Explication pratique de la première épître de Jean

XV
L’esprit de vérité et l’esprit d’erreur

4.1-6

1 Bien-aimés, ne croyez pas à tout esprit, mais éprouvez les esprits, examinant s’ils sont de Dieu ; car beaucoup de faux prophètes sont venus dans le monde. 2 Reconnaissez à ceci l’esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus-Christ venu en chair est de Dieu ; 3 et tout esprit qui ne confesse point Jésus-Christ venu en chair n’est pas de Dieu ; c’est celui de l’Antichrist dont vous avez appris qu’il doit venir, et maintenant il est déjà dans le monde. 4 Quant à vous, mes petits enfants, vous êtes de Dieu et vous les avez vaincus, parce que celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde. 5 Eux sont du monde, c’est pourquoi ils parlent (le langage) du monde et le monde les écoute. 6 Quant à nous, nous sommes de Dieu ; celui qui connaît Dieu nous écoute ; celui qui n’est pas de Dieu ne nous écoute pas. C’est par là que nous connaissons l’esprit de la vérité et l’esprit de l’erreur.

Saint Jean a coutume, après avoir établi une vérité, de combattre l’erreur opposée : tel est le lien qui rattache le commencement de ce chapitre à la fin du précédent. Il vient de montrer que tous les chrétiens trouvent dans le témoignage et l’efficace du Saint-Esprit la garantie de leur union avec Jésus-Christ. Mais il arriva qu’on donnait pour opérations du Saint-Esprit certains faits qui n’en procédaient pas ; il fallait donc distinguer soigneusement entre ses effets réels et supposés, entre l’esprit de vérité et l’esprit d’erreur. C’est ce que fait l’Apôtre dans les versets qui suivent. Rendons-nous d’abord compte des moyens par lesquels se manifestait l’action du Saint-Esprit dans l’Église primitive.

Quiconque voulait enseigner ses frères devait le faire comme organe du Saint-Esprit ; sans son influence, nul ne peut rendre témoignage de Christ ; ces premiers docteurs de l’Église parlaient donc en son nom, et personne ne songeait à leur en contester le droit ; seulement, ce même esprit étant donné indistinctement à tous les membres de l’Église, qu’ils en fissent ou non usage pour l’utilité commune, il fallait que l’enseignement des docteurs, pour être admis, fût en harmonie avec l’enseignement intérieur que chacun recevait par le Saint-Esprit. C’est ce que déclare, ailleurs notre épître, au sujet des faux docteurs (1 Jean 2.20, 27). Tel était le principe général ; mais dans la manière dont agissait l’Esprit de Dieu il y avait des différences sensibles. Tantôt c’était une direction calme, uniforme, laissant celui sur lequel elle s’exerçait dans la pleine possession de lui-même ; tantôt c’était une impulsion plus prononcée, plus immédiate, qui transportait hors de lui-même celui qui en était l’objet et lui révélait subitement de nouvelles faces de la vérité, dont il était comme irrésistiblement contraint de faire part à ses frères. Dans les deux cas se retrouvaient l’élément divin et l’élément humain ; mais tantôt, le premier de ces éléments s’absorbait dans le second : c’était le cas des docteurs ; tantôt le second s’absorbait dans le premier : c’était le cas des prophètes. Ces divers modes d’action de l’Esprit de Dieu se sont toujours reproduits dans l’Église. En effet, celle-ci est essentiellement une ; à quelque siècle de son histoire que nous nous arrêtions, il y a, entre l’Église de cette époque et celle de l’âge apostolique, un lien intime, car c’est la même vie qui circule à travers tous ses développements. Les mêmes lois fondamentales doivent donc s’y retrouver sans cesse. Aussi rencontre-t-on, encore aujourd’hui, dans l’Église chrétienne, certains dons qui rentrent dans la catégorie des dons prophétiques, et certains autres qui rentrent dans celle des dons d’enseignement. Il serait même fort à désirer qu’à l’exemple de l’Église apostolique, nous sachions mieux reconnaître la diversité des dons spirituels, et les mieux appliquer selon la diversité des besoins ; car si nous ne devons jamais copier servilement l’Église primitive, rappelons-nous toutefois que, par l’esprit qui l’animait et les principes qu’on y voyait régner, elle doit servir de modèle à l’Église chrétienne de tous les siècles. La seule différence réelle entre cette époque et celles qui suivirent, c’est que le christianisme, manifestant alors pour la première fois dans le monde sa puissance divine et régénératrice, les effets de l’Esprit de Dieu étaient plus immédiats et plus sensibles, la vie nouvelle formait un contraste plus tranché avec la vie ancienne, dont elle venait de se dégager ; comme signe de cette effusion exceptionnelle des grâces divines, les dons prophétiques étaient plus abondants. Mais dès le commencement, le mal s’est mêlé au bien, l’a troublé et arrêté dans son cours ; à côté de l’inspiration vraie on vit paraître une inspiration fausse ; comme la vérité avait ses prophètes, l’erreur et le fanatisme eurent les leurs ; et comme les dons prophétiques étaient alors en honneur, il était à craindre que le mensonge, propagé sous cette forme, n’en séduisît plusieurs. Il importait donc de mettre les chrétiens en garde contre ce grave danger. C’est ce que fait saint Jean, dans un langage affectueux et solennel : « Bien-aimés, me croyez pas à tout esprit, mais éprouvez les esprits, (examinant) s’ils sont de Dieu. » Sous le nom d’esprit, l’Apôtre entend à la fois les prophètes de la vérité et ceux du mensonge. Comme ils parlaient les uns et les autres un langage entraînant, chaleureux et en : apparence inspiré, il fallait une marque sûre, à laquelle on pût les distinguer les uns des autres. Il y avait à redouter un double danger, celui de croire aveuglément à toutes les manifestations, vraies ou fausses, de l’Esprit-Saint, et celui de les tenir toutes pour suspectes, dans la crainte de confondre l’inspiration prétendue avec la véritable. S’il y a péril dans une crédulité légère qui ne possède aucun moyen de vérification, il n’y en a pas moins dans une défiance : froide et systématique qui étouffe l’Esprit de Dieu et en éteint toute manifestation puissante au sein de l’Église. C’est ce qu’enseigne saint Paul : 1 Thessaloniciens 5.19-21. Ces deux écueils, entre lesquels cherche à se tenir le chrétien, reparaissent sans cesse dans l’Église chrétienne, principalement aux époques qui ont avec l’époque primitive une analogie spéciale, qui sont marquées par un puissant réveil religieux, par une victoire nouvelle de l’Évangile sur l’incrédulité ou la superstition, par une effusion particulière de l’Esprit de Dieu. Il arrive toujours alors que les uns se livrent, avec une confiance téméraire et irréfléchie, à toutes les influences qui ont un caractère surnaturel, tandis que les autres, de peur de se laisser induire en erreur, condamnent en masse, sans discerner entre elles, ces manifestations diverses, et par leur incrédulité soupçonneuse étouffent, autant qu’il est en eux, toute flamme sacrée dans les cœurs. Le remède à ces deux sortes de maux se trouve dans le précepte de saint Jean : « Ne croyez pas à tout esprit, mais éprouvez les esprits. »

