Explication pratique de la première épître de Jean

XI
L’enfant de Dieu. Sa vocation

3.3-10

3 Et quiconque a cette espérance en lui se purifie comme lui est pur. 4 Quiconque commet le péché commet aussi une révolte contre la loi ; or le péché c’est la révolte contre la loi. 5 Et vous savez qu’il est apparu afin d’ôter nos péchés, et il n’y a point de péché en lui. 6 Quiconque demeure en lui ne pèche pas. Quiconque pèche ne l’a point vu et ne l’a point connu. 7 Mes petits enfants, que nul ne vous séduise : celui qui pratique la justice est juste comme lui est juste ; 8 Celui qui pratique le péché est du diable, car dès le commencement le diable pèche. C’est pour cela qu’a paru le Fils de Dieu, savoir pour détruire les œuvres du diable. 9 Quiconque est né de Dieu ne pratique point le péché, parce que sa semence demeure en lui, et il ne peut pécher parce qu’il est né de Dieu. 10 C’est en cela que se révèlent les enfants de Dieu et les enfants du diable : quiconque ne pratique point la justice n’est pas de Dieu, ainsi que celui qui n’aime pas son frère.

Après avoir exposé les magnifiques privilèges des chrétiens, saint Jean, selon sa coutume, les exhorte à remplir les conditions auxquelles sont attachés ces privilèges. Ceux-ci, en effet, ne sont que le développement complet, le plein épanouissement de la vocation chrétienne elle-même ; il faut donc que le chrétien réponde à cette vocation. La vie de l’enfant de Dieu, depuis ses premiers commencements sur la terre jusqu’à son entière maturité dans le ciel, forme un ensemble harmonique, un tout indivisible ; nous ne recueillerons de fruits dans la vie à venir que ceux dont le germe se sera montré dans la vie présente ; et puisque la ressemblance avec Dieu, promise aux fidèles, consiste dans la sainteté, il faut que ce résultat suprême soit préparé d’avance par une sanctification croissante. Aussi saint Jean déclare-t-il que « quiconque a cette espérance en luia, se purifie comme luib est pur, » c’est-à-dire que ceux qui ont la ferme confiance que Dieu, par sa grâce, les fera parvenir à la gloire éternelle, selon la promesse de Jésus-Christ, se préparent à cette gloire en marchant dans la sainteté devant Dieu. Ils ont de cette sainteté un type accompli en Jésus-Christ, l’image empreinte du Dieu invisible ; c’est en lui, par lui, avec lui qu’ils parviendront un jour à contempler sans voiles leur Père céleste. C’est cette vérité si grave qu’il développe dans les paroles suivantes : « Quiconque commet le péché commet aussi une révolte contre la loi ; or le péché c’est la révolte contre la loi. » L’Apôtre combat ici l’influence d’hommes qui risquaient, par leurs doctrines relâchées, d’obscurcir le jugement moral de ceux auxquels ils s’adressaient. Bientôt, en effet, on vit paraître dans les églises chrétiennes des docteurs qui ne maintenaient pas dans toute sa force l’opposition entre le paganisme et la religion chrétienne ; selon eux, il suffisait de se séparer du culte des idoles, d’adorer un seul Dieu et de reconnaître le Messie, sans que d’ailleurs l’ensemble de la vie fût sensiblement modifié par ces nouvelles croyances. Ce sont là les « vains discours » contre lesquels saint Paul met en garde les Ephésiens (Éphésiens 5.6), leur déclarant que la colère de Dieu vient sur les enfants de rébellion, non seulement à cause de l’idolâtrie, mais aussi à cause de tous les péchés qu’elle entraîne avec elle. Saint Jean ayant affaire à des gens qui méconnaissent la spiritualité, la haute portée de la loi divine, qui pensent la respecter tant qu’ils n’en ont pas transgressé la lettre, leur représente que tout péché, quel qu’il soit, ne fût-il pas expressément mentionné dans la loi, en est néanmoins une infraction positive ; car la loi, dans sa véritable acception, n’est rien moins que la manifestation de la volonté de Dieu envers les hommes. C’est à cette lumière que Jésus-Christ nous apprend à l’envisager dans l’Évangile. Cette interprétation superficielle de la loi qu’il condamna chez le jeune homme riche (Matthieu 19.17, …), s’est souvent reproduite dans l’Église chrétienne ; on a plus d’une fois cherché à tranquilliser sa conscience en méconnaissant les exigences absolues et universelles de la loi de Dieu. Le moyen le plus sûr de la comprendre et de se sonder soi-même devant elle, c’est l’étude quotidienne et attentive du commentaire qu’en a donné le Sauveur dans son sermon sur la montagne.

a – En lui, c’est-à-dire en Dieu.

b – Comme lui, c’est-à-dire comme Christ. Le pronom employé dans ces deux membres de phrase est différent dans l’original.

