Un livre pour les femmes mariées

Chapitre VII

La plaie sondée
(Concerne Justine Jaquemin)

Six mois s'écoulèrent, et les craintes qu'avait conçues Mme Dubois, au sujet de Victor et de sa femme, se réalisèrent entièrement.

La bonne impulsion reçue fit sentir sa puissance pendant trois ou quatre semaines aux deux époux. lis lurent la Parole de Dieu, ils travaillèrent, ils envoyèrent régulièrement leurs enfants à l'école ; et puis un soir que Victor rentra tard, il se trouva si fatigué qu'il se coucha sans ouvrir la Bible et sans prier. Dès lors on apporta moins d'exactitude à célébrer le petit culte de famille, et l'habitude s'en perdit par degrés. Un autre jour, M. Jaquemin rencontra quelques anciens camarades qui lui proposèrent de boire un canon d'eau-de-vie ; il céda, passa la journée dans le désordre, revintexcité, fut mal accueilli, recommença le lendemain pour punir Justine, et bientôt se dérangea tout à fait.

Justine, de son côté, retournait à la vanité et à la paresse ; les enfants, peu oui point surveillés, ne suivaient plus l'école que de loin en loin, ils étaient redevenus sales, vagabonds, indisciplinés. La misère avait fait sa rentrée dans le ménage avec les mauvaises passions ; la rechute était complète.

M. et Mme Jaquemin qui, dans les premiers jours de leur union soupiraient après les visites de Mme Dubois, parce qu'ils se sentaient soutenus par elle et qu'ils aimaient à lui raconter leurs difficultés, ne la voyaient plus revenir qu'avec ennui. À mesure que l'ancien train de vie avait repris le dessus, ces courts entretiens leur étaient devenus à charge. Victor, qui autrefois avait toujours quelque argument à l'appui des principes de Mme Dubois, restait muet on prononçait à grand' peine un oui, un sans doute gênés. Justine cherchait à détourner la conversation des sujets sérieux sur lesquels Mme Dubois la ramenait sans cesse, et bientôt tous deux en vinrent à ne supporter leur amie qu'en raison des secours matériels qu'elle leur remettait.

Mme Dubois devinait ce qu'on ne lui disait pas et suivait avec tristesse les progrès évidents du mal. La bonne semence de Dieu était tombée chez Victor sur un de ces terrains pierreux où le grain lève vite, mais où il sèche, brûlé par le soleil, parce qu'il n'a point de racines. (Matthieu 13.1) Quant à Justine, elle avait besoin d'une plus forte secousse peut-être pour sentir son péché, et pour désirer avec ardeur « de naître de nouveau. (Jean 3.3) » La plaie de ces cœurs n'était pas encore sondée.

« Le mariage est honorable entre tous, » dit l'Écriture. Oui, le mariage que la crainte de Dieu cimente, l'union qui s'appuie sur le rocher des siècles ; mais dans l'association de M. et Mme Jaquemin, la pensée de l'Éternel qui, un instant, avait semblé régner, s'était vite amoindrie. Nous l'avons dit, les feuillets de la Bible restaient collés les uns aux autres, on ne priait plus, on ne cherchait plus la volonté de Jésus. Sauf quelques souvenirs qu'on n'aimait pas à rappeler parce qu'ils ressemblaient à un reproche : la bénédiction du pasteur, les engagements pris à la face du Tout-Puissant, l'exhortation adressée du haut de la chaire chrétienne ; sauf ces quelques souvenirs, il n'y avait rien de changé pour Justine et pour Victor dans l'union qui les rapprochait. C'étaient les mêmes alternatives de paix et de désordre, de bon accord et de querelles, avec une dissipation, une pauvreté, une dégradation qui allaient croissant.

Si Justine voulait s'étayer de son titre d'épouse pour réprimer la violence de son mari, que les excès rendaient de plus en plus grossier, Victor lui rappelait son précédent abaissement, et la traitait avec un dédain qui irritait peut-être plus son orgueil qu'il ne blessait son cœur.