Mais comment établir une distinction sûre entre ce qui vient de l’Esprit de Dieu et ce qui n’en vient pas, entre les vrais et les faux prophètes ? « Car beaucoup de faux prophètes sont venus dans le monde. » Le moyen qu’indique l’Apôtre est le même qu’il a déjà signalé pour reconnaître les faux docteurs (1 Jean 2.18-23) : la confession du nom de Jésus-Christ, Fils de Dieu venu en chair, source éternelle de toute vie divine, vrai Dieu et vrai Homme. Tel est, selon saint Jean, le fait divin qui forme le centre du christianisme, et autour duquel venaient se grouper alors toutes les grandes questions de cette époque, ainsi que nous l’avons remarqué ailleurs. C’est aussi le centre des plus sérieux débats actuels. « Reconnaissez à ceci l’esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus-Christ venu en chair, est de Dieu ; tout esprit qui ne confesse point Jésus-Christ venu en chair, n’est pas de Dieu. » Tout enseignement à la base duquel se trouve ce fait capital doit être reçu comme un enseignement divin ; toute erreur qui n’altère pas ce fond essentiel du christianisme ne doit pas rompre le lien de la communauté chrétienne ; car partout où le nom de Jésus-Christ, Fils de Dieu et Fils de l’Homme, est sincèrement confessé, là se manifeste l’Esprit de Dieu. Cette vérité fondamentale, une fois en possession de l’âme, fera son chemin ; sans violence, ni contestation, elle parviendra par degrés à bannir de l’esprit et de la vie tout élément qui s’oppose à elle. Si quelqu’un est uni à Christ, comme le sarment l’est au cep, il est sans cesse émondé, c’est-à-dire purifié, afin de porter plus de fruits (Jean 15.1…). La vie qu’il puise dans le Sauveur deviendra de plus en plus le principe dominant, le mobile unique du chrétien, dans ses pensées comme dans ses actes.

Mais si tout enseignement qui porte ce caractère, quelles que puissent être ses lacunes, est un enseignement de Dieu, tout enseignement qui ne le porte pas, quel que soit son attrait, n’est pas de Dieu ; il est en opposition avec lui ; c’est l’esprit même de l’Antichrist. L’absence, dans un enseignement quelconque, de la confession du nom de Jésus-Christ venu en chair, suffit aux yeux d’un chrétien pour le frapper d’un discrédit absolu ; car, loin d’être l’Esprit de Dieu, « c’est celui de l’Antichrist, dont vous avez appris qu’il doit venir ; et maintenant il est déjà dans le monde. » Dans tout ce qui tend à nier ce fait fondamental du christianisme, saint Jean voit un signe avant-coureur de l’avènement de l’Antichrist, dont l’esprit agit déjà dans le monde, mais qui ne paraîtra dans la plénitude de sa puissance qu’au moment de l’extension glorieuse du règne de Jésus-Christ. Il importe donc que les fidèles discernent et repoussent, dès qu’elles commencent à poindre, les premières manifestations de cet esprit-là ; faute de vigilance, on se laisse insensiblement séduire par lui et l’on finit bientôt par succomber. (Voyez le § VIII.)

