Homilétique

2.1 Unité du sujet.

L’unité est un besoin inhérent à l’esprit humain. Nous ne voyons le vrai, le bien, le bonheur qu’où nous voyons l’unité.

Nous voulons, en morale, un principe moteur et directeur ; dans la vie, la conséquence ; dans les institutions, l’harmonie ; dans la poésie, une idée ; dans l’histoire, un point de vue ; dans l’univers, une seule raison de tous les effets.

Sous le nom d’unité, ce n’est pas l’identité que nous poursuivons ; là où il y aurait identité, l’idée même d’unité disparaîtrait ; il faut la pluralité pour donner lieu à l’unité ; les systèmes d’identité naissent de notre impuissance à trouver l’unité, et de notre répugnance à voir les choses sans liaison.

L’unité est essentielle à toute œuvre d’art, l’art lui-même ayant pour premier objet de créer un tout par le rapprochement d’éléments dispersésu. Quand on définirait l’art : l’ensemble des moyens pour faire une chose, on serait ramené à la même idée ; car faire, c’est réunir, comme défaire, c’est séparer.

u – Ars a formé artus.
– Ἄρω, adapter ;
– ἄρα, donc, par conséquent ;
– ἀρι, particule corroborante ;
– Ἄρης, le Dieu, de la force ;
– Ἄρέτή, la vertu ;
– Ἄρτιος, accompli. – Harmonie a la même étymologie.

Toute œuvre d’art est une œuvre de subordination et de coordination. Le premier emporte le second. Tous les éléments subordonnés à un même principe sont par là même coordonnés entre eux.

L’unité, dans les œuvres de l’art, ne consiste pas seulement à ne pas faire entrer dans un même tout, dans un assemblage, des éléments contradictoires, mais à rapporter toutes les parties à un même centre, à un même but. Ce sont deux degrés de l’unité. On pourrait appeler le premier unité négative, et le second unité positive.

Le discours oratoire réclame encore plus impérieusement l’unité.

N’étant pas lu, mais entendu, il lasserait bien vite l’attention, s’il l’obligeait à se porter successivement de plusieurs côtés.

Ne durant, comparativement à d’autres productions, que peu de temps, il lui est moins permis d’entretenir l’auditeur de plusieurs sujets.

Appelé à agir sur la volonté, il gagne, sous ce rapport, à se concentrer dans une seule pensée. Il y a la même différence entre un discours plein, mais incohérent, incertain de sa direction, ou indiscipliné, qu’entre une multitude et une armée.

Les pensées les plus fortes, mais sans lien commun, se nuisent les unes aux autres, et d’autant plus qu’elles sont plus fortes. Il faudrait des esprits bien forts pour tirer profit de ce qui n’est pas un, ou de ce qui ne se réduit pas de soi-même à l’unité. Atteints tour à tour par une foule d’impressions qui se neutralisent, ils ne sont captivés par aucune et ne se fixent à rien.

Observez, si vous en avez l’occasion, l’impression des auditeurs d’un tel discours, en les prenant au hasard parmi les esprits sérieux. Tout auditeur de cette classe cherchera, sans le savoir, à mettre de l’unité dans le discours où vous n’en avez pas mis ; ou bien il s’attachera à une de vos idées, et s’y tiendra ; ou bien il les forcera toutes à prendre la direction qui plaît à sa pensée.

La solennité même de l’acte réclame l’unité. Il serait moins solennel si le discours, au lieu d’être une marche, était une promenade.

Il est clair que tout ceci s’applique, sans réduction, au discours de la chaire ; et nous avons eu raison de dire que la première qualité du sujet d’un tel discours c’est d’être un, ou, ce qui revient au même, que la première qualité d’un tel discours c’est d’avoir un sujet ; car, où il y a plusieurs sujets, il n’y en a point. Lorsque vous dites à quelqu’un que vous avez entendu un discours, sa première question est celle-ci : Quel en était le sujet ? Il ne dira jamais : Quels en étaient les sujets ?