Qu'avait-elle fait pour remonter de la place indigne qu'elle occupait jadis auprès de Victor, à la place honorée, à la sainte place d'épouse ? Quelle différence un homme qui ne jugeait de la valeur des principes que par leurs fruits, pouvait-il établir entre la femme qui se livrait à toutes ses passions en dehors de l'union conjugale, et la femme qui se livrait à toutes ses passions au-dedans ? Point de respect chez l'un, rien de ce qui l'inspire chez l'autre, chez tous deux la domination du péché ; telle était leur situation morale.

Dès le matin, Victor, qui n'aimait pas son intérieur, parce que tout y était mal en ordre, que les enfants criaient et se battaient, que sa femme le querellait, qu'on n'y avait aucune attention pour lui, aucune soumission à sa volonté, dès le matin Victor quittait la maison pour aller chez lé marchand de vin, se réchauffer, comme il s'exprimait, c'est-à-dire se brûler le sang et s'abrutir en buvant de l'eau-de-vie. Parfois il se rendait à son atelier, et là de mauvaises conversations entretenaient chez lui cette familiarité avec le vice qui gangrène l'âme jusqu'au fond. Plus souvent ses camarades lui proposaient une partie de plaisir ; alors on ne paraissait pas même à l'atelier, ou bien on quittait le travail à la demi-journée, on visitait les cabarets, les bals, les spectacles de la barrière dans la société de femmes corrompues, et là soirée se terminait souvent par d'horribles rixes, conséquences de l'ivresse et de la débauche. Les maîtres ennuyés chassaient l'ouvrier fainéant ; une semaine se passait à chômer. L'habitude de rester oisif, on l'avait ; mais celle de ne pas manger, de ne pas boire, de ne pas se divertir, on ne voulait pas là prendre, et non-seulement le peu d'argent gagné par le moyen du travail s'en allait en folles dépenses, mais on faisait des dettes et l'on portait meubles, linge, hardes au Mont-de-Piété.

Quand après un jour, deux jours passes hors de chez lui, Victor rentrait, dégoûté de tout, se disposant d'avance à tenir tête à sa femme, il trouvaitJustine exaspérée ; on comprend quelles scènes s'ensuivaient.

Avec de l'amour pour Dieu, la douceur et l'ordre seraient rentrés dans le ménage, Justine aurait exercé une salutaire influence sur son mari ; car au fond il l'aimait, il avait la conscience de sa faiblesse, il sentait le besoin d'un appui. Sans doute, aussi longtemps que le péché ne serait pas apparu dans toute sa laideur à Victor, aussi longtemps que l'affection du Sauveur pour sa pauvre âme souillée ne l'aurait pas pénétré de gratitude, il aurait manqué de persévérance ; dans le cas même d'une conversion, il aurait encore fait bien des chutes ; mais il aurait eu sous les yeux l'exemple journalier des œuvres que crée la foi chrétienne, des changements miraculeux qu'elle opère dans un cœur ; et si une telle vue ne l'avait pas excité à chercher la vérité pour lui-même, du moins elle l'aurait empêché de tomber aussi bas.

Justine, hélas ! ne lui offrait que le spectacle d'une nature asservie par le péché, par ce péché qui le topait en esclavage. Elle éclatait, il est vrai, en reproches amers lorsque Victor l'abandonnait pendant des journées entières, lorsqu'il dépensait en mauvais plaisirs un argent péniblement gagné, lorsqu'il gâtait, lorsqu'il brusquait ses enfants ; mais elle-même, tantôt les grondait hors de propos tantôt leur passait des fautes grossières ; elle-même employait à s'acheter des rubans, des bonnets, des bijoux faux, les quelques sous nécessaires au dîner du lendemain ; elle-même quittait la maison à tout propos et recherchait avec avidité les occasions de se divertir de son côté. Au lieu d'adresser à Victor des observations calmes et sérieuses, elle se livrait à l'emportement ; au lieu de taire les torts de celui-ci, elle les contait à qui voulait l'entendre, et la compassion, les conseils d'amies le plus souvent Étourdies, quand elles n'étaient pas corrompues ou méchantes, envenimaient le mal en irritant ses passions.

