Explication de l’Épître aux Éphésiens

2. Devoirs réciproques des enfants et des parents.

6.1-4

1 Enfants, obéissez à vos parents, dans le Seigneur ; car cela est juste. 2 Honore ton père et ta mère, ce qui est le premier commandement en promesse ; 3 afin que bien te soit, et que tu vives longtemps sur la terre. 4 Et vous, pères, n’irritez point vos enfants, mais élevez-les dans la correction et l’enseignement du Seigneur.

Obéissez (Rapprochez Colossiens 3.20). Ce terme, employé pour la soumission des enfants et celle des esclaves, est plus énergique que celui qui l’a été pour la soumission des femmes (5.22), et qui marque proprement la subordination. Cette distinction paraît faite avec intention ; car on la retrouve dans Colossiens 3. Cependant elle n’existe pas dans le titre général de cette section de notre épître (5.21), ni dans le développement analogue de saint Pierre (1 Pierre 2.13, 18 ; 3.1)1. Saint Paul résume toutes les obligations de l’enfant chrétien envers ses parents dans l’obéissance. C’est que de l’obéissance dépend toute l’éducation, et de l’éducation dépend la condition de la société tout entière. Cet esprit d’insubordination dont chacun se plaint aujourd’hui, et qui relâche tous les liens, doit être attaqué dans son principe, c’est-à-dire dans la maison paternelle, pour l’être avec fruit. Celui-là sera le mieux préparé pour respecter l’autorité civile et l’autorité ecclésiastique, dont l’esprit aura été plié de bonne heure à l’autorité paternelle, la plus forte et la plus salutaire qui soit au monde. Que les familles chrétiennes se conforment exactement à l’ordre de Dieu, non aux maximes du siècle. Un enfant obéissant, au sens de l’Écriture, sera accusé d’un défaut d’indépendance ; et un père exerçant son autorité, selon l’Écriture, sera accusé de rigueur et d’abus de pouvoir. N’importe ; c’est à Dieu que nous devons compte, non aux hommes.

1 – D’autres termes encore sont employés pour l’ordre de l’Église (Hébreux 13.17).

Dans le Seigneur. Un petit nombre de manuscrits, dont Lachmann a suivi l’autorité, suppriment ces mots ; mais sans raison, et probablement à cause du passage parallèle (Colossiens 3.20) où ils manquent. Ces mots, qui ont le même sens ici que dans 4.1 et dans 4.17, servent à marquer l’esprit de l’obéissance chrétienne et à la distinguer de celle que des enfants païens peuvent rendre à leurs parents. « Obéissez dans le Seigneur, » c’est-à-dire en tant qu’étant dans le Seigneur, en tant que chrétiens. Par le Seigneur, il faut entendre, non pas Dieu, comme on a coutume de le faire, mais Jésus-Christ (5.21). Ce complément renferme implicitement la restriction indiquée Actes 5.29 ; car on ne saurait obéir « dans le Seigneur » à un commandement contraire à ceux du Seigneur. Mais, en traduisant. : « Obéissez dans ce qui est selon le Seigneur, » la version de Martin n’a rendu qu’une partie de la pensée de l’Apôtre. On en peut dire autant d’Ostervald qui traduit : « Obéissez selon le Seigneur, » ce qui présente à l’esprit la même idée que la version de Martin.

Car cela est juste (Actes 4.19). On vient de voir l’esprit de l’obéissance filiale. En voici le fondement. C’est une obligation naturelle, sanctionnée par un commandement exprès de la loi de Dieu. C’est principalement, je ne dis pas exclusivement, cette dernière idée que l’Apôtre a voulu exprimer. C’est ce que prouve, et le verset qui suit, et Colossiens 3.20, où le motif de l’obéissance filiale est exprimé en ces termes : « Car cela est agréable dans le Seigneur » (ce qui ne signifie pas précisément agréable au Seigneur, comme l’a rendu même Lausanne 1839, mais agréable au point de vue chrétien). Il est dans l’esprit de l’Écriture de s’appuyer moins sur la loi naturelle que sur la loi révélée, qu’elle appelle exclusivement, sauf explication particulière (Romains 2.14-15), la loi de Dieu. Nous ne partageons donc pas le sentiment exprimé par Olshausen : « Si l’Apôtre en appelle à un commandement de l’Ancien Testament, ce n’est pas pour confirmer la nécessité du précepte, laquelle est suffisamment prouvée par la nature même de la relation ; mais c’est pour faire remarquer la grandeur de la promesse faite à ceux qui l’observent. »

