Discours aux Gentils

Chapitre X

89 Mais je vous entends. Il vous en coûte de renverser les coutumes qui vous ont été transmises par vos ancêtres ; c’est un sacrifice qui répugne à la raison. Eh bien ! à ce prix, pourquoi votre jeunesse ne s’alimente-t-elle plus du lait qu’une nourrice offrit aux lèvres de votre enfance ? Pourquoi augmenter ou diminuer l’héritage de vos pères, au lieu de le garder scrupuleusement tel qu’ils ont pu vous le léguer ? Pourquoi ne vous vois-je plus jouer sur le sein paternel, ou vous livrer à ces jeux puérils qui appelaient sur vous le rire des spectateurs quand vous étiez dans les bras de vos mères ? Pourquoi enfin dépouiller de vous-mêmes et sans le secours d’aucun maître les langes ainsi que les habitudes du premier âge ? Si les transports des passions, toujours dangereux, souvent mortels, nous font éprouver quelque plaisir cependant, pourquoi, quand il s’agit de la vie, ne renoncez-vous pas à ces mœurs désordonnées, impies, pleines d’angoisses, pour entrer dans les voies de la vérité, dussent vos pères en frémir de douleur ? Pourquoi enfin, répudiant la coutume comme on chasse hors de sa poitrine un poison homicide, ne cherchez-vous pas votre père véritable ? La mission la plus belle à nos yeux, c’est de vous prouver que cette extravagante et misérable coutume est la plus cruelle ennemie de la piété. En effet, que n’a-t-il pas fallu pour vous amener à prendre en horreur et à repousser la plus excellente des grâces que le Seigneur ait pu apporter à l’humanité tout entière ? Emportés par le tourbillon de la coutume, et mettant une garde à vos oreilles, chevaux indociles à la rêne et mordant le frein, vous avez refusé d’écouter la voix de la raison, impatients de renverser du haut du char les Chrétiens vos maîtres et vos guides. Ce n’est pas tout. Poussés par votre extravagance jusqu’aux abîmes de la mort, vous avez crié : Malédiction au Verbe sacré de Dieu ! Aussi qu’est-il arrivé ? vous avez reçu le juste salaire du choix que vous avez fait.

90 Sophocle vous apprend quelle en est la nature :

« Un esprit sans consistance, des oreilles inutiles, de vaines pensées. »

Vous ignorez une vérité supérieure à toutes les autres. La voici. Les hommes de bien et fidèles à honorer le Seigneur, recevront en échange du culte qu’ils ont rendu à la bonté souveraine, des récompenses pleines de douceur. Les méchants, au contraire, ne peuvent attendre que des châtiments en retour de leur méchanceté. Il y a mieux. Des supplices terribles sont réservés au prince du mal, suivant la menace de Zacharie : « Il te réprimera, le Jéhovah qui a choisi Jérusalem. Tu n’es qu’un tison arraché du feu. » Quelle étrange maladie pousse donc ainsi les hommes à une mort volontaire ? Pourquoi se précipiter tumultuairement autour de ce tison fatal, avec lequel ils seront infailliblement brûlés, quand ils avaient la faculté de vivre suivant les préceptes divins, au lieu de suivre le torrent de l’opinion publique ? Car avec Dieu l’on trouve la vie, mais que leur reviendra-t-il de s’être égarés avec la démence de la coutume ? Un tardif repentir au milieu d’inexprimables supplices par-delà le tombeau. Au reste, que la superstition engendre la mort et que la piété conduise au salut, l’insensé lui-même ne l’ignore pas.