L’unité du sujet emporte sans doute, pour être réelle et sentie, une conspiration ou une gravitation de toutes les parties, même moléculaires, vers le centre. Mais ceci regarde l’exécution, dont nous parlerons plus tard. Ici nous ne considérons que le choix même du sujet.

Pour nous faire une idée nette, de l’unité oratoire, distinguons-la de l’unité historique pure et de l’unité didactique pure.

Elle se distingue de l’unité historique en ce qu’elle embrasse à la fois le sujet et l’attribut, c’est-à-dire les deux termes de la propositionv, tandis que l’histoire ne place l’unité que dans le sujet.

v – Je dis cela parce que tout discours, fût-ce un livre, se réduit à une proposition.

Exemple:

Les Grecs s’unirent, vainquirent, se divisèrent, furent vaincus.

Il est vrai que, dans cet exemple même, on voit comment plusieurs attributs peuvent se réduire à un seul : Les Grecs furent d’autant plus forts qu’ils furent plus unis. Mais cet attribut n’est encore qu’un de ceux dont se compose l’histoire des Grecs, dont l’unité (sous le point de vue purement historique), réside tout entière dans le sujet ou judicande. Entre l’histoire et la didactique il y a la différence du contingent au nécessaire, de l’individuel au général, du fait à la loi, qui est un grand fait primitif et immuable. « L’union fait la force, » est la vérité générale qui résulte de plusieurs faits semblables à celui des Grecs indiqué plus haut. Et encore cette maxime peut-elle avoir deux sens, l’un a priori, l’autre a posteriori.

L’unité oratoire se distingue de l’unité didactique en ce que tous les éléments qu’elle réunit ont pour dernier terme une application ou conclusion pratique. – On ne laisse pas la vérité ou l’idée qu’on a obtenue s’espacer librement et vaguer dans l’esprit ; de tous les canaux où elle se répand, imagination, raison, sentiment, on la ramasse et on la resserre dans un canal où tous les autres aboutissent, celui de la volonté ; et ainsi on lui donne un cours, plus ou moins rapide, vers l’actionw.

w – On peut bien convoquer des auditeurs dans un lieu public, pour leur exposer, sans plus, quelques vérités ; c’est une leçon, mais non un discours oratoire, quoique cette leçon puisse avoir quelques caractères oratoires.

En un mot, le sujet du discours oratoire est une proposition simple impérative : « Faites ceci, ne faites pas cela. »

Elle est absolument telle au barreau et à la tribune : « Relâchez ce prévenu ; – votez cette loi. »

L’orateur de la chaire est dans une position un peu différente. L’unité oratoire, dans sa rigueur, réside plutôt dans l’ensemble de ses prédications que dans chacun de ses discours. – C’est qu’il n’est pas seulement orateur, comme l’avocat et le politique ; il est aussi, et essentiellement, docteur, instituteur. Il peut donc et souvent il doit s’occuper surtout d’instruire, d’exposer ; ce qui, en apparence, réduit son unité oratoire à une unité didactique. Mais remarquons d’abord qu’il n’est, dans la religion, aucun sujet didactique qui n’ait, directement ou indirectement, des conséquences pratiques ; rien n’est en plaine, tout est en pente ; point d’eau endormie, tout est fleuve ou torrent. Ensuite, n’oublions pas qu’on peut, comme l’ont fait les meilleurs prédicateurs, traiter ces sujets dans un esprit oratoire ; et la charité donne cet esprit-là. La vérité commande ; le fait devient loi.

Je conclus avec Schott :

Quoiqu’il entre dans la notion essentielle du discours oratoire, de placer son but suprême et dernier dans la détermination de la volonté humaine, nous ne refuserons pas le nom de discours oratoire à une composition où cette direction pratique, sans se déclarer dans l’énoncé de la proposition capitale, se montre d’une manière claire et irrécusable dans l’esprit et dans la substance de l’ouvrage entier… Mais un thème qui n’est en rapport essentiel avec aucun sujet pratique important, ou qui ne s’y laisse ramener que par de pénibles détours, ne sera jamais propre à faire la base d’un discours oratoirex.

x – Schott’s Entwurf einer Theorie der Beredsamkeit, page 31.