Honore ton père et ta mère (Exode 20.12 ; Deutéronome 5.16). L’honneur est le plus haut degré du respect, qui est, comme nous l’avons déjà remarqué (note sur 5.32), la première condition de toute soumission et de toute obéissance du cœur, la seule dont Dieu se contente, la seule aussi dont pourra se contenter un père. Le cinquième commandement est l’un de ceux qui sont le plus souvent rappelés dans l’Ancien Testament, notamment dans le livre des Proverbes, vrai trésor d’instruction pour la vie domestique et sociale (Proverbes 6.20 ; 19.26 ; 23.22, etc.).

Ce qui est le premier commandement en promesse. Cette phrase est obscure. Le sens du mot premier, et celui des mots en promesse sont difficiles à déterminer. Voici les trois interprétations principales proposées par les commentateurs, et qui nous paraissent se balancer. Selon la première (Winer, Gr. des N. T.), le mot premier signifie éminent, distingué ; et les mots en promesse, signifient par une promesse. La traduction littérale serait alors : « Ce qui est un commandement premier en promesse ; » ou « lequel commandement est premier en promesse ; » c’est-à-dire, distingué entre tous par la promesse qui l’accompagne. Cette interprétation est celle qui rend le mieux compte des mots en promesse ; mais elle ôte au mot premier le sens superlatif, qui lui est propre, et qu’il a partout ailleurs dans le Nouveau Testament. Il n’y a d’autre manière de le lui conserver dans notre verset que de donner à la préposition en une acception particulière, et, il faut le reconnaître, difficile à justifier. « En promesse » doit signifier avec promesse ; ou bien, ce qui nous paraît plus vraisemblable, la préposition en désigne la manière dont le commandement est donné, à peu près comme si l’on disait : en forme de promesse. Nous avons voulu exprimer cette nuance en maintenant la traduction littérale en promesse, au lieu de la traduction avec promesse adoptée dans toutes nos versions, la version de Lausanne 1839, la version anglaise, celle de Luther, celle de De Wette, etc. Mais ceux qui sont d’accord pour laisser au mot premier son sens superlatif se partagent encore.

Les uns (Gerlach) pensent qu’il ne s’agit ici que de la seconde table du Décalogue. De là, la seconde interprétation : Ce qui est le premier commandement de la seconde table, et de plus un commandement accompagné d’une promesse ; deux caractères qui le distinguent d’avec les autres commandements du Décalogue relatifs à nos devoirs envers le prochain. Ce ne serait pas, en effet, le seul endroit du Nouveau Testament où il faudrait entendre par les commandements, ou par la loi, la seconde table seulement : Marc 10.19 ; Galates 5.14 ; Romains 13.8-10. On peut ajouter que cette restriction serait implicitement justifiée par le sujet que traite ici l’Apôtre, puisque toute cette section de son épître ne se rapporte qu’aux obligations du chrétien envers le prochain.

Les autres (Harless, Olshausen), ne jugeant pourtant pas cette restriction suffisamment motivée y entendent ceci du Décalogue tout entier, et traduisent : « Ce qui est le premier des dix commandements qui soit accompagné d’une promesse. » Première objection : Ce langage suppose qu’il y ait au moins un autre commandement après celui-là qui soit accompagné d’une promesse ; ce qui n’est pas. Réponse : Il ne le suppose pas nécessairement ; il suffît qu’en parcourant le Décalogue, on ne trouve pas d’autre commandement accompagné d’une promesse, avant d’arriver à celui-là ; il est appelé le premier, non par rapport à ceux qui suivent, mais par rapport à ceux qui précèdent. – Seconde objection : Cela même n’est pas exact ; avant ce commandement il y en a un autre qui est accompagné d’une promesse. C’est le second. Réponse : La promesse qui termine le second commandement a un caractère différent de celle qui termine le cinquième. La première est générale : elle promet la bénédiction générale de Dieu à celui qui observe sa loi en général ; la seconde est spéciale : elle promet une bénédiction spéciale à celui qui observe un précepte spécial. L’une relève toute la loi ; l’autre en relève un précepte particulier. A quoi l’on peut ajouter, comme l’observe Érasme, que la promesse du cinquième commandement « n’est pas la première promesse venue, mais la promesse qui avait le plus d’empire sur l’esprit des Juifs, » celle de l’établissement en Canaan. C’est moins une promesse que la promesse.

