre, comme une masse robuste ; ceux qui, en face des tempêtes et des tourbillons du siècle, restent fermes et solides, sans reculer ni se laisser abattre. « L’homme qui écoute mes paroles et les met en pratique, Je le comparerai à un sage qui a bâti sa maison sur la pierre. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison : elle n’a pas été renversée, car elle était bâtie sur la pierre » (Mt 7.24-25). Nous conformer à ses paroles, apprendre et réaliser tout ce qu’Il a enseigné et réalisé, tel est notre devoir. Comment prétendre que l’on croit au Christ, quand on ne fait pas ce que le Christ a ordonné de faire ? Comment parvenir à la récompense de la foi, quand on se refuse à observer fidèlement les préceptes ? On se condamne à chanceler, à perdre sa route, à se laisser emporter à tous les souffles de l’air, comme une poussière soulevée par le vent ; et jamais on ne s’acheminera pour son bonheur au salut, quand on ne se maintient pas dans la voie salutaire de la vérité.
3 Or il faut se garer non seulement des périls ouverts et manifestes, mais aussi des subtiles duperies de la ruse et du mensonge. Or quoi de plus subtil et de plus rusé que le procédé de l’Ennemi, qui fut découvert et abattu quand vint le Christ ? La lumière éclairait les nations ; son éclat salutaire brillait pour le salut des hommes ; les sourds ouvraient l’oreille à la grâce spirituelle, les aveugles tournaient vers le Seigneur leurs yeux dessillés, les infirmes se revigoraient au contact de l’éternelle santé, les boiteux couraient à l’Église, les muets articulaient distinctement les mots de leurs prières. L’Ennemi voyant ses idoles abandonnées, ses demeures et ses temples déserts, tant était nombreuse la masse des croyants, a inventé une supercherie nouvelle. Il s’est déguisé sous l’étiquette du nom chrétien pour mieux tromper les imprudents. Il a inventé les hérésies et les schismes pour renverser la foi, corrompre la vérité, déchirer l’unité. Ceux qu’il ne peut retenir dans l’aveuglement de la voie ancienne, il les circonvient et les fourvoie dans les détours trompeurs d’un chemin nouveau. Il arrache des hommes à l’Église elle-même et, alors que ceux-ci croient qu’ils s’approchent de la lumière et qu’ils échappent à la nuit du siècle, il les plonge de nouveau dans d’autres ténèbres sans qu’ils s’en rendent compte. Infidèles à l’Évangile du Christ, à ses préceptes et à sa loi, ils s’intitulent chrétiens, et marchant dans les ténèbres, ils croient posséder la lumière : c’est que l’Adversaire les flatte et les dupe ; selon le mot de l’Apôtre, il se transfigure, pour ainsi dire, en ange de lumière et présente faussement comme des serviteurs de la justice ses serviteurs à lui, qui donnent à la nuit le nom de jour, à la mort celui de salut, au désespoir celui d’espérance, à l’incroyance celui de foi, à l’antichrist celui du Christ. Grâce aux dehors spécieux de leurs mensonges, ils font échec par ces subtiles manœuvres à la vérité. Et tout cela arrive, mes frères bien aimés, parce qu’on ne remonte pas à l’origine de la vérité, qu’on n’en cherche pas la source et qu’on ne garde pas la doctrine du magistère céleste.
4 Si l’on considère, si l’on approfondit ces principes, point n’est besoin d’un long débat ni de toute une argumentation. Facile est pour la foi la démonstration, car le chemin de la vérité est court. Le Seigneur dit à Pierre : « Je te dis, moi, que tu es Pierre et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne la vaincront pas. Je te donnerai les clés du royaume des cieux : ce que tu auras lié sur la terre sera lié aussi dans le ciel, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié aussi dans le ciel » (Mt 16.18-19). C’est sur un seul qu’il édifie l’Église. Et bien qu’après sa résurrection il dispense à tous les apôtres pouvoir égal et leur dise : « De même que mon Père M’a envoyé, Moi Je vous envoie. Recevez l’Esprit saint ; si vous remettez à quelqu’un ses péchés, ils lui seront remis ; si vous les lui retenez, ils lui seront retenus » (Jn 21.17), cependant, pour manifester l’unité, il a aménagé par l’autorité de sa parole l’origine de cette même unité (de telle façon qu’elle) commençât par un seul. De toute façon, les autres apôtres étaient aussi ce que fut Pierre ; ils bénéficiaient d’une participation égale à l’honneur et au pouvoir, mais le commencement a son point de départ dans l’unité. Ainsi est soulignée l’unité de l’Église du Christ. Cette Église une, l’Esprit saint, au nom du Seigneur, la vise encore dans le Cantique des Cantiques, quand il dit : « Unique est ma colombe, ma perfection ; elle est l’unique de sa mère, la préférée de celle qui lui donna le jour » (Can 6.8). Celui qui ne s’attache pas à cette unité de l’Église, croit-il qu’il reste attaché à la foi ? Celui qui résiste et fait opposition à l’Église, est-il bien sûr d’être dans l’Église ? Le bienheureux apôtre Paul n’enseigne-t-il pas la même chose, ne met-il pas en relief le sacrement de l’unité, quand il dit : « Il n’y a qu’un seul corps, et un seul esprit, une seule espérance – celle de votre vocation – un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu » (Éph 4.4-6) ?
