Histoire de la prédication au dix-septième siècle

Michel Le Faucheur

 1585-1657 

Michel Le Faucheur naquit vers l’an 1585, à Genève, et mourut à Paris en 1657. Il fut d’abord ministre à Annonay et à Montpellier ; puis il fut appelé à Paris[f], où il eut pour collègues Mestrezat et Daillé. Bien que sa prédication se distinguât par plusieurs traits de celle de ses contemporains, et que sa réputation fût immense, il ne fit pas école.

[f] Il n’est, à l’exception de Du Bosc, aucun ministre célèbre de cette époque ; qui n’ait commencé ou fini par être ministre à Paris.

Il est essentiellement prédicateur. Son Traité de l’Action de l’Orateur montre qu’il a étudié à fond la théorie de son art ; mais il faut en être averti, car l’art, et c’est un mérite, ne se montre nulle part chez lui.

Il a payé son tribut à la controverse par un livre sur l’eucharistie, en réponse au cardinal Du Perron. Dans ses sermons, il y a moins de controverse que chez Du Moulin ; mais elle est plus vive et mieux appropriée, sinon à la chaire, du moins au genre oratoire.

Une chose nous surprend chez les prédicateurs de cette époque, c’est la violence de leur langage quand ils parlent de l’Église catholique. Attaquer la religion de l’État, c’était attaquer l’État, et il fallait un grand courage aux membres d’une Église qui n’était tolérée qu’avec peine, pour élever ainsi la voix. En les entendant parler publiquement avec horreur des rites du catholicisme, on est saisi d’étonnement de leur hardiesse, et on est forcé de l’admirer, car elle n’était pas sans danger. Mais on voudrait que leur polémique fût aussi équitable et indulgente qu’elle est ardente, sincère et solide, et il faut reconnaître qu’elle manque quelquefois de ces qualités. Ils ne voient pas que l’erreur puisse être adoptée, encore moins prêchée de bonne foi.

Voici un exemple de cette controverse, emprunté à Le Faucheur. Il est tiré d’un sermon sur ces paroles d’Ésaïe.8.20 : A la loi et au témoignage.

« Et de fait, quelle meilleure règle saurions-nous avoir que ce livre céleste et divin, dont toutes les paroles, depuis le commencement jusques à la fin, ne sont que pure vérité, comme immédiatement émanées de cet Esprit de vérité, qui ne peut ni être trompé ni tromper personne, ou quelle adresse plus certaine que cette loi et ce témoignage que Dieu nous a donnés lui-même, pour servir de lampe à nos pieds et de lumière à nos sentiers ?

A cela que répliquent nos adversaires ? J’aurais horreur de vous le dire. Mais puisqu’ils n’en ont point eux-mêmes, et que, publiant leur péché comme Sodome, ils blasphèment sans aucune honte contre la Parole du Dieu vivant, nous ferons comme Ézéchias aux blasphèmes de Rabsaké. Nous les déploierons dans ce temple en la présence de l’Éternel. Ils nous disent premièrement : Qui vous a dit que c’est la Parole de Dieu ? O Dieu ! en quel temps sommes-nous, et à quelles gens avons-nous affaire ! Des deux principes universels sur lesquels toute la religion chrétienne est fondée, à savoir qu’il y a un Dieu et que la Bible est sa Parole, les athées nous disent de l’un : Qui vous a dit qu’il y a un Dieu ? et ceux de la communion de Rome nous disent de l’autre : Qui vous a dit que la Bible soit sa Parole ? Et son âme ne haïrait-elle point une nation qui est telle ? Et le juge de toute la terre ne fera-t-il point justice, un jour, de ces moqueries qui sont lancées contre son nom et contre sa Parole ? Ils diront peut-être que ce n’est point par moquerie qu’ils le disent, mais qu’ils le demandent pour leur instruction. Et véritablement, leur dirons-nous, pour des gens qui vous faites si anciens, vous êtes bien nouveaux, et vous en êtes encore aux premiers principes ! Et vous doutez encore si c’est là la Parole de Dieu ? Ils vous diront sans doute qu’ils n’en doutent point. Eh ! misérables, dites-leur, pourquoi donc nous faites-vous ces questions profanes ? Ou donnez gloire à Dieu, en avouant ingénument que c’est là sa Parole, et consentez que nos différents soient vidés a par elle ; ou, passant la main sur le front, pour essuyer le peu de honte qui vous reste, dites ouvertement que ce n’est point là sa Parole, et nous vous prouverons que ce l’est certainement. Encore qu’il soit aussi absurde de demander des preuves de cela, que d’en demander de ce que cette lumière qui nous éclaire est la lumière du soleil. Car ce que la lumière est en la vie, cela même est l’Écriture en la religion. Celle-là est la première des choses visibles, car par elle toutes les autres se voient, et elle n’est vue que par elle-même ; et celle-ci est la première des vérités, appréhendée par la foi, car par elle toutes les autres sont crues, et elle n’est crue que par elle-même. S’il fallait prouver les premiers principes, on irait à l’infini, et il n’y aurait aucune science assurée. Mais en effet, voyons un peu pourquoi ils font cette demande. C’est, sans doute, pour nous faire dire que nous le tenons de l’Écriture. Mais quand nous aurons dit cela mille fois, ont-ils si peu de sens que de s’imaginer qu’on leur passe cette conséquence, que donc il ne se faut point arrêter à l’Écriture sainte comme à l’Écriture ? Qui a dit à saint Pierre que Jésus était le Messie ? Ça été saint André. Qui l’a dit aux Samaritains ? Ça été la Samaritaine. Est-ce à dire pourtant, ou que l’autorité de Christ et la foi de saint Pierre aient été fondées sur saint André, ou que les Samaritains aient eu, non la parole de Jésus-Christ, mais celle de la femme samaritaine pour règle et pour maîtresse ? Qui que ce soit qui connaît de visage le roi le peut montrer et donner à connaître à un qui ne le connaît pas. Est-ce à dire pourtant que cet homme-là parce qu’il ne connaît le roi que par son moyen, lui doive autant de respect qu’au roi même ?


Michel Le Faucheur

J’insisterais plus longtemps là-dessus si je n’étais persuadé que vous voyez assez clairement, par ce peu que je vous ai dit, et l’impiété de leur demande, et l’impertinence de leur illation[g]. Mais poursuivons à les ouïr, car leurs blasphèmes ne sont pas encore épuisés. L’Écriture, disent-ils, ne saurait être la règle de notre foi et le moyen pour décider les différents de la religion, car elle est difficile, obscure, ambiguë ; en un mot, c’est un nez de cire qu’on tourne du côté qu’on veut. Mais n’ont-ils pas bonne raison ? Parce qu’ils ne peuvent trouver leur religion dans l’Écriture après s’y être bien tourmentés, donc l’Écriture est fort obscure ; parce que, pour éviter le vrai sens de cette divine Parole, par lequel ils se voient manifestement convaincus, ils en inventent tous les jours de nouveaux, elle est donc fort ambiguë. Parce qu’ils font métier de la tordre à leur propre perdition, donc c’est un nez de cire qu’on tourne du côté qu’on veut. Car c’est là le respect que ces gens-là portent à l’Écriture. Mais ici, mes frères, il faut que je vous fasse voir leur mauvaise foi. Qu’on oye leurs sermons, qu’on lise leurs livres, quand ils traitent les controverses par l’Écriture sainte. Ils se vantent ordinairement qu’il n’est rien de plus clair que les passages qu’ils allèguent pour la confirmation de leurs dogmes : si là elle est si claire, pourquoi la font-ils ici si obscure ? Particulièrement encore lorsqu’il s’agit de l’eucharistie, pour fonder leur exposition littérale, voici la maxime qu’ils donnent : quand l’Écriture sainte parle de sacrements, de dogmes et de lois, elle s’explique en termes propres, sans aucune ambiguïté ni figure. Si en ces choses-là elle est claire, elle n’est donc point obscure, ni ambiguë aux choses nécessaires à notre salut. Car quelles sont les choses nécessaires sinon les lois, les dogmes et les sacrements ? ce que nous devons croire, ce que nous devons faire, et les gages que Dieu nous donne de son amour et de la béatitude qu’il nous prépare ? Y a-t-il apparence, disent-ils, que cette grande sagesse du Fils de Dieu ait voulu user de paroles qui aient pu servir de pierre d’achoppement pour faire broncher l’Église ? Ce grand amour qu’il nous porte peut-il souffrir ces obscurités ? Mais, je vous prie, que je vous éclaircisse sur cette obscurité prétendue.

[g] Illation : conséquence, action d’inférer.

Certes, si vous considérez l’Écriture, à l’égard de certaines personnes, les choses les plus claires qu’elle contient leur sont obscures ; mais c’est par accident, c’est-à-dire par leur défaut, et non de sa nature. Ce soleil qui nous paraît si clair est obscur aux aveugles. Ainsi notre Évangile est un Évangile de gloire, où nous voyons la face de Christ toute rayonnante d’une merveilleuse lumière, et néanmoins il est couvert à ceux qui périssent, auxquels le Dieu de ce siècle a aveuglé les entendements. Mais il ne faut point le considérer à cet égard-là ; il le faut regarder en lui-même et à l’égard des enfants de Dieu, pour lesquels il est fait, et non pour les profanes et les réprouvés. S’il est obscur, c’est ou pour les choses ou pour les paroles. Pour ce qui est des choses, il est vrai qu’il nous en propose de très ardues et de très difficiles à entendre ; mais aussi Dieu ne nous oblige pas, pour être sauvés, à en comprendre la nature : il veut seulement que nous en croyions la vérité. Or que ces choses-là soient, l’Écriture nous l’enseigne parfaitement ; mais comment elles sont, elle ne nous l’apprend pas ; et là-dessus les hommes travaillent inutilement leurs esprits, et la blâment d’obscurité, parce qu’elle ne satisfait pas à la vanité de leurs esprits téméraires et curieux. Pour celles qu’il faut faire, comme de craindre Dieu, d’aimer son prochain, d’être saint de corps et d’esprit, de croire en Jésus-Christ, de confesser son nom, de se résigner à sa conduite, de lui être fidèle jusqu’à la mort, elles y sont plus claires que le jour.

Quant au style, il y est aussi clair, dans les choses nécessaires, que le salut des hommes le requiert, selon les divers âges et les diverses conditions de a l’Église. Je dis : aux choses nécessaires ; car, pour les autres, il y peut avoir plusieurs lieux obscurs, et qu’on ne peut entendre qu’avec peine. Même plusieurs de ceux qui traitent des choses nécessaires à notre salut, il y en a de difficiles ; mais les mêmes choses qu’ils traitent ainsi obscurément, sont exposées ailleurs plus clairement. J’ai ajouté : selon les divers âges et selon les diverses conditions de l’Église, parce que, sous le Vieux Testament, l’héritier étant encore enfant, le mystère de piété lui était représenté obscurément et sous des figures ; c’était un livre clos, comme il est dit au vingt-neuvième chapitre de cette prophétie, un témoignage cacheté, comme il nous est représente en ce chapitre même. Le voile était encore sur la face de Moïse. Mais, au Nouveau Testament, ce même mystère est déclaré fort clairement : Christ, pendant en la croix, a fendu le voile, si bien que maintenant nous contemplons en son Évangile la gloire de Dieu à face découverte ; et tant s’en faut que cet Évangile puisse avec raison être appelé obscur, que toutes les lumières des autres livres ne sont que des rayons de la sienne.

Assurez-vous d’une chose, mes frères que si l’Évangile était aussi obscur qu’ils disent, ils ne le défendraient pas comme ils font, parce qu’ils ne craindraient point qu’on y vît leurs erreurs convaincues, et leurs idolâtries condamnées. De parole, ils en décrient l’obscurité ; mais en effet, ils en redoutent la lumière, et c’est pourquoi ils ne le veulent point pour règle. S’ils en permettaient la lecture et s’ils consentaient que tous nos différents fussent jugés par lui, l’accord serait bientôt fait. Mais ils perdraient par ce moyen, le pape, sa triple couronne ; les cardinaux, leur pourpre ; et tous ceux du clergé, le gain qui leur revient tous les jours de leur grande Diane[h]. »

[h] Sermons sur divers textes de l’Écriture sainte. Genève, 1680. Tome I, pages 285-294.

Citons encore un exemple de cette controverse, tiré d’un sermon sur Romains 6.23 :

« Christ nous ayant acquis la vie éternelle par ses mérites, c’est justement que son apôtre lui en fait l’hommage en ce lieu, et qu’au quatrième de l’Apocalypse, les vingt-quatre anciens assis à l’entour de son trône jettent à ses pieds leurs couronnes, pour protester qu’elles leur ont été acquises par son mérite seul. Et partant, ce serait à nous un grand sacrilège d’en vouloir attribuer l’acquisition, soit aux nôtres propres, soit à ceux de quelque créature que ce puisse être. Aussi n’est-ce pas notre intention, disent les adversaires de cette doctrine, en établissant nos mérites, d’ôter à Jésus-Christ la gloire des siens ; car nous confessons franchement que toute la gloire de nos mérites dépend des siens, qui leur donnent tout ce qu’ils ont de poids et de valeur. Mais, je vous prie, qu’est-ce qu’ils veulent dire par là ? Est-ce, que les mérites de Christ soient mêlés avec les nôtres, et que par ce mélange ils leur donnent un prix qu’ils n’avaient point d’eux-mêmes, comme qui mêlerait des grains d’or avec des grains de sable, et qui dirait que ces grains d’or donnent un grand prix à ces grains de sable ? Non certes, car le sable, avec quoi qu’on le mêle, est toujours du sable, de nulle considération et de nulle valeur. L’or seul est celui qui a du prix, et tout le sable qu’on y joint n’ajoute rien à sa valeur. Est-ce, que nos mérites n’ayant pas une suffisante valeur devant Dieu pour satisfaire à ce que nous lui devons, le mérite de notre Sauveur y doive être ajouté, pour leur donner le juste prix qu’ils doivent avoir ; comme si nous devions mille écus et que nous n’en pussions fournir que cent de notre propre argent, un autre en ajoutait du sien neuf cents pour achever le payement ? Nullement ; car si cela était, nos mérites, considérés en eux-mêmes, auraient leur propre prix devant Dieu, pour le moins à proportion de ce qu’il les emploierait en notre compte, et les mérites de Christ le leur, quoique beaucoup plus grand ; et bien qu’il contribuât beaucoup plus que nous à l’œuvre de notre salut, toujours serait-il vrai de dire que nous serions nos propres sauveurs en partie. Il aurait, pour exemple, les neuf parties de la gloire de nous avoir mérité le salut, et nous en aurions la dixième, et ainsi il ne l’aurait pas tout entière. Ou bien entendent-ils que nos mérites soient parfumés de l’odeur de celui de Christ, comme une masse, qui d’elle-même ne sent rien, prend la senteur de l’ambre gris qu’on y aura mêlé ; ou comme une eau, insipide et inefficace de sa nature, prend la teinture et la vertu d’une drogue médicinale qu’on y aura infusée ? Je ne crois pas qu’ils le voulussent dire. Car, outre que les mérites de Jésus-Christ ne sont pas des choses matérielles, qui se puissent ainsi mêler et incorporer en nos œuvres, pour leur influer et leur imprimer quelque qualité inhérente qu’elles n’eussent pas d’elles-mêmes, si ses mérites devaient rendre nos œuvres méritoires, il faudrait qu’ils leur imprimassent la dignité infinie de sa personne et la sainteté immaculée de toutes ses affections, qui sont les choses sur lesquelles est proprement fondé son mérite. Or est-il qu’ils ne communiquent ni ne peuvent communiquer ni l’une ni l’autre à nous ni à nos œuvres ; car autrement, ils nous feraient dieux et égaux à notre Seigneur Jésus-Christ, et nos œuvres divines a et égales aux siennes. On ne peut donc dire avec raison, qu’ils rendent nos œuvres méritoires.

Quoi donc enfin ? Est-ce que des mérites de Christ naissent ceux des fidèles, parce que Jésus-Christ est leur cep et qu’ils sont ses sarments ? C’est bien ce qu’ils peuvent dire de plus spécieux ; mais qui ne voit que cela ruine leur cause ? Car, comme les sarments ne peuvent pas dire qu’ils fructifient, partie par la vertu de leur cep, partie par la leur propre, vu que tout ce qu’ils ont de sève et tout ce qu’ils portent de fruits procède de leur cep, auquel en est due toute la gloire, aussi ne peuvent les fidèles s’attribuer, en tout ni en partie, l’honneur et la louange de leurs bonnes œuvres, ni en prétendre du mérite, puisqu’elles procèdent toutes de Christ et non pas d’eux-mêmes.

Reste une seule manière en laquelle on pourrait prendre ce qu’ils disent, à savoir en les concevant en ce sens, que les mérites de Christ sont imputés aux nôtres, afin que la justice de Dieu les accepte comme bons et valables, encore qu’ils ne le soient point. Mais ils ne le peuvent entendre en cette façon ; car si les œuvres de notre obéissance n’étaient mérites que par l’imputation de celles de Christ, elles ne le seraient donc pas en elles-mêmes, mais seulement par une acceptation gratuite. Et si elles l’étaient par une acceptation gratuite, comment seraient-elles vrais mérites ? Ce sont donc là, comme vous voyez, des excuses frivoles et des paroles illusoires et qui n’ont point de sens. Combien plus sûr est-il de nous dépouiller franchement de toutes ces prétentions orgueilleuses de nos propres mérites, pour donner gloire à ceux de notre bon Sauveur et pour reconnaître, avec le grand apôtre, que les tourments de la mort éternelle sont bien les gages que méritent ceux qui rendent service au péché, mais que, quant à la vie et à la béatitude éternelle, c’est un pur don de Dieu, qui nous a été procuré, acquis et mérité par notre Seigneur Jésus-Christ seul[i]. »

[i] Sermons sur divers textes, tome II, pages 155-100.

Il y a de la théologie dans les sermons de Le Faucheur, et beaucoup plus que nous n’en mettrions dans les nôtres ; mais elle est différente de la théologie de Du Moulin. Les vérités fondamentales y sont clairement exposées ; mais certaines doctrines, sur lesquelles Du Moulin revient sans cesse, entre autres celles de l’élection et de l’assurance du salut, sont plutôt supposées qu’exposées chez Le Faucheur. Depuis Du Moulin, ces deux doctrines tiennent moins de place dans la prédication.

Nous avons de Le Faucheur, sans parler de quelques petits recueils publiés pendant sa vie, deux volumes de Sermons sur divers textes, Vingt Sermons sur divers psaumes, Treize Sermons sur le premier chapitre de la première Épître aux Thessaloniciens, et quatre volumes de Sermons sur les onze premiers chapitres des Actes. Il paraît n’avoir destiné à l’impression que les deux premiers volumes de ces œuvres posthumes. Les autres ont été péniblement mis au net, d’après un manuscrit fort défectueux et rendu obscur par une espèce de chiffre dont Le Faucheur se servait souvent pour écrire ses sermons en abrégé.

Ses sujets sont mixtes : il n’a point de sermons de pure théologie et en a peu de morale proprement dite. Des détails assez particuliers arrivent à propos des idées générales ; mais il n’aborde pas directement le détail et ne s’y arrête pas. Ce sont, en général, des sermons de répréhension et d’exhortation ; il prend dans le vif du dogme et court à l’application. C’est le genre des prophètes, auxquels Le Faucheur emprunte volontiers ses textes.

Sa méthode consiste à expliquer le texte ; il le fait quelquefois avec un peu de minutie, ordinairement avec justesse et intelligence. Il a peu de sermons synthétiques et sur des textes courts. Il s’est interdit ainsi de traiter à fond certaines idées ; il traverse aussi trop rapidement celles sur lesquelles il faudrait s’arrêter. (Ainsi, dans le sermon sur Ésaïe 55.6-7, tout ce qui concerne le danger de ne plus trouver Dieu, quand on a, pendant un temps, négligé de le chercher.) L’idée reste dans son abstraction et sa généralité ; pas de tableaux d’ensemble ; rien n’est vu jusqu’au fond et sous ses différents aspects. Cela vient de ce que Le Faucheur traite rarement des sujets, mais presque exclusivement des textes. Nous sommes pleinement d’avis qu’il faut traiter des textes et développer toute la richesse qu’ils contiennent ; mais il peut y avoir quelque superstition à ne jamais vouloir subordonner la forme du texte au sujet qu’on est appelé à traiter. Au bout du compte, les apôtres, nos modèles, prêchaient sur des sujets et non sur des textes.

Les plans de Le Faucheur sont naturels et simples. Ils sont souvent fournis par le texte, qu’il suit de verset en verset. Il fait peu de frais d’invention ; mais quand il invente, il invente bien.

Deux exemples nous feront mieux comprendre sa méthode.

Au commencement du Sermon sur l’échelle de Jacob (Genèse 28.12-17), il nous indique lui-même comme suit la division de la matière : « En ces paroles, comme en toutes les autres de l’Écriture, il n’y a rien d’inutile et qui ne mérite une bien expresse et bien attentive considération, soit pour le temps auquel Dieu a fait voir cette vision à Jacob, soit pour la façon en laquelle il la lui a proposée, soit pour la vision même, soit pour l’oracle que Dieu lui a lui-même prononcé, soit pour les saintes et religieuses émotions qu’il en a ressenties à son réveil[j]. » — Voilà une analyse attentive.

[j] Sermons sur divers textes, tome I, page 5.

De même dans le sermon sur Romains 6.23 : « Pour vous faire bien entendre cette sentence, mes frères, je vous la démonterai pièce à pièce, afin de vous les faire considérer distinctement l’une après l’autre. Vous verrez donc premièrement quels sont les divers maîtres au service desquels les hommes s’engagent, qui sont, d’un côté, le péché, et de l’autre, Dieu même ; ensuite, quelles sont les récompenses que ces maîtres donnent à ceux qui les servent, à savoir, d’un côté, la mort que le péché donne aux méchants, et de l’autre, la vie éternelle dont notre bon Dieu couronne les saints ; et finalement, quelle est la qualité de ces récompenses[k]. »

[k] Sermons sur divers textes, tome II, pages 128-129.

Pour donner une idée de la composition de Le Faucheur, prenons quelques-uns de ses sermons, et d’abord celui sur Ésaïe 55.6-7 : Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve, invoquez-le tandis qu’il est près. Que le méchant délaisse son train et l’homme outrageux ses pensées, et qu’il retourne à l’Éternel, et il aura pitié de lui, et à notre Dieu, car il pardonne tant et plus[l].

[l] Sermons sur divers textes, tome I, pages 302-352.

Exorde : Efforts du malin, après nos chutes, pour nous engager à retarder notre repentance, ou pour nous engager à nous contenter d’une repentance superficielle et tout extérieure. A cela Dieu oppose les paroles de notre texte.

En considérant ces paroles comme adressées aux Juifs, elles répondent bien au système général de Dieu à l’égard de ce peuple. Dieu les excite souvent à jalousie, en leur montrant les païens prêts à les devancer.

Mais elles s’appliquent à tous ceux à qui Dieu se révèle par sa grâce, comme il s’est révélé aux Juifs par ses miracles ; ainsi à nous aussi.

Le Faucheur considère successivement (voir le texte) :

  1. Le devoir requis de nous ;
  2. La récompense promise.

I. L’orateur donne l’explication des mots chercher et invoquer, et la résume ainsi : « Il nous exhorte par ces mots de nous adonner au service de Dieu et à la vraie piété, cherchant premièrement, et avant toutes choses, ce qui est de son royaume et de sa justice. » Puis vient l’explication des mots : pendant qu’il se trouve, ou qu’il est près : « Il est dit plus spécialement qu’il est près de nous et en état d’être trouvé, lorsqu’il se manifeste à nous en sa grâce, par la prédication publique de sa Parole, et que, par l’établissement et par la conservation de la vraie religion au milieu de nous, il y choisit particulièrement sa demeure. Et c’est alors que nous sommes plus étroitement obligés à le chercher et à l’invoquer, parce qu’alors il ne nous faut pas monter au ciel ni descendre en l’abîme pour apprendre sa vérité, ou pour nous informer de sa volonté, mais que sa parole est près de nous, en notre bouche et en notre cœur, à savoir la parole de foi qui nous est prêchée. »

Il faut chercher Dieu pendant qu’il est près, parce que plus tard on ne le trouvera pas, ou on ne le trouvera qu’à travers mille difficultés.

De quelle manière il faut le chercher. Ce n’est pas par des actes extérieurs ; c’est par le renoncement au péché et le retour à Dieu.

1. Renoncement au péché : non seulement aux actions de péché, que le mot train semble désigner, mais aux pensées de péché :

« Il ne s’agit pas ici de quelque léger changement. Il est question de refaire et de refondre tout l’homme, d’en faire, comme dit l’Apôtre, une nouvelle créature, et de le remettre en état d’agréer à son Créateur. C’est un holocauste où il faut que toute la victime soit consumée, et la principale partie qu’il en demande, c’est le cœur, qui est le siège des pensées, des passions et des convoitises de péché, et là où est ce mauvais trésor, d’où, comme dit notre Seigneur Jésus, l’homme mauvais tire choses mauvaises. C’est ce cœur-là, avec tous ses desseins, toutes ses affections et toutes ses inclinations perverses, que nous devons quitter, pour recevoir de lui un cœur net, avec lequel nous puissions voir sa face, entre les esprits bienheureux.

Car par les pensées il n’entend pas seulement ce qu’on entend vulgairement par ce not de pensées, mais la volonté, le consentement, et toutes les mauvaises intentions, et les inclinations à offenser Dieu, lesquelles il exprime par la pensée, comme par celle qui est la racine et le premier acte du péché ; pour nous montrer quelle est et la sainteté du législateur auquel nous avons à rendre compte, et celle qu’il requiert de nous, quand il nous ordonne de retrancher le vice et le péché de nos cœurs, jusques aux premières et aux moindres fibres. Les Juifs charnels, comme ils étaient toujours enclins à se flatter en leurs péchés, s’imaginaient que la pensée et même le dessein formé de pécher, s’il ne venait à l’acte extérieur, n’était pas un péché, comme nous le voyons en Josèphe, qui, au douzième livre de ses Antiquités, reprend Polybe d’avoir écrit qu’Antiochus avait été puni pour avoir eu dessein de piller le temple de Diane, parce que, dit-il, ce n’était pas être sacrilège que d’en avoir eu seulement le dessein et de ne l’avoir pas accompli : ce qui n’est pas excusable en un sacrificateur comme lui, qui lisait tous les jours et qui faisait métier d’exposer aux autres la loi et les prophètes ; comme si la loi ne disait pas en termes exprès : Tu ne convoiteras point ; comme si les prophètes ne disaient pas : Jérusalem, nettoie ton cœur de ta malice, afin que tu sois délivrée. Jusques à quand séjourneront en toi les pensées de nuisance ? et comme si la sainteté même, qui déteste si fort le péché en nos bouches et en nos mains pouvait l’approuver en nos cœurs, ou s’irriter des désordres de notre vie, et ne s’offenser point de la corruption de notre âme. Contre une opinion si fausse et si pernicieuse, le prophète nous dit ici : Que le méchant délaisse son train et l’homme inique ses pensées. Notre Seigneur Jésus, semblablement, quand, voyant les pensées des scribes, il leur dit, au neuvième chapitre de saint Matthieu : Pourquoi pensez-vous mal en vos cœurs ? Et au sixième du même Évangile, comparant l’entendement de notre âme à l’œil de notre corps, il dit que si l’œil est malin, tout le corps sera ténébreux, c’est-à-dire que si l’entendement est enveloppé et offusqué de pensées charnelles, toute l’âme s’en sentira et ira errant dans les ténèbres de l’ignorance et du péché, et de tous les malheurs que l’un et l’autre apportent aux hommes. Les saints apôtres tout de même, comme quand saint Pierre dit à Simon : Repens-toi de cette tienne malice, et prie Dieu si possible cette pensée de ton cœur te soit pardonnée. Pensée ! n’y avait-il donc rien en son fait qu’une simple pensée ? N’y avait-il pas affection et consentement ? N’y avait-il pas résolution, parole et action ? Quoi donc ! ce grand apôtre veut-il exténuer le péché de cet organe du diable ? Nullement. Mais c’est pour lui montrer à quel législateur il avait à faire, qui ne regarde pas seulement aux actions et aux paroles, mais aux affections et même aux pensées. C’est là la racine du mal, et c’est là aussi qu’il met la cognée. C’était aussi pour lui apprendre qu’il n’était pas question, en sa repentance, de réformer seulement ses paroles et d’amender ses actions, mais de purger son cœur du fiel dont il était rempli. C’était lui dire, c’était dire à chaque pécheur ce que dit le Sage dans ses Proverbes, ce que chaque fidèle se doit dire à soi-même : Garde ton cœur, car c’est la source de la vie. »

2. Mais cela ne suffit pas ; il faut de plus retourner à l’Éternel.

« Car, encore qu’il y en ait qui disent, pensant fort bien dire en cela, que la repentance n’est autre chose que pleurer les péchés que nous avons commis et n’en commettre plus que nous ayons encore à pleurer, si est-ce qu’à dire vrai, ce n’est qu’une partie de ce qu’il faut faire. Car ce n’est pas assez de ne point faire de péchés, il faut faire de bonnes œuvres. Qui ne recueille point avec Christ, il épard. Et Dieu ne hait pas moins l’omission des devoirs qu’il nous a ordonnés que la commission des iniquités qu’il nous a défendues. Tout arbre, dit saint Jean-Baptiste, non seulement qui fait de mauvais fruits, mais qui n’en porte point de bons, sera jeté au feu. Et notre Seigneur Jésus ne dit pas : Si votre iniquité surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez point au royaume de Dieu ; mais : Si votre justice ne surpasse la leur. C’est pourquoi le prophète dit : Que le méchant se détourne de son mauvais train et qu’il se retourne à son Dieu. Il veut dire que, comme il est passé de la vertu au vice, de la dévotion au libertinage, de la sobriété à l’intempérance, de la chasteté à la luxure, de l’intégrité à la tromperie, de la bonté à la malice et de la justice à l’outrage, il repasse de l’outrage à la justice, de la malice à la bonté, de la tromperie à l’intégrité, de la luxure à la chasteté, de l’intempérance à la sobriété, du libertinage à la dévotion, et généralement de l’exercice de tous ses vices à celui des vertus contraires. »

Voyons maintenant ce que l’Éternel promet.

II. L’orateur développe successivement : Il a pitié de nous, et il pardonne tant et plus :

Application : Il invite ses auditeurs à recueillir les pièces du pain qu’il vient de leur rompre, et leur fait remarquer le passage du pluriel : Cherchez, au singulier : Que le méchant délaisse son train. C’est pour que chacun se fasse l’application de ce qui est adressé à tous ; car chacun est coupable et chacun a besoin de pardon. Que nul donc ne se flatte en soi-même, pour renvoyer aux autres ou la censure des péchés ou la menace des jugements de Dieu. Tel se croit le plus innocent, que, si on vient à le fouiller, comme Benjamin, on trouvera le larcin en son sac. Moïse même, s’il met la main en son sein, l’en tirera lépreuse. Il n’y a nul qui puisse dire : J’ai purgé mon cœur de péché. » — Voluptueux, avare, moqueur, hypocrite, n’espérez point vous cacher, vous sauver, pour ainsi dire, dans la foule, et vous soustraire à la nécessité de chercher Dieu. Jeune homme, cherche Dieu :

« Lorsque tu lis en sa loi, si au moins tu y lis, qu’il voulait qu’on lui offrit des victimes jeunes et entières, et que les Juifs ne s’en étant pas acquittés, il leur en fait des reproches si amers par Malachie, fais cette réflexion en toi-même : Comment ? Dieu a-t-il soin des bêtes, ou a-t-il fait ces lois pour en tirer de l’avantage pour soi-même, en choisissant l’élite des troupeaux ? N’est-ce point plutôt pour m’apprendre à lui offrir la fleur de mon âge et non le rebut de ma vie ? Pense quel plaisir tu lui fais de donner à Satan la force et de ton corps et de ton âme, et de lui réserver, à lui à qui tu te dois tout entier, ton âge décrépit, auquel ton corps se trouvera plein des folies de ta jeunesse, et ton esprit, de chagrin et d’infirmité. Un prince te saurait-il gré si, après avoir employé tout le temps de ta vie au service de ses ennemis, quand ils ne voudraient plus de toi, parce que tu oserais devenu vieux, malade, aveugle, estropié, tu lui venais offrir ton service. Veux-tu qu’il l’accepte et qu’il l’agrée, présente-le lui de bonne heure, pendant que tu es en état de le lui pouvoir rendre dans le cours de ta vocation.

Vous, hommes faits, qui êtes en la grande vigueur de votre âge, en état de servir à Dieu, à l’Église et à vos prochains, et qu’il exhorte aujourd’hui par ma bouche à quitter votre mauvais train et à vous convertir à lui, songez à votre conscience et à votre salut, et vous armez de cette pensée que, comme Jésus-Christ, en qui vous croyez, a été crucifié pour vous en la chair, vous aussi, pour l’amour de lui, devez crucifier votre chair avec ses convoitises, afin que le temps qui vous reste en chair, vous ne viviez plus selon les convoitises des hommes, mais selon la volonté de Dieu. Le temps passé vous doit avoir suffi pour accomplir la volonté des enfants de ce monde, lorsque vous conversiez avec eux en insolences et en convoitises. Maintenant il est temps, au lieu de courir avec eux en un même abandon de dissolution, de penser à bon escient au compte que vous avez à rendre à celui qui est prêt à juger les vivants et les morts. Vous ne savez quel loisir vous en aurez pour l’avenir. Usez donc du présent, et faites bien pendant que vous en avez le temps ; car qu’est-ce de cette vie, que l’Écriture sainte accompare à un vent, à une nuée, à une vapeur, à une fumée, à une ombre, à un songe, voire qu’elle appelle la vanité même ? Si elle est courte, elle est encore plus incertaine. Et vous, vieillards, qui durant tant d’années avez joui de la lumière de son soleil et du bénéfice de sa parole, et qui, après tant de bienfaits que vous avez reçus de sa main et tant de prédications que vous avez ouïes de sa bouche, êtes aussi stériles en bonnes œuvres que si vous s’en aviez jamais ouï ni reçu, semblables à ces vaches maigres du songe de Pharaon, qui, après avoir mangé les sept grasses, étaient aussi maigres qu’auparavant : si jusqu’ici vous n’avez point appliqué votre cœur, comme vous deviez, à le rechercher et à le servir, pensez-y au moins à cette heure, et employez utilement ce peu qui vous reste de vie. N’attendez pas, comme le mauvais riche, à regarder au ciel lorsque vous serez en enfer, et ne vous flattez point en cette imagination que ce sera assez d’y penser à l’heure de la mort, et que, pourvu que vous disiez alors au Seigneur Jésus, comme le brigand converti : Seigneur, aie souvenance de moi, il vous dira à l’heure même : Aujourd’hui tu seras avec moi en paradis. Car premièrement cet exemple ne vous convient point du tout, vu que celui-là se convertit à Christ dès la première fois que Christ parla à lui, et que vous, qui l’avez ouï mille fois, ne vous êtes point encore convertis. Et puis c’est une grâce extraordinaire que Jésus-Christ lui a faite, qu’on ne doit point tirer à conséquence. Les rois, au jour de leur couronnement, pardonnent quelquefois des crimes lesquels ils ne pardonnent jamais dans le cours de leur justice ordinaire. Ainsi le Fils de Dieu, en ce jour de sa passion, a voulu faire en la personne de cet homme une extraordinaire démonstration de sa miséricorde ; mais ce n’est pas à dire qu’il en doive user ainsi d’ordinaire. Outre que, si son exemple vous flatte, celui de son compagnon vous doit faire peur. Car, comme vous le pouvez voir en l’histoire de l’Évangile, ni son propre supplice, ni la charité de notre Sauveur priant Dieu pour ses ennemis, ni l’exhortation de son compagnon mourant avec lui, ni l’exemple notable de sa conversion à Christ, ni les ténèbres épandues miraculeusement sur la terre, ni les pierres fendues, ni l’exemple de ceux qui s’en retournaient frappant leurs poitrines, ne purent émouvoir ce malheureux homme à se repentir. Son cœur, comme celui de Nabal, fut en lui ainsi qu’une pierre. Ainsi devez-vous craindre que, quand même à cette heure-là vous auriez au chevet de votre lit, non un ministre de Jésus-Christ pour vous exhorter et vous consoler, mais Jésus-Christ même vous montrant ses mains, ses pieds et son côté percé, et vous conjurant par ses plaies de vous réconcilier avec lui, votre cœur, que vous aurez si longtemps endurci contre ses avertissements et ses inspirations, ne se trouve saisi d’une pareille insensibilité.

Nous tous en général, mes frères, si nous oyons aujourd’hui sa voix, n’endurcissons point notre cœur, mais cherchons l’Éternel pendant qu’il se trouve ; tâchons à rappeler, par notre repentance, sa bénédiction et sa paix, que nous avons éloignées de nous par nos fautes. » — Que les châtiments qui sont tombés sur d’autres Églises nous avertissent ; il pourrait bien nous arriver comme à elles, « comme à Jérusalem, pour les péchés par lesquels elle avait provoqué sa colère, non dans les rues publiques ou dans les maisons particulières, mais dans son temple même, et même dans son sanctuaire. Souvenons-nous de la vision qui nous est décrite aux dixième et onzième chapitres d’Ézéchiel, comme sa gloire s’éleva de dessus les chérubins, et avec les chérubins s’envola sur le seuil de ce lieu très saint, puis sur la porte orientale du temple, et puis de là sur la montagne du côté d’Orient, d’où enfin elle disparut. Que j’ai grand peur, si nous ne travaillons à apaiser son ire par un prompt et sincère amendement de vie, qu’il ne nous en arrive de même. Ce qui me le fait craindre, ce ne sont pas ceux qui nous veulent du mal et qui nous en font, ce ne sont pas leurs passions, ce ne sont pas leurs forces ni leurs stratagèmes ; ce sont nos vices et nos mondanités, ce sont ces folles récréations auxquelles nous nous amusons, en un temps où nous devrions tous être malades de la froissure de Joseph ; c’est cette universelle corruption qui est répandue dans tous les ordres et dans tous les membres de notre corps. Car comme, quand cette prodigieuse lèpre de Canaan, qui s’attachait aux murailles et qui les rongeait, ne s’apercevait qu’en quelques pierres d’une maison, on ne faisait que les arracher de l’endroit auquel elles étaient ; mais quand huit jours après on y retournait, et qu’on trouvait qu’elle avait pris en plusieurs autres lieux par toutes les murailles, alors on abattait entièrement la maison et on en jetait les matériaux en quelque lieu immonde : ainsi, quand Dieu voit quelques particuliers seulement qui se corrompent et se débauchent, il se contente de les punir en leur particulier ; mais quand le vice a tout gagné, quand le sang touche le sang quand depuis la plante des pieds jusques au-dessus de la tête il n’y a rien d’entier en un peuple, alors il vient à une extermination et à une désolation générale. N’attendons pas, mes frères, que ce malheur soit à la porte, pour faire, comme autrefois ces catéchumènes, qui remettaient le plus qu’ils pouvaient de se convertir tout à fait à Dieu et de se joindre à son Église par la réception des saints sacrements, afin de ne s’assujettir point aux rigueurs de la discipline auxquelles étaient sujets les fidèles, c’est-à-dire ceux qui étaient initiés aux mystères ; et qui, lorsqu’il venait un tremblement de terre, un grand et furieux orage, ou quelque autre terrible accident, qui menaçait toute une ville de désolation et de ruine, couraient tout éperdus aux temples et se faisaient baptiser à qui que ce fut, le nombre des ministres ne suffisant pas à leur précipitation et à leur impatience. Mais prévenons de bonne heure l’ire de Dieu par notre amendement, et pendant que nous possédons encore sa grâce, retenons-la bien, de peur qu’elle ne se retire de nous tout-à-fait. Disons à notre Seigneur Jésus-Christ, comme les deux disciples quand il feignait de vouloir passer outre et de les laisser en Emmaüs : Seigneur, demeure avec nous, car le soir vient. Ce qu’ils disaient pour sa commodité, disons-le pour notre salut. Le soir vient, les ténèbres approchent. Seigneur, ne nous délaisse point. Ote-nous nos biens et nos aises, s’il est nécessaire pour nous sauver ; mais ne nous ôte point ta Parole, sans laquelle nous ne pouvons avoir ni consolation ni salut. Car si tu te retirais une fois de nous, avec ce gage précieux de ta sainte alliance, hélas ! Seigneur, que deviendrions-nous ? »

Après cette exhortation et ces menaces, il tourne les regards de ses auditeurs sur la miséricorde divine, promise à chacun d’eux puisqu’elle l’est, d’après le texte, aux plus grands pécheurs : « Il pardonne tant et plus. Embrassez sa miséricorde avec foi, et vous verrez incontinent, pour enflammés que puissent être vos péchés contre lui, ou ses indignations contre vos péchés, le feu s’en éteindre en vos larmes. » N’est-ce pas là, bien plus encore que la crainte, un motif de vous aller jeter à ses pieds ? Ne craignez plus sa justice ; elle ne menace que les cœurs endurcis ; elle n’a rien à faire avec les cœurs repentants. Que si votre repentance même est imparfaite, ne vous découragez pourtant point encore ; le regret que vous en avez lui tiendra lieu d’une plus grande perfection.

Analyse du sermon sur Amos 5.13 : L’homme prudent se tiendra coi en ce temps-là, car le temps est mauvais[a].

[a] Sermons sur divers textes, tome I, pages 484 à 509.

Exorde : Notre vie est une navigation sur la haute mer ; nous ne saurions nous passer d’une boussole : nous la trouvons dans la Parole de Dieu, toute pleine de conseils d’une prudence spirituelle. La parole d’Amos en est un. (Cet exorde est trop général et peut servir pour tout sujet. Ce qui suit est le véritable exorde.)

Les enfants de ce monde, à qui tout tourne à mal, s’endorment dans les jours tranquilles, se tourmentent dans les jours mauvais. L’orateur, s’attachant à cette seconde idée, leur oppose, sous ce rapport, le fidèle, qui est le prudent de notre texte : Il se tient coi. « Le prophète attribue cette docilité et cette modération d’esprit à l’homme prudent seulement, quand il dit : L’homme prudent se tiendra coi en ce temps-là, comme pour dire : Le téméraire, qui ne suit que le mouvement de sa chair et l’impétuosité de sa passion, s’agitera en soi-même, murmurera contre le jugement de Dieu, fera toutes sortes d’efforts pour échapper de ses liens, courra deçà, courra delà, pour avoir du secours, se portera à toute sorte de conseils violents et désespérés ; mais il n’en amendera pas son marché, car tant plus il regimbera contre l’aiguillon, tant plus il s’ensanglantera. Le prudent, au contraire, se tiendra coi en ce temps-là ; il subira doucement le joug qu’il plaira à Dieu de lui imposer et, reconnaissant que son mal lui vient de ses péchés, il en cherchera le remède en sa repentance. »

Ce que n’est pas le prudent de notre texte.

Ce qu’il est.

Les conseils de la vraie prudence sont méprisés par les enfants de ce monde ; ils suivent, au contraire, avec empressement, ceux de la fausse sagesse ; le fidèle s’attache à la prudence véritable et s’en trouve bien.

Le prudent (nous savons qui c’est) se tient coi, « c’est-à-dire qu’il ne s’enaigrira point en soi-même, qu’il ne murmurera point contre Dieu, qu’il ne s’endurcira point contre son châtiment, qu’il ne s’obstinera point en ses vices, en son orgueil, en sa vanité, en son ambition, en son avarice et en ses autres passions ; mais qu’il s’humiliera devant Dieu et qu’il portera patiemment son joug ; qu’il pleurera ses fautes et qu’il demandera grâce à Celui qui la lui peut donner, sachant que contre le bras de sa colère il n’y a point d’abri qu’aux pieds de sa miséricorde… »

(Cette idée de se tenir coi n’est point assez précisée ; elle se perd dans les idées circonvoisines. Toutes les idées morales se touchent et entrent plus ou moins les unes dans les autres ; il est très difficile de les distinguer et de les spécialiser ; mais le prédicateur doit le faire cependant, s’il veut instruire et être utile. Le Faucheur étend trop ici l’idée de repos : c’est en même temps l’humiliation du cœur, la soumission à la volonté de Dieu, la repentance, l’amendement, etc. Il aurait évité ce vague s’il avait rapproché cette parole de celle d’Ésaïe 26.20 : Va, mon peuple, entre dans tes cabinets et ferme ta porte sur toi ; cache-toi pour un petit moment, jusqu’à ce que l’indignation soit passée ; et s’il s’était borné à considérer le repos du fidèle dans son opposition à l’agitation du mondain. L’agitation est un mouvement inutile, irréfléchi, sans but, sans règle. Celui qui n’est pas soutenu de Dieu dans l’épreuve ne sait faire autrement que se livrer à cette agitation ; mais le fidèle la prévient ou la comprime. Elle est remplacée pour lui par le repos dans les actions, dans les paroles et dans les pensées. Dans toutes ces choses, Job ne pécha point, car il n’attribua rien de mal convenable à Dieu. (Job 1.22) Ce repos du fidèle n’exclut pas, du reste, l’action. Il aurait été utile d’opposer à l’agitation fébrile et toute pleine de péchés du mondain, l’activité du chrétien, à laquelle le repos donne son sceau.)

Exemples tirés de la Bible et de l’histoire des chrétiens. Ces exemples, dans leur diversité, sont destinés à expliquer les différentes manières de se tenir coi, ou les différentes parties du devoir.

L’orateur passe, avec le prophète, à la raison de se tenir coi : c’est que le temps est mauvais. Il est bon, sans doute, en tout temps de se tenir coi. Il n’y a qu’un être parfaitement pur, comme Jésus-Christ, qui ait pu s’émouvoir sans inconvénient : « Celui qui est entièrement pur, et de qui les affections sont comme une eau claire et nette, se peut émouvoir sans danger, comme notre Seigneur Jésus, qui s’est ému quelquefois en soi-même, mais toujours sans péché ; mais non pas nous, qui avons tous au fond de nos cœurs une bourbe épaisse et vilaine que le vice y a amassée, laquelle, sitôt que notre âme vient à s’émouvoir, se soulève et se mêle en toutes nos affections, les trouble, les infecte et les empuantit. »

Mais c’est surtout dans l’affliction qu’il faut se tenir coi : « Quand quelqu’un est malade, quand on le saigne, ou quand on lui fait quelque opération, ou quelque incision dangereuse, lors particulièrement il se doit tenir en tranquillité. Car en s’émouvant et en s’agitant, il se causerait à lui-même un très grand dommage. Ainsi, quand nous voyons que Dieu est irrité et que sa main est appesantie sur nous, c’est alors, plus que jamais, que nous nous devons tenir en humilité, en silence et en patience. C’est en ces occasions-là qu’il faut dire, avec Héli et avec David : C’est l’Éternel, qu’il fasse de moi tout de qu’il lui semblera bon, et à cela tend cet avertissement du prophète que nous venons de vous exposer. »

L’orateur indique le motif, et ne le développe que par ces deux images.

Nous pouvons bien, ajoute-t-il, nous appliquer cette parole ; car pour nous aussi le temps est mauvais. — Ici encore l’orateur ne fait qu’indiquer et ne développe pas. On le regrette d’autant plus que ces indications sont plus intéressantes et plus colorées. C’est une page remarquable. — Suit un tableau des afflictions de l’Église réformée, qui se rapporte peut-être au temps de trouble qui suivit la guerre civile de 1621. — La plus grande affliction est de voir que toutes les autres n’ont pas produit d’amendement. Le Faucheur rappelle une vision de saint Cyprien, applicable, selon lui, aux circonstances actuelles de l’Église :

« Aujourd’hui, véritablement, l’Église se trouve réduite en l’état qui fut représenté en vision à saint Cyprien, comme il le récite lui-même, quoique sans se nommer positivement, en une de ses épîtres au clergé et au peuple de Carthage. Il dit qu’il vit un père de famille assis, et tout le peuple qui était devant lui ; que ce père de famille avait à sa main droite un jeune homme tout pensif et tout triste, qui tenait sa tête appuyée sur sa main ; et à sa gauche un autre homme, qui sautait et qui tressaillait d’aise, tenant un grand filet, tout prêt à le jeter sur ce peuple, pour l’en envelopper entièrement, et cela par la permission de celui qui était assis sur la chaire ; et que, comme il demanda qui était ce personnage-là, il lui fut dit que ce père de famille c’était Dieu même, qui était là pour juger tout ce peuple ; que ce jeune homme qui paraissait si triste était notre Seigneur Jésus, qui s’affligeait de voir que ceux qu’il avait honorés de sa connaissance et de son baptême eussent si malheureusement attiré le courroux de Dieu sur leurs têtes, pour avoir méconnu sa visitation, reçu sa grâce en vain, déshonoré son Évangile, profané ses saints sacrements, maltraité ses serviteurs et foulé aux pieds ses censures ; et que celui qui était à sa gauche, si joyeux et si triomphant, était le diable, qui se réjouissait d’avoir obtenu la permission de se jeter sur ce peuple, et de le tourmenter par toutes sortes de tentations et de maux. »

Or que faisons-nous en ce temps d’affliction ?

« N’y en a-t-il pas parmi nous qui se réjouissent avec le monde, et qui courent après ses ballets, ses danses et ses mascarades ? N’y a-t-il pas des filles même qui se mêlent dans les débauches des adversaires, sans que ni la pudeur de leur sexe, ni la mémoire de leur baptême, ni le respect du nom chrétien, ni la calamité de ce temps, les puisse retenir ? O Dieu du ciel, est-il possible qu’il se trouve des personnes si insensibles à tes jugements, si impitoyables envers leurs frères et si furieusement acharnées à leurs maudites voluptés ; qui, pendant que tout l’air retentit des gémissements de tant de fidèles et que tous les démons déchaînés rôdent par la campagne et dansent, par manière de dire, sur les ruines de tes pauvres Églises, aient le cœur à des danses, à des mascarades et à de telles autres folies ? »

Que devrions-nous faire, au contraire ? Nous tenir cois, nous humilier, pleurer en silence et attendre la délivrance de l’Éternel ; ne point nous émouvoir des injures des adversaires, ne point contester, ce qui n’aurait pour effet que d’exaspérer leur haine, et si nos maux redoublent, ne point nous effrayer. Il ne nous arrivera aucun mal, si nous restons attachés à Dieu.

Quant à son Église, il est bien certain qu’elle ne peut périr. — Direz-vous : Mais il peut, du moins, la retirer de ce royaume ? — Sans doute il le peut ; mais nous devons espérer qu’après l’y avoir établie et maintenue avec tant d’affection, pour l’intérêt de sa gloire, il continuera à la protéger.

Vous direz que, même alors, il y aura sujet de mener deuil en la voyant si affligée et Babylone triomphante. Mais les afflictions extérieures de l’Église ne font rien à sa félicité, qui est tout entière au dedans. « Car comme la cour est toujours où est le roi, aussi le paradis est toujours où est Jésus-Christ. » Babylone a tout ce qui compose le partage des enfants du siècle, rien ne lui manque ici-bas, pas même un enfer : « Babylone a beaucoup de lustre et de magnificence, beaucoup de délices et de plaisirs ; mais elle a son enfer au dedans ; le prince de ce monde y règne et la malédiction de Dieu lui pend continuellement sur la tête. » Du reste, si elle boit dans la coupe des voluptés, tandis que nous buvons dans celle de l’amertume, elle finira comme nous commençons. Sa fin est la désolation, la fin de l’Église est la joie : « La vraie Église, après avoir beaucoup souffert en ce monde, non seulement sera délivrée de tous ses maux, mais se verra vêtue de magnificence et de gloire, et recueillie, avec son époux, dans les demeures éternelles de son paradis. C’est là, mes frères, ce que nous devons espérer et où nous devons aspirer, et ce qui nous doit faire tenir cois, parmi toutes les agitations de ce monde, et faire nous estimer bien heureux, même dans nos plus grands malheurs, sachant que nos misères et nos langueurs ne sont que pour un temps, mais que nos félicités et nos joies dureront éternellement. Ainsi soit-il ! »

Analyse du sermon sur Romains 8.27 : Nous savons que toutes choses aident ensemble en bien à ceux qui aiment Dieu[b].

[b] Sermons sur divers textes, tome II, pages 209 à 259.

Exorde : Notre texte contient fort peu de paroles, mais dont le sens est merveilleusement fécond… Tout ainsi que quand Dieu, à la prière d’Élie, voulut ouvrir le ciel, comme à sa prière il l’avait fermé, la nuée que ce prophète vit monter de la mer, en exécution de cette volonté favorable de Dieu, n’était pas plus grande que la paume de la main d’un homme, mais cependant en moins de rien elle couvrit le ciel de nuées et toute la terre de pluie : de même cette sentence, quoique fort briève, si vous la méditez attentivement, en moins d’une heure vous fera voir, par manière de dire, tout le ciel rempli des merveilles de la providence de Dieu en la direction et en la conservation de tous ceux qui l’aiment, et vos âmes seront arrosées de toutes parts des consolations de sa grâce. » — Rapide coup-d’œil sur les richesses du texte.

Division :

  1. Qui sont ceux dont parle l’Apôtre ? Ceux qui aiment Dieu.
  2. Qu’est-ce qu’il déclare ? Que toutes choses conspirent à leur bien.
  3. Comment le déclare-t-il ? Avec une pleine certitude : Nous savons.

I. Ces hommes sont qualifiés en d’autres termes dans les versets précédents. Ici l’Apôtre les appelle : ceux qui aiment Dieu. Veut-il dire que la cause de cette favorable dispensation, c’est leur amour pour Dieu ? Non, cet amour est trop divisé et trop faible. Veut-il fonder sur cet amour l’assurance de l’amour de Dieu ? Pas davantage : l’esprit des fidèles eux-mêmes est si inconstant ! (Voyez d’ailleurs les mots qui suivent immédiatement : Qu’il a appelés.) Pourquoi donc leur donne-t-il ce titre ?

1. Comme le plus beau qu’il puisse leur donner parmi tous ceux qui leur conviennent.

Il pourrait les appeler bien-aimés de Dieu. « Mais parce que plusieurs se flattent en cette opinion d’être les bien-aimés de Dieu, qui ne le sont point en effet, et que la marque assurée qu’ont les fidèles d’être les bien-aimés de Dieu, est l’amour ardent qu’ils lui portent, de la sincérité duquel leur propre conscience leur rend témoignage, l’Apôtre a mieux aimé exprimer ici ce dernier, comme celui auquel le vrai fidèle a la preuve certaine de l’autre, afin que chaque chrétien, sondant son cœur et y rencontrant cet amour, soit assuré par là qu’il est véritablement du nombre de ceux auxquels le Saint-Esprit promet en ce lieu que toutes choses leur aideront en bien. »

Il pourrait les appeler enfants de Dieu. Mais on prend pour tels les enfants de parents chrétiens, ceux que Dieu, à leur naissance, a enveloppés dans la « pourpre. » L’Apôtre a montré la réalité, la substance du titre, afin qu’on ne s’y trompe point.

Il pourrait les appeler saints. Mais on se croit saint à si bon marché. Le mot de l’Apôtre prévient toute équivoque.

Bref, le nom qu’il a choisi est, de toute façon, le plus beau.

2. Ce nom, qui est le plus beau, est aussi le plus convenable par rapport à l’idée du texte, en ce qu’il fait comprendre, sans autre moyen, pourquoi certains hommes supportent plus constamment toute sorte de tribulations : le principe de leur constance est l’amour qu’ils ont pour Dieu. — Preuve, par des raisonnements et par des exemples, que c’est en effet le vrai et seul principe de la constance ; l’espoir même de la rémunération n’y eût pas suffi :

« Les martyrs regardaient bien, je l’avoue, à la rémunération et à cette couronne de justice qui leur était réservée au ciel, après qu’ils auraient combattu le bon combat, gardé la foi et achevé leur course ; mais si avec cela ils n’eussent été enflammés d’un très ardent amour envers Dieu, jamais l’espérance d’un bien à venir ne les eût fait résoudre à la souffrance de tant de maux présents, et pour être un jour bienheureux, ils eussent eu beaucoup de peine à se rendre misérables dès cette vie. Car un mal présent (et combien plus une armée de maux et de maux les plus effroyables que puisse souffrir la nature humaine) frappe bien autrement notre imagination et nos sens que ne fait un bien à venir, et même un bien que nous ne voyons point et que nous ne saurions concevoir. Mais ils avaient une si éminente et si forte idée de l’objet unique de leur amour, et étaient tellement touchés des obligations infinies qu’ils avaient à l’aimer, que quand même à le servir et à porter la croix de son Fils il n’y eût eu autre avantage que de lui témoigner leur affection, ils la lui eussent témoignée fort volontiers, eussent-ils dû être consumés dans les tourments et être entièrement anéantis, comme des victimes immolées sur son autel. C’est donc justement que notre apôtre, pour désigner leur constance en la croix, nous l’a exprimée ici par sa vraie, première et principale cause, qui est l’amour de Dieu, amour dont les embrasements sont des embrasements de feu, et comme une flamme divine que beaucoup d’eaux et même les fleuves entiers des persécutions n’étaient pas capables d’éteindre… »

On regrette que Le Faucheur n’ait pas développé cette magnifique idée.

II. Avantage assuré à ceux qui aiment Dieu. L’orateur cherche :

  1. Ce que saint Paul entend par bien ;
  2. Ce qu’il veut exprimer par les mots toutes choses.

1. Chacun de ces mots a divers sens dans l’Écriture ; mais ici le mot bien s’entend du bien de l’âme ; car, d’un côté, c’est le sens qu’il a dans tout ce chapitre, et d’un autre côté la pensée de saint Paul se trouverait fausse si le mot bien s’entendait ici des biens de la terre, dont les fidèles sont très souvent privés. Dieu les leur accorde quelquefois dans des vues de sagesse et montre qu’il pourrait les en combler habituellement : Joseph, David, Daniel, Mardochée. Mais le contraire se voit plus souvent.

2. A ce bien spirituel des fidèles conspirent toutes choses, soit qu’on entende par là : a) toutes les choses du monde ; b) toutes celles (ou plutôt : et même celles) dont saint Paul a parlé dans les versets précédents (26-27).

a) Dans le premier sens, toutes les œuvres de la création et toutes les dispensations de la Providence conspirent à leur bien ; car toutes les œuvres de la création servent, non seulement à la commodité de leur vie, mais à leur instruction, à la joie et au salut de leur âme (la mer, la terre, l’air, le feu, leur propre corps, etc.) ; — et toutes les dispensations de la Providence sont pour eux autant de sujets d’adorer la sagesse et la justice de Dieu. On peut dire que, dans ce sens, les prospérités et les revers, les grâces spirituelles et même les tentations, leur tournent à bien.

b) Dans le second sens, cela est encore vrai ; car les choses mêmes mentionnées par l’Apôtre conspirent, avec toutes les autres, à leur bien. Il s’agit ici de ces afflictions dans lesquelles le fidèle, accablé, n’a même plus la force de former une prière distincte ; mais Dieu entre avec lui dans cette fournaise, et alors, plus l’affliction a été amère, plus le fruit en est précieux. Leur conscience est réveillée par ces grands coups ; ils sont efficacement privés des plaisirs de la terre ; leur orgueil est humilié.

Voilà ce qu’ils éprouvent dans les afflictions qui leur sont communes avec les méchants ; quant à celles auxquelles ils sont exposés comme chrétiens, il est encore plus vrai que toutes choses aident ensemble à leur bien. La plus fâcheuse de ces afflictions (on voit qu’il parle pour les grands du parti) est la privation des honneurs du monde ; mais s’ils la prennent comme il faut, elle leur est très salutaire. 1° Elle les préserve de diverses tentations. 2° Elle les forme à l’humilité. 3° Elle les fait aspirer plus ardemment à la gloire du siècle à venir. — On en peut dire autant de l’exil. Non seulement on trouve souvent dans l’exil (témoin Daniel, Néhémie, Mardochée) plus de bien qu’on n’en a quitté ; mais, ce qui est plus considérable et plus constant, 1° l’exil les empêche de s’enraciner trop en la terre ; 2° ce leur est une occasion de penser à leur véritable patrie. — Il y a encore la pauvreté. Dieu permet que le monde les dépouille comme des morts, car aussi sont-ils morts au monde ; » mais c’est 1° les délivrer de pesantes entraves, et 2° leur apprendre à ne point mettre leur fiance en l’incertitude des richesses. (Remarquons ici combien les sermons de ce temps sont empreints d’actualité, combien l’abstrait devient partout concret.) — Il y a aussi les prisons ; « mais, parce qu’il y entre avec eux, ainsi qu’il est dit de Joseph, et qu’elles ne sont jamais si étroites qu’il n’y ait assez de place pour son Esprit et pour ses consolations, ils y entrent, pour l’amour de lui, avec joie, ils y chantent ses louanges avec saint Paul et avec Silas et emploient le loisir qui leur est donné, à l’écart du tabut du monde, à méditer les grandes grâces qu’ils ont reçues du ciel et la gloire qui les y attend. Là ils jouissent, malgré le diable et le monde, de cette douce et précieuse liberté que Jésus-Christ leur a acquise, dont ils s’estiment infiniment heureux, nonobstant leur captivité corporelle, et ont pitié de ceux qui les tiennent aux fers comme de ceux qui, pensant tenir les enfants de Dieu prisonniers, sont eux-mêmes les prisonniers et les esclaves du diable. Ainsi la prison et les ceps, quoique choses très funestes de leur nature, leur tournent en consolation et en joie. » — D’autres fois, c’est la douleur corporelle mêlée d’ignominie ; mais cela augmente leur flamme, au lieu de l’éteindre. — Enfin, la mort dans son plus terrible appareil. Mais cette mort, qui semble résumer et renfermer tous les maux, résume et renferme pour eux tous les biens ; elle leur est désirable ; et si parfois, se présentant avec toutes les circonstances les plus effrayantes, elle fait frissonner leur chair, l’Esprit les rassure par cette voix qu’il leur fait entendre du ciel : Bienheureux sont les morts qui meurent au Seigneur !

III. N’est-il pas bien important d’avoir d’un si grand bien une pleine assurance ? Aussi l’Apôtre l’avait-il : Nom savons. — Nous savons, dit-il, et non je sais, parce que cette assurance est commune à tous les fidèles.

1. Nous le savons par tes promesses générales que Dieu fait dans sa Parole à ceux qui l’aiment.

2. Nous le savons par ses promesses particulières à ceux d’entre eux qui sont affligés.

3. Nous le savons parce que, par delà ces délivrances externes, il nous promet une éternité de joie en son paradis.

4. Nous le savons par la nature même de Dieu : « S’il en était autrement, Dieu ne serait point ce qu’il est, c’est-à-dire tout-bon, tout-juste, tout-sage, tout-puissant. Car un Dieu infiniment bon ne saurait avoir le courage d’abandonner ses enfants en leurs maux, de les laisser en proie à leurs ennemis. Un Dieu souverainement juste ne saurait oublier leur travail, ni manquer aux promesses qu’il leur a faites de sa grâce et de son salut. Un Dieu, enfin, tout-sage et tout-puissant ne saurait être empêché par aucun effort ni par aucunes ruses de nos ennemis et des siens, de nous amener à la fin à laquelle il nous a destinés ; et il saura bien, quand il en sera temps, tirer des ténèbres de nos ennuis la lumière de notre consolation, et des machines dressées pour notre ruine faire des instruments de notre salut. »

5. Nous le savons par une foule d’exemples dans l’histoire sacrée.

6. Nous le savons enfin par le témoignage de l’Esprit à nos cœurs et par notre propre expérience.

Conclusion : Nous voudrions que vous emportassiez toutes ces vérités. Emportez, du moins, deux doctrines : « l’une, que les vrais chrétiens ne sont pas ceux qui ont été baptisés en l’église, qui viennent au prêche, qui chantent les psaumes, etc., mais ceux-là seuls qui aiment Dieu et qui s’estiment heureux de le glorifier par leur vie et par leur mort ; l’autre, que nous ne nous devons jamais troubler, en quelque situation que Dieu nous mette. » — Application à différents cas particuliers.

Ces analyses étaient destinées à faire connaître et apprécier Le Faucheur sous le rapport des plans, de la structure générale du discours et de l’invention, il ne semble pas en résulter qu’il ait été doué d’une force remarquable de conception et de combinaison. Ses vues ne sont pas profondes, ses analyses ne sont pas savantes ; mais ses idées sont en général très justes, ses plans rationnels, son ordre lucide, son exposition abondante sans diffusion. Le Faucheur explique supérieurement bien. Voyez, par exemple, le vingt-deuxième de ses Sermons sur les Acte des Apôtres et aussi le trente-cinquième. Nous citons un passage de ce dernier :

« Demandez-vous que c’est que firent là-dessus les apôtres ? Notre historien nous le montre quand il ajoute : Ayant ouï cela, ils entrèrent, environ le point du jour, au temple et enseignaient. S’ils se fussent adressés à quelques sages mondains, pour prendre leur conseil sur ce qu’ils devaient faire, ils leur eussent dit sans doute : Eh ! pauvres gens, que prétendez-vous faire ? Pourquoi vous opiniâtrez-vous à une chose impossible et que l’expérience vous montre être si dangereuse pour vous ? Vous ne faites que commencer et vous avez déjà été emprisonnés deux fois ; vous en êtes échappés ; mais pensez-vous qu’il en arrivera toujours de même ? Votre maître était bien échappé plusieurs fois de la main de ses ennemis ; mais à la fin vous voyez ce qui lui en est arrivé, et doutez-vous qu’il ne vous en arrive enfin autant ? Vous avez gagné quelques milliers de personnes ; mais qu’est-ce que cela dans une grande ville comme celle-ci ? Et puis ne savez-vous pas que c’est que d’un peuple ? N’avez-vous pas vu ceux-là mêmes qui avaient crié Hosanna à votre maître, trois jours après crier comme des enragés contre lui : Crucifie, crucifie-le ! Et pensez-vous qu’à la fin ceux-ci ne vous en fassent pas de même ? Et cela arrivant, que deviendra cette levée de boucliers que vous avez faite ? Que deviendra et votre Église et votre religion après vous ? Quand même cela n’arriverait pas, considérez quelle apparence il y a que vous veniez jamais à bout d’un si vaste dessein que le vôtre. Vous vous imaginez d’amener toute la Judée, et non la Judée seulement, mais toute la terre habitable à l’obéissance de votre Jésus ; mais si, à chaque pas que vous pensez avancer, vous êtes pris, arrêtés et emprisonnés, comme vous avez été déjà par deux fois, combien seront lents vos progrès pour l’exécution d’un dessein auquel, quand vous n’auriez nul obstacle, à peine suffirait toute votre vie ? Et si, dans une seule ville, vous rencontrez d’abord tant de difficultés, combien en pensez-vous rencontrer en chacune des autres de la Judée, de la Samarie et de la Galilée ? Mais que sera-ce lorsque vous vous adresserez à ces grandes villes païennes de Rome, d’Antioche, de Corinthe, d’Éphèse, d’Athènes ? Ne vous assommera-t-on pas dès que vous ouvrirez la bouche contre le service de leurs dieux ? Non, non, retirez-vous de bonne heure et ne tentez pas le sort plus avant, mais pourvoyez à votre sûreté pendant que vous le pouvez faire.

C’est là infailliblement le conseil qu’ils leur eussent donné. Mais ces saints hommes n’ont pas cru devoir consulter la chair et le sang en une affaire de cette qualité ; toutes ces pensées-là ne leur sont pas venues en l’esprit, ou si elles leur y sont venues, ils les ont rejetées avec une résolution digne d’eux, et avec un courage tout plein de zèle à l’honneur de leur maître et à l’avancement de son règne, et ont dit en eux-mêmes : Nous savons bien toutes ces choses-là et n’ignorons pas les combats, les injures et les opprobres que nous avons à essuyer au cours de notre ministère ; mais Dieu qui nous a mis en œuvre sera celui qui nous protégera contre tout ce que la terre et l’enfer pourraient machiner contre nous. Si nous mourons pour son service, nous nous en estimerons bien heureux ; mais tant qu’il lui plaira se servir de nous en nos charges, nous le servirons avec courage en dépit des hommes et des démons. — Ils n’ont point hésité là-dessus, ni n’ont point pris de temps pour se résoudre ; car, comme le bienheureux martyr Cyprien disait au proconsul, qui le sollicitait à abandonner Jésus-Christ et l’exhortait d’y bien penser : En une chose de cette nature il n’y a rien à délibérer. Dès ce matin-là même, et même, comme dit saint Luc, dès le point du jour, ils sont allés au temple, et se sont mis à enseigner le peuple avec le même a courage qu’auparavant : tant était grande la vertu de l’Esprit qui les animait. Et ainsi Dieu a puissamment accompli en eux tout ce qu’ils lui avaient demandé, disant : Donne à tes serviteurs d’annoncer ta parole avec toute hardiesse[c]. »

[c] Sermons sur les onze premiers chapitres des Actes des Apôtres. Genève, 1663. Tomme II, pages 603 à 611.

Le Faucheur, remarquable sous le rapport de la proportion des membres du discours, l’est aussi par sa marche continue et rapide, son style éminemment actif. La continuité et le mouvement le distinguent entre tous. Du point de départ au terme, il semble qu’il ne touche pas terre ; on le dirait soulevé et soutenu au-dessus du sol, porté et poussé tout à la fois par un souffle puissant. Il n’a pas et ne donne pas à son lecteur un moment de distraction et, comme un vaisseau en course, il longe les rivages sans permettre aux passagers de prendre terre.

Vel mare per medium fluctu suspensa tumente[d]
Ferret iter, celeres nec lingeret æquore plantas.

[d] Virgile, l’Énéide, chant VII.
Ou, suspendue à une vague gonflée, elle aurait pu marcher
En pleine mer, sans y tremper la plante de ses pieds agiles.

Quant à la nature même des idées et des sentiments qui composent le fonds de son éloquence, ils sont élevés et saints comme la Bible où il les puise ; mais on oserait dire qu’il réagit peu sur la vérité, qu’il y mêle peu de sa propre substance. On est étonné, en lisant un orateur qui a pourtant beaucoup d’âme, du peu de détails qu’il offre sur la vie intérieure. Comme les autres prédicateurs réformés de cette époque, il est à genoux devant la Bible et ne vent pas savoir autre chose que ce qui est écrit. Il dit comme Archimède : « Donnez-moi un point d’appui, et je soulèverai la terre. » Cela est infiniment respectable. Toutefois, si l’on veut donner de la réalité aux injonctions de la morale, si l’on veut non seulement nous convaincre, mais nous pénétrer, il faut nous parler de nous-mêmes en nous parlant de Dieu, il faut nous révéler à nous-mêmes[e] Faute de cela, si opulente que soit la Bible, on en sort non rassasié.

[e] Meque mihi reddat amicum, meque mihi ostendat. (Il me faut un ami, et un ami qui me révèle à moi-même.)

Les prédicateurs catholiques contemporains sont, sous ce rapport, de beaucoup supérieurs à leurs émules de la chaire protestante. Les peintures vives, intimes, délicates, de l’homme en état de péché ou en état de grâce, abondent chez eux. Le Faucheur et Mestrezat savent bien parler à la conscience, mais celle-ci est plus simple que le cœur ; elle dit oui ou non. La vie du cœur, la vie intérieure, est plus compliquée et plus difficile à observer : c’est une succession de sentiments, de vœux et de regrets, où s’entrelacent le vieil homme et le nouvel homme. Les protestants avaient à remettre le flambeau sur le chandelier : c’est le côté objectif de la religion qui domine chez eux, tandis que le côté subjectif leur est peu familier.

Cette lacune frappe d’autant plus, chez Le Faucheur, qu’il a toujours en vue l’application, vers laquelle il court avec empressement, et que partout il s’adresse directement et vivement à la volonté. Dans ses explications les plus détaillées et les plus étendues, on sent toujours cette tendance. Toute sa prédication n’est qu’une instance auprès du pécheur, instance vive jusqu’à la véhémence, mais non jusqu’à l’emportement. — « Il est de mon devoir, pendant que je suis dans cette tente, de vous réveiller par mes avertissements. Sauvez-vous du milieu de cette génération perverse ! Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve ! Rachetez le temps, car les jours sont mauvais. » C’est sous l’inspiration de ces paroles que Le Faucheur semble avoir constamment prêché.

Sa diction est assortie à ces caractères. Elle est vive et prompte, sans avoir la concision sentencieuse de celle de Du Moulin ; mais le fil n’en est jamais rompu et renoué. Il faut quelquefois, en lisant Du Moulin, suppléer les liaisons ; jamais en lisant Le Faucheur. Il n’affecte cependant pas la période et ne semble pas en avoir approfondi les mystères ; on le voit assez souvent s’embarrasser et se perdre dans les longues phrases.

Son allure est toujours franche et directe. Il se présente toujours en face, jamais de profil. Constamment il fait front à son sujet et à son auditoire. Ses tournures ne sont pas très variées, et les figures qu’on peut appeler oratoires ne jouent pas un grand rôle chez lui ; mais ses mouvements sont extrêmement vrais, et la vérité exclut la monotonie.

Sa parole est ferme et incisive, plus passionnée que colorée. Le Faucheur ne manque pas d’imagination ; mais elle se montre moins dans les figures de mots, ou métaphores incorporées à la diction, que dans les comparaisons, ou figures de pensées. Il a, comme Du Moulin, beaucoup de comparaisons ou de similitudes, tantôt familières, tantôt nobles, jamais pompeuses : le genre de Mascaron lui est étranger. Dans un discours travaillé, l’Exhortation à la repentance, il y a des traits d’esprit un peu recherchés, mais guère ailleurs. Il emprunte la plupart de ses rapprochements à la Bible, dont il fait un usage aussi heureux qu’abondant.

La chaire protestante a dès lors trop négligé les images : nous avons été iconoclastes en cela comme en tout. Il ne s’agit pas d’adopter un style fleuri, le plus pitoyable de tous les styles ; il s’agit de peindre la pensée, ce qui n’est superflu pour personne, mais est surtout utile aux moins instruits. Les images fixent l’idée dans l’esprit avec un clou d’or ; il ne faut pas les confondre avec les analogies louches et fallacieuses de certains prédicateurs, qui font d’une comparaison une raison.

Le style de Le Faucheur a cette qualité que les Allemands nomment Anschaulichkeit ; il traduit volontiers l’abstrait en concret ; il a beaucoup de ces détails que les anciens appelaient lumina orationis : traits historiques, scènes, tableaux ; mais il a peu de dramatique proprement dit.

La langue de Le Faucheur est plus châtiée et plus moderne que celle de Du Moulin ; il est en avant de cinquante années, sous ce rapport, sur Mestrezat, son cadet de sept années. Il eut, dans ce moment de crise, le mérite bien rare de savoir choisir dans l’ancienne langue ce que l’avenir devait en garder, et dans les nombreuses expressions nouvelles, celles que l’avenir devait adopter. C’est par un mérite semblable que Pascal, contemporain de Le Faucheur, mais beaucoup plus jeune (1623-1662), s’est acquis la gloire d’avoir fixé la langue. Il l’a fait, non en introduisant des mots nouveaux ou des constructions nouvelles, mais en donnant le sceau de son génie à une langue qui existait déjà, et que nous trouvons dans Le Faucheur.

Nous pouvons faire connaître Le Faucheur par un de ses discours, où il semble qu’il ait rassemblé toutes ses forces et réuni, autant qu’il pouvait le faire dans un seul sujet, les différents caractères de sa prédication. Si l’on faisait un recueil où chacun des prédicateurs de l’Église réformée serait représenté par un de ses discours, Le Faucheur devrait l’être par celui-ci. C’est le sermon déjà rappelé, connu sous le nom d’Exhortation à la repentance, sur Joël 2.11-13, prêché à Montpellier en 1618, en un jour de jeûne, revu dès lors par l’auteur avec beaucoup de soin, et plusieurs fois réimprimé. Nous en ferons l’analyse et en détacherons quelques-unes des pages les plus remarquables : elles le sont presque toutes[f].

[f] Ce discours n’est qu’use application de plusieurs discours précédents sur le même texte. Il se trouve dans le premier volume des Sermons sur divers textes, pages 353 à 435.

Texte : Certainement la journée de l’Éternel est grande et fort terrible, et qui la pourra soutenir ? Maintenant donc aussi retournez-vous jusques à moi de tout votre cœur, et en jeûne et en pleurs, et avec lamentation. Et rompez vos cœurs et non point vos vêtements, et retournez à l’Éternel votre Dieu, car il est miséricordieux et pitoyable, tardif à colère et abondant en gratuité, et qui se repent d’avoir affligé.

Exorde : L’homme meurt comme la bête, mais il doit revivre ; il pèche comme l’ange, mais il peut se pourvoir en grâce : d’où il résulte que s’il ne profite pas de la grâce offerte, sa condition est pire que celle de l’ange de ténèbres. Dieu ne demande pas notre mort, mais notre conversion ou notre retour à lui. C’est à quoi tend ce texte, qui nous invite à considérer :

  1. Nos ingratitudes ;
  2. La journée de Dieu qui nous menace ;
  3. Le moyen que nous avons de détourner l’effet de cette menace.

I. Nos ingratitudes. — L’orateur passe en revue les grâces de Dieu, en commençant par les plus générales (ou communes à tous les hommes) : « Il n’y a point de doute qu’entre toutes les créatures, les natures intelligentes ne soient celles qui ont le plus d’obligation à Dieu, parce qu’elles ont reçu de lui un entendement propre à le connaître et une volonté capable de l’aimer ; entre les natures intelligentes, les hommes, dont le Fils de Dieu, notre Emmanuel, a joint à soi la nature par une union hypostatique ; entre les hommes, les chrétiens, sur lesquels particulièrement il a répandu la connaissance de sa grâce, comme la rosée du ciel sur la toison de Gédéon, tout le reste de la terre demeurant sec ; entre les chrétiens, ceux de la religion réformée, qu’il a tirés de Babylone, de peur que, participant à ses péchés, ils ne participassent aussi à ses plaies ; entre les réformés, ceux de France, qu’il a miraculeusement conservés parmi tant de déluges et tant d’embrasements, sans souffrir altération ni mélange quelconque, en la première pureté de leur créance ; entre ceux de France, ceux de cette Église, qui est, sans doute, l’une des plus signalées de ce royaume, tant pour le nombre des fidèles dont elle est composée, que pour le bénéfice de la sûreté à l’ombre de laquelle elle se repose, et pour tous les ornements particuliers dont elle est enrichie. Ces obligations sont de telle importance que si nous n’étions plus froids que la glace, nous en serions tout embrasés d’amour et de dévotion envers lui ; il n’y aurait en nous ni pensée ni désir qui ne tendit vers lui ; tout notre soin serait de lui plaire, toute notre crainte de l’offenser ; enfin, toute notre vie serait comme un perpétuel et indissoluble tissu d’ardente piété, d’intime charité, d’inviolable sainteté, comme de vrais zélateurs de sa gloire. Mais, hélas ! s’il faut que je fasse voir combien il s’en faut que cela ne soit, par où commencerai-je ? Car ces trois vertus se plaignent également de notre mépris et de nos injures. »

Tant de bienfaits exigent donc de nous : piété, charité et sainteté. (Cette division est artificielle.) Ils ont obtenu tout le contraire. Voyons d’abord :

1. La piété, qui se compose d’amour, de crainte, d’honneur, d’obéissance.

a) L’amour. Qui aime se souvient, et il ne nous faut pas moins que les châtiments de Dieu pour nous faire souvenir de lui. « Nous avons des cœurs de roche et de pierre, d’où ne sortent, que quand il les frappe, des eaux de repentance et des étincelles d’amour. » — Qui aime parle volontiers de l’objet aimé : nous en parlons peu, ou nous en parlons mal. — Qui aime se donne de la peine pour l’objet aimé : nous ne supportons pas pour Dieu la moindre incommodité. La perspective même de son royaume ne saurait surmonter notre paresse. — Qui aime donne : nous sommes avares pour Dieu, quoique nous ne puissions nous excuser sur notre pauvreté :

« Quand il est question de gagner le cœur d’une personne qui a gagné le nôtre, nous n’y plaignons chose du monde ; l’amour ne sait ce que c’est que d’épargner ; nous arracherions, s’il était possible, nos propres yeux pour les lui donner, et c’est de cette façon que les Galates aimèrent autrefois saint Paul. Trouvez-m’en aujourd’hui parmi nous qui soient de cette humeur envers Dieu, ou qui voulussent faire pour le Dieu du ciel la centième partie de ce qu’ont fait jadis ou les Israélites pour un veau d’or, ou entre les païens chaque nation pour ses dieux. Misérable religion, qui ne peut seulement extorquer un denier, quand la superstition obtient si facilement des talents et des trésors immenses ! Ne nous excusons point sur notre pauvreté ; car, quand il faut dépenser en vaisselle d’argent, en superbes habits, en magnifiques bâtiments, en jeux et en débauches, nous trouvons bien de quoi le faire. Ce n’est que pour Dieu que nous sommes pauvres. Ce que nous donnerions pour une sale volupté, nous serions bien marris de l’avoir employé pour la gloire de Dieu, et d’avoir dépensé pour l’édification de son temple ce que nous dépensons pour l’ornement de nos parois. C’est à d’autres, et non pas à nous, que Salomon doit dire : Honore l’Éternel de ta substance et des prémices de tout ton revenu. Notre substance et notre revenu sont engagés ailleurs : Satan, la chair, le monde ont trop d’hypothèques dessus. Et puis nous disons que nous aimons Dieu ! »

b) La crainte. Nous ne craignons pas Dieu, car nous faisons en sa présence tout ce qui l’offense.

e) L’honneur. Le craignant si peu, il ne faut pas s’étonner si nous ne l’honorons pas. Nous en faisons seulement semblant, et encore c’est tout au plus. Abus que nous faisons de son nom. Jurements (long développement). Mais si notre langue est mauvaise, notre vie est pire. Ceci conduit à parler de l’obéissance.

d) L’obéissance. Nous obéissons à un homme mortel plus qu’à Dieu, qui voit tout et qui peut tout : « Voulez-vous un exemple ? Il y a plus de trois mille ans que Dieu a défendu les blasphèmes et les duels sous les plus formidables, peines qui se puissent imaginer. Et toutes ses défenses n’ont pu empêcher que tout ne regorgeât, je ne dis pas parmi les infidèles, je dis parmi nous, de blasphémateurs et de misérables, qui, pour une parole, s’allaient égorger sur le pré. Le roi, par des édits nouveaux, a défendu ces mêmes blasphèmes et ces mêmes duels, et incontinent tout le monde a eu peur de se mettre en peine en blasphémant ou en s’allant battre. Pourquoi ? Parce que le roi a parlé. Aussi avait fait notre Seigneur et par des édits plus sévères ; mais nous n’avons autre roi que César. »

2. La charité. Il passe en revue les différentes marques de la charité, et fait voir que chacune nous trouve en défaut.

a) Pardon des ennemis.

b) Assistance des pauvres. « Il n’y a pas longtemps, dit l’orateur, que je sers cette Église. J’ai vu toutefois qu’on faisait des aumônes au double, voire au triple de ce qu’on en fait maintenant. D’où vient un si soudain et si grand refroidissement de notre charité envers nos frères ? D’où vient que, n’étant tous considérables que par l’image de Dieu et par la communion de l’Église, nous méprisons ainsi ceux qui ont, aussi bien que nous, Dieu pour leur père et son Église pour leur mère ? D’où vient que Christ ayant un si grand soin de nous, nous en avons si peu de ceux qu’il nous a commandé, non seulement d’aimer comme nous-mêmes, mais de traiter ni plus ni moins que sa propre personne, promettant d’agréer tout le bien que nous leur ferons comme s’il était fait à lui-même. Nos chevaux, nos chiens, nos oiseaux sont bien nourris dans nos maisons ; ils y sont logés commodément ; ils y ont leurs provisions nécessaires, et des hommes même qui les pansent et qui leur donnent soir et matin ce qu’il leur faut. Et cependant le pauvre, transi de froid et mourant de faim, languit au milieu de la rue, où il envie la condition de ces bêtes, pour avoir, comme elles, le couvert chez nous, et pour y recueillir au moins les miettes qui tombent de nos tables. Inexorables et dénaturés que nous sommes ! Les chiens du mauvais riche ont bien léché les plaies de Lazare, au lieu que nous détournons nos yeux de la calamité de nos pauvres frères ; et les corbeaux ont bien porté de la chair à Elie (car ces animaux carnassiers, encore qu’ils l’apportassent entre leurs griffes et dans leur bec, l’ayant reçue pour lui, n’ont osé la dévorer eux-mêmes), et nous, à qui notre Seigneur départ, comme à ses aumôniers, ses bénédictions temporelles pour les distribuer aux pauvres, nous les en fraudons, comme s’ils n’y avaient aucun droit, ou comme si jamais nous n’avions à en rendre compte ! O prodige de barbarie ! Les bêtes ont pitié des hommes, les hommes ont pitié des bêtes ; et nous, pires que les bêtes, quoique portant ce doux nom d’hommes, nous traitons les hommes plus mal que les bêtes ! »

c) Justice. Sommes-nous justes du moins ? Non. Et comment s’étonner si, la justice et la charité manquant, on voit manquer la concorde ?

d) Concorde. Et ce manque de concorde est notre ruine, et il nous rend les auxiliaires de nos ennemis.

3. La Sainteté. « Reste la sainteté, dont les nouvelles ne seront pas meilleures que celles des autres, puisque nous n’avons plus du tout de sainteté. »

a) Il y a longtemps que nous l’avons bannie de chez nous et que nous avons mis en sa place la vanité, le libertinage et l’impudicité ! S’il n’en était pas ainsi, verrait-on les chrétiens repaître leurs esprits et leurs sens des gestes scandaleux et des paroles infâmes du théâtre ? verrait-on les mères mener leurs filles à ces écoles de désordre et d’impureté, pour y voir le vice sans masque, pour s’y apprivoiser avec le péché, pour en recevoir avec plaisir les impressions dans le cœur, et pour y apprendre, en un mot, des choses que tontes les remontrances et toutes les censures des pères et des mères, ni des pasteurs, ni de toute l’Église, ne leur fassent jamais oublier ? Car c’est là ce que a nous voyons tous les jours parmi nous. »

Il est vrai que nous fréquentons aussi les temples ; mais est-ce une excuse et une compensation ?

b) D’ailleurs, la sainteté manque aussi dans le culte, elle manque pendant et après.

Nous nous fâchons contre la parole de Dieu et contre ceux qui l’annoncent : « Tantôt, dit l’orateur, les prêches vous semblent trop courts, quoiqu’il n’en soit jamais de si court que vous en reteniez la dixième partie, que vous en fassiez la centième ; tantôt vous les trouvez trop longs, et toutefois ce vous ne trouvez pas trop longs les festins, ni la comédie, ni le bal. Mais Dieu vous est à charge, surtout dans les censures de vos vices, dont bien souvent votre superbe et impatiente délicatesse s’irrite contre vos pasteurs, comme si, en vous disant la vérité, ils devenaient vos ennemis…

Quant aux prières que vous y faites, j’ai honte d’en parler, tant la plupart de vous y apportent peu d’attention, d’humilité, de zèle. Vous demandez à Dieu qu’il soit présent à vos prières, et vous-mêmes ne l’êtes point…

Vous chantez les psaumes de David, c’est-à-dire, à ne rien flatter, vous y exercez vos gosiers, et vos âmes sont là qui se taisent, sans dévotion et sans zèle : et vous croyez que Dieu se paie de cela ?

Non, non, chantez si haut et d’une voix si mélodieuse que vous voudrez, si cependant vos yeux se détournent par des regards illicites et vos esprits par des pensées profanes, au lieu de lui psalmodier en vos cœurs, il ne prend non plus de plaisir à tout votre chant qu’à la musique exécrable des idolâtres, aux chants profanes des mondains, ou aux cris que faisaient jadis les troupes des Bachantes ou les prophètes de Baal. »

Manque de sainteté, enfin, dans la conduite au sortir du temple.

En somme, que reste-t-il de cette fréquentation du culte ? « Vous avez reçu le baptême, dites-vous ; mais il vaudrait mieux pour vos pères et vos parrains, qui ont été vos cautions envers Dieu, et il vaudrait mieux pour vous que vous n’eussiez point été baptisés. Car, je vous prie, de quoi vous sert que vous ayez été baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, si vous avez à tout propos celui du diable à la bouche ? Vous faites la cène, il est vrai ; mais toutes les fois que vous la prenez, n’y prendriez-vous pas votre jugement, si notre Seigneur n’usait envers vous d’une indulgence extraordinaire ? Vous y venez sans préparation, vous y participez sans dévotion, et vous vous en retournez sans consolation, l’avare à ses usures, le chicaneur à ses procès, le dissolu à ses débauches. » En un mot, le nom de la religion partout, sa réalité nulle part.

Digression sur les mariages illicites ou mixtes :

« Jésus-Christ n’y est point appelé. Il aime trop les siens pour consentir qu’ils se mésallient ainsi honteusement. Au contraire, il maudit toute alliance avec les infidèles, parce que les liens en sont tissus de la propre main du diable, qui, comme cet ancien tyran, par une cruauté raffinée, joint un corps mort avec un corps vivant, non pour ressusciter le mort, ce qui est impossible par la nature, mais pour mettre à mort le vivant, ce qui est ordinaire par votre lâcheté. Encore est-ce flatter celui de la pure religion que de l’appeler vivant, quand il s’allie à une partie infidèle, vu que tous deux sont en égale indifférence pour la religion, ou tous deux contempteurs de la leur, et par conséquent également morts. »

c) Où trouverons-nous la religion ? Sera-t-elle au moins dans les temples ? Confusion, dispute pour les bancs, pour les rangs. Il n’y a qu’une chose où nous nous montrons zélés, c’est à nous emparer du timon des affaires.

En bref, tout le monde est coupable, les uns de faire le mal, les autres de le supporter. « Il ne se trouve plus aujourd’hui de juste Lot, qui afflige son âme pour les abominations de Sodome, qui déchire sa robe pour les blasphèmes, qui s’intéresse en l’honneur de son Dieu. Si, ce que Dieu ne veuille, la voûte de ce temple, sous laquelle si longtemps, mais si inutilement, ont retenti nos remontrances, venait à fondre sur nous, elle ne pourrait tomber sur aucun innocent. Car il n’y a personne, de quelque vocation, de quelque âge, de quelque sexe que ce soit, de qui le cœur, les mains, les yeux ou les oreilles ne soient coupables, ou de ses propres fautes, ou du moins de celles d’autrui. »

II. La journée de Dieu qui nous menace. — Comment les grâces de Dieu, temporelles et spirituelles, pourraient-elles être continuées à des ingrats tels que nous ? Comment le jour terrible du Seigneur ne viendrait-il point ? Il est bien venu pour Jérusalem ; il est bien venu pour les premières Églises chrétiennes[a] ; il viendra pour nous.

[a] Cf. Fénelon.

Prédictions de l’orateur : « Vous êtes sous un gouverneur et des consuls de la religion, qui ont tellement charge en la ville qu’ils sont aussi comme les anges gardiens de l’Église. Ce vous est un bonheur que vous ne sauriez assez estimer ; mais il faut nécessairement ou que vous vous changiez ou que vous le perdiez, ou il n’y aurait point de Dieu dans le ciel. Car, après tout, c’est trop abuser de sa grâce et de sa bonté, pour espérer qu’il patiente davantage. Vous avez aujourd’hui, par sa faveur et sous le bénéfice des édits du roi, des juges non suspects pour protéger vos biens, vos honneurs et vos vies, contre l’injure, contre l’oppression et contre la fureur de vos ennemis. Mais tôt ou tard, si vous ne vous convertissez à Dieu, il vous les ôtera et vous en donnera d’autres, envers qui être de la religion, voire le seul soupçon d’en être, fussiez-vous l’innocence même, vous rendra criminels plus que tous les criminels de la terre. Vous avez maintenant la pure parole de Dieu, qui vous est prêchée publiquement au cœur de votre ville, chaque jour de l’année. Un jour viendra que vous en aurez disette, par la juste indignation de Celui qui ne peut laisser impuni le mépris de ses commandements. Alors, vous trotterez depuis une mer jusqu’à l’autre, et circuirez depuis Aquilon jusques en Orient, cherchant la Parole de l’Éternel, et vous ne la trouverez point. »

Aux ennemis visibles se joindra l’ennemi invisible, non pas contenu comme il le fut dans sa lutte avec Job, mais lâché tout à fait. Rien ne pourra vous défendre ni vous sauver ; point de miséricorde à espérer : il n’en est point pour les impénitents. Et ne prenez pas tout cela pour de vaines paroles : ces menaces s’accompliront. (Elles ne tardèrent pas en effet à s’accomplir.) « Cette verge qui, en la main de ses prophètes, n’est, à votre avis, qu’un bois mort et aride, étant jetée en terre, deviendra un dragon, et un dragon hideux, qui effrayera tout le monde. Ce ne sont à cette heure que des paroles, et il semble aux misérables gendres de Lot qu’il se moque ; mais ce seront bientôt du soufre et des flammes. Je dis bientôt, afin que vous ne disiez pas : Il y a encore loin d’ici-là ! Non, a dit l’Éternel, je prononcerai ma parole en vos jours, ô maison rebelle, et en vos jours je l’exécuterai.

Vous jouissez d’une paix qui vous rassure ; mais c’est le calme qui précède la tempête. « N’attendez pas que les canons de Dieu soient au pied de vos murailles ; car plus ils marchent pesamment, plus ils nous foudroyeront épouvantablement, si, méprisant les richesses de sa patience, nous nous amassons ire pour le jour de son ire. Qu’au contraire chacun de vous se prosterne ici devant lui, les genoux en terre, les larmes aux yeux, lui criant comme Job : J’ai péché que ferai-je, Conservateur des hommes ? Et comme Saul, étendu par terre, sous les éclairs et les tonnerres de son Maître : Seigneur, que veux-tu que je fasse ? Et alors, écoutez ce qu’il vous répondra par la bouche de son prophète : Retournez-vous jusques à moi, de tout votre cœur, et en jeûne et en pleurs et avec lamentation : Rompez vos cœurs et non pas vos vêtements.

III. Moyen d’éviter le châtiment. — « Si vous vous repentez véritablement, jeûnez… Pleurez sans cesse et vos péchés et vos malheurs avec ces mêmes yeux qui vous les ont causés. Tout ce que jamais ils ont eu de vain, d’arrogant, d’impudique, qu’il soit noyé aujourd’hui dans leurs larmes. Que votre bouche, qui a si longtemps été l’organe du diable pour blasphémer mon nom, pour blesser l’honneur de vos frères, ou pour les porter à mal faire, lamente ses propres péchés, avec un vœu solennel de ne vaquer plus désormais qu’à la célébration de ma gloire, à l’édification de vos prochains, à l’instruction de vos domestiques. En un mot, que tous vos membres, qui ont servi jusques ici d’instruments d’iniquité au péché. servent dorénavant d’instruments de justice. » Mais que tout cela soit sincère ; offrez la moelle et non l’écorce ; car on ne peut en imposer à Dieu. Changez de vie. Alors, dit Dieu, je vous accueillerai, et vous me trouverez plus abondant en gratuités que vous ne l’avez été en ingratitudes.

Malheur à ceux qui s’endurciront ! Car, la tempête venue, ils auront beau crier ; leurs cris, n’étant soutenus par aucun changement de vie et de cœur, ne seront point entendus. Arrachons donc le mal qui est en nous ; arrachons-en, s’il le faut, jusqu’à nos propres entrailles ; extirpons soigneusement le mal qui se cache.

« Les ennemis de Dieu, qui nous mesurent à leur aune, nous calomnient d’ordinaire quand nous jeûnons, et disent que c’est pour quelque grande entreprise contre, nos concitoyens ou contre l’État. Mes frères, ce n’est pas assez que, par notre fidélité au service du roi et de notre patrie, nous les fassions mentir ; il faut encore, si nous pouvons, tirer profit de cette calomnie. Ils parlent d’entreprise : faisons-en une, non telle qu’ils la disent (Dieu nous envoie plutôt la mort et tout ce que leur passion nous souhaite de pis !), mais chrétienne, spirituelle, digne du nom que nous portons, qui sera d’amender tellement notre vie que nous mortifiions tout à fait notre chair et nos convoitises, que nous amenions prisonnières toutes nos passions aux pieds de Jésus-Christ, que nous gagnions, par nos vertus, tous nos frères à Dieu, que nous érigions en nos jours, à la gloire de l’Évangile et à la consolation de la postérité, un grand et magnifique trophée de nos vices et de leurs erreurs, et que, respirant tous ensemble un même zèle, aussi bien qu’un même air, nous emportions par force et par violence le royaume des cieux. »

Recommandations particulières : Pardonnez à vos ennemis ; restituez le bien mal acquis ; renoncez aux voluptés charnelles ; abstenez-vous de la médisance ; artisans, travaillez pour nourrir vos familles ; riches, secourez l’Église et les pauvres ; pères et mères, que vos maisons soient de petites Églises ; consacrez vos enfants à Dieu et nourrissez-les de sa parole.

« Vous tous, chrétiens, avec votre salut, procurez celui de vos frères ! Que le voisin veille sur son voisin, non par curiosité, mais par charité. Qu’il ne vous arrive jamais, comme à Caïn, de dire : Suis-je la garde de mon frère ? Oui, vous l’êtes, et ce vous est beaucoup d’honneur d’être, comme les anges, envoyés pour, servir, pour l’amour de ceux qui doivent recevoir l’héritage du salut.

… Et vous qui avez le pouvoir et l’autorité publique en main, quand on vous avertit qu’il y a des personnes scandaleuses dans la ville, qui corrompent la jeunesse, qu’il se fait des débauches où vos habitants se ruinent, qu’il est entré des violons ou des comédiens et d’autres tels ministres des voluptés et des dissolutions publiques, jetez promptement tout cela hors de vos murailles, afin que, par votre indulgence, on ne fasse point de la maison de Dieu un brelan, un cabaret ou un autre lieu infâme. Si cet horloge public se détraque, on ne s’en prendra ni à la faiblesse de ses ressorts, ni au défaut de ses poids et de ses roues, mais à vous seuls, qui avez la charge de le conduire. Quand, au contraire, vous tiendrez la main à faire que la ville soit exempte de toute dissolution, la sainteté publique sera votre louange particulière. » Alors non seulement nous serons préservés des châtiments de l’Éternel, mais l’Église étendra ses limites. Qu’est-ce qui la retient dans des bornes si étroites ? C’est le spectacle de notre vie. « On récite que Stratonicus, marchant, en une saison très ardente, par des déserts, avec une fort grande soif, et ayant rencontré un fossé plein d’eau, s’enquit d’un paysan si elle était bonne. — Nous n’en buvons point d’autre, répondit-il. — Sur quoi, lui, regardant le visage pâle, jaune et hâve de ce pauvre homme : A ce compte, répliqua-t-il, elle ne vaut rien ; et il n’en voulut point boire. Qu’est-ce qui empêche les adversaires d’embrasser la religion, que la face hideuse de notre vie ? A notre occasion, malheureux que nous sommes, tous les jours le saint nom de Dieu est blasphémé par eux, au lieu que nous devrions les contraindre de dire, en voyant la pureté de nos mœurs et les preuves de notre zèle : Voilà sans doute une bonne et sainte religion, puisqu’elle produit de tels fruits. »

Que ceux qui ont été lâches deviennent vaillants, comme le soldat qui, ayant failli, rachète sa faute par des actions de valeur ! Que les innocents, s’il en est, s’excitent à bien vivre !

A tout prendre, ce discours n’est remarquable ni par la conception générale, ni par la composition. On peut en dire autant de tous les discours de Le Faucheur : c’est dans le détail, dans l’exécution, qu’il faut chercher son principal mérite. Il a dans la succession des idées cet écoulement rapide, où le flot presse le flot, ou, si l’on veut, cette jonction serrée des membres par des articulations vivantes et d’un jeu facile, en un mot, ce mouvement continu qui est essentiel à l’éloquence. Le discours que nous venons d’analyser est, sous ce rapport, égal à lui-même d’un bout à l’autre ; mais quant à l’intérêt des idées, on n’en peut pas dire autant. Peut-être cela était-il difficile à éviter. La partie des griefs et des reproches était, en elle — même, plus propre à frapper l’esprit et à fixer l’attention ; ce qu’il y a de sûr, c’est que les grands traits et les grands mouvements sont dans cette première partie.

Il semble que l’auteur n’ait pas senti assez la nécessité de renouveler par la tournure ou par les idées accessoires le fonds des deux dernières parties. C’était difficile, mais fort important. On dira qu’en soi-même rien n’est plus touchant que les menaces de la deuxième partie et les instances de la troisième. Je réponds, d’une part, que des griefs spéciaux et bien articulés ont, sous le rapport oratoire, un grand avantage ; en second lieu, que rien n’a plus besoin d’être renouvelé pour la forme que les menaces et les exhortations. La partie des menaces, dans ce sermon, a l’avantage d’être spéciale. La partie suivante n’a pas cet avantage et roule tout entière sur le lieu commun. L’énumération des devoirs à remplir et des classes de personnes appelées chacune à des devoirs particuliers, n’a pas l’intérêt ni la grandeur d’un appel collectif.

J’aimerais, d’ailleurs, qu’on ne recommandât pas immédiatement des œuvres, mais des principes, des sentiments, une manière, non de faire, mais d’être. Faire vient d’être, et faire nous fait être. Ce point de vue me paraît trop négligé dans la prédication de cette école. Sans méconnaître que les œuvres sont des manifestations de l’état de l’âme, ils font un peu comme s’ils le méconnaissaient : ils s’attaquent aux œuvres et remontent trop rarement à la source.

La diction, et particulièrement la structure de la phrase, ont reçu dans ce discours des soins qu’il est facile d’apercevoir. Ce n’était pas un petit mérite alors. La phrase française n’était pas encore formée. La seule chose qui ait fait vivre le nom de Balzac[b] est d’avoir contribué à la former ; mais on peut contester à sa période la qualité oratoire. Le Faucheur a très bien assorti la forme et le mouvement de sa phrase à l’esprit et aux besoins dû genre oratoire. Elle a bien le rythme du genre.

[b] Non pas Honoré de Balzac, mais Jean-Louis Guez de Balzac (1597-1654).

Il a heureusement employé son imagination comme un coin, à frapper de vives empreintes de ses idées. Quelquefois pourtant ce sont plutôt des traits d’esprit que des éclairs d’imagination, et les rapprochements sont quelquefois plus ingénieux que naturels. Les souvenirs classiques de l’antiquité, qui était très familière aux prédicateurs de ce temps, mais surtout à Le Faucheur, font trop souvent les frais de ces rapprochements, et, du moins à notre point de vue, donnent à son éloquence quelque chose d’un peu gourmé. Citons-en quelques exemples :

« Thémistocle fit autrefois punir de mort, par un décret public, un truchement venu en la ville d’Athènes, à la suite des ambassadeurs du roi de Perse, pour avoir osé employer la langue grecque à exprimer les commandements des Barbares ; et Dieu ne nous punirait-il point de ce que nous employons tous les jours contre lui cette langue que nous avons reçue de lui, faisant servir l’organe de sa gloire aux blasphèmes de son adversaire. »

« Comme anciennement les Romains, assiégeant une ville, en évoquaient premièrement les dieux, qu’ils croyaient en être les protecteurs, aussi Satan a toujours tâché d’évoquer du milieu de nous la concorde, vertu tutélaire de cette Église et la mère de sa sûreté, pour nous surmonter ensuite sans peine. »

« Il y en a tel qui cherche à s’en venger (des censures des pasteurs) par les injures et par la médisance. Ainsi dit-on que les Tartares tirent des flèches contre le soleil, quand il les pique avec des rayons trop ardents, et que le singe casse le miroir où il voit sa laideur[c]. »

[c] Ces trois exemples sont tirés du dernier sermon analysé. (Sermons sur divers textes, tome I, pages 366, 380 et 387.)

En somme, Le Faucheur me paraît un fort bon prédicateur parénétique. Dans l’exhortation et dans l’instance, il a la vivacité, la rapidité, la franchise, l’abondance et en général la mesure, qui est une condition de la force. Par exhortation, je n’entends pas la prédication d’appel au sens du réveil religieux, c’est-à-dire la prédication adressée aux non-convertis. Chez les prédicateurs du dix-septième siècle, on ne voit pas cette distinction entre les convertis et les non-convertis. Pour eux l’auditoire est homogène. La distinction est entre ceux qui vivent bien et ceux qui vivent mal. Il y a une grande analogie entre leur point de vue et celui des prophètes de l’ancienne alliance.

Le Traité de l’action de l’orateur, de Le Faucheur, a été attribué à Conrart[d]. Il est plein d’atticisme et fort agréable à lire. On peut dire autre chose sur le sujet, mais on ne peut pas dire mieux. Le Faucheur y donne le résultat, non seulement de sa lecture, mais de sa pratique. On y trouve une connaissance approfondie de l’antiquité.

[d] Ce Traité, dont la première édition est de 1657, fut attribué faussement à Conrart par Cramoisy dans l’édition qu’il en donna en 1686. L’erreur a été relevée, dès l’année 1688, dans la préface des Œuvres posthumes de Claude.

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