De telles confidences, qui ne conviennent jamais, parce qu'elles nous font manquer au respect que nous devons à un mari, et qu'elles introduisent des indifférents dans notre intérieur ; de telles confidences ne servent qu'à nourrir la curiosité, le bavardage de celles qui les reçoivent ; qu'à entretenir les griefs, qu'a irriter les blessures de celles qui les font. Le confident de la femme mariée doit être Dieu, Dieu qui écoute toujours, qui fait toujours la guerre au péché, qui envoie toujours la paix à l'âme.

Mme Dubois sentait si bien celte vérité, qu'elle ne se mêlait des affaires intimes d'un ménage que lorsqu'elle savait pouvoir seule y apporter la connaissance de l'Évangile ; et encore, ne le faisait-elle qu'avec une sorte de crainte.

Il y avait des moments où Victor éprouvait de l'horreur pour le genre de vie qu'il menait, où son attachement pour Justine se réveillait tout entier, où il revenait à elle doux, repentant, cherchant à entrer dans une voie meilleure ; alors Justine, inspirée par le démon de l'orgueil, de la vengeance, au lieu de penser à ses propres fautes, au lieu d'oublier celles de Victor, au lieu de regarder à Dieu, Justine n'avait qu'une pensée : faire payer cher à son mari le chagrin qu'il lui causait. Les mots acerbes, les manières froides, les façons indépendantes, elle mettait tout en œuvre pour le fâcher.

Victor témoignait-il dès le matin le désir de prendre ses repas en famille, Justine s'arrangeait pour dîner ou pour souper avant le retour de M. Jaquemin qui trouvait le poêle froid, la lumière éteinte, sa femme endormie, ou feignant de l'être. Si le dimanche, il annonçait l'intention de passer la journée auprès de sa femme et de ses enfants.

– Désolée, disait Justine, depuis trois semaines je me suis engagée à faire une partie de plaisir.

– J'irai avec toi.

– Non, tu as tes camarades, moi j'ai mes amies ; chacun de son côté, tu l'as voulu.

Après quelques efforts tentés pour se rapprocher de sa femme, Victor, piqué au vif, retournait à ses habitudes ; Justine, satisfaite de s'être vengée, mais irritée de ce que Victor s'arrangeait si vite de ses refus, cherchait à se rendre de plus en plus indifférente, à se séparer de plus en plus de son mari, et tous deux se perdaient.

Si l'on eût contraint Justine à voir son âme telle qu'elle était, poussant un cri d'effroi, elle se fût jetée aux pieds de Christ, elle eût murmuré de ses lèvres tremblantes : « Sauve-nous, Seigneur, sauve-nous, nous périssons. » (Matthieu 8.25) Mais le diable, qui est habile, éteignait dans son cœur le très-rare, le très-faible désir de s'examiner, que le Seigneur y ranimait quelquefois ; il lui rendait la pente si douce, que pas une Secousse ne venait l'avertir de la rapidité avec laquelle elle roulait vers l'abîme.

Cette secousse, Dieu permit dans sa bonté qu'elle lui fût donnée.

Justine était malheureuse ; malheureuse par les désordres de son mari, malheureuse par leur séparation qui allait croissant, malheureuse par lés vices de ses enfants qui se développaient d'une manière effrayante, malheureuse par les privations que cette vie de péché leur imposait à tous ;. malheureuse par les humiliantes importunités au moyen desquelles elle obtenait quelques secours des riches ; malheureuse par ses défauts, malheureuse par ses plaisirs, malheureuse par sa conscience, dont les cris se faisaient de temps à autre entendre ; malheureuse par l'impossibilité où elle se voyait de prier d'un cœur droit, de chercher son Dieu avec la sincère envie de le trouver.

Cette détresse d'âme, ce trouble intérieur, ce secret dégoût d'elle-même, qui eussent dû l'amener aux pieds du seul consolateur, la poussaient au contraire vers le monde.