5 Cette unité nous devons la retenir, la revendiquer fermement, nous autres surtout, les évêques, qui présidons dans l’Église, afin de prouver que l’épiscopat est également un et indivisible. Que nul ne trompe par ses mensonges l’ensemble des frères ; que nul ne corrompe la vérité de la foi par une prévarication impie ! La dignité épiscopale est une ; et chaque évêque en possède une parcelle sans division du tout ; et il n’y a qu’une Église qui, par sa fécondité toujours croissante, embrasse une multitude toujours plus ample. Le soleil envoie beaucoup de rayons, mais sa source lumineuse est unique ; l’arbre se divise en beaucoup de branches, mais il n’a qu’un tronc vigoureux, appuyé sur des racines tenaces ; d’une source découlent bien des ruisseaux ; cette multiplicité ne s’épanche, semble-t-il, que grâce à la surabondance de ses eaux, et pourtant tout se ramène à une origine unique. Séparez un rayon solaire de la masse du soleil, l’unité de la lumière ne comporte pas un tel fractionnement. Arrachez une branche à un arbre : le rameau brisé ne pourra plus germer. Coupez un ruisseau de sa source, l’élément tronqué tarit. Il en va de même de l’Église du Seigneur : elle diffuse dans l’univers entier les rayons de sa lumière, mais une est la lumière qui se répand ainsi partout, l’unité du corps ne se morcelle pas. Elle étend sur toute la terre ses rameaux d’une puissante vitalité, elle épanche au loin ses eaux surabondantes. Il n’y a cependant qu’une seule source, qu’une seule origine, qu’une seule mère, riche des réussites successives de sa fécondité. C’est elle qui nous engendre, c’est son lait qui nous nourrit, c’est son esprit qui nous anime.
6 L’épouse du Christ ne saurait consentir à l’adultère : elle est incorruptible et pudique. Elle ne connaît qu’une maison, elle garde avec une chaste pudeur la sainteté d’un lit unique. C’est elle qui nous conserve à Dieu, c’est elle qui remet au royaume les fils qu’elle a engendrés. Quiconque se séparant de l’Église s’unit à une adultère se frustre des promesses de l’Église ; s’il abandonne l’Église du Christ, il n’aura pas accès aux récompenses du Christ ; il est un étranger, un profane, un ennemi. On ne peut avoir Dieu pour père quand on n’a pas l’Église pour mère. Quelqu’un a-t-il pu se sauver, en restant en dehors de l’arche de Noé ? Si oui, il le peut aussi, celui qui reste à l’extérieur, en dehors de l’Église ! Voici l’avertissement du Seigneur : « Qui n’est pas avec Moi, dit-il, est contre Moi ; et qui n’amasse pas avec Moi, disperse » (Mt 12.30). Celui qui brise la paix, la concorde du Christ, agit contre le Christ ; celui qui amasse ailleurs que dans l’Église, disperse l’Église du Christ. Le Seigneur dit encore : « Mon Père et Moi, Nous ne sommes qu’un » (Jn 10.30) et il est écrit à propos du Père, du Fils et de l’Esprit saint : « Les trois ne sont qu’un » (1 Jn 5.7). Le moyen de croire que l’unité, dérivée de cette solidarité divine, liée aux « sacrements » célestes puisse être morcelée dans l’Église, et dissoute par les tiraillements de volontés en conflit ? Celui qui n’observe pas cette unité, n’observe pas la loi de Dieu, ni la foi au Père et au Fils, il ne garde ni la vie ni le salut.
7 Ce sacrement de l’unité, ce lien d’une concorde indissolublement cohérente, nous est représenté dans l’Évangile par cette tunique de notre Seigneur Jésus Christ, laquelle n’est point divisée ni déchirée, mais qui, tirée au sort pour savoir qui revêtirait le Christ, arrive intacte (au gagnant) qui en devient le maître, sans qu’elle ait été abîmée ni découpée. « Quant à sa tunique, dit l’Écriture divine, comme elle était sans couture, d’un seul tissu depuis le haut jusqu’en bas, ils se dirent entre eux : « Ne la déchirons pas ; tirons plutôt au sort à qui elle sera » (Jn 19.23-24). Ce vêtement figurait l’unité qui venait d’en haut, c’est-à-dire du ciel et du Père, et qui ne pouvait être déchirée par celui qui la recevait et en devenait le maître : il l’obtenait tout entière, une fois pour toute, intégralement, dans sa contexture solide pour ne plus s’en séparer. Celui-là ne peut posséder le vêtement du Christ qui partage et divise l’Église du Christ. Voyez encore : quand Salomon meurt et que son royaume et son peuple sont partagés, le prophète Achias, rencontrant dans la campagne le roi Jéroboam, déchire son propre manteau en douze morceaux : « Prends pour toi, lui dit-il, dix morceaux, car ainsi parle le Seigneur : « Voici que je vais arracher le royaume des mains de Salomon et je te donnerai dix sceptres. Deux sceptres lui resteront à cause de David, mon serviteur, et à cause de Jérusalem, la cité que J’ai choisie pour y placer mon nom » (1 R 11.31-36) Israël se divisant en douze tribus le prophète Achias déchire son manteau. Mais le peuple du Christ, lui, ne peut être divisé : aussi la tunique du Christ, entièrement formée d’un seul morceau et sans couture, demeure indivisée entre les mains de ceux qui la possèdent. Une, d’une seule pièce, d’un seul tissu, elle figure la concorde si cohérente de notre peuple, à nous autres qui avons revêtu le Christ. Par le symbole, par le signe de ce vêtement, Jésus a représenté l’unité de l’Église.
8 Qui donc est assez scélérat et perfide, assez forcené dans sa fureur de discorde, pour s’imaginer qu’on puisse déchirer et pour oser déchirer lui-même l’unité de Dieu, le vêtement du Seigneur, l’Église du Christ ? Dieu ne fait-il pas entendre, dans son Évangile, cet avertissement, cet enseignement : « Il n’y aura qu’un seul troupeau et qu’un seul pasteur » ? (Jn 10.16). Quelqu’un pense-t-il, après cela, que dans un même endroit, il puisse y avoir, ou beaucoup de pasteurs, ou plusieurs troupeaux ? Pareillement l’apôtre Paul nous recommande la même unité avec de pressantes exhortations : « Je vous conjure, mes frères, au nom de notre Seigneur Jésus Christ d’avoir tous le même langage et de ne pas souffrir de schismes parmi vous ; soyez tous unis dans le même esprit et dans les mêmes sentiments » (1 Cor 1.10). Et encore : « … vous supportant mutuellement avec charité, vous efforçant de conserver l’unité de l’esprit par le lien de la paix » (Éph 4.2-3).