91 Regardez les idolâtres. Quelques-uns paraissent en public avec une chevelure négligée ; leurs vêtements en lambeaux sont couverts d’une immonde poussière. Ils renoncent à l’usage des bains ; ils laissent croître démesurément leurs ongles, et affectent des manières sauvages. Plusieurs vont même jusqu’à mutiler leur chair : ridicules personnages dont les actions manifestent à elles seules que les temples des idoles ont été primitivement des prisons ou des tombeaux. À les voir se livrer ainsi bien moins à des œuvres de piété qu’à des tortures dignes de compassion, ne semble-t-il pas qu’ils portent le deuil de leurs dieux plutôt qu’ils ne leur rendent hommage ! Pour vous, l’aspect de ces misères ne vous ouvrira-t-il pas les yeux ? Ne lèverez-vous pas enfin vos regards vers celui qui est le Seigneur et le maître universel ? N’êtes-vous pas résolus à vous échapper de ces tombeaux, pour vous réfugier dans les bras de la miséricorde qui est descendue des hauteurs du ciel ? Dieu, en effet, pareil à l’oiseau qui accourt avec empressement autour de sa jeune couvée quand elle tombe du nid, soutient par sa miséricordieuse bonté le vol de sa créature. Qu’un serpent funeste vienne à dévorer les petits de l’oiseau, la mère voltige çà et là, pleurant les gages de sa tendresse. Dieu fait plus. Il va chercher le remède ; il l’applique sur les blessures du malade ; il chasse la bête féroce, et recouvrant le fils de sa tendresse, il l’aide doucement à rentrer dans son nid.

92 Voyez encore les chiens. Quand ils s’aperçoivent qu’ils sont égarés, ils interrogent avec la sagacité de leurs narines les traces de leur maître. Les chevaux eux-mêmes qui ont renversé leur cavalier obéissent et reviennent au premier appel de sa voix. « Le taureau connaît son maître ; l’âne son étable ; Israël m’a méconnu : mon peuple est sans intelligence. » Mais le Seigneur ?… Le Seigneur ! Il oublie la grandeur de l’outrage ; il vous offre encore sa miséricorde ; il ne demande que votre repentir.

Mais répondez ! vous êtes l’ouvrage de Dieu ; c’est à lui que vous devez votre âme ; rien chez vous qui n’appartienne au Très-Haut. Connaissez-vous après cela une absurdité plus révoltante que de porter vos hommages à un autre maître, que d’honorer un tyran à la place d’un monarque, le mal à la place du bien ? Au nom de la vérité, qui jamais a pu, sans avoir perdu le sens, abandonner le bien pour s’attacher au mal ? Qui fuira la compagnie de Dieu pour vivre dans celle des démons ? Quel est celui qui, pouvant s’inscrire parmi les enfants de Dieu, préfère la honte de l’esclavage ? Qui enfin marche tête baissée vers les abîmes de la perdition, lorsqu’il peut être citoyen du ciel, habiter le paradis, parcourir librement les régions célestes, et participer à la fontaine intarissable d’où jaillit la vie éternelle, emporté parmi les airs sur une nuée brillante, et contemplant, comme autrefois Élie, la pluie du salut ? Mais la foule des hommes, se roulant à la manière des reptiles dans la fange et les marais, s’y repaît d’extravagantes et honteuses voluptés. Vils mortels, qui méritent moins le nom d’hommes que celui de pourceaux ! L’animal immonde, dit-on, préfère le bourbier à l’eau la plus limpide, et, dans la démence de ses appétits, il convoite, selon l’expression de Démocrite, les hideux mélanges. Gardons-nous donc de nous précipiter dans les chaînes de la servitude, ou de nous abaisser jusqu’à l’ignominie du pourceau. Loin de là ! légitimes enfants de la lumière, levons les yeux vers la lumière ; regardons-la face à face, de peur que le Seigneur, ainsi que le soleil accuse la dégénération de l’aigle, ne surprenne en nous les traces de la bâtardise.

93 Pleurons donc nos fautes ; passons des ténèbres de l’ignorance au grand jour de la connaissance, de l’égarement à la raison, de l’intempérance à la tempérance, de l’injustice à la justice, de l’impiété à l’adoration du vrai Dieu. C’est une belle expérience à tenter que de passer au service de Dieu. Sans doute, des biens nombreux sont proposés comme récompense à ceux qui pratiquent la justice et poursuivent de leurs efforts la vie éternelle ; mais les biens les plus éminents sont ceux que le Seigneur a désignés lui-même par la bouche du prophète Isaïe : « L’héritage des enfants est le partage de ceux qui s’attachent au Seigneur. » Aimable et magnifique héritage ! Il n’est ni l’or, ni l’argent, ni la pourpre que le ver dévore, ni aucune des richesses terrestres que le voleur dérobe dans son admiration insensée pour une vile matière. Quel est donc cet héritage ? C’est le trésor du salut, vers la conquête duquel il nous faut marcher, une fois devenus les amis du Verbe. De là descendent jusqu’à nous les bonnes actions, pour s’envoler avec nous sur les ailes de la vérité.

94 Cet héritage, qui n’est pas autre que le don de la vie éternelle, l’éternelle alliance de Dieu nous le met entre les mains.

Ce Dieu, qui est notre véritable père, car il nous chérit de l’amour le plus tendre, ne cesse pas un seul moment de nous exhorter, de nous avertir, de nous reprendre, de nous aimer. Qui s’en étonnerait ? Il veille incessamment à notre conservation ; il nous fait entendre les plus salutaires conseils. « Donnez vos cœurs à la justice, dit le Seigneur. Vous tous qui avez soif, venez vers les eaux ; vous tous qui êtes dans l’indigence, hâtez-vous ; achetez et nourrissez-vous ; venez, vous recevrez sans échange le lait et le vin. » Purification, salut, illumination de l’âme, il réveille nos langueurs sur chacun de ces points. Je crois l’entendre nous crier : « Ô mon fils, je te donne la terre, la mer et le ciel ; tous les animaux qu’ils renferment sont à toi. Toi seulement, ô mon fils, aie soif de ton père. Dieu se révélera gratuitement à tes yeux ; car la vérité ne s’achète point à prix d’argent. » Vous l’entendez ! les oiseaux qui peuplent l’air, les poissons qui nagent dans les eaux, les animaux qui habitent la terre, Dieu vous les donne. Ils ont été créés par le Père céleste, pour que vous en usiez avec actions de grâces et reconnaissance. Que l’enfant illégitime, que le fils de la perdition, dont le cœur est résolu d’adorer Mammon, achète ces biens à prix d’argent, à la bonne heure ! mais vous, vous êtes l’enfant légitime ; ils vous sont remis comme un héritage qui est à vous. N’aimez-vous pas le Père dont la grâce opère encore ? N’est-ce pas à vous qu’a été faite cette promesse : « La terre demeurera à perpétuité, » parce qu’elle n’est pas exposée à la corruption ? « Toute la terre est à moi ; » mais elle vous appartiendra, si vous recevez votre Dieu. Aussi l’Écriture annonce-t-elle cette joyeuse nouvelle à ceux qui croient : « Les saints du Seigneur hériteront de la gloire de Dieu et de sa puissance » Élève la voix, ô bienheureux Paul, et dis-nous quelle est cette gloire ? « Une gloire que l’œil n’a jamais vue, que l’oreille n’a jamais entendue ; telle, enfin, qu’il n’en est jamais monté de semblable dans le cœur de l’homme. Ils tressailleront d’allégresse dans le royaume du Seigneur pendant toute l’éternité. Ainsi soit-il. »

95 Maintenant, ô hommes, vous avez entendu, d’une part, quelle est la grandeur des promesses divines ; de l’autre, quelle est la grandeur des supplices. Grâces et supplices, tels sont les moyens par lesquels le Seigneur forme l’homme et le conduit au salut. Que tardons-nous encore ? Pourquoi ne nous mettons-nous pas à l’abri du châtiment ? Pourquoi n’ouvrons-nous pas la main au don sacré ? Pourquoi ne choisissons-nous pas ce qui vaut le mieux, c’est-à-dire le Seigneur préférablement au mal, et la sagesse préférablement à l’idolâtrie ? Pourquoi n’échangeons-nous pas la vie contre la mort ? « Voilà que j’ai placé sous vos yeux la mort et la vie. » Le Seigneur vous met à l’épreuve afin que vous choisissiez la vie. Père tendre, il nous presse d’obéir à Dieu. « Ô Sion ! si tu veux, si tu écoutes ma voix, tu jouiras des fruits de la terre. » Telle est la récompense qu’il attache à la soumission. « Mais si, indocile et rebelle, tu irrites ma colère, le glaive te dévorera. » Telle est la sentence qu’il prononce contre l’opiniâtreté qui refuse d’obéir. Ainsi a parlé la bouche du Seigneur, c’est-à-dire la loi de la vérité, le Verbe de Dieu.

Voulez-vous que je vous donne un sage et utile conseil ? Accordez-moi votre attention. Je m’expliquerai avec toute la clarté dont je suis capable. Vous auriez dû, ô hommes, quand vous réfléchissiez sur le bien, invoquer les dépositions d’un témoin incorruptible et inné, de la foi, qui choisit par une spontanéité rapide et naturelle ce qui vaut le mieux, et non pas chercher avec tant de labeur s’il faut suivre ses inspirations. Qui de vous, par exemple, met en doute s’il faut s’enivrer ? cependant vous vous plongez instinctivement dans l’ivresse avant que la réflexion vous vienne. Doit-on faire tort à autrui ? que vous importe ? vous commettez la violence et l’outrage le plus promptement qu’il vous est possible. Mais faut-il honorer Dieu ? faut-il obéir à ce Dieu sage et au Christ ? Il n’y a donc que ces questions sur lesquelles vous hésitiez. Voilà où vous croyez que la délibération est à propos, sans penser aucunement à ce qui convient à Dieu ni à la vérité.

96 Ah ! pour devenir sobres, croyez du moins à nos paroles comme vous croyez à l’ivresse ; pour acquérir la vie, croyez à nos paroles comme vous croyez à la colère et à l’injustice. Que si, dociles à la foi qui parle au fond de toutes les vertus, vous vous déterminez enfin à obéir, je produirai devant vous une foule surabondante de témoignages, fournis par le Verbe, pour solliciter votre acquiescement. Vous donc, car telle est la préoccupation de vos mœurs nationales, qu’elles vous ont éloignés complètement jusqu’ici de l’étude de la vérité, prêtez une oreille attentive à ce qui va suivre.

La foi ! À ce mot, ne vous laissez pas surprendre par une mauvaise honte, qui ne peut qu’être funeste à l’homme et le détourner du salut. Dépouillons donc nos vêtements sans rougir, et combattons avec des armes légitimes dans l’arène de la vérité, ayant pour juge le Verbe saint et pour ordonnateur des jeux l’éternel modérateur de l’univers. L’immortalité, en effet, quelle récompense plus auguste ! brille placée au bout de la carrière. On parlera de nous avec mépris, me répondrez-vous peut-être ! Et que vous importent les clameurs de quelques misérables, tirés de la lie du peuple, qui conduisent les chœurs impies de la superstition et dans leur extravagance courent tête baissée vers l’abîme, insensés fabricateurs d’idoles, stupides adorateurs de la pierre ? Voilà les hommes qui osèrent transformer les mortels en dieux ! Ce sont eux qui inscrivirent comme treizième divinité ce conquérant macédonien dont Babylone montre encore le tombeau.

97 Aussi ne puis-je refuser mon admiration au sophiste divin qui portait le nom de Théocrite. Paraissant sur la place publique après la mort d’Alexandre, il dit à ses concitoyens, pour les faire rougir des vaines opinions qu’ils se formaient sur le compte des dieux : « Rassurez-vous, ô hommes, aussi longtemps que vous verrez les dieux mourir avant vous. » Il n’en faut point douter ; ceux qui se forgent des divinités corporelles et palpables, en mêlant à leurs adorations la matière et tout ce qui est créé, sont beaucoup plus malheureux que les démons ; car Dieu n’est pas injuste comme ces derniers. Il est la justice infinie ; et l’être qui lui ressemble le plus, c’est le mortel le plus juste. « Accourez donc, mercenaires de toute espèce, qui, dans votre aveugle admiration pour la fille de Jupiter, déesse au visage terrible et protectrice du travail, l’adorez en déposant à ses pieds des cribles ; » insensés qui rendez les honneurs divins à des pierres taillées par votre ciseau.

98 Approchez, vous aussi, Phidias, Polyclète, Praxitèle, Apelle, vous tous qui exercez des arts mécaniques, terrestres artisans de la terre ; car une prophétie l’annonce : « Les choses iront mal ici-bas, lorsque les peuples mettront leur foi dans les statues ; » approchez donc, je ne cesserai de vous renouveler cette invitation ; approchez, vils artisans. En est-il un seul parmi vous qui ait jamais façonné une image vivante et animée, ou qui, avec l’argile, ait assoupli une chair délicate et flexible ? Qui de vous a liquéfié la moëlle des os ? qui de vous en a consolidé la charpente ? qui de vous a étendu les nerfs ? qui de vous a enflé les veines ? qui de vous les a injectées de sang ? qui de vous a recouvert de peau le corps tout entier ? qui de vous a jamais placé le regard dans ces yeux formés par vos mains ? qui de vous a soufflé une âme dans la muette effigie ? qui de vous l’a imprégnée des sentiments de la justice ? qui de vous enfin lui a dit : tu seras immortelle ? C’est le noble artisan de l’univers ; c’est le Père, auteur de toutes choses, qui seul a créé l’homme, statue vivante et animée. Mais pour votre dieu olympien, image de cette image et bien différent de la vérité, il n’est que le stupide ouvrage des mains attiques. En effet, l’image de Dieu, c’est son Verbe, fils véritable de la suprême Intelligence, Verbe divin, lumière archétype de la lumière. L’homme, à son tour, est l’image du Verbe. Pourquoi cela ? Parce qu’il y a dans l’homme une intelligence véritable, ce qui a fait dire qu’il est formé à l’image et à la ressemblance de Dieu, puisqu’il est réellement assimilé au Verbe par son cœur et son intelligence, et conséquemment doué de raison.

Il est donc manifeste que les images de l’homme visible et terrestre, c’est-à-dire les statues qui essaient de reproduire la figure humaine, ne sont que de vaines et fragiles représentations auxquelles manquent la vie et la vérité.

99 Aussi je ne puis trop déplorer l’extravagance de la vie humaine quand je la vois se ruer avec une ardeur si aveugle sur la matière. Oui, la coutume qui vous courbe sous le joug de la servitude et vous enchaîne à des soins aussi stériles que dépourvus de raison, trouve son aliment dans la crédulité publique. Ô ignorance cachée au fond de ces rites impies et de ces imitations mensongères, c’est toi qui poussas le genre humain à se forger des idoles, toi qui attiras sur lui de terribles fléaux en peuplant la terre de mille formes fantastiques et de démons si divers, toi qui attachas au front de leurs adorateurs le signe de la mort éternelle !

Recevez donc l’eau sainte du Verbe ; venez vous purifier, vous qui êtes couverts de souillures ; lavez-vous des taches de la coutume dans la rosée véritable ; car tous ceux qui montent au ciel doivent être purs. Hommes, cherchez par la plus commune des investigations celui qui vous a faits. Enfants, reconnaissez votre père ! Quoi de plus légitime ! Mais vous, dont le cœur se fond dans de honteux plaisirs, persistez-vous dans vos péchés ? À qui le Seigneur dira-t-il : « Le royaume des cieux est à vous ? » Il est à vous, si vous le voulez, dès que vous aurez pris la résolution d’obéir à Dieu. Oui, il est à vous, pourvu que vous consentiez à croire, et à suivre la voie abrégée de la prédication. Les habitants de Ninive ouvrirent autrefois leur cœur à la sainte parole. Les pleurs de leur repentir firent succéder à la ruine qu’ils attendaient les merveilles de leur salut.

100 – Mais par quel moyen, me dites-vous, le ciel s’ouvrira-t-il devant moi ? – Le Seigneur est la voie ; voie étroite, il est vrai, mais qui part du ciel ; voie étroite, il est vrai, mais qui remonte au ciel ; voie étroite, que la terre méprise et dédaigne, mais qui ne laisse pas d’être large et adorée dans les cieux. Sans doute, à qui n’a jamais entendu nommer le Verbe, il sera pardonné en faveur de son ignorance. Mais celui qui en connaît les oracles et qui s’opiniâtre dans une incrédulité volontaire, plus son intelligence est riche de lumières, plus ses connaissances lui seront fatales, puisqu’il sera condamné au tribunal de sa propre science pour avoir refusé de choisir ce qu’il y avait de meilleur.

La nature de l’homme d’ailleurs l’enchaîne à Dieu par des relations particulières. Nous ne contraignons point le taureau à chasser, ni le chien à labourer. Nous disposons de ces animaux dans la mesure de l’instinct que Dieu leur a départi. Ainsi, recueillant dans l’homme, qui est fait pour contempler le ciel, dans l’homme, plante née là-haut dans les régions de l’éternité, les privilèges inhérents à sa nature et par lesquels il règne sur le reste des animaux, nous l’exhortons à servir Dieu et à faire ici-bas des provisions qui l’accompagnent dans toute l’éternité. Laboure la terre, lui disons-nous, si telle est ta profession ; mais pendant que tu remues la terre, travaille à connaître celui qui l’a créée. Nautonnier, va fendre les flots de la mer ; mais avant de prendre en main le gouvernail, invoque le pilote de la terre et des cieux. Faut-il marcher sous l’aigle des Césars ? écoute avant tout le monarque dont la voix ne commande rien que de juste.

101 Revenez donc enfin à vous-mêmes, comme l’on revient de l’engourdissement de l’ivresse et du sommeil. Si peu que vous ouvriez les yeux, reconnaissez quel fruit il vous revient de ces pierres devant lesquelles vous vous courbez, et des dépenses que vous consacrez stérilement au culte de la matière. Vous jetez à pleines mains vos richesses dans le gouffre de l’ignorance, de même que vous précipitez votre vie dans la mort, dernier abîme où s’engloutit votre chimérique espoir. Mais hélas ! telle est la force de l’habitude qui vous tyrannise, que vous ne savez ni prendre pitié de vous-mêmes, ni vous rendre aux conseils de ceux que vos erreurs touchent de compassion. Entraînés par la coutume, vous courez à une ruine volontaire jusqu’à votre dernier moment. Pourquoi cette opiniâtreté ? « C’est que la lumière est venue dans le monde ; mais les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière ; » quand, pour les purifier de l’orgueil, des richesses et de la crainte, il ne fallait que cette exclamation du poète :

« Où porté-je tous ces trésors ? où m’égaré-je moi-même ? »

Si donc après avoir répudié les fictions extravagantes, vous avez fermement résolu de vous affranchir aussi du joug de l’habitude, dites à la vaine opinion :

« Songes et fantômes, adieu ! vous n’étiez que des chimères ! »

102 En effet, ô hommes ! pourquoi vous imaginer que Typhon est Mercure, Andocide et Amyet ? N’est-il pas visible aux yeux de tous que ce sont autant de pierres comme Mercure lui-même ? Si l’arc-en-ciel et le cercle qui environne la lune ne sont plus des dieux, mais de simples phénomènes produits par l’air ou par les nuages ; si vous effacez aussi de ce nombre le jour, le mois, l’année, le temps qui se forme de ces diverses périodes, il s’ensuivra que le soleil et la lune, dont le cours mesure les intervalles mentionnés tout-à-l’heure, ne sont pas davantage des dieux. Quel homme, s’il n’a l’esprit aliéné, inscrira parmi les dieux le jugement, le supplice, la vengeance ? Plus de Furies ! plus de Parques ! plus de Destin, puisque la république, la gloire et Plutus, que les peintres représentent aveugle, descendent de l’Olympe. La Honte, l’Amour, et Vénus des dieux ! Mais à ce titre il faut aussi que la turpitude, l’amour, la beauté, le commerce de la chair, montent au même rang. Vous ne prostituerez plus maintenant le nom de Dieu au sommeil et à la mort, ces deux frères jumeaux, dans le langage de vos poètes, puisqu’ils ne sont que des accidents naturels à tous les animaux. Laissez là votre Fortune, votre Sort, vos Parques ! Si la Dispute et le Combat ne sont plus des dieux, il faut également refuser ce titre à Mars et à Ényo. Si les éclairs, les foudres, et les nuages ont perdu la qualification divine, pourquoi la conserver au feu, à l’eau, aux étoiles errantes ou comètes qui sont engendrées par une certaine disposition de l’air ? que celui qui fait de la fortune une déesse, en fasse une aussi de l’action !

103 Par conséquent, si aucune de ces appellations mensongères, si nul de ces simulacres dressés par la main des hommes et dépourvus de sentiment, n’est le Dieu véritable, s’il existe en nous-mêmes, le fait est constant, je ne sais quel invincible préjugé de la puissance divine, il ne nous reste plus qu’à confesser que le Dieu unique et véritable est le seul qui soit et qui ait été. Fermer les yeux à cette vérité, c’est ressembler à ceux qui ont bu de la mandragore ou quelque poison semblable.