En face de ces dangereuses théories, saint Jean place une franche déclaration de ce qu’est le péché ; dans tout péché, dit-il, il y a une égale révolte contre la loi. Sans doute, au jugement des hommes, et en tenant compte de l’état moral de chacun, il y a entre les pécheurs d’incontestables différences ; mais quand on veut s’éprouver sérieusement soi-même, ce qui est la première condition de tout progrès dans la sainteté, il importe de se rappeler que la loi divine est revêtue dans toutes ses parties d’une égale autorité ; elle réclame une obéissance complète qui s’étende sur tous les détails de la vie ; toute distinction entre les grands et les petits devoirs, les grandes et les petites offenses se trouve effacée, car tout péché provient de la même source, savoir de la perversité de la volonté de l’homme, de cette disposition mauvaise que l’Écriture appelle « la chair » en opposition avec « l’esprit. » Tel est le point de vue auquel se place saint Jean dans son épître.

Il appuie cette pensée sur la plus forte des preuves, en montrant quelle contradiction il y aurait à demeurer esclave du péché, tout en se réclamant de Jésus-Christ comme Sauveur, puisque « vous savez, dit l’Apôtre, qu’il est apparu afin d’enlever nos péchés. » Il ne peut donc y avoir de foi en lui là où la sanctification n’est pas prise au sérieux. Le but de la venue du Fils de Dieu peut être envisagé sous deux faces : l’une négative, l’anéantissement du péché ; l’autre positive, la fondation d’un royaume de Dieu au sein de l’humanité : pensée qui porte en elle-même le cachet de son origine, conception divine et qui ne pouvait jamais monter dans l’esprit de l’homme ignorant et pécheur ; perspective qui dépasse nos espérances les plus lointaines, et qui suppose, pour être réalisée, des forces plus qu’humaines. La venue de Jésus-Christ au monde forme un nouveau point de départ dans l’histoire ; à partir de ce moment, pour tous ceux qui s’approprient l’œuvre de Christ et souhaitent d’entrer en communion avec lui, le mal est vaincu, il est virtuellement anéanti. Non seulement il n’exercera plus d’influence, mais ses ravages passés ont comme disparu pour quiconque s’abandonne à Jésus-Christ comme au Sauveur des hommes.

Ces mots : « il est apparu afin d’enlever nos péchés, » doivent être, d’après d’autres déclarations analogues de saint Jean, entendus dans ce sens, qu’ayant pris sur lui la nature pécheresse des hommes, et ressenti au dedans de lui toutes les funestes conséquences du péché, il en a porté la peine, comme s’il la portait pour son propre compte ; c’est cette angoisse qui lui arracha ce cri de la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » De même que, dans un sens symbolique, le péché du peuple était mis autrefois sur la victime du sacrifice qui le portait et l’expiait, de même Jésus-Christ a pris sur lui les péchés des hommes, il les a portés et enlevés. Pour accomplir cette mission, il fallait qu’il fût lui-même absolument pur, qu’il n’eût pas la moindre part au péché qu’il venait détruire, qu’il réalisât une vie de sainteté parfaite ; à cette condition seule il pouvait devenir auprès de Dieu le représentant d’une humanité coupable. C’est ce que fait remarquer l’Apôtre : « Et il n’y a point de péché en lui. »

De là résulte que nous ne pouvons à la fois avoir communion avec Jésus-Christ et persévérer dans le péché. Ce principe, saint Jean le pose d’une manière absolue : « Quiconque demeure en lui ne pèche pas. » Demeurer en lui et continuer à pécher sont deux faits qui s’excluent réciproquement. Telle est l’importance de cette vérité, que l’écrivain sacré la reproduit aussitôt sous une forme différente, non moins catégorique : « Quiconque pèche ne l’a point vu et ne l’a point connu. » La vue dont il est ici question est une vue spirituelle et désigne un degré de vie spirituelle plus avancé que la simple connaissance : non seulement le pécheur obstiné n’a pas vu Jésus-Christ, n’a pas contemplé de près sa sainte image, mais il ne l’a pas même connu comme le Saint et le Juste, et s’il se réclame encore de Christ, ce n’est pas du Christ de l’Évangile.