Vous donc, pensez-vous rester debout et vivre encore, lorsque vous abandonnez l’Église, pour établir ailleurs votre demeure et éloigner d’elle votre habitacle ? Ne fut-il pas dit à Rahab – en qui l’Église était préfigurée : « Tu réuniras chez toi, dans ta maison, ton père, ta mère, tes frères, toute la parenté de ton père. Si quelqu’un d’eux sort de la porte de ta maison pour aller dehors, sa faute retombera sur lui » (Jos 2.18-19) ?
Même symbole dans la loi de l’Exode, à propos de la Pâque : l’agneau, dont l’immolation signifie celle du Christ, « Il sera mangé dans une même maison, et vous ne jetterez point sa chair en dehors de la maison » (Ex 12.46). La Chair du Christ, la chose sainte du Seigneur ne peut être jetée dehors ; et, pour les croyants, il n’y a d’autre demeure que l’Église une. Cette demeure, cet abri d’une pensée unanime, l’Esprit saint la vise, il nous la désigne, quand il dit dans les psaumes : « Dieu qui fait habiter dans une demeure des cœurs unanimes » (Ps 67.7). C’est dans la demeure de Dieu, dans l’Église du Christ qu’habitent ces cœurs unanimes, et qu’ils s’y maintiennent dans la concorde et la simplicité.
9 Voilà pourquoi l’Esprit saint est descendu sous la forme d’une colombe – cet oiseau simple et gai, sans fiel ni amertume, incapable de morsures cruelles, et qui n’a point de serres pour déchirer violemment. La colombe aime les demeures des hommes, elle vit familièrement dans une maison, toujours la même. Lorsque le couple engendre, il élève à deux ses petits, il vole aile contre aile, il passe sa vie dans une familiarité tout unie, et en se becquetant manifeste sa concorde et sa paix. Il s’inspire en toutes choses de la loi d’entier accord.
Voilà la simplicité qu’on devrait connaître dans l’Église, la tendresse qu’il y faudrait obtenir. Des frères chrétiens n’ont qu’à imiter l’affection des colombes, à égaler la douceur, la mansuétude des agneaux et des brebis. Que fait, dans un cœur chrétien, la férocité des loups, la rage des chiens, le venin mortel des serpents, la sanglante cruauté des fauves ? Il faut se féliciter quand des gens animés de tels sentiments se séparent de l’Église : leur contagion funeste et empoisonnée serait la perte des brebis du Christ. Impossible d’unir ni d’associer l’amertume avec la douceur, l’ombre avec la lumière, la pluie avec le beau temps, la guerre avec la paix, la stérilité avec la fécondité, la sécheresse avec l’eau vive, la tempête avec le calme. Et qu’on ne croît pas que des âmes vraiment bonnes puissent se détacher de l’Église. Le vent n’enlève pas le froment, la tempête n’arrache pas un arbre qu’assujettissent de solides racines. C’est la paille légère que soulève la tempête, ce sont les arbres sans vigueur qui s’abattent sous la rafale. Les esprits de cette sorte, l’apôtre Jean les maudit et les stigmatise : « Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n’étaient pas des nôtres ; car s’ils eussent été des nôtres, ils seraient restés avec nous » (1 Jn 2.19).
10 Telle est l’origine des hérésies qui, souvent, se sont élevées et s’élèvent encore : tel esprit sans droiture n’observe pas la paix ; la perfidie, amie de la discorde, ne s’attache plus à l’unité. Tout cela, le Seigneur le souffre et le permet, laissant à la liberté d’un chacun son libre choix : ainsi se dégage pour éprouver nos cœurs et nos pensées un critère de vérité, grâce auquel apparaît en pleine lumière la foi intacte des âmes sûres. Écoutons l’avertissement que l’Esprit saint nous donne par la bouche de l’Apôtre : « Il faut qu’il y ait des hérésies, afin qu’on reconnaisse ceux qui parmi vous sont vraiment surs » (1 Cor 11.19). C’est donc ainsi que les fidèles se font reconnaître, que les gens sans foi sont découverts ; que dès ici-bas, avant même le jour du jugement, s’opère une discrimination entre les justes et les injustes et que la paille est séparée du froment.
Ainsi en advient-il de ceux qui, de leur chef, sans aucun règlement venu d’en haut, se mettent à la tête de groupements téméraires, se constituent préposés, sans aucune ordination légale, prennent le titre d’évêques, alors que personne ne leur confère l’épiscopat. Ceux-là, l’Esprit saint nous les montre, dans les psaumes, assis sur une chaire de pestilence – fléaux et corrupteurs de la foi, dont la bouche venimeuse excelle par ses mensonges à gâter la vérité, et dont la langue empoisonnée exhale des venins mortels. Leur parole gagne de proche en proche comme le cancer, et leurs homélies versent dans les poitrines, dans les cœurs, un virus mortel.