Le théâtre, l'habitude de la dissipation avaient créé en elle le besoin des émotions vives ; ce besoin lui faisait trouver ennuyeuse, maussade, l'existence d'une honnête ouvrière ; il provoquait ces réponses irritantes, ces impétueux mouvements auxquels le ménage devait ses scènes les plus violentes ; ce besoin entraînait Justine hors de chez elle ; ce besoin l'attachait à la compagnie de femmes légères, d'hommes hardis ; ce besoin la portait à souffrir des attentions, des poursuites, dont la seule pensée l'eût faite rougir jadis.

Un ami de son mari, homme dont les antécédents étaient louches, mais dont les manières avaient un certain vernis, s'était, par degrés, introduit dans son intimité ; il avait profité de la faiblesse de Victor, pour prendre sur lui de l'ascendant ; il profitait de la jalousie, du désordre intérieur de Justine, pour lui exprimer une admiration dont l'orgueil de celle-ci se repaissait avec délices.

La coquetterie, l'esprit de vengeance l'avaient fait écouter. Justine riait de ses paroles passionnées, elle en riait et les souffrait ; bientôt elle les attendit avec une sorte d'impatience, puis elle les provoqua. Parfois une voix intérieure lui criait : arrête ! mais cette voix, elle l'étouffait ; elle l'étouffait, tantôt en travaillant avec ardeur, en remplissant quelques devoirs envers son mari ou ses enfants, essayant ainsi de donner le change à sa conscience ; tantôt en se plongeant plus avant dans l'enivrement des faux plaisirs, et en courant au devant du danger.

Mme Dubois, qui suivait Justine d'assez près, comptait avec effroi les progrès de la corruption dans ce désastreux ménage. Victor ne se laissait pas rencontrer ; Justine devenait de jour en jour plus contrainte et plus froide.

La gouvernante résolut de tenter un dernier effort pour sauver sa malheureuse protégée. Elle se rendit chez elle, déterminée à provoquer une explication, à mettre ce cœur au plein jour.

Au moment où elle entra, Justine seule, exaspérée par quelques mauvais procédés de son mari, plus troublée encore par le poison du péché qu'elle gardait dans son cœur, s'écria hors d'elle-même :

– Mme Dubois, vous voilà ! je désirais votre visite : vous avez fait mon mariage... eh bien ! venez le voir défaire... je quitte Victor, c'est décidé. Mes enfants sont sans pain, je me dois à eux. Cet homme ira où il voudra, fera ce qui lui plaît ; moi, je reprends ma liberté.

Mme Dubois, muette de douleur, regarda Justine.

– C'est fini ! reprit-elle avec agitation, et en détournant les yeux, cet homme est un libertin ! il causera la perte de ses enfants, il faut une séparation, il en faut une ! Dieu merci, les preuves dé sa méchanceté ne manquent pas !

– Dieu ! répéta Mme Dubois.

– Oh ! je sais ce que vous allez me dire ; j'ai tort, c'est possible, mais c'est plus fort que moi.

Mme Dubois ne se sentait pas la liberté de discuter avec Justine, les paroles humaines seraient tombées comme de l'huile sur un brasier ; elle se contenta de prononcer lentement ces mots de saint Paul : - « Quant à ceux qui sont mariés, je leur commande, non pas moi, MAIS LE SEIGNEUR, que la femme ne se sépare point du mari. » (1 Corinthiens 7.10)

– Je sais tout cela, je sais tout cela ! interrompit Justine de plus en plus agitée. Mais il est trop tard... il faut aller jusqu'au bout.

– Jusqu'au bout de la rébellion, jusqu'au bout du vice ! s'écria Mme Dubois avec fermeté.

– Cet homme s'enfonce dans la corruption !

– Il s'y plongera moins, quand vous l'aurez abandonné ?

– Il me faut de la paix.

– Vous en aurez... en faisant la guerre à Dieu ?

– Mes enfants !