Mais à vous, que Dieu vous accorde de revenir de votre sommeil et de connaître le Dieu véritable. Ne prenez plus pour la Divinité l’or, la pierre, le bois, l’action, la maladie, la passion et la crainte. Car la terre est couverte de milliers de démons, qui ne sont ni immortels, ni mortels, puisqu’ils ne participent pas plus à la vie qu’à la mort. Simulacres de bois ou de pierre, que les hommes vénèrent comme leurs maîtres légitimes, ils déshonorent et souillent la vie de leurs adorateurs par une coutume extravagante. « Mais la terre et tout ce qu’elle renferme, nous dit l’Écriture, appartient au Seigneur. »

Pourquoi donc, en jouissant des bienfaits sacrés, avez-vous le courage d’ignorer qu’elle est la main qui vous les envoie ? Renonce à cette terre qui est la mienne, vous criera le Seigneur. Interdis-toi cette eau que ma bonté fait jaillir ! Ne touche point à ces moissons que je cultive. Ô homme, restitue à Dieu les aliments qui te nourrissent. Reconnais ton Seigneur. Tu es l’œuvre particulière de ses mains. À quel titre une créature sur laquelle il a des droits de propriété lui deviendrait-elle étrangère ? Le domaine aliéné, en perdant la propriété, perd en même temps sa vérité. À vous voir ainsi privés de tout sentiment, ne dirait-on pas que vous avez éprouvé le sort de la fabuleuse Niobé, ou, pour vous parler un langage plus mystique, que vous ressemblez à celle que les anciens appelaient l’épouse de Loth ? Femme infortunée ! Les Écritures nous apprennent qu’éprise d’amour pour Sodome, elle fut changée en bloc de pierre. Mais qu’étaient-ce que les habitants de cette ville ? des impies qui ne connaissaient pas Dieu, des hommes durs de cœur, et pleins de stupidité.

104 Imaginez-vous que Dieu vous adresse ces paroles : Ne regardez pas la pierre, le bois, les oiseaux, les serpents, comme des objets plus sacrés que les hommes. Loin de là, tenez les hommes pour véritablement sacrés ; n’estimez les bêtes que ce qu’elles sont. Les hommes, en effet, dans le lâche aveuglement de leurs pensées, croient que Dieu promulgue ses oracles par la voix d’un corbeau ou d’un geai, mais qu’il garde le silence par la bouche de l’homme. Dès lors ils rendent les honneurs divins à un misérable oiseau qu’ils transforment en interprète et en messager de Dieu ; mais l’homme, créature de Dieu, l’homme qui, bien qu’il ne glousse ni ne croasse, fait au moins entendre le langage de la raison ; l’homme, qui les instruit avec miséricorde, et les pousse à la pratique de la justice, ils le poursuivent en barbares ; ils s’efforcent de l’immoler, sans être retenus ni par l’espérance des bienfaits célestes, ni par la crainte des châtiments. Pourquoi tant d’inhumanité ? Ils n’ont pas foi en Dieu pas plus qu’ils ne comprennent sa puissance.

Quelle est la grandeur de l’amour de Dieu pour les hommes ? quelle est l’intensité de sa haine pour le crime ? les paroles humaines ne sauraient l’exprimer. De même que la colère alimente le supplice du pécheur, la miséricorde comble de bienfaits ceux qui font pénitence. Mais être abandonné de l’assistance de Dieu, c’est de tous les malheurs le malheur le plus terrible. De là vient que parmi les envahissements de l’esprit malin, il n’en est pas de plus formidable pour nous que la cécité, qui ferme nos yeux à la contemplation du ciel, et la surdité, qui nous rend complètement inhabiles à entendre les divins enseignements.

105 Aussi, vous qui êtes comme mutilés pour la vérité, aveugles d’esprit, et sourds d’intelligence, vous restez plongés dans l’apathie, sans douleur, sans indignation, sans nul désir de voir le ciel et l’architecte du ciel, sans chercher à entendre, ni à connaître le père et le créateur de toutes choses, sans appliquer enfin votre cœur à la conquête du salut. Quiconque est en marche vers la connaissance de Dieu, ne se laisse retarder par aucun obstacle, ni par la perte de ses enfants, ni par la détresse de l’indigence, ni par l’obscurité du nom. Car le possesseur de la véritable sagesse n’aspire point à s’en délivrer « par le tranchant du fer ou de l’airain. » Il la préfère à tout ce que renferme le monde. Le Christ est partout salutaire. Le zélateur du juste, étant l’ami de celui auquel rien ne manque, ne manque de rien lui-même, attendu que le trésor de sa félicité il l’a placé dans lui-même et dans Dieu, là où il n’y a ni ver, ni voleur ni pirate, mais l’éternel distributeur des biens. C’est donc à bon droit que l’Écriture vous compare à ces serpents qui ferment les oreilles à la séduction des enchantements. « Ils