11 C’est contre les gens de cette sorte que clame le Seigneur, c’est loin d’eux qu’Il retient et rappelle son peuple hésitant : « N’écoutez pas, dit-Il, les propos des pseudo-prophètes : les visions de leur cœur les trompent. Ils parlent, mais non par la Bouche du Seigneur. Ils disent à ceux qui rejettent la parole de Dieu : La paix sera sur vous et sur tous ceux qui marchent selon leur propre volonté. Et à quiconque marche selon la perversité de son cœur : les maux ne s’appesantiront pas sur toi. Je ne leur ai point parlé, et ils ont prophétisé spontanément. S’ils étaient demeurés attachés à mon essence, et qu’ils eussent entendu mes paroles pour les enseigner à mon peuple, Je les aurais détournés de leurs pensées mauvaises » (Jer 23.16-17,21-22). De nouveau, le Seigneur les désigne et les flétrit, quand Il dit : « Ils M’ont abandonné, Moi, la source d’eau vive, pour se creuser des citernes sans solidité qui ne peuvent retenir l’eau » (Jer 2.13).
Alors qu’il ne peut y avoir qu’un seul baptême, ils s’imaginent qu’ils baptisent ! Ils ont abandonné la source de vie, et ils promettent la grâce de l’eau vivifiante et salutaire ! Non, les gens n’y sont point lavés – ils s’y souillent ; ils ne s’y débarrassent pas de leurs péchés, ils les accumulent ! Ce n’est pas pour Dieu que cette nativité-là engendre des fils, c’est pour le diable… Engendrés par le mensonge, ceux-ci ne recueillent pas les promesses de la vérité ; procréés par l’incrédulité, ils perdent la grâce de la foi. Ils ne peuvent arriver à la récompense de paix, ceux qui, par leur fureur séditieuse, ont rompu la paix du Seigneur.
12 Et qu’ils n’aillent pas se duper eux-mêmes par une interprétation frivole, sous prétexte que le Seigneur a dit : « Partout où deux ou trois se réuniront en mon Nom, Je serai avec eux » (Mt 18.20). Corrupteurs de l’Évangile, exégètes de mensonge, ils ne prennent que les dernières lignes et laissent tomber ce qui précède ; ils se souviennent d’une partie, mais en suppriment sournoisement une autre. De même qu’ils se sont retranchés de l’Église, ils retranchent le vrai sens d’un seul verset. Le Seigneur en effet, pour recommander à ses disciples le plein accord et la paix, leur dit : « Je vous l’affirme, si deux parmi vous s’unissent sur la terre, quoi qu’ils demandent, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux Cieux. Car partout où deux ou trois se réunissent en mon Nom, Je suis, Moi, avec eux » (Mt 18.19).
Il montre ainsi que ce n’est pas le grand nombre des orants, mais leur unanimité, qui obtient le plus de grâces. « Si deux parmi vous s’unissent sur la terre… » il pose d’abord l’unanimité, il met en vedette la concorde de la paix. Qu’il y ait plein accord entre nous, voilà ce qu’il veut constamment et fermement. Or comment peut-il s’accorder avec un autre, celui qui ne s’accorde pas avec le corps de l’Église même et avec l’ensemble de nos frères ? Comment deux ou trois peuvent-ils se réunir au Nom du Christ, quand il est constant qu’ils se sont séparés du Christ et de son Évangile ? Ce n’est pas nous qui avons rompu avec eux, c’est eux qui ont rompu avec nous ; les hérésies, les schismes naissent après coup ; en se constituant loin de nous des conventicules, ils ont abandonné la source originelle de la vérité. Or le Seigneur parle de son Église et à ceux qui sont dans l’Église : s’ils sont en plein accord, si selon ses recommandations et ses avis, ils prient à deux ou trois d’un cœur unanime, ils peuvent obtenir de la Majesté de Dieu ce qu’ils demandent.
« Partout où deux ou trois s’assemblent, Je suis avec eux » – cela signifie avec des âmes simples, pacifiques, craignant Dieu et observant ses préceptes. Dieu déclare qu’Il est avec elles, comme Il fut avec les trois jeunes gens dans la fournaise. C’est parce que ceux-ci persévéraient dans leur foi toute franche envers Dieu et dans leur entière union qu’au milieu des flammes qui les entouraient il les réconforta d’un souffle de sa rosée ; ainsi aida-t-Il les deux apôtres enfermés en prison, leur simplicité, leur parfait accord leur valut qu’il brisa Lui-même les portes de leur cachot et les renvoya sur la place publique annoncer aux masses la parole qu’ils avaient fidèlement prêchée. Quand il inscrit parmi ses préceptes cette parole : « Là où deux ou trois s’assemblent, Je suis avec eux », Il ne sépare pas les gens de cette Église qu’Il a créée et instituée : Il reproche aux perfides leur discorde, Il recommande de sa propre Bouche la paix aux fidèles, Il témoigne qu’Il est avec ceux, fussent-ils deux ou trois, qui prient unanimement, bien plutôt qu’avec un grand nombre de gens en désaccord, et que la prière de quelques-uns, si elle sort de cœurs unis, obtient davantage que celle d’une multitude où ne règne pas l’harmonie.
13 C’est pour cela que, déterminant la loi de la prière, Il ajoute : « Quand vous irez pour prier, pardonnez les griefs que vous pouvez avoir contre tel ou tel, afin que votre Père qui est aux cieux vous pardonne aussi vos fautes » (Mc 11.25). Celui qui se présente au sacrifice avec un désaccord, il l’écarte de l’autel et lui ordonne de se réconcilier d’abord avec son frère, et alors seulement, la paix étant acquise, de revenir offrir à Dieu ses présents : Dieu détourna sa Face des offrandes de Caïn, et Caïn ne pouvait trouver un Dieu apaisé, n’ayant pas lui-même, dans son cœur travaillé de jalousie, la paix avec son frère.
Quelle paix se promettent donc ceux qui sont les ennemis de leurs frères ? Quels sacrifices s’imaginent-ils célébrer, ces rivaux des évêques ? Croient-ils que le Christ soit avec eux, quand ils se réunissent – alors qu’ils se réunissent en dehors de l’Église du Christ ?
