Explication pratique de la première épître de Jean

I
Saint Jean témoin de Jésus-Christ et prédicateur de l’Évangile

1.1-4

1 Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché de la parole de vie 2 (or la vie est apparue et nous avons vu la vie éternelle, et nous en sommes les témoins et nous vous l’annonçons ; elle était auprès du Père et elle nous est apparue), 3 ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi ayez communion avec nous. 4 Or, c’est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ que nous avons communion. Et nous vous écrivons ces choses afin que votre joie soit accomplie.

Nous ne trouvons en tête de cette épître aucun préambule ; le début en est brusque. Dès les premiers mots, l’Apôtre transporte ses lecteurs au milieu de son sujet ; il donne essor, sans préliminaires, aux sentiments qui débordaient de son âme et formaient le centre de sa vie, de son apostolat, de tous ses enseignements. L’exhortation qu’il adresse aux membres de son Église, ils l’avaient souvent entendue de lui ; mais il fallait la leur rappeler, la vivifier au dedans d’eux, en faire le pivot de toute leur vie. L’histoire ecclésiastique rapporte, comme on sait, que parvenu à un âge avancé, saint Jean se faisait porter par ses disciples au milieu de son troupeau, et que là il se bornait à répéter cette parole : « Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres. » Interrogé sur le motif de cette constante répétition, il répondit : « C’est un commandement du Seigneur, et l’observation de ce précepte emporte tout le reste. » Ce trait peint admirablement la personnalité de saint Jean : ce n’est point l’abondance de pensées, la richesse d’expressions d’un saint Paul ; ce sont quelques vérités essentielles, recueillies de la bouche de Christ, profondément enracinées dans le cœur de son disciple, et qui reviennent sans cesse sous sa plume, dans un langage simple et uniforme. La contemplation de la personne du Christ, telle est la source unique où saint Jean puise tous ses enseignements ; c’est cette image, à la fois divine et humaine, qui est constamment présente à son âme, c’est sur elle qu’il porte les regards de ses auditeurs et de ses lecteurs. Il ne se lasse point de rappeler les bénédictions sans nombre qu’il a recueillies de ses rapports journaliers avec Jésus, la source de toute vie spirituelle. Cette influence puissante et salutaire est ce qu’il y a pour lui de plus certain au monde ; aussi ne peut-il trouver de termes assez forts pour exprimer sa conviction quant à la réalité de la venue du Fils de Dieu sur la terre. La manière dont il en parle indique déjà une réaction contre les erreurs des Docètes, signalées dans nos Préliminaires.

Tandis que les trois autres évangélistes ouvrent la vie de Jésus par le récit du ministère de Jean-Baptiste son précurseur, l’apôtre saint Jean, dès les premiers mots de son évangile, se transporte par delà le commencement de la vie terrestre du Fils de Dieu ; il s’élève dès l’abord jusqu’à la contemplation du type divin dont cette vie n’était que l’empreinte visible. Il suit la même marche dans son épître. Saint Jean ne pouvait procéder autrement ; il ne pouvait raconter la vie de Christ sans remonter d’abord à sa préexistence, tant la plénitude de l’essence divine qui avait éclaté en Jésus était indissolublement liée, dans son esprit, à la manifestation humaine de cette essence. L’apôtre voit toujours en Christ la révélation de Celui qui est élevé au-dessus de tous les temps, qui n’a point eu de commencement, qui était avant la création et qui habite d’éternité en éternité des sanctuaires impénétrables aux regards mortels. Pour montrer que c’est Lui qui a revêtu une forme humaine en la personne de Jésus de Nazareth dont il va raconter l’histoire, il fallait commencer par établir le lien entre le Christ anté-historique, tel qu’il était dans le sein du Père, et le Christ historique, tel que l’ont vu, connu, entendu les générations contemporaines. Ce n’est point non plus par des abstractions qu’il ouvre son épître, mais par la constatation du plus grand fait de l’histoire de l’humanité : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché de la parole de vie… » Il peut paraître surprenant qu’au lieu de désigner clairement la personne divine qui était dès le commencement et qui s’était manifestée à lui sous forme visible, saint Jean emploie des expressions indéterminées telles que : ce qui était dès le commencement ; et plus loin : ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons. Mais ce langage tient à ce qu’il y a de plus profond et de plus intime dans la doctrine et dans la méthode de l’apôtre : en effet, pour lui, Christ est le point de départ et le but de toute prédication chrétienne : c’est Christ, source de toute vie véritable, qu’il s’agit de rapprocher du cœur des hommes ; il n’y a dans sa pensée ni sur ses lèvres d’autre sujet que celui-là ; les expressions indéterminées qu’il emploie correspondent, non à des idées abstraites, mais à cette personne vivante, centre de son enseignement et de sa vie. De là vient qu’il fait usage indistinctement, pour la désigner, de pronoms personnels (celui qui), ou de pronoms impersonnels (ce que). Ce que saint Jean annonce, c’est la venue en chair de celui qui était dès le commencement. Saint Jean n’achève pas immédiatement sa pensée ; il s’interrompt pour expliquer quel est le sujet qu’il n’a fait encore qu’indiquer en termes vagues, mais qui remplit toute son âme. Ce sujet, c’est la Parole de vie. Que faut-il entendre par là ? S’agit-il seulement de la prédication de la vie ? Même alors, il faudrait reconnaître qu’il est ici question de la prédication primitive, telle qu’elle est sortie des lèvres de Jésus, ce qui ramène nécessairement à sa personne. D’ailleurs, les mots qui suivent se rapportent clairement, non à la prédication de la vie, mais à sa manifestation même, telle qu’elle a éclaté au sein de l’humanité, et ces expressions solennelles — « ce qui était dès le commencement » — font allusion, non à un fait abstrait, mais à une personne, à Celui qui était dès le commencement. C’est aussi Lui que désigne saint Jean par ces mots : « la Parole de vie, » de même que par l’expression plus abrégée : « la Parole, » qui revient à plusieurs reprises au commencement de son Évangile. Christ est lui-même la Parole ; c’est cette Parole qui révèle, pour ainsi dire, le cœur de Dieu. De même que la parole articulée est précédée dans l’homme d’une parole intérieure qui n’est autre chose que l’esprit acquérant la conscience de lui-même, de même en Dieu, avant qu’il se soit manifesté à nous en Jésus-Christ, il y a une Parole qui est l’éternelle révélation de son essence, et qu’il faut distinguer des profondeurs insondables de son Être. C’est là la Parole qui était dès le commencement et que saint Jean appelle « la Parole de vie, » révélatrice de la vie divine, de la seule vie véritable. Cette Parole, étant l’intermédiaire de toute vie divine, en est en quelque sorte la source ; c’est pourquoi saint Jean l’appelle « la Parole de vie. »