Les sujets tirés de la religion chrétienne sont tous, par leur nature, plus ou moins propres à la chaire sous ce rapport ; toutefois, je pense qu’à l’ordinaire le prédicateur ne doit pas se contenter de laisser l’auditeur tirer la conséquence, mais qu’il doit la tirer lui-même, et la faire, tout au moins, transpirer dans tout son discours.

Saurin a traité dans une direction éminemment et expressément pratique plusieurs sujets d’un aspect très spéculatif. Ainsi le sermon sur la Vision béatifique de la Divinité : nous verrons Dieu tel qu’il est, et serons par là rendus semblables à lui. C’est le plan de Dieu : mais c’est aussi le plan du démon : dans lequel des deux voulez-vous entrer ? – Les sujets de ce genre sont comparables à une flèche qui, sans être armée d’une pointe, mais par la seule force de la projection, perce le but. – Dans le sermon sur le Ministère des anges, il demande exemple à ces esprits bienheureux qui exécutent les ordres de Dieu avec la rapidité du vent et l’activité de la flamme. – Dans celui sur l’Egalité des hommes, après avoir établi l’essentielle égalité des hommes, il dit qu’il ne veut conclure en faveur ni de l’anarchie ni du fanatisme ; ses conséquences sont : modération ; acquiescement aux ordres de la Providence ; vigilance (chercher quelle est la vertu de votre état) ; zèle et ferveur : toutes les mortifications de l’inégalité vont cesser.

De tout cela je conclus qu’il y aura de l’unité dans le sermon lorsqu’il pourra être réduit à une proposition assertive, facilement transformable et réellement transformée en une proposition impérative.

Cela posé, il nous reste à présenter quelques-unes des principales formes sous lesquelles cette unité peut exister.

Nous faisons abstraction de l’unité impérative ou parénétique, parce qu’il est désormais entendu que ce caractère doit se reproduire dans tous les sujets, et, d’un autre côté, que la chaire est essentiellement didactique. Ainsi le caractère impulsif du discours est supposé dans tous les exemples que nous allons voir.

1. L’unité se trouve dans une proposition simple, assertive ou impérative : j’entends une proposition unique, composée d’un seul sujet et d’un seul attribut. Exemples :

Il n’y a point de paix pour le méchant. (Esaïe 57.21)
Toutes les pensées du méchant sont qu’il n’y a point de Dieu. (Psaume 10.4)
Je suis toujours avec vous jusqu’à la fin du monde. (Matthieu 28.20)
Bénissez ceux qui vous maudissent. (Matthieu 5.44 ; Luc 6.28)
Examinez ce qui est agréable au Seigneur. (Ephésiens 5.40)
Celui-là pèche qui sait faire le bien, et qui ne le fait pas. (Jacques 4.17)
Le méchant fait une œuvre qui le trompe. (Proverbes 11.18)
Ce qui est grand devant les hommes est abomination devant Dieu. (Luc 16.15)
La paix naîtra de la justice. (Esaïe 32.17)
Celui qui n’est pas avec moi est contre moi. (Matthieu 12.30)

Il va sans dire que le développement de la thèse ou l’élaboration exégétique du texte qui la renferme, ne constitue pas, avec la preuve de la thèse, une duplicité. – Caractériser amplement le sujet ou l’attribut ou tous les deux, ce n’est pas manquer à l’unité. Autant vaudrait proscrire la définition. [C’est souvent même de cette connaissance détaillée que résultent et la preuve et l’impulsion sur la volonté ; ainsi 1 Timothée 1.5 : Le but du commandement, c’est la charité, qui procède d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère. – On doit déterminer ce qu’est cette charité-ci. Dans certains cas, le sujet ou l’attribut peuvent ne réclamer aucune détermination, mais ces cas sont rares, et il est utile de croire qu’ils sont rares, et de bien déterminer l’objet auquel on rattache une preuve. Le simple énoncé qui suffit au prédicateur n’est pas suffisant au grand nombre. Et puis, sans supposer ignorance, il faut rendre la chose présente, afin qu’on sente bien à quoi s’appliquent et la preuve et l’impulsion que le prédicateur veut donner dans son discours.]

2. La proposition ne laisse pas d’être simple, lors même qu’il y a plusieurs sujets ou plusieurs attributs, si ces sujets ou ces attributs forment ensemble un tout. C’est à ceci que l’on reconnaît les enfants de Dieu et les enfants du diable : quiconque ne fait pas ce qui est juste et n’aime pas son frère, n’est point de Dieu. (1 Jean 3.10.) – Recherchez la paix avec tout le monde, et la sanctification, sans laquelle personne ne verra le Seigneur. (Hébreux 12.14)

Ainsi, il y aurait unité dans un discours qui exposerait les différentes qualités d’une chose, pourvu que ces qualités fussent de nature à être réunies sous un même attribut, il n’y a pas d’unité oratoire dans la description d’une machine, d’un lieu, d’un homme. Qu’un lieu soit beau, célèbre, d’un difficile accès, peu habité, tout cela n’est pas de nature à être réuni sous un même attribut. Mais si vous trouvez l’idée commune de plusieurs attributs différents, ou même opposés, alors dites-la. Ainsi, lorsque Massillon dit que l’ambition est inquiète, honteuse, injuste, il y a de l’unité. De même, dans ce passage : Christ nous a été fait, de la part de Dieu, sagesse, justice, sanctification et rédemption. (1 Corinthiens 1.30)

3. Les qualités d’une chose peuvent non seulement s’ajouter, par suite de leur affinité ou d’une tendance commune, mais parce qu’elles se contrebalancent, ou se modèrent, ou se limitent mutuellement. – Toutefois le fondement de Dieu demeure ferme, ayant ce sceau : Le Seigneur connaît ceux qui sont siens ; et : Quiconque invoque le nom de Christ, qu’il se détourne de l’iniquité (2 Timothée 2.19). C’est le sceau double, mais inséparable, du fondement que Dieu a posé ; c’est le double caractère de la vraie foi, caractère qui n’est vrai qu’en tant qu’il est double.

Comme toutes les vérités caractéristiques du christianisme sont composées chacune de deux véritésy, de même que l’axe a nécessairement deux pôlesz, la prédication chrétienne peut souvent amener des sujets pareils au précédent. Bien des discours sont des antithèses, parce qu’une religion qui concilie toutes les antithèses doit commencer par les mettre en saillie. Ainsi Bossuet :

L’esprit de fermeté et de résistance, l’esprit de charité et de douceur est l’esprit du christianismea.
Bourdaloue pareillement : Sur la sévérité et la douceur de la loi chrétienne.

y – Remarquez, par exemple, l’opposition entre ces deux propositions : Parle au fou selon sa folie, – Ne parle pas au fou selon sa folie. (Proverbes 26.4, 5) ; et entre ces deux :Celui qui n’est pas avec moi est contre moi. (Luc 11.23) Celui qui n’est pas contre nous est pour nous. (Luc 9.50)

z – C’est même le propre du christianisme d’avoir restauré l’axe brisé et rejoint les deux pôles.

a – Troisième sermon pour le jour de la Pentecôte.

4. Par suite du même principe, il y a unité dans une proposition double quand les propositions dont elle se compose sont les parties intégrantes d’une même vérité. Ainsi : « Il n’y a point de lien parfait entre les hommes ; mais la charité est un lien parfait. » [Voyez Colossiens 3.14] – Ce sont des choses qui ne sont point montées au cœur de l’homme, et que Dieu a préparées à ceux qui l’aiment. (1 Corinthiens 2.9)

Bel exemple dans Saurin, dans le sermon sur la Pénitence de la pécheresse. Là une triplicité apparente se réduit à une parfaite unité.

5. Je trouve aussi de l’unité dans deux propositions parfaitement indépendantes, mais contrastantes ; car le contraste est une sorte d’unité. Exemples : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. (Matthieu 22.21) – Les méchants s’en iront aux peines éternelles, et les justes à la vie éternelle. (Matthieu 25.46). Le sermon de Massillon sur la Mort du pécheur et la mort du juste [fait ressortir ce contraste Sermon pour l’Avent..]

6. Il y a unité quand on expose successivement une vérité générale et une vérité particulière, dont la première sert de base à la seconde, ou dont la seconde achève le sens de la première. Maintenant ces trois choses demeurent : la foi, l’espérance et la charité ; mais la plus excellente, c’est la charité. (1 Corinthiens 13.13)

Mais je pense que, pour être vraiment un, l’orateur devra faire de la vérité particulière son objet et son but.

Traiter successivement du genre et de l’espèce n’est pas observer l’unitéb.

b – Voyez, par exemple, la Solitude recommandée au pasteur, dans les Nouvelles études évangéliques, page 265.

7. Il y a unité dans un discours qui expose successivement un principe et des conséquences ; car le principe n’a d’intérêt que par les conséquences, et celles-ci n’ont de solidité que par le principe. Ainsi : Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité. (Jean 4.24)

La pluralité des conséquences ne rompt point l’unité. – Parler des conséquences, quelque nombreuses qu’elles soient, c’est parler du principe ; c’est dire ce qu’il contient ; c’est en faire connaître la valeur et la portée ; c’est le mesurer ; c’est lui donner tout son caractère de principe ; c’est dire à quel prix on l’accepte. Exemple : Les caractères de la charité. (1 Corinthiens 13)

8. Il y a unité dans un discours qui, après l’exposition d’un devoir, en indique les motifs. [Mais alors il y a une partie auxiliaire, instrumentale, et on ne peut lui donner la même place qu’à l’autre. En effet, ou bien on veut faire connaître un devoir méconnu, alors on n’insiste que peu sur les motifs, on les met avant ou après ; – ou bien on ne fait que rappeler un devoir bien connu, mais on en fait ressortir avec soin les motifs. On ne concevrait pas trop un discours qui se bornerait à exposer les motifs, sans déterminer la nature du devoir ; – on ne conçoit guère mieux un discours ne parlant que du devoir sans s’occuper des motifs. Sans doute l’unité didactique peut s’en passer, mais non l’unité oratoire. En tout cas,] l’une des parties, tantôt l’une, tantôt l’autre, doit faire saillie et constituer l’unité du sujet.

9. Il y a unité dans un discours qui, traitant d’un fait, tient compte de ses différentes circonstances. Ainsi, dans l’exemple ci-dessus : Christ nous a été fait, de la part de Dieu, sagesse, justice, sanctification et rédemption. (1 Corinthiens 1.30) Cela ne veut pas dire seulement qu’une proposition où le sujet est complexe, où l’attribut est complexe (je veux dire compliqué d’une circonstance, mais étrangère à sa notion), n’en est pas moins une. Ainsi : L’homme dont le cœur est partagé est inconstant en toutes ses voies. (Jacques 1.8) Cela va trop sans dire. – Je parle des circonstances que l’on pourrait omettre, mais qui donnent à l’objet principal de la lumière et de la couleur, ou qui ne distraient, pas de cet objet. Comme vous l’avez fait en ma présence, beaucoup plus en mon absence, travaillez à votre salut. (Philippiens 2.12) On comprend que l’autorisation que nous donnons dépend de l’exécution. Il est des cas où ce qui se présente comme circonstance est l’idée capitale : Judas, trahis-tu ainsi le Fils de l’Homme par un baiser ? (Luc 22.48) Trahir (l’action), le Fils de l’Homme (l’objet de l’action), le baiser (le mode de l’action) ; trois choses qu’on peut faire concourir, mais dont une aussi, par exemple, le baiser, peut être considérée à part et former le thème du discours. – Autre exemple : Faisons du bien à tous, mais principalement aux domestiques de la foi. (Galates 6.10) Voyez encore Hébreux 12.14 : Recherchez la paix avec tout le monde, et Ephésiens 2.10 : … Créés en Jésus-Christ pour les bonnes œuvres, etc. – Il se forme ainsi plusieurs plans dans la perspective, et celui qui domine une fois pourrait être une autre fois remplacé par un autre.

10. Il y a pareillement unité dans un discours donnant plusieurs relations ou directions à la même vérité. Ces relations ou directions sont des accessoires qui ne font pas assez saillie pour rompre l’unité. – La gloire, l’honneur et la paix seront pour tout homme qui fait le bien, premièrement pour le Juif, et puis aussi pour le Grec. (Romains 2.10) – Je m’étudie à avoir toujours une conscience pure devant Dieu et devant les hommes. (Actes 24.16) – Toutefois, dans un cas comme ce dernier, il est difficile qu’une des relations indiquées ne devienne pas l’objet principal du discours.

11. La distinction de plusieurs classes d’auditeurs, à qui la même proposition est présentée et appliquée, mais sur qui elle doit faire des impressions différentes, n’est pas non plus contraire à l’unité. – Les impressions des uns doivent confirmer les impressions des autres, si la vérité est, dans le fond, la même pour tous. L’angle rentrant confirme l’angle saillant, et réciproquement ; la tristesse confirme la joie, à l’espérance correspond la crainte, et réciproquement.

12. Un même discours peut traiter du fait et de son mode, du devoir et des moyens de l’accomplir, sans que la loi de l’unité soit violéec.

c – Voyez le sermon sur la Sanctification dans les Méditations évangéliques.

Remarques additionnelles sur l’unité de sujet.

1. Quoique une unité factice, verbale, procurée par un artifice de langage, ne soit une véritable unité qu’aux yeux des esprits inattentifs, jouets des apparencesd, je ne saurais blâmer le procédé par lequel deux objets qui, d’eux-mêmes, ne forment pas une unité, sont placés sous un point de vue commun, dans l’enveloppe d’une idée commune, qui permette de les présenter ensemble à l’attention. Au fait, il n’y a rien là de factice et de faux ; c’est une unité non fabriquée, mais retrouvée ; elle existait d’avance ; il ne s’agissait que de relever le côté par où elle est sensible. – (Ainsi Bourdaloue, Carême.)

d – Ainsi, dans un sermon sur : La vérité vous-affranchira, (Jean 8.32) parler de la liberté spirituelle et de la liberté politique. – Ainsi sur le texte : Ton commandement est d’une très grande étendue, (Psaumes 119.96) un prédicateur prouva successivement, en s’appuyant sur le mot étendue, que la loi de Dieu renferme beaucoup de choses, et puis qu’elle se répand sur toute la terre.

2. Après avoir posé dans toute sa rigueur le principe de l’unité oratoire, et l’avoir maintenu dans chacune des formes que j’ai indiquées, il me reste à dire que j’ai montré l’idéal de la composition oratoire, sans exclure pourtant des prédications d’une forme moins sévère sous ce rapport.

Les prédicateurs français de la communion catholique se sont tenus plus près de cet idéal ; en général, leur sermon forme un faisceau plus serré, une gerbe plus facile à mettre en grange. Cela tenait au caractère de leur nation, qu’il fallait satisfaire autour d’eux et en eux, à l’idée d’art peut-être plus dominante, à un sentiment esthétique.

Il est bon de s’attacher comme eux à la règle la plus rigoureuse, et de réserver les dispenses pour l’âge de l’expérience et de la maturité ; et la maxime de Fénelon est bonne, dans les commencements, à prendre au pied de la lettre :

Tout discours qui a de l’unité peut être réduit à une seule proposition. Le discours est la proposition développée ; la proposition est le discours en abrégée.

eLettre écrite à l’Académie française, IV. – La première de ces deux phrases n’est pas une citation textuelle, mais un résumé ; la seconde, au contraire, est tout entière de Fénelon.

C’est une épreuve utile à faire sur chacun de vos discours. Qu’il ne vous suffise pas de pouvoir leur donner un titre : cherchez à les traduire en une proposition ; et défiez-vous de votre œuvre quand vous ne le pouvez pasf. Reinhard aurait-il jamais pu réduire à une proposition le sermon qu’il a intitulé : Über die Freudigkeit des Glaubens (Sur la joie de la foi) ? En voici le contenu :

  1. Conditions de cette joie :
    1. Sérieux
    2. docilité
    3. impartialité

  2. Fondements de cette joie :
    1. L’Écriture
    2. l’excellence de l’Évangile
    3. l’expérience

  3. Effets de cette joie :
    1. Fermeté
    2. confession franche
    3. zèle à propager l’Évangile

  4. Prix de cette joie :
    1. Certitude qu’elle donne
    2. courage dans le malheur
    3. espérance bienheureuse

f – Théremin, sur Hébreux 12.11, fait un sermon qu’il n’intitule pas : Die Leiden (les souffrances), – mais : Ailes Leiden ist Strate. (Toute souffrance est un châtiment.)

Si l’on invoque en faveur d’un tel discours le caractère didactique de l’éloquence de la chaire, la conséquence sera de découper en chapitres l’étoffe de la morale et de la théologie ; or, nous ne croyons pas qu’un sermon soit un chapitre ; dans tous les cas, le chapitre est trop long, j’entends intellectuellement. C’est là un défaut dans lequel il est facile de tomber quand on se permet un titre tel que celui que Reinhard a donné à son discours.

Même dans l’autre cas, celui où le sermon a pour titre une proposition, le sujet peut-il se trouver trop étendu ? – En soi-même, non. Il peut y avoir des sujets trop particuliers ; nous ne pensons pas qu’il y en ait de trop étendus. L’étendue n’est pas la multiplicité ; elle n’exclut donc pas l’unité, laquelle peut aussi bien manquer dans un discours sur un sujet très particulier que dans un discours sur un sujet très général. Tout dépend de l’exécution. Il est légitime et utile de présenter quelquefois à un auditoire un sujet très vaste ; mais alors il ne faut pas y faire entrer toutes les idées qu’on pourrait faire entrer dans chacune des parties prise à part, et formant un sermon entier. Il y a, il est vrai, des auditoires très forts ; et peut-être un orateur très fort peut faire écouter jusqu’au bout un sermon qui en vaut deux, sans manquer toutefois à la règle de l’unitég. [Dans les premiers temps, les sujets particuliers sont plus utiles : ils obligent à creuser, à chercher les idées qui, dans les sujets vastes, se présentent d’elles-mêmes en foule. À cet égard il faut étudier avec quelque précaution les grands modèles du dix-septième siècle. Leur majesté, qui nous impose, provient en partie de l’étendue des sujets qu’ils traitent. Cependant Bourdaloue fut très populaire pendant trente-quatre ans que dura sa carrière de prédicateur, parce que, dans ses vastes sermons, il observait les règles que nous avons rappelées. Mais] en général, on doit préférer un petit nombre d’idées approfondies ou bien mises en lumière à un grand nombre d’idées effleurées

g – Bourdaloue, sur la Passion.

[Ajoutons, en terminant, pour résumer nos remarques complémentaires, qu’]il y a deux critères de l’unité : l’un logique, qui consiste à réduire tout le discours à une seule proposition ; l’autre psychologique, ou de sentiment, qui consiste à interroger sa propre impression et celle de l’auditoire sur cette double question : La carrière est-elle fournie ? La limite est-elle dépassée ? L’âme et la vie savent, encore mieux que l’esprit, ce que c’est que l’unité du sujet.

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