Ces réponses sont ingénieuses et ne manquent pas de vérité ; mais elles ne nous satisfont pas complètement. Si elles étaient bien fondées, pourquoi l’Apôtre n’a-t-il pas dit : ce qui est le seul commandement avec promesse, ce qui serait à la fois plus naturel et plus fort ? A tout prendre, nous nous déciderions plus volontiers, avec Gerlach, pour la seconde des interprétations que nous avons indiquées, tout en reconnaissant qu’elle n’est pas sans difficulté, surtout en ce qui concerne l’expression en promesse.

Quoi qu’il en soit, le fond de la pensée de l’Apôtre n’est pas équivoque. L’obéissance filiale est prescrite par un commandement exprès de Dieu, par un commandement qui fait partie du Décalogue, enfin par un commandement qui est distingué, même entre ceux du Décalogue, par une promesse particulière. On pourrait ajouter que la loi de Dieu a aussi des menaces singulièrement effrayantes pour ceux qui transgressent ce commandement : Deutéronome 27.16 ; Proverbes 20.20 ; 30.17.

Afin que bien te soit et que tu vives longtemps sur la terre. Cette promesse est citée d’après la version des Septante, avec des changements insignifiants. « Conformément au point de vue de l’Ancien Testament, dit Olshausen, la bénédiction divine est particularisée dans la possession terrestre du pays de Canaan, qui est promise au peuple d’Israël (car c’est au peuple tout entier que la loi est donnée), sous la condition qu’il aura observé fidèlement les commandements, et plus spécialement le quatrième. Saint Paul, se plaçant au point de vue du Nouveau Testament, prend la promesse dans son acception typique, et de la terre il s’élève au royaume des cieux. Voyez des applications analogues du même type, Matthieu 5.5, et Hébreux 4.1. » Cette explication, qui est confirmée par la suppression des derniers mots de la promesse (« que l’Éternel ton Dieu te donne ») dans la citation de l’Apôtre, nous paraît préférable à celle de Harless, qui ne voit ici qu’une promesse temporelle. Ce n’est pas que le Nouveau Testament n’ait des promesses temporelles (Matthieu 6.33 ; 19.29, etc.) ; ni que nous prétendions exclure l’application temporelle de la promesse même que nous avons sous les yeux ; mais nous pensons qu’elle a tout ensemble un sens propre et un sens typique, l’un temporel, l’autre spirituel (1 Timothée 4.8).

Pères. Si l’on doit admettre, avec Harless et Olshausen, que l’Apôtre ait voulu désigner par ce terme les pères seuls, à l’exclusion des mères, il faudra dire qu’il a voulu rappeler en passant que c’est au père à diriger l’éducation des enfants. « Là où l’éducation, et le gouvernement de la maison en général, est entre les mains de la femme, dit Harless, le mariage est mal organisé et l’ordre de Dieu renversé. L’obéissance de la femme doit laisser au mari la première place. C’est lui qui élève leurs enfants par elle ; et s’il est doué de sagesse, il n’a besoin que de l’affection obéissante de sa femme pour les bien conduire. Les anciens eux-mêmes ont reconnu que la tendresse naturelle de la femme, qui peut dégénérer aisément en faiblesse, fait un devoir à l’homme de garder la haute main, même dans l’éducation des enfants. La mère, dit Sénèque, voudrait les tenir toujours près d’elle, les élever en serre chaude, leur épargner tout sujet de pleurs, toute contrariété, tout travail. » Cette remarque est intéressante ; mais le mot pères étant employé une fois ailleurs dans le Nouveau Testament pour désigner le père et la mère (Hébreux 11.23) (littéralement « par ses pères »), nous pensons qu’il est plus naturel de lui donner ici le même sens (voyez versets 1 et 2), tout en reconnaissant que cet emploi même du mot rappelle implicitement que l’autorité du père l’emporte sur celle de la mère. On a pu dire quelquefois les pères, pour le père et la mère ; mais qui aurait jamais songé à dire, dans ce sens, les mères ?

N’irritez point vos enfants (Colossiens 3.21) : « Ne provoquez pas vos enfants, de peur qu’ils ne perdent courage. » L’Apôtre dit d’abord ce qu’il faut éviter, ensuite ce qu’il faut faire. Ce qu’il faut éviter, c’est une rigueur injuste ou excessive, qui irriterait les enfants, c’est-à-dire qui, au lieu de les former à l’obéissance, développerait chez eux un esprit de ressentiment et de résistance. C’est encore une direction impatiente, capricieuse, taquine (c’est le sens propre du mot que nous traduisons provoquer, d’après Lausanne 1839), qui démoralise un enfant et lui donne l’impression décourageante qu’il ne saurait, quoiqu’il fasse, satisfaire ses parents. Remarquons que c’est par là que l’Apôtre commence, soit parce que c’est le côté négatif de l’éducation, soit parce que rien n’est plus naturel ni plus funeste à la fois en éducation que l’impatience. Évitons-la surtout en appliquant un châtiment ; on connaît ce mot d’un sage païen à son esclave : « Je te frapperais, si je n’étais en colère. » Avant tout, l’amour, dans l’éducation, comme dans tout le reste de la vie chrétienne : « Que tout ce que vous faites se fasse avec amour. » L’indulgence extrême, toute fâcheuse qu’elle est, le serait moins que l’excès de la sévérité. Ce n’est pas qu’une juste sévérité ne soit nécessaire : l’Apôtre se hâte de l’expliquer, en présentant le côté positif de l’éducation.

Élevez-les dans la correction et l’enseignement du Seigneur. Ce sont les deux grands moyens de l’éducation ; l’un sévère, l’autre doux : corriger, pour réprimer le péché, et enseigner, pour le prévenir. Le mot que nous traduisons correction est susceptible d’une signification plus étendue 2 Timothée 3.16 (où on l’a rendu par « instruire dans la justice »), et Harless y voit l’éducation en général ; mais nous pensons, avec Olshausen, qu’il vaut mieux le prendre dans son acception plus restreinte, qui est en même temps son acception ordinaire dans le Nouveau Testament (Hébreux 12.5, 7, 8, 11) et dans la version des Septante (Proverbes 3.11 ; 22.15). Le même esprit, qui, de nos jours, relâche l’obéissance filiale, ramollit aussi la puissance paternelle ; l’abus de l’indépendance chez les inférieurs, et l’oubli de l’autorité chez les supérieurs, marchent ensemble. Les parents qui ont su se garder d’une rigueur excessive, soit principe, soit tempérament, tombent d’ordinaire dans l’excès contraire ; le châtiment est banni de leur maison, et quant au châtiment corporel en particulier, il est tenu le plus souvent pour la marque d’un cœur dur ou d’un esprit mal né. Opposons à ces préjugés Proverbes 13.24 ; 22.15 ; 23.13-14 ; 29.17. Par la verge, nous n’entendons pas le châtiment corporel seul ; nous disons seulement qu’on ne doit pas l’exclure (voyez Proverbes 23.14), et qu’il y a des cas où rien n’y supplée. Au reste, voici le principe qui doit diriger les parents chrétiens en pareille matière : employer les châtiments les plus doux possibles, mais des châtiments suffisants pour réprimer le péché2. Mais prévenir vaut mieux encore que réprimer, et le moyen le plus efficace d’éducation, c’est l’enseignement. Il faut instruire les enfants sans relâche par la Parole de Dieu (Deutéronome 6.7), et lors même que ce soin paraîtrait perdu sur l’heure, le fruit s’en retrouvera plus tard (Proverbes 22.16). Il faut poser un bon fondement, et laisser faire à Dieu, qui seul change les cœurs.

2 – Voir sur l’obéissance des enfants et l’emploi du châtiment, un excellent opuscule d’Abbott, traduit de l’anglais, sous ce titre : La mère de famille.

Du Seigneur. La correction et l’enseignement doivent procéder du Seigneur et être dirigés par l’Esprit du Seigneur, de telle sorte que ce soit moins le père qui corrige ses enfants et les enseigne, que le Seigneur qui le fait par lui. C’est ici le point capital du développement de l’Apôtre (5.21). C’est dans le Seigneur que l’enfant doit obéir, et au nom du Seigneur que le père doit commander. Car le père est auprès de son enfant le représentant de Dieu, qui, dans la relation où il a daigné entrer avec nous par Jésus-Christ, a pris le titre de Père et nous a donné celui d’enfants. L’enfant doit obéir à son Père, comme les enfants de Dieu obéissent à leur Père céleste ; et le père doit gouverner son enfant comme le Père céleste gouverne les siens. Amour patient, sévérité nécessaire, instruction fidèle, ce sont bien là les trois moyens que Dieu emploie avec nous ; ce sont donc aussi ceux que nous devons employer avec nos enfants.

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