– Vos enfants ! Ah ! Justine, osez-vous bien prononcer ce mot ! Vos enfants ! au moment où vous cherchez à détruire en eux un des sentiments les plus sacrés : le respect, l'amour filial ! Vos enfants !.. c'est une hypocrisie, Justine, la mauvaise épouse, ne sera jamais qu'une mauvaise mère.

– Mais ma liberté...

– Oui, votre liberté, la liberté de votre méchanceté Voilà ce, que vous voulez... ceci est vrai !

En ce moment, un homme à figure barbue poussa la porte, entra brusquement, et, sans voir Mme Dubois, cachée dans l'ombre, jeta sur la table un volume de roman, en adressant à Justine quelques mots dont l'étrange familiarité fuit un trait de lumière pour la gouvernante. Justine ne put retenir un cri, elle pâlit, montra Mme Dubois au nouveau venu, et, se tournant vers celle-ci, balbutia...

– C'est un ami de Victor...

La Bible ouverte, la figure sévère de Mme Dubois, l'effroi de Justine, firent vaguement comprendre à Prosper Leblanc que sa visite était inopportune ; il pirouetta sur ses talons, s'embarrassa dans une explication menteuse ; puis, comme personne ne lui répondait, que Justine semblait plus morte que vive, que Mme Dubois restait sérieuse, il salua, chargea Justine d'une commission insignifiante pour son mari, et s'en fut.

Après un silence solennel, pendant lequel Mme Dubois pria Dieu de lui prêter assistance, pendant lequel Justine, bouleversée, voyait pour la première fois son péché tout entier sortir le l'obscurité où l'avait maintenu sa mauvaise conscience : – Je comprends, dit Mme Dubois, d'une voix calme, mais profondément altérée, je comprends pourquoi vous voulez vous séparer de votre mari.

Ces mots pénétrèrent comme une épée à deux tranchants dans le cœur de Justine.

– Prenez pitié de Moi ! cria-t-elle avec un accent déchirant, et elle tomba sur ses genoux.

Mme Dubois lui tendit les mains et la releva. Dès que les pleurs lui laissèrent la possibilité de parler.

– Oui, dit-elle, je suis une misérable... j'ai négligé tous mes devoirs... c'est moi qui ai perdu Victor... Voici quatre mois que je ne prie plus, que je ne lis plus la Bible... Prenez pitié de moi.

– Mon enfant, c'est à Dieu qu'il faut aller ; à Dieu qui vous cherche depuis longtemps ; à Dieu qui ne veut pas votre condamnation, mais votre salut... votre salut éternel, mon enfant. Humiliez-vous devant Lui, oui humiliez-vous beaucoup.

– Je ne sais où me cacher loin de sa face, s'écria Justine avec un redoublement de douleur.

– Loin de sa face !... Si vous le fuyez, mon enfant, comment vous dira-t-il – « Je ne te condamne pas non plus... Va, et ne pèche plus. » (Jean 8.11) Ah !

Vous ne savez donc pas encore, ma fille, que nous ne pouvons rien apporter à Christ en échange du don de la vie éternelle ! il vous a abandonnée à vous-même pour vous apprendre jusqu'où va votre corruption... pour vous apprendre aussi, oui, je l'espère, jusqu'où vont ses miséricordes. Son amour, Justine, son amour dépasse notre péché de partout.

Mais Justine n'avait pas la force de recevoir cette bonne nouvelle, tant de fois annoncée, jamais acceptée. Elle était plongée dans le désespoir que lui causait son abaissement ; ses joues se couvraient de rougeur ; ce Sauveur si tendre, dont lui parlait Mme Dubois, elle en avait peur ; elle eût voulu pouvoir crier aux montagnes : « Tombez sur moi ! » (Luc 23.30) À la fin, une espèce de stupeur remplaça son agitation ; Mme Dubois pria à voix haute ; Justine accablée joignit les mains. Mme Dubois appela toutes les compassions du Père sur cette pauvre brebis égarée ; elle le remercia d'avoir permis qu'un fort ébranlement vînt secouer Justine ; elle le supplia, quand Il l'aurait assez abattue sous sa colère, de lui envoyer la foi complète en celui qui a dit : « Quiconque croit en moià la vie éternelle. » (Jean 6.47) Elle remit à Jésus cette âme éperdue, et Justine se sentit un peu soulagée.