Toutefois, voici un motif de confiance : « Quant à vous, vous êtes de Dieu, mes petits enfants, et vous les avez vaincus, parce que celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde. » Dans tous les temps la vérité est attaquée, et la position que prennent ses défenseurs détermine aussi la forme de l’attaque. La vérité et l’erreur se développent l’une et l’autre selon les lois qui leur sont propres. Ce sont deux fleuves qui roulent sans cesse parallèlement leurs eaux. Il faut, à chaque époque, les distinguer soigneusement l’un de l’autre, au flambeau de la Parole de Dieu ; car l’erreur, modifiant sans cesse son allure, il faut savoir la reconnaître et la combattre sous toutes les formes. Que l’on compare, par exemple, l’époque de saint Paul avec celle de saint Jean, on verra que si la base de l’Église demeure essentiellement la même, néanmoins le terrain de la lutte entre la vérité et l’erreur a changé : dans la seconde, elle porte surtout sur la personne de Christ ; c’est spécialement contre la vérité chrétienne relevée par saint Jean, savoir la Parole faite chair, que s’attaque l’erreur contemporaine. A l’époque de saint Paul, elle consiste à mêler la Loi et l’Évangile, à vouloir contenir le christianisme dans les limites de l’ancienne alliance.

Le progrès de ces dangereuses erreurs, qui semblaient avoir en elles une irrésistible puissance, pouvait effrayer les disciples de la vérité. Saint Jean les rassure en leur rappelant qu’ils sont nés de Dieu, que l’Esprit de Dieu habite en eux, qu’il les dirige et les instruit, que par conséquent, et par cela même, ils ont d’avance vaincu les faux docteurs, leurs adversaires. Il représente cette victoire comme déjà accomplie, bien qu’elle ne le soit pas en fait, parce qu’elle l’est en principe ; en effet, Celui qui agit en eux, c’est-à-dire Dieu, est plus fort que celui qui agit dans le monde, c’est-à-dire l’esprit d’erreur. Leur foi devance l’histoire et contemple déjà l’issue du combat, qui, un jour, apparaîtra à tous les yeux. Cette foi qui triomphe d’avance est précisément ce qui leur assure le triomphe réel et définitif. C’est dans ce sens que Jésus annonce aux siens, non qu’il vaincra, mais qu’il a vaincu le monde (Jean 16.33), parce que, par sa vie et ses souffrances rédemptrices, il a brisé toute la force du mal, il l’a anéanti dans sa source ; ce qui en reste en sont des manifestations passagères. Les disciples de Christ sont sur la terre les témoins de cette grande victoire, et sont chargés de la poursuivre en son nom. Ce n’est pas à dire qu’ils réduisent au silence leurs adversaires et les détournent de leur erreur ; il faut que cette œuvre-là s’accomplisse du dedans au dehors ; tant que l’esprit de mensonge persiste, il se manifeste dans les paroles ; tel arbre, tels fruits. De là vient que ces faux docteurs, dirigés par le même esprit qui anime le monde, trouvent auprès de lui une si vive sympathie. « Eux sont du monde ; c’est pourquoi ils parlent le langage du monde, et le monde les écoute. » Il y a opposition tranchée entre eux et ceux qui, par l’Esprit de Dieu, annoncent la vérité de Dieu. Quant à ces derniers, parmi lesquels. l’Apôtre se range lui-même, ainsi que ses lecteurs, il dit : « Nous sommes de Dieu ; celui qui connaît Dieu nous écoute ; celui qui n’est pas de Dieu ne nous écoute pas. » Ceux dont parle saint Jean sont, ou bien des hommes accessibles à la vérité, et qui ne repoussent pas l’action que Dieu exerce sur leur cœur afin de les amener à sa connaissance ; ou bien des chrétiens décidés, qui, en vertu de l’esprit qui est en eux, sauront toujours, quelles que soient les apparences, distinguer les prédicateurs de la vérité des prédicateurs du mensonge. La position que prennent les hommes vis-à-vis de la vérité et du mensonge témoigne de leurs dispositions intérieures. La séparation tranchée qui se manifeste parmi eux, selon qu’ils se rangent d’un côté ou de l’autre, n’est que l’expression visible de l’opposition absolue qui règne dans les cœurs entre la vérité et l’erreur : « C’est par là que nous connaissons l’esprit de la vérité et l’esprit de l’erreur. »

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