14 Des gens de cette sorte périraient-ils en confessant le nom (chrétien), cette souillure-là n’est pas lavée par le sang ; cette faute lourde et inexpiable, la discorde, n’est pas expiée par la souffrance suprême. Hors de l’Église, point de martyr. On ne peut parvenir au royaume, quand on abandonne celle qui est destinée à régner. Le Christ nous a donné la paix, il nous a fait un devoir de la concorde, de l’union des cœurs. Il nous a recommandé les liens incorruptibles et imbrisables de l’amour et de la charité. On n’a pas le droit de se donner pour martyr, du moment qu’on n’observe pas la charité fraternelle. C’est ce que l’apôtre Paul enseigne et affirme : « Quand j’aurais une foi à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien. La charité est magnanime, la charité est bienveillante, la charité n’est pas envieuse, elle ne s’enfle pas d’orgueil, elle ne s’irrite pas, elle ne fait rien d’inconsidéré, elle ne songe pas au mal ; elle aime tout, elle croit tout, elle espère tout, elle supporte tout. La charité ne passera jamais » (1 Cor 13.2-5,7-8).
Jamais, dit l’Apôtre, la charité ne passera. En effet, elle sera toujours dans le royaume, et durera éternellement grâce à l’unité de toute une fraternité en pleine harmonie. Impossible à la discorde d’accéder au royaume des Cieux. La récompense promise par le Christ, qui a dit : « Mon commandement est que vous vous aimiez les uns les autres comme Je vous ai aimés » (Jn 15.12), ne pourra échoir à celui qui, par un désaccord impie, a outragé l’amour du Christ. Qui ne possède pas la charité ne possède pas Dieu. Elle est du bienheureux apôtre Jean, cette parole : « Dieu est amour ; celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu en Lui » (1 Jn 4.16). Ils ne peuvent demeurer avec Dieu ceux qui n’ont pas voulu vivre d’un même cœur dans l’Église de Dieu. Qu’ils brûlent dans les flammes, qu’ils soient livrés au bûcher, exposés aux bêtes féroces et y laissent la vie, ils n’obtiendront pas la couronne de la foi, mais le châtiment de l’impiété ; ils n’aboutiront point à la gloire promise à l’énergie des croyants, mais à une fin désespérée. Les gens de cette sorte peuvent bien être immolés, mais couronnés, non pas ! Leur profession de christianisme ressemble au mensonge du démon quand, selon l’avertissement que nous donne le Seigneur, il feint d’être le Christ : « Beaucoup viendront en mon Nom, disant : je suis le Christ, et ils en duperont un grand nombre » (Mc 13.6). Le démon n’est pas le Christ, encore qu’il prenne mensongèrement son Nom : pareillement on ne saurait prendre pour un chrétien celui qui ne demeure pas dans son Évangile et dans la vérité de sa foi.
15 Prophétiser, chasser les démons, faire ici-bas de beaux miracles, c’est, je l’accorde, une chose sublime et admirable. Mais réaliserait-on ces œuvres-là, on n’obtient pas pour cela le royaume céleste, si l’on ne se maintient strictement dans le droit et bon chemin. C’est le Seigneur qui nous en avertit : « Beaucoup me diront, ce jour-là : « Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en ton Nom, chassé les démons, opéré de grands prodiges en votre nom ? » Et alors Je leur dirai : Je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de Moi, vous qui pratiquez l’iniquité » (Mt 7.22-23). Il faut la justice, pour mériter devant Dieu, notre juge. Il faut obéir à ses préceptes, à ses avertissements, pour que nos mérites reçoivent leur récompense. Quand, dans l’Évangile, le Seigneur veut, en un raccourci sommaire, nous tracer la route de notre espérance et de notre foi, Il dit : « Le Seigneur notre Dieu est seul notre Seigneur… Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur et de toute ton âme et de toute ta force. C’est là le premier commandement, et voici le second, semblable au premier : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Dans ces deux préceptes sont inclus la Loi tout entière et les prophètes » (Mc 12.29-31). Unité, amour, voilà ce qu’enseigne son magistère : c’est en ces deux préceptes qu’il résume la Loi et les prophètes. Or quelle unité sauvegarde-t-il, quel amour observe-t-il et fomente-t-il en lui-même, celui qui, dans sa fureur insensée de discorde, déchire l’Église, détruit la foi, trouble la paix, anéantit la charité, profane le sacrement ?
16 Ce fléau, ô mes frères très fidèles, remonte à des temps antérieurs ; mais aujourd’hui ce mal funeste, désastreux, s’est aggravé ; la perversité hérétique, le poison des schismes se développe, pullule, pour notre perte. Il fallait qu’il en fût ainsi vers la fin des temps, selon le préavis et la prédiction que l’Esprit saint fait entendre par la bouche de l’Apôtre : « Aux derniers jours, il viendra des temps difficiles. Car les hommes seront égoïstes, orgueilleux, gonflés d’eux-mêmes, cupides, blasphémateurs, rebelles à leurs parents, ingrats, impies, sans affection, sans loyauté, délateurs, intempérants, cruels, n’aimant pas le bien, traîtres, insolents, enflés de vanités, amis des voluptés plus que de Dieu, affichant les dehors de la piété, mais en répudiant l’esprit. De ce nombre sont ceux qui s’insinuent dans les familles pour captiver des femmelettes chargées de péchés, travaillées de désirs de toute sorte, qui toujours apprennent sans pouvoir arriver à la connaissance de la vérité. Pareils à Jannès et à Jambrès, qui s’opposèrent à Moïse, de même ces hommes résistent à la vérité. Mais ils ne feront plus guère de progrès, car leur folie éclatera aux yeux de tous, comme celle de ces deux hommes-là » (2 Tim 3.1-9).