Mais il ne suffit pas, pour le chrétien, de ne pas persévérer dans une voie de péché, il faut encore qu’il poursuive de toutes ses forces la justice ; on n’est pas juste par cela seul qu’on se sépare extérieurement du paganisme et qu’on fait de bouche une profession chrétienne. Saint Jean combat avec énergie ce christianisme au rabais : « Petits enfants, s’écrie-t-il avec sérieux et tendresse, que nul ne vous séduise : celui qui pratique la justice est juste comme lui est juste. » Sa pensée n’est assurément pas que la pratique de la justice nous rende justes devant Dieu. Il suppose déjà existante dans le cœur cette justice intérieure qui est la vie nouvelle elle-même et le fruit de la communion avec Christ ; mais il affirme que ce changement du cœur, par lequel nous passons de la mort à la vie, ne peut s’opérer sans se manifester aussitôt dans toute la conduite. Si la vie de Christ a passé au dedans de nous, il implique contradiction que nous n’annoncions pas ses vertus dans le monde ; nous ne pouvons marcher que comme il a marché lui-même.

La forme absolue que l’Apôtre donne à sa pensée peut surprendre, d’autant plus qu’il a lui-même, dans cette épître, considéré la vie du chrétien comme ayant sans cesse besoin d’être purifiée. Pourquoi donc la présente-t-il ici comme une vie parfaite ? C’est qu’ayant à combattre une doctrine relâchée qui poussait, en quelque manière, à pactiser avec le péché, il voulait faire sentir dans toute sa force l’irréconciliable opposition qui existe entre la justice et le péché. Se plaçant, non au point de vue relatif de l’expérience et des faits, mais au point de vue absolu du principe, il déclare, avec saint Paul, que quiconque est en Christ est une nouvelle créature, que la foi en lui exclut tout péché, sans exception. En effet, le « nouvel homme » ne pèche plus, et plus il aura pris d’empire en nous, plus nous serons affranchis du péché. Il est même vrai de dire que s’il y a encore chez le chrétien de fréquentes et déplorables réactions du vieil homme, néanmoins la direction générale de sa vie le porte à la sainteté.

Saint Jean, afin de faire ressortir d’une manière encore plus tranchée l’opposition dont il vient de parler, ajoute : « Celui qui pratique le péché est du diable, car dès le commencement le diable pèche. » En face des enfants de Dieu qui marchent dans la sainteté, sont placés les enfants du diable qui suivent la voie du péché. Le diable est désigné comme celui qui pèche « dès le commencement. » Que devons-nous entendre par là ? Si l’on voulait prendre ces mots à la lettre et dans un sens absolu, on arriverait à des conclusions entièrement contraires à l’analogie de la foi. Il résulterait de là qu’il existe un être qui, par sa nature même, a été de toute éternité l’ennemi de Dieu, le représentant de l’esprit du mal ; il y aurait deux êtres éternels, l’un bon, l’autre mauvais. Or, d’une part, saint Jean fait découler toute vie de Dieu ; il n’est rien de ce qui existe qui ne doive à Dieu l’existence ; d’autre part, il est « lumière, » il n’y a point en lui de ténèbres ; tout ce qui procède de lui est « très bon. » Il est donc hors de doute et que Satan est une créature de Dieu et qu’il n’a pas été créé mauvais. La notion même du péché confirme cette manière de voir : le péché est la violation de la loi divine par un être dont la vocation était de l’accomplir, c’est une révolte consciente de la volonté créée contre la volonté créatrice. Il n’y ’ a point de péché dans un être qui ne peut faire que le mal. Si donc le diable est pécheur depuis le commencement, c’est qu’il a tourné contre Dieu la liberté morale qui lui avait été donnée pour le servir, et ces mots « depuis le commencement » signifient, non « depuis le commencement de toutes choses », mais « depuis qu’il a commencé de pécher. » A partir du moment où, par sa révolte contre Dieu, cet être créé bon dans l’origine est devenu l’être pervers que nous connaissons sous le nom de « diable », il a continué à pécher, et telle a été sa persistance dans le mal, que le mal est devenu pour lui l’élément de sa vie et comme une seconde nature. Aussi est-ce par lui que le péché est entré dans le monde ; « depuis le commencement » de ce règne funeste que Satan a lui-même inauguré, il pousse les hommes au péché. Cette considération jette une nouvelle lumière sur la pensée de saint Jean. Tout péché est une imitation de Satan, un fruit de l’esprit de révolte qui l’anime, c’est une tentative dont le but est de nous arracher à la dépendance où nous sommes de Dieu, notre loi, notre but, notre centre, pour devenir chacun pour soi-même son centre, son but et sa loi. Le premier auteur de cette tentative aussi folle qu’audacieuse est Satan ; c’est son esprit qui pousse ceux qui marchent dans la voie du péché ; aussi est-il considéré partout dans l’Écriture sainte comme l’instigateur du péché. C’est là le point de vue religieux et pratique auquel se place saint Jean ; il n’aborde pas la question spéculative des rapports primitifs du diable avec le reste de la création ; il veut réveiller fortement dans ses lecteurs le sentiment du péché, et pour cela il les transporte en dehors du monde et leur fait voir le péché en Satan lui-même. Nous apprenons par là à en connaître la laideur, à en mesurer la portée, à en constater l’horrible profondeur ; nous sommes mis en garde contre cette conception superficielle qui ne voit dans le péché qu’un produit de la faiblesse humaine et un résultat fatal de notre participation au monde sensible.