Cette vie, ajoute l’apôtre, Celui dont l’essence même est la vie, la source de toute vie divine, a paru parmi les hommes. Il se donne comme témoin oculaire de cette révélation suprême : (« Or la vie est apparue, et nous avons vu la vie éternelle, et nous en sommes les témoins, et nous vous l’annonçons ; elle était auprès du Père et nous est apparue. ») La venue de Jésus-Christ en chair n’était que la manifestation visible de cette vie éternelle, de cette Parole de vie qui était auprès du Père. Rendre témoignage à cette vie éternelle qui a paru en Christ pour se communiquer aux hommes, tel était le but unique du ministère de saint Jean. Après cette parenthèse, l’écrivain sacré reprend sa pensée interrompue : « … Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi ayez communion avec nous. » Ayant été lui-même témoin de la vie éternelle révélée aux hommes, il annonce ce qu’il a vu, dans le but d’amener ceux auxquels il l’annonce à goûter la communion divine. Cette dernière pensée est exprimée sous forme indirecte : « afin, dit saint Jean, que vous ayez communion avec nous ; » ce mot nous s’applique aux premiers prédicateurs de l’Évangile, aux témoins de la vie divine manifestée aux hommes ; il s’agit de la communion avec les apôtres, fondée sur la communion avec Christ. En effet, il n’y a d’union entre les fidèles qu’autant qu’ils sont unis à Christ ; tel est le fait sur lequel repose, selon saint Jean, l’idée vraie de l’Église, et l’on ne saurait trop le relever, toutes les fois que l’idée de l’Église tend à se matérialiser. S’il arrive souvent qu’on attache un prix excessif à telle ou telle forme ecclésiastique, c’est parce qu’on oublie que l’élément vital de l’Église c’est la communion avec Christ, et que, fondée sur cette base éternelle, elle peut revêtir des manifestations diverses. Partout où règne cette communion spirituelle, là se trouve l’Église. Les lacunes et les taches que nous y découvrons ne doivent pas nous empêcher de la reconnaître et de la saluer avec joie ; au sein d’une humanité pécheresse, il n’est aucune tentative de réalisation des choses divines qui puisse être parfaite.

Saint Jean explique aussitôt ce qu’il entend par la communion dont il vient de parler : « C’est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ que nous avons communion. » Nous avons communion avec le Père par la communion avec le Fils. Cette communion est la condition de la vie éternelle, source de toute félicité véritable ; aussi saint Jean, résumant en un mot le but de sa prédication et de son Épître en particulier, s’exprime-t-il ainsi : « Et nous vous écrivons ces choses, afin que votre joie soit accomplie. » Les fausses doctrines qui tendaient à altérer l’union des âmes avec Jésus-Christ troublaient par là même leur joie. En mettant ses lecteurs en garde contre ces erreurs, en les replaçant dans la communion du Sauveur, saint Jean leur rouvre la source d’une joie accomplie.

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