Explication pratique de la première épître de Jean

X
L’enfant de Dieu. Ses privilèges

2.29 à 3.2

29 Si vous savez qu’il est juste, vous reconnaissez aussi que quiconque pratique la justice est né de lui. 1 Voyez de quel grand amour le Père nous a fait part, afin que nous recevions le nom d’enfants de Dieua. Si le monde ne nous connaît pas, c’est qu’il ne l’a pas connu. 2 Bien-aimés, dès à présent nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été révélé ; mais nous savons que lorsque cela aura été révélé, nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu’il est.

a – Telle est la traduction littérale. Le but que Dieu s’est proposé dans son insondable amour, c’est de revêtir de pauvres pécheurs du glorieux titre d’enfants de Dieu, en d’autres termes de faire de nous ses enfants.

Cette intime communion avec le Sauveur, qui inspire au croyant une si solide confiance, exclut non seulement toute erreur de doctrine, mais aussi tout péché. Telle est la sérieuse pensée que va développer saint Jean, en insistant sur cette profonde notion « d’enfant de Dieu, » et montrant tour à tour les privilèges et les devoirs qui y sont attachés : « Si vous savez qu’il est juste, vous reconnaissez aussi que quiconque pratique la justice est né de lui. » C’est ainsi qu’il introduit son sujet. Ces mots, en effet, bien que placés à la fin du chapitre second, se rapportent à ce qui suit plutôt qu’à ce qui précède ; aussi pensons-nous qu’il est question dans ce verset, non de Jésus-Christ, mais de Dieu le Père, comme au chapitre troisième. Le lien entre ces deux sujets est si étroit, que l’on comprend que l’Apôtre puisse passer sans transition de l’un à l’autre. Le chrétien puisant toute sa vie en Christ, il ne serait, à la vérité, pas impossible que l’Apôtre le représentât comme étant né de lui ; mais la terminologie habituelle de saint Jean ne permet pas d’admettre cette supposition : il considère toujours Jésus-Christ comme celui qui a rétabli la communion entre l’homme et Dieu, qui nous a fait être enfants de Dieu ; mais quant à la source même de cette vie nouvelle, communiquée par Jésus-Christ, elle est en Dieu ; voilà pourquoi il désigne les chrétiens comme étant nés de Dieu. Cette naissance spirituelle nous élève au-dessus des vicissitudes de la vie, et fait de nous des membres du royaume des cieux. C’est donc Dieu lui-même duquel l’Apôtre affirme que nous savons qu’il est juste. Sa justice n’est autre que sa sainteté absolue, et personne ne peut se dire son enfant, s’il ne marche pas dans la voie de la sainteté ; tout homme qui n’y marche pas ne vit point de la vie de Dieu ; quiconque y marche, au contraire, donne à connaître par là même qu’il est né de Dieu, car Lui seul est la source de la sainteté ; telle est la double face de la pensée de saint Jean. C’est dans le même sens que le Seigneur disait : « Ce qui est né de la chair est chair, répond à son origine ; et ce qui est né de l’esprit est esprit, » le mot chair désignant, par opposition à l’esprit, tout ce qui, soit dans le domaine matériel, soit dans le domaine spirituel, fait obstacle à la vie divine.

Prenant pour point de départ cette vérité, que les croyants sont nés de Dieu, il en conclut, avec une nécessité rigoureuse, qu’ils doivent fuir le péché, ce qui l’amène à insister sur la grandeur de la vocation chrétienne : « Voyez quel amour nous a montré le Père, que nous soyons appelés enfants de Dieu. Si le monde ne nous connaît pas, c’est qu’il ne l’a pas connu. Bien-aimés, dès à présent nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été révélé ; mais nous savons que lorsque cela aura été révélé, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est. »

On ne saurait se figurer un lien plus étroit que celui qui unit des enfants à leur père : or, c’est précisément celui qui est établi entre les créatures et leur Créateur, entre les pécheurs et le Dieu saint, malgré l’abîme qui les séparait. Quel amour, que celui qui a comblé cet abîme ! Le cœur paternel de Dieu s’y révèle tout entier : il s’est rapproché des hommes coupables, il s’est donné à eux, il les a conviés à rentrer en communion avec lui, et les adopte pour ses enfants. Dieu est le père des croyants, non seulement dans le sens où il est le père de toutes les créatures, et le père des esprits qui émanent de l’Esprit absolu, mais dans un sens plus élevé et plus intime encore. En effet, les êtres spirituels qui ne devaient dépendre que de Dieu et ne puiser qu’en lui leur vie, ont forfait à leur destination ; ils n’ont plus vécu de cette vie qui procède du Dieu de sainteté, ils ont perdu le nom d’enfants de Dieu. Il a fallu que Celui qui est dans son essence même Fils de Dieu descendît parmi eux, revêtît un corps semblable au leur et donnât sa vie pour eux, afin qu’étant unis à lui par le plus étroit des liens, ils pussent être de nouveau, à cause de lui, appelés enfants de Dieu.Voilà leur nom, et ce nom est leur gloire, car il leur révèle tout ce qu’ils doivent devenir, tout ce qu’ils ne sont pas encore. Le fils, qui est destiné à succéder à son père dans l’administration de ses biens, dans ses emplois et ses honneurs, trouve une garantie suffisante de cette élévation future dans ce nom de fils qu’il a le droit de porter. Il en est de même pour le chrétien ; son titre d’enfant de Dieu lui révèle, au sein des misères du présent, tout ce à quoi il sera appelé un jour. Voilà sans doute pourquoi saint Jean déclare que l’amour de Dieu se montre, non en ce que nous sommes enfants de Dieu, comme si nous étions déjà tout ce que nous devons être, mais en ce que nous sommes appelés de ce beau nom qui ouvre devant nos regards les plus vastes perspectives.

Les croyants sont souvent appelés à faire la douloureuse expérience qu’ils ne sont point encore parvenus au but ; bien des peines leur sont réservées ; ils doivent s’y attendre, et saint Jean a soin de les en prévenir. Ils sont haïs et persécutés par le monde ; mais loin d’en être troublés, ils doivent y voir une marque de leur adoption divine. La gloire intérieure dont ils jouissent est entièrement cachée au monde ; il ne soupçonne pas les pensées qui dirigent la vie chrétienne ; elles sont l’objet ou de sa haine ou de son dédain. Pourquoi en est-il ainsi ? De même qu’il est naturel de reporter sur les enfants les sentiments dont on a été animé envers les pères, de même le monde se comporte envers les enfants de Dieu comme il se comporte envers leur Père céleste. Il ne connaît point Dieu, il n’honore et ne sert que les dieux qu’il a laits lui-même, de vaines idoles créées à son image ; aussi manifeste-t-il les mêmes dispositions à l’égard de ceux qui vivent de la vie de Dieu ; le mobile qui le fait agir est toujours le même, savoir l’inimitié contre tout ce qui est de nature divine. Si donc les enfants de Dieu sont exposés au mépris, à la haine, à la persécution du monde, il n’y a rien là qui les doive surprendre ou troubler ; c’est alors au contraire qu’ils sentent avec une force toute nouvelle la réalité et la douceur du lien qui les rattache à Dieu et qui est la vraie cause de cette inimitié.

On peut se demander comment se concilie cette déclaration de saint Jean avec la prière que Jésus adressait à son Père pour ses disciples, et qui n’est sans doute pas restée sans accomplissement : « Père, que le monde croie (en les voyant) que c’est toi qui m’as envoyé. Je leur ai donné la gloire que tu m’avais donnée, afin qu’ils soient un comme nous sommes un. » Les chrétiens doivent donc, par la gloire spirituelle qui rayonne en eux et que leur communique Jésus-Christ, lui servir de témoins dans le monde et attirer les hommes à lui. Mais c’est précisément cette vie divine qui repousse le monde. Comment donc le même motif qui provoque la persécution de sa part peut-elle gagner et le convaincre ? Telle est la difficulté.

Pour la résoudre, il suffit de se rappeler que le mot monde est employé dans deux acceptions différentes : tantôt comme opposition prononcée contre Dieu et son règne, tantôt comme ensemble de dispositions diverses où prédomine l’élément mondain, mais où la grâce divine a néanmoins quelque prise. Dans le premier sens, il ne peut y avoir entre le monde et les croyants qu’une hostilité permanente, sans le moindre espoir de réconciliation ; dans le second, il peut y avoir un terrain commun, une sympathie cachée, un attrait du Père qui conduit au Fils. Saint Jean, dans son épître, prend le mot monde dans le premier de ces deux sens ; il s’agit ici du monde comme monde, de l’élément mondain en lui-même. Le monde, à cette époque, s’opposait au christianisme et à l’Église, sous la double forme du judaïsme et du paganisme. L’Évangile était, au milieu du monde juif et païen, un fait tout nouveau qui contrastait absolument avec son esprit, ses principes, ses habitudes, ses tendances ; aussi le monde ne pouvait-il que le méconnaître, le haïr et le poursuivre.

Ces mêmes faits se reproduisent dans l’histoire des missions de tous les temps. Tantôt l’Évangile est apporté à des peuples totalement éloignés des idées chrétiennes et plongés dans les ténèbres du paganisme, lequel peut revêtir les formes les plus diverses, depuis le matérialisme grossier jusqu’au spiritualisme raffiné. Tantôt ceux auxquels on l’annonce portent le nom de chrétiens ; ils ont grandi sous l’influence du christianisme ; sans l’accepter pour eux-mêmes, ils en ont, d’une manière inconsciente et insensible, recueilli les fruits ; une foule de conséquences du christianisme ont passé dans leur vie et ont modifié toute leur existence. Retrouvera-t-on, dans ce dernier cas, l’opposition tranchée dont parle saint Jean, entre l’Évangile et le monde ? Telle est la question qui se présente à nous. Sans doute le chrétien, en jetant les yeux autour de lui, aime à reconnaître une foule de points de contact entre les précieux fruits de l’Évangile répandus dans le monde et sa propre vie spirituelle. Toutefois, il ne se fait point illusion : il sait qu’on ne devient enfant de Dieu que par le changement du cœur, et que l’opposition indiquée par le Seigneur subsiste toujours : « Ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’esprit est esprit. » Cette lutte est fondée dans la nature même des choses ; aussi la voit-on sans cesse reparaître, soit comme hostilité violente, soit comme résistance cachée et opiniâtre. Ceux qui, en se donnant à Dieu, sont devenus les témoins de Jésus-Christ dans le monde et les propagateurs de son règne, se sentiront toujours pressés de déclarer la guerre à tout ce qui est du monde, à tout ce qui s’élève contre la volonté de Dieu, afin de tout soumettre par l’épée de l’esprit à l’obéissance de Christ. Ils ne se laissent pas tromper par le vernis chrétien qu’on trouve dans les sociétés modernes ; l’avertissement qu’adressait saint Jean à des chrétiens entourés des ténèbres du paganisme, conserve encore pour les enfants de Dieu d’aujourd’hui toute sa valeur. Aussi les voit-on, à toutes les époques, persécutés, méprisés, méconnus. Ce qui fait la grandeur de leur vocation attire en même temps sur eux la haine du monde.

Du reste, cette animadversion a différents degrés et revêt différentes formes. Tantôt on rencontre des hommes qui éprouvent de la reconnaissance et du respect pour la religion chrétienne, à laquelle ils se sentent redevables des biens dont ils jouissent ; mais, comme ils n’en ont compris ni la vraie nature ni les saintes exigences, ils s’en tiennent à ce vague acquiescement, et ne tardent pas à s’irriter contre ceux qui prennent cette religion tout à fait au sérieux, et qui prétendent en faire la règle absolue de la vie. Ces hommes craignent d’arriver au bout de leurs principes ; ils restent à mi-chemin, comme les Juifs, que leur attachement à la loi et aux prophètes empêcha de recevoir Celui qui venait accomplir et la loi et les prophètes. Tantôt on a affaire à des hommes qui, sans nier l’influence qu’a exercée le christianisme sur le monde, affirment qu’il a fait son temps et produit tout ce qu’il peut produire. Tantôt, enfin, on entend contester toute solidarité entre les bienfaits divers, nombreux, inappréciables, dont nous jouissons, et la vérité chrétienne ; celle-ci n’est considérée que comme un joug importun qu’il faut secouer. Sous ces différentes formes se manifeste une hostilité prononcée contre l’Évangile, hostilité qui ira se prononçant toujours davantage, selon cette déclaration du Sauveur : « Celui qui n’a pas, cela même qu’il a lui sera ôté. » L’expérience chrétienne fournira ainsi une confirmation de plus en plus éclatante aux solennelles paroles de notre apôtre.

Saint Jean, pour compléter sa pensée sur la position des enfants de Dieu au milieu du monde, fait une distinction entre leurs privilèges actuels et leur état futur. Nous possédons en nous-mêmes, dès maintenant, dit l’Apôtre au nom de tous les chrétiens, un magnifique trésor que personne ne peut nous ravir : le témoignage que nous sommes enfants de Dieu. Cette prérogative contient en germe tous les développements successifs du règne de Dieu jusqu’à son entier accomplissement ; mais ce résultat final est encore loin d’être atteint ; la plénitude de la gloire future des enfants de Dieu leur demeure encore cachée à eux-mêmes, et combien plus au monde ! Ce que nous sommes, nous le savons, ce que nous serons n’a pas encore été révélé. De même qu’il y aura une révélation de la gloire — aujourd’hui cachée — de Jésus-Christ, de même il y aura un jour une révélation de la gloire de ses disciples. Les yeux fixés sur cette manifestation future, saint Jean déclare que nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est. Parle-t-il ici de Dieu ou de Jésus-Christ ? L’un et l’autre sens sont entièrement satisfaisants ; ils sont même inséparables, chacun des deux ramenant nécessairement à l’autre ; toutefois, comme cette portion de l’épître est consacrée à montrer ce qu’emporte la notion d’enfant de Dieu, il paraît évident que c’est spécialement à Dieu qu’il faut rapporter les pronoms du verset 2.

De même qu’un fils reproduit en lui l’image de son père, de même les enfants de Dieu, une fois devenus tout ce qu’ils doivent être, seront semblables à leur Père céleste. Si la gloire qu’ils ont en partage est encore si pâle et si incomplète, c’est que le cachet de la ressemblance avec Dieu n’est pas assez fortement imprimé sur leur personne et dans leur vie ; c’est qu’il y a encore en eux trop d’éléments qui tiennent du vieil homme. Cette ressemblance est à la fois la condition, la garantie et la mesure de leur dignité spirituelle ; elle est le vrai titre de gloire du chrétien. Quant à la ressemblance avec Dieu, l’Apôtre la fonde sur cette assurance que nous le verrons lui-même tel qu’il est. Promesse étonnante, promesse magnifique, qui dépasse tout ce que peut souhaiter ou rêver l’âme de l’homme, et qui répond à ses besoins les plus profonds, les plus impérieux ! Comment l’homme faible et borné peut-il contempler face à face le Dieu qui est infini ? L’ancienne alliance avait déclaré que nul ne peut le voir et vivre. Mais la Parole éternelle qui était avec Dieu, qui était Dieu, s’est faite chair ; par là Dieu s’est rapproché de nous, les liens les plus étroits nous attachent à lui, et après avoir vécu ici-bas dans sa communion par la foi et l’amour, nous serons admis par Jésus-Christ, et pour toujours, en sa sainte présence. La vérité mise en lumière par saint Jean nous indique le chemin à prendre entre deux erreurs opposées et également dangereuses. L’une, le déisme, en reléguant Dieu dans un lointain impénétrable, condamne l’âme à rester éternellement à une distance infinie de ce Dieu qu’elle a soif de contempler de près. L’autre, le panthéisme, en méconnaissant le Dieu vivant et vrai, à la fois rapproché et éloigné de chacun de nous, en le confondant avec le monde qu’il a créé, anéantit la personnalité humaine, et l’absorbe sans retour dans un vaste néant. L’Évangile, au contraire, nous montre comme but suprême de l’homme, une contemplation de Dieu pure, immédiate, dégagée des entraves qui arrêtent ici-bas notre vue ; il verra Dieu alors, non plus confusément et comme dans un miroir, mais face à face ; il le connaîtra non plus en partie, mais, comme il a été connu de lui. La personnalité humaine ne disparaîtra pas, puisque ce serait l’anéantissement, mais elle parviendra à sa perfection ; créé à l’image de Dieu, l’homme lui sera enfin rendu semblable. Saint Jean établit un lien intime entre la contemplation de Dieu et la ressemblance, c’est-à-dire la communauté de vie avec lui ; celle-ci découle de celle-là ; ce qui fait obstacle à l’une empêche aussi le développement de l’autre. C’est pourquoi l’Apôtre indique comme le dernier terme de la perfection, tout ensemble la contemplation absolue de Dieu (comp. Matthieu 5.8) et la ressemblance complète avec lui, deux manières de désigner le même état de félicité.

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