Afin de montrer que l’enfant de Dieu doit éviter tout contact quelconque avec le péché, l’Apôtre rapporte tout péché, petit ou grand, à l’influence pernicieuse de Satan qui pèche dès le commencement ; car toute révolte contre Dieu, quelque forme qu’elle revête, procède d’une même disposition fondamentale. Mais cette condition n’est pas sans espoir, car « c’est pour cela qu’a paru le Fils de Dieu, savoir pour détruire les œuvres du diable. » Cette expression de saint Jean est synonyme de celle qu’il a employée plus il vient de montrer par quel lien le péché se rattache au diable. De même qu’il a parlé du mal, non dans ses manifestations terrestres seulement, mais d’une manière générale et indépendante de l’économie actuelle, de même en parlant de Jésus-Christ, il insiste non sur la forme particulière qu’a revêtue son œuvre à notre égard, mais sur cette œuvre elle-même dans sa signification la plus universelle. Or, envisagée à cette lumière, son œuvre n’est rien moins que l’anéantissement absolu de l’œuvre de Satan et la ruine de son règne auquel succède le règne même de Dieu. De là résulte que celui qui a part à l’œuvre de Christ doit aussi poursuivre le but qu’il s’est proposé, la complète destruction du péché.

Continuant la comparaison qu’il a établie entre les enfants de Dieu et les enfants du diable, saint Jean ajoute : « Quiconque est né de Dieu ne commet point le péché, parce que sa semence demeure en lui, et il ne peut pécher parce qu’il est né de Dieu. » Nous avons ici d’abord l’indication d’un fait : « Celui qui est né de Dieu ne pèche pas ; » puis le motif sur lequel ce fait repose, savoir que « la semence de Dieu demeure en lui. » Cette dernière image n’est pas la même que celle qu’emploie le Sauveur dans la parabole du semeur (Matthieu ch. 13) ; ici l’homme n’est pas comparé à un champ qui doit recevoir la semence ; il est considéré comme étant lui-même engendré par la semence divine, qui n’est autre chose que la vie spirituelle procédant de Dieu même et communiquée par Christ ; c’est par elle qu’a lieu cette nouvelle naissance, cette régénération par laquelle on devient enfant de Dieu ; pour continuer à l’être, il faut que cette vie d’en haut, cette semence divine « demeure » en nous, qu’elle pénètre toute notre personne.

Il suit de là, avec la dernière évidence, que l’enfant de Dieu, devenu tel par la vie de Dieu qui lui a été communiquée, ne pèche pas ; dans la mesure où il est enfant de Dieu, il ne peut pécher. Que de la vie de Dieu puisse procéder quelque chose de contraire à la sainteté de Dieu, c’est une contradiction manifeste, une impossibilité absolue.

Il y a donc deux catégories d’hommes nettement tranchées : ceux qui vivent dans le péché, les enfants du diable, et ceux qui ont renoncé au péché, les enfants de Dieu : « C’est en cela que se révèlent les enfants de Dieu et les enfants du diable. »