Lorsqu'elle se releva, cette grande, cette première question de l'âme réveillée sortit de sa bouche :

– Que faut-il que je fasse ?..

– Prier, mon enfant, méditer sur la Parole de Dieu, vous attacher des deux mains à ce rocher inébranlable ; et puis, agir avec droiture, avouer votre faute à Victor.

– À Victor !

– À Victor. Mon enfant, vous voici à l'entrée d'une nouvelle vie, vie chrétienne, où la vérité doit circuler partout : un mensonge, un point louche, c'est une forteresse laissée au démon ; il en profiterait. Votre existence, vos habitudes vont changer ; il faut que Victor comprenne pourquoi ; il faut qu'il connaisse vos luttes, la victoire que Dieu vient de remporter ; il faut qu'il apprenne de quels secours vous avez besoin ; d'ailleurs, dans cet appel que le Seigneur vous adresse, n'y a-t-il rien pour votre mari ? Êtes-vous en droitde retenir sa part du message. Songez, Justine, que vous ne devez plus revoir cet homme ; que Victor doit vous protéger contre lui... contre vous.

– 0 mon Dieu ! comment pourrai-je ! s'écria Justine tremblante. Victor me méprisera !

– Écoutez-moi, mon enfant ; il ne s'agit pas d'une confession détaillée, cela serait inutile, cela serait mauvais ; il s'agit d'un humble aveu, il s'agit d'appeler à votre aide celui qui est le gardien de votre honneur. Vous ne pouvez pas, non Justine, vous ne pourriez pas, si Dieu ne se tenait près de vous, s'il ne vous prêtait sa force. votre mari vous méprisera ! Peut-être ; n'en aurait-il pas le droit ? S'il le fait, vous accepterez cette humiliation, vous la porterez comme une croix sous l'œil du Sauveur ; lui aussi, on l'a méprisé, et Il ne le méritait pas. La lumière, Justine, la lumière avant tout.

Et puis, vous le verrez, mon enfant, il y a dans l'épreuve, il y a dans les châtiments même, do l'Éternel, une secrète douceur pour l'âme qui s'y abandonne. La main de Dieu ne s'appesantit point sur l'enfant qu'Il veut ramener, sans que d'abondantes grâces n'en découlent aussitôt.

– Eh bien oui ! dit tout-à-coup Justine avec énergie ; oui, je passerai par où Dieu le vent ; celame sera bon, je le sens, Je dirai tout à Victor ; il me verra telle que je suis... n'importe ; rejetée ou sauvée, je veux me donner à Christ.

– Oh ! mon enfant, que le Seigneur vous fortifie !

Mme Dubois quitta la chambre, et Justine resta assise vers sa Bible ouverte, tantôt lisant, tantôt priant, souvent interrompue par ses larmes, fréquemment navrée de tristesse quand elle rencontrait des passages semblables à ceux-ci : « Ne savez-vous pas que les injustes n'hériteront point le royaume des cieux. » (1 Corinthiens 6.9) « Quiconque regarde une femme pour la convoiter, il a déjà commis dans son cœur un adultère avec elle. » (Matthieu 5.28) Plus souvent émue d'une reconnaissance infinie, quand elle trouvait des promesses pareilles à celles-ci : « même, je paîtrai mes brebis, et les ferai reposer, dit le Seigneur Je rechercherai celle qui sera perdue, et je ramènerai celle qui sera chassée ; je banderai la plaie de celle qui aura la jambe rompue, et je fortifierai celle qui sera malade. » (Ezéchiel 34.15) « Venez maintenant, dit l'Éternel, et débattons nos droits ; quand vos péchésseraient comme le cramoisi, ils seront blanchis comme la neige ; et quand ils seraient rouges comme le vermillon, ils seront blanchis comme la laine. » (Esaïe 1.18)

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