Toutes les prophéties s’accomplissent et, maintenant que la fin du siècle approche, se réalisent après l’épreuve simultanée des hommes et des temps. De plus en plus, par le redoublement de rage de l’adversaire, l’erreur exerce sa duperie, la présomption gonfle les cœurs, la jalousie les enflamme, la cupidité les aveugle, l’impiété les déprave, l’orgueil les enfle, la discorde les exaspère, la colère les précipite.
17 Ne nous laissons pas troubler ni émouvoir par ce débordement impétueux de perfidie ; que notre foi soit fortifiée plutôt par la vérification des prophéties. Si certains se montrent sous un tel jour, parce que leurs déviations avaient été d’avance annoncées, que tous nos autres frères se gardent contre les gens de leur sorte, selon la prédiction instructive du Seigneur : « Vous autres, prenez garde ! Voici que Je vous ai prédit tout cela » (Mc 13.23). Évitez donc, je vous en prie, ces hommes-là ; écartez de vous, de vos oreilles, leurs propos pernicieux, selon la parole de l’Écriture : « Entoure tes oreilles d’une haie d’épines, nous dit-elle, et n’écoute pas une méchante langue » (Ec 28.24). Et encore : « Les mauvais entretiens corrompent les bons naturels » (1 Cor 15.33). Le Seigneur nous prescrit, Il nous avertit d’éviter ces rencontres : « Ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles. Or si un aveugle conduit un aveugle, ils tomberont tous deux dans la même fosse » (Mt 15.14). De quiconque est séparé de l’Église, il faut se détourner, et le fuir : c’est un pervers, un pécheur, qui se condamne lui-même. Croit-il qu’il demeure uni au Christ, quand il agit contre les prêtres du Christ, quand il rompt avec son clergé et son peuple ? Il tourne ses armes contre l’Église, il lutte contre les ordonnances divines. Adversaire de l’autel, rebelle au sacrifice du Christ, ennemi de la foi au lieu d’y rester fidèle, sacrilège au lieu de garder sa piété, serviteur désobéissant, fils impie, frère ennemi, il ose, au mépris des évêques et des prêtres de Dieu, dresser un autre autel, articuler en termes illicites une autre prière, profaner par de faux sacrifices cette véritable victime, notre Seigneur. Il ne sait pas que celui qui résiste aux Volontés de Dieu est puni de sa téméraire audace par un châtiment d’en haut.
18 C’est ainsi que Coré, Dathan et Abiron, qui, contre Moïse et Aaron, avaient osé revendiquer pour eux la licence d’offrir le sacrifice, furent punis sans délais de leurs tentatives. La terre, se disloquant, s’ouvrit pour former un gouffre profond ; le sol se déroba sous leurs pas, et debout et vivants, ils furent engloutis dans l’abîme. Et ce ne fut pas seulement les principaux responsables que frappa la Colère de Dieu indigné : deux cent cinquante complices qui s’étaient associés à leur fureur, à leur coup d’audace, furent consumés par les flammes que suscita la prompte vengeance divine – avertissement qui nous signifie que c’est contre Dieu qu’est dirigé tout effort tenté par les méchants pour détruire, par la volonté de l’homme, les dispositions divines.
C’est encore ainsi que lorsque le roi Ozias, portant l’encensoir, prétendit se réserver, non sans violences, et en dépit de la loi divine et de la résistance du pontife Azarias, la licence de sacrifier, sans vouloir obéir ni céder, l’Indignation de Dieu le confondit, la bigarrure d’une lèpre souilla son front, flétrissant ainsi parce qu’il avait offensé Dieu, cette partie du corps où sont marqués ceux qui se rendent dignes du Seigneur.
Les fils d’Aaron, eux aussi, pour avoir placé sur l’autel un autre feu que le feu ordonné par Dieu, tombèrent sans vie, séance tenante, en présence du Seigneur qui exerçait sa Vengeance.
19 Ils imitent et suivent ces profanateurs, ceux qui, méprisant la tradition divine, courent après des doctrines étrangères et introduisent un magistère d’institution purement humaine. C’est eux que le Seigneur gourmande et blâme dans son Évangile : « Vous rejetez le commandement de Dieu pour établir votre tradition » (Mc 7.9). Ce crime-là est pire que celui des « tombés », lesquels, du moins, se soumettent à la pénitence méritée par leur crime et implorent Dieu en s’acquittant pleinement de la satisfaction qui lui est due. D’un côté, en effet, on cherche l’Église, on la prie ; de l’autre côté, on la combat. Ici il peut y avoir eu contrainte ; là, c’est la volonté qui persiste dans le crime. Ici, le « tombé » n’a nui qu’à lui-même ; là, celui qui s’est efforcé d’introduire l’hérésie a trompé quantité de gens, en les entraînant à sa suite : dommage d’une seule âme, dans un cas ; péril d’un grand nombre d’âmes, dans l’autre. L’un, du moins, reconnaît, pleure, déplore sa faute ; l’autre s’enorgueillit de son péché, s’y complaît, sépare les fils de la mère, détourne les brebis de leur pasteur, bouleverse les sacrements de Dieu. Le « tombé » n’a péché qu’une fois, l’autre pèche quotidiennement. Enfin le « tombé », s’il obtient après coup le martyre, peut bénéficier des promesses du royaume ; l’autre, si c’est en dehors de l’Église qu’il est mis à mort, ne peut parvenir aux récompenses de l’Église.