Malgré la distinction absolue et profondément vraie en principe qu’établit ici l’Apôtre, on peut se demander s’il n’y a entre ces deux classes d’hommes aucun point commun qui puisse servir de transition de l’une à l’autre. S’il n’existe entre elles aucun lien quelconque, il serait inexplicable que des enfants du diable pussent devenir des enfants de Dieu, et l’on se trouverait en opposition avec tout l’enseignement de saint Jean lui-même. En effet, il nous apprend que la foi en Jésus-Christ fait passer le pécheur du royaume de Satan dans le royaume de Dieu ; il déclare que le Fils de Dieu est apparu pour détruire les œuvres du diable, par conséquent pour faire succéder l’influence de l’Esprit de Dieu à celle qu’exerce le diable sur le cœur de ceux qui lui appartiennent. Or, les uns sont gagnés par Jésus-Christ et deviennent enfants de Dieu ; les autres lui résistent et demeurent enfants du diable. D’où provient cette différence ? Dira-t-on qu’il faut en chercher la cause dans la souveraine volonté de Dieu qui fait choix des uns et abandonne les autres ? Mais ici encore saint Jean nous enseigne que les miséricordes de Dieu s’étendent sur tous les hommes, que le but de la rédemption est le salut du genre humain et l’anéantissement du mal, non dans quelques cœurs seulement, mais sur toute la face de la terre. Ce n’est donc pas dans un décret inconditionnel de Dieu qu’il faut chercher le motif du fait si grave qui nous occupe, c’est dans les diverses dispositions des hommes, dont les uns acceptent, tandis que les autres repoussent ce que Dieu offre à tous. Saint Jean nous fournit lui-même quelques indices qui peuvent nous aider à mieux comprendre ce phénomène spirituel. Il enseigne qu’il y a en l’homme, indépendamment de la nouvelle naissance due à l’efficace de l’Évangile, une disposition divine qu’il désigne par ces mots : « être de la vérité, » en relever, l’aimer et la révérer par-dessus tout (Jean 18.37) ; cet amour de la vérité est le sens spirituel qui perçoit les choses divines et qui embrassera l’Évangile quand il lui sera présenté. Ailleurs saint Jean parle d’un attrait du Père qu’il faut suivre pour trouver le Sauveur (Jean 6.44). Il représente l’Évangile comme exerçant un jugement dans le monde (Jean 3.19) ; ce jugement consiste à mettre au grand jour les dispositions cachées des cœurs ; les uns repoussent cette lumière à cause de son incompatibilité avec les ténèbres où ils vivent et les œuvres de ténèbres qu’ils affectionnent ; les autres l’accueillent avec joie comme un trésor après lequel, s’en rendant compte ou non, ils soupiraient depuis longtemps. (Jean 3.20-21)

Dieu n’exclut donc personne de ses compassions ; nous nous excluons nous-mêmes ; il y a en tout homme l’étoffe d’un chrétien ; dans l’état préparatoire où nous sommes sur la terre, nul n’est tout d’une pièce : de même que l’enfant de Dieu qui vit de la vie de son Père céleste, porte encore en lui bien des traces du vieil homme ennemi de Dieu, de même dans les enfants du diable il y a quelque chose qui n’est pas du diable, mais de Dieu, un souvenir de leur origine céleste, les restes obscurcis de la ressemblance de Celui qui créa l’homme à son image. Selon que les hommes suivent l’esprit du diable qui agit en eux, ou l’attrait du Père qui les conduit au Fils, il se fera entre eux la séparation qu’indique saint Jean dans notre verset. S’il en parle en termes aussi absolus, c’est dans un intérêt pratique. Dans la mesure où s’efface la ligne nette et profonde de démarcation entre le vieil homme qui est du diable et l’homme nouveau qui est de Dieu, dans cette même mesure va aussi s’affaiblissant notre vie chrétienne ; il ne faut pas que nous puissions espérer concilier jamais la lumière et les ténèbres, servir à la fois Dieu et Mammon. L’Évangile demande de nous une détermination de volonté absolue : tout mal, quel qu’il soit, même s’il se présentait sous les dehors les plus séduisants, doit repousser le chrétien comme provenant directement du diable. S’il nous arrive de pactiser avec le mal, même de loin, nous serons bientôt sa proie ; c’est pourquoi il faut apprendre à le voir tel qu’il est et, lui arrachant son masque, à l’appeler par son vrai nom. C’est donc un précepte de vigilance que nous donne l’Apôtre ; il sait que la moindre concession à cet égard peut devenir fatale, soit en elle-même, soit en diminuant notre horreur du mal.

D’ailleurs, élevons-nous à la contemplation générale de l’histoire des choses humaines, et nous plaçant pour les juger au point de vue de Dieu qui sonde les secrets des cœurs, nous reconnaîtrons que pour Lui ceux qui, dominés par l’amour de la vérité, se trouveront disposés à recevoir un jour l’Évangile, quand il leur sera présenté, sont déjà enfants de Dieu. En sorte qu’à ses yeux, au point de vue de la vérité absolue, les nuances dont nous avons parlé s’absorbent dans la distinction tranchée qu’indique saint Jean et qui conserve au fond toute sa vérité. Dans ce caractère général de justice qui est la marque des enfants de Dieu, l’Apôtre relève un trait spécial, l’amour fraternel qu’il considère comme l’âme de toute justice véritable, l’accomplissement de la loi ; « quiconque ne pratique pas la justice n’est pas de Dieu, ainsi que celui qui n’aime pas son frère. »

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant