Explication pratique de la première épître de Jean

IX
Le trésor intérieur

2.24-28

24 Quant à vous, que ce que vous avez entendu dès le commencement demeure en vous. Si ce que vous avez entendu dès le commencement demeure en vous, alors vous demeurerez dans le Fils et dans le Père. 25 Et voici la promesse qu’il nous a faite, savoir la vie éternelle. 26 Je vous ai écrit ces choses au sujet de ceux qui vous trompent. 27 Et quant à vous, l’onction que vous avez reçue de lui demeure en vous, et vous n’avez pas besoin qu’on vous instruise ; mais puisque cette même onction vous enseigne toutes choses et qu’elle est véritable et pure de mensonge, selon qu’elle vous a déjà instruits, vous demeurerez en lui. 28 Et maintenant, mes petits enfants, demeurez en lui, afin que lorsqu’il paraîtra nous ayons de la confiance et que nous ne soyons pas confus devant lui à sa venue.

A ces avertissements solennels succède une pressante exhortation à retenir avec fermeté les grâces reçues et à en faire un usage fidèle : « Quant à vous, que ce que vous avez entendu dès le commencement demeure en vous. Si ce que vous avez entendu dès le commencement demeure en vous, alors vous demeurerez dans le Fils et dans le Père. Et voici la promesse qu’il nous a faite, savoir la vie éternelle. » Tandis que les faux docteurs dont il vient d’être question sont déchus de la communion de Dieu par l’abandon de la vérité, l’Église au contraire doit, en persévérant avec fidélité dans la vérité, goûter une communion non interrompue avec le Père et le Fils. C’est ce contraste que veut relever saint Jean en commençant ses exhortations par ces mots : « Quant à vous. » La parole qu’avaient entendue ces chrétiens n’était pas un vain son qui eût frappé leurs oreilles ; elle avait pénétré dans leur cœur : « il faut maintenant, ajoute l’Apôtre, qu’elle y demeure ; car comme c’est elle qui, en se répandant dans votre âme, vous a mis en communion avec le Fils et par lui avec le Père, c’est elle seule aussi qui, en demeurant au dedans de vous, pourra vous maintenir dans cette communion sainte. »

Il ne faut point affaiblir la portée de cette expression : « demeurer dans le Fils et dans le Père. » La vie du fidèle plonge ses racines en Jésus, comme Fils de Dieu, et par lui en Dieu même auprès duquel il nous a rouvert l’accès. Christ demeurant dans le fidèle, et le fidèle demeurant en lui, telles sont les deux faces de la vie chrétienne que saint Jean met en lumière et entre lesquelles il établit, dans son évangile comme dans son épître, la plus étroite corrélation. Le secours efficace que Christ accorde aux siens a donc pour condition indispensable leurs propres dispositions ; il faut, pour y avoir part, qu’ils se donnent librement à Jésus-Christ ; si leur volonté rebelle prend une autre direction, ils se trouvent en dehors de la communion avec lui. Aussi, quelle que soit la mesure de la grâce divine dont jouisse le chrétien, y a-t-il toujours pour lui nécessité urgente de veiller sur lui-même, afin de ne point laisser perdre les dons du Seigneur. Or le moyen, pour l’enfant de Dieu, de demeurer dans la communion de Jésus, c’est de persévérer dans la vérité qu’il a apprise, non en la retenant dans sa mémoire ou la roulant dans son esprit, mais en la laissant de plus en plus pénétrer dans son âme et diriger toute sa vie.

A l’homme qui a fait un fidèle usage des grâces reçues de Dieu, saint Jean rappelle les bénédictions qu’il est en droit d’attendre ; il les résume toutes en une seule : la vie éternelle que Christ a promise aux siens ; car, ainsi qu’il le dit ailleurs, en Christ la vie éternelle a paru sous forme personnelle au sein de l’humanité. Il n’y a point pour l’homme fait à l’image de Dieu d’autre félicité que cette vie-là ; il a été créé pour elle, c’est en elle seule qu’il peut trouver la réponse à ses besoins les plus profonds ; aussi est-elle souvent appelée dans l’Évangile d’une manière absolue « la vie, » parce qu’il n’y a point de vie véritable, dans l’acception la plus élevée du mot, en dehors de celle-là ; c’est la vie même de Dieu, et partout où elle fait défaut, il n’y a que la mort. Cette vie est éternelle, en tant qu’elle échappe par sa nature même à toutes les vicissitudes du temps, elle appartient à l’éternité, ne connaît point la mort et se développe victorieuse et puissante au milieu de la dissolution de toutes choses. C’est elle que le Sauveur représente, dans l’évangile selon saint Jean, comme le germe de la vie des saints dans la gloire : « quiconque croit au Fils de Dieu a dès maintenant la vie éternelle. » Le bonheur promis aux justes ne diffère pas, quant à son essence, des bénédictions accordées dès ici-bas à la foi ; il n’en est que le plein épanouissement. C’est, au fond, le même bonheur, mais dégagé des entraves qui, sur la terre, en retardaient l’entier développement.

Telles sont les exhortations qu’oppose l’Apôtre aux fausses doctrines qui circulaient parmi ses lecteurs. Du reste, il les renvoie, sur ce sujet, aux suggestions de ce moniteur intérieur que tout chrétien porte en lui-même : « Je vous ai écrit ces choses au sujet de ceux qui vous trompent. Et quant à vous, l’onction que vous avez reçue de lui demeure en vous, et vous n’avez pas besoin qu’on vous instruise, mais puisque cette même onction vous enseigne toutes choses et qu’elle est véritable et pure de mensonge, selon qu’elle vous a déjà instruits, vous demeurerez en lui. » L’Apôtre revient à cette pensée déjà exprimée, que pour mettre ses lecteurs en garde contre les faux docteurs, il n’a rien de nouveau à leur communiquer ; son seul soin est de les ramener à cette source intérieure de lumière, à cette onction sainte reçue « de lui, » dit saint Jean, et qui les conduira dans la vérité. Celui de qui elle procède et que l’écrivain sacré ne nomme pas par son nom, pourrait être Dieu lui-même ; mais il est dans la manière de notre apôtre, lorsqu’il emploie le pronom personnel, sans autre indication, de désigner par là Jésus-Christ ; le lui de saint Jean, c’est Christ ; il est donc plus naturel de penser qu’il en est de même dans ce cas-ci. En effet, si d’un côté cet esprit de vérité nous est représenté comme envoyé du Père au nom de Christ, de l’autre, c’est l’esprit que Christ communique à ceux qui croient en lui, c’est l’esprit de Christ lui-même qui est pour le fidèle le témoignage de la venue spirituelle du Sauveur. C’est encore de lui que veut parler saint Jean, lorsqu’il dit : « vous demeurerez en lui. » Il suppose que l’église à laquelle il s’adresse continuera à se laisser instruire par le Saint-Esprit, et qu’en suivant ses directions elle demeurera fidèle à la vérité qu’elle a reçue ; de là il conclut qu’elle demeurera dans la communion de Christ. Puis il les exhorte, avec la tendresse d’un père envers ses enfants, à persévérer jusqu’à la fin dans cette voie : « Et maintenant, mes enfants, demeurez en lui, afin que lorsqu’il paraîtra, nous ayons de la confiance, et que nous ne soyons pas confus devant lui, à sa venue.  »

Par les motifs déjà indiqués, la venue de Christ était envisagée, à l’époque apostolique, comme très rapprochée. Les yeux portés sur elle, et faisant abstraction de ce qui doit suivre immédiatement la mort, saint Jean se transporte à ce moment final qui sera la consommation de toutes choses, et qu’il appelle l’apparition ou la révélation de Christ. Christ vit dans la gloire auprès de son Père ; cette gloire, encore cachée au monde, se manifeste spirituellement aux croyants ; mais un jour viendra où elle se manifestera à tous sans exception. Dans l’attente de cette apparition glorieuse, le croyant doit persévérer avec fidélité dans la communion de Jésus, afin de se présenter sans crainte devant lui comme devant son juge. Le terme original indique une confiance paisible que rien ne peut troubler, telle qu’est celle d’un ami pour son ami. Celui qui vit avec le Sauveur dans ces rapports de confiance intime, et dont toute la vie s’est écoulée sous son regard, n’a point lieu d’être confus à son avènement. En exprimant cette consolante pensée, l’Apôtre passe de la deuxième personne à la première, parce qu’il sent qu’engagé comme il l’est encore dans le combat de la vie terrestre, il a, lui aussi, besoin de cette sainte vigilance qu’il recommande à ses frères. Loin de chercher à s’élever au-dessus d’eux, il parle comme faisant lui-même partie du peuple de Dieu.

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