20 Ne vous étonnez pas, mes très chers frères, que même parmi les confesseurs, quelques-uns descendent jusque-là, et que même certains d’entre eux commettent des fautes si impies et si lourdes. La « confession » ne met pas à l’abri des pièges du diable ; elle ne protège pas, dans une perpétuelle sécurité, contre les tentations, les périls, les attaques, les assauts du siècle celui qui vit encore dans le siècle. Autrement nous ne verrions pas chez des confesseurs les fraudes, les stupres, les adultères qui nous constatons non sans gémissements et sans douleur. Quel que soit un confesseur, il n’est pas plus grand ni meilleur, ni plus cher à Dieu qu’un Salomon : or tant que Salomon marcha dans les voies du Seigneur, il garda la grâce qu’il avait reçue du Seigneur ; il la perdit quand il abandonna ces voies. Voilà pourquoi il est écrit : « Garde bien ce que tu as, pour qu’un autre ne reçoive pas la couronne à ta place » (Ap 3,11). Bien entendu, le Seigneur ne nous avertirait pas sévèrement que la couronne peut nous être enlevée, s’il n’était fatal que nous en soyons frustrés, dès là que nous frustrons la justice.
21 La « confession », c’est le commencement de la gloire, ce n’est pas encore le signe que la couronne est méritée ; elle ne parachève pas les titres, elle achemine seulement à la (suprême) dignité, car il est écrit : « Celui-là seul parviendra au salut qui aura persévéré jusqu’à la fin » (Mt 10.22). Tout ce qui arrive avant cette fin n’est qu’un degré par où l’on monte jusqu’au sommet du salut, mais non pas le point final de cette ascension. Un tel est « confesseur ». Oui, mais après la « confession », plus grand est le péril, parce que l’Ennemi a été provoqué davantage. C’est un confesseur : raison de plus de demeurer uni à l’Évangile du Seigneur, puisque c’est par l’Évangile qu’il a obtenu du Seigneur de la gloire. « On demande beaucoup à celui à qui il a été donné beaucoup, et plus on lui confie de dignité, plus on lui demande de services » (Lc 12.48). Que personne, donc, ne périsse par l’exemple d’un confesseur, que personne n’apprenne par la manière de faire d’un confesseur, l’injustice, l’insolence, la perfidie. C’est un confesseur ? Eh bien, qu’il se montre humble et paisible, modeste et discipliné dans sa conduite ! Confesseur du Christ, qu’il imite donc le Christ qu’il confesse ! Le Christ n’a-t-il pas dit : « Quiconque s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera élevé » (Lc 18.14) ? S’il a été exalté lui-même par le Père, parce que, Verbe, Puissance et Sagesse de Dieu, Il s’est humilié sur cette terre, comment aimerait-Il l’arrogance, Lui qui nous a recommandé l’humilité dans sa Loi et qui, en récompense de son Humilité, a reçu Lui-même de son Père le nom le plus prestigieux ? C’est un confesseur du Christ ? Oui, mais à condition qu’il ne soit pas ensuite une occasion de blasphème contre la Majesté et la Dignité du Christ. Que la langue qui a confessé le Christ ne soit pas malveillante, séditieuse ; qu’on ne l’entende point faire gronder les outrages et les disputes ; qu’après avoir mérité de louangeuses paroles, elle ne lance pas un venin de vipère contre nos frères et les prêtres de Dieu.
Au surplus, celui qui devient, par la suite, coupable et digne de malédiction, celui qui gâte sa « confession » par une attitude fâcheuse, qui souille sa vie de honteuses indignités, celui enfin qui délaisse l’Église où il est devenu confesseur, qui rompt l’unité de la concorde, qui substitue à sa foi première une foi corrompue – celui-là ne saurait se flatter que sa « confession » fasse de lui un élu promis à la gloire : son privilège même ne fait qu’aggraver ses
22 Le Seigneur n’avait-Il pas choisi Judas pour l’admettre au nombre des apôtres ; et pourtant Judas a trahi ensuite le Seigneur. De ce que le traître Judas ait fait défection à leur société, la foi solide des apôtres ne s’en est pas trouvée pour autant compromise. Il en va de même dans le cas présent. La sainteté, le prestige des confesseurs n’a subi aucune atteinte, du fait que la foi de quelques-uns a cédé. Le bienheureux apôtre dit dans son Épître : « Quoi ! si quelques-uns n’ont pas cru, leur incrédulité a-t-elle anéanti la fidélité de Dieu ? Certes non ! Dieu est véridique, mais tout homme est menteur » (Rom 3.3-4). La plus grande et la meilleure partie des confesseurs persiste dans la robustesse de sa foi, dans la vérité de la discipline du Seigneur ; ils ne s’éloignent pas de la paix de l’Église, se souvenant que c’est dans l’Église que Dieu a bien voulu les faire bénéficier de sa grâce, d’autant plus louables qu’ils ont fait divorce avec la perfidie de ceux qui s’étaient trouvés associés à eux dans une commune « confession. » Ainsi ils ont évité la contagion du crime. Éclairés par la lumière de l’Évangile, illuminés des purs et brillants rayons du Seigneur, ils sont aussi louables pour avoir conservé la paix du Christ que pour avoir triomphé dans leur lutte contre le démon.
23 Mon vœu personnel, mes bien chers frères, et aussi mon avis, mon conseil, c’est que, si possible, aucun de nos frères ne périsse, et que notre mère joyeuse enferme dans son sein le corps unifié d’un peuple en pleine harmonie. S’il est, cependant, des promoteurs de schismes, des conseillers de désaccord qui persistent dans leur aveugle et obstinée démence, sans que mon admonestation salutaire les ramène à la voie de salut, vous du moins, dont la bonne foi a été surprise, vous qui avez cédé à l’erreur et vous êtes laissé duper par des mensonges astucieux et rusés, délivrez-vous de leurs lacs captieux, libérez de ces vains détours vos pas errants, reconnaissez la droite route qui conduit au ciel ! La voix de l’Apôtre apporte son témoignage : « Nous vous ordonnons au nom de notre Seigneur Jésus Christ de vous séparer de tous ceux de nos frères qui se conduisent d’une manière déréglée, et non selon la tradition qu’ils ont reçue de nous » (2 Thes 3.6). Et encore : « Que personne ne vous séduise par de vaines paroles ; car c’est là ce qui attire la Colère de Dieu sur les fils d’incrédulité. N’ayez donc rien de commun avec eux » (Éph 5.6-7). Il faut s’éloigner des pécheurs ; je dirai mieux, il faut les fuir, de peur qu’en nous joignant à ceux dont l’attitude est mauvaise et qui marchent dans les sentiers de l’erreur et du crime, nous nous écartions du bon chemin et soyons enveloppés dans le même crime. Il n’y a qu’un Dieu, qu’un Sauveur, qu’une Église, qu’une foi, qu’un peuple uni en une solide unité physique par le ciment de la concorde. Indivisible est l’unité ; un corps ne peut perdre sa cohésion ni être mis en pièces, ses entrailles déchirées et dispersées en morceaux. Tout ce qui s’éloigne du centre de la vie ne saurait vivre et respirer à part, il perd la substance de son salut.
24 L’Esprit saint nous donne cet avertissement : « Quel est l’homme qui veut la vie, qui aime voir les jours de bonheur ? Préserve ta langue de la médisance, tes lèvres des propos insidieux. Éloigne-toi du mal ; pratique le bien. Cherche et poursuis la paix » (Ps 33.13-15). Le fils de paix doit chercher et poursuivre la paix ; celui qui connaît et aime le lien de charité doit interdire à sa langue les funestes désaccords. Parmi ses prescriptions divines et ses enseignements salutaires, le Seigneur, à la veille de sa Passion, a ajouté ceci : « Je vous laisse ma Paix, Je vous donne ma Paix » (Jn 14.27). Tel est l’héritage qu’il nous a légué : tous les dons, toutes les récompenses dont Il nous a ouvert la perspective, c’est à la conservation de la paix qu’il en a lié la promesse. Si nous sommes les héritiers du Christ demeurons dans la Paix du Christ. Si nous sommes les fils de Dieu, nous devons être pacifiques : « Bienheureux les pacifiques, car ils seront appelés les fils de Dieu » (Mt 5.9). Il faut que les fils de Dieu soient pacifiques, doux de cœur, simples de propos, en parfait accord par l’affection, unis fidèlement par les liens d’une pensée unanime.
25 Cette unanimité exista jadis, sous les apôtres. C’est ainsi que le nouveau peuple des croyants, fidèle aux prescriptions du Seigneur, maintint la charité. Nous en avons la preuve dans l’Écriture, qui dit : « La foule de ceux qui avaient cru faisait tout d’une même même et d’une même pensée » (Ac 4.32). Et encore : « Ils persévéraient unanimement dans la prière avec les femmes, Marie, mère de Jésus, et ses frères » (cf Lc 12.33). De là, l’efficacité de leurs prières : ils pouvaient être sûrs qu’ils obtiendraient tout ce qu’ils demandaient à la Miséricorde de Dieu.
26 Chez nous, cette unanimité se trouve compromise, dans la mesure où a faibli l’abondance des bonnes œuvres. Alors les fidèles vendaient leurs maisons, leurs propriétés, pour se préparer des trésors dans le ciel, et ils en apportaient l’argent aux apôtres pour le soulagement des indigents. Maintenant nous ne donnons même pas le dixième de notre patrimoine ; et, au lieu de vendre, comme nous l’ordonne le Seigneur, nous achetons bien plutôt, nous nous agrandissons. C’est ainsi qu’a dépéri chez nous la vigueur de la foi, c’est ainsi que s’est alanguie la ferme énergie des croyants.
C’est à notre temps que songeait le Seigneur, quand il a dit : « Lorsque le Fils de l’Homme viendra, croyez-vous qu’il trouvera de la foi sur la terre ? » (Lc 18.8) Nous voyons cette prophétie se réaliser. On ne croit plus qu’il faut craindre Dieu, qu’il y a une loi de justice, une charité, des œuvres à accomplir. On ne songe plus à redouter l’avenir ; personne ne médite plus sur le jour du Seigneur, sur la Colère de Dieu, sur les supplices qui attendent les incrédules, sur les tourments éternels promis aux perfides. Tout ce que craindrait notre conscience, si elle croyait, elle ne le craint point, parce qu’elle ne croit pas. Si elle y croyait, elle serait vigilante ; et si elle était vigilante, elle se sauverait.
27 Réveillons-nous donc, mes très chers frères, dans toute la mesure du possible. Secouons la torpeur de notre inertie invétérée. Veillons à observer et à pratiquer les préceptes du Seigneur. Soyons tels qu’Il nous a prescrit d’être, quand Il a dit : « Ayez la ceinture aux reins et vos lampes allumées. Soyez semblables à des hommes qui attendent le moment où leur maître reviendra des noces, afin que, dès qu’il arrivera et frappera à la porte, ils lui ouvrent aussitôt. Heureux les serviteurs que le maître, à son retour, trouve en train de veiller ! » (Lc 12.35-37)
Oui, ceignons nos reins, de peur que, quand viendra le jour du départ, il ne nous trouve embarrassés et empêtrés ! Que notre lumière brille et rayonne dans les bonnes œuvres, qu’elle nous achemine, de la nuit de ce siècle, à la lumière de l’éternelle clarté. Attendons, sans cesser d’être circonspects et sur nos gardes, l’arrivée soudaine du Seigneur, afin que, lorsqu’il frappera à la porte, notre foi s’éveille pour recevoir du Seigneur le prix de sa vigilance. Si nous observons ces consignes, si nous retenons ces avertissements et ces préceptes, les ruses trompeuses du diable ne pourront nous accabler durant notre sommeil. Serviteurs vigilants, nous régnerons avec le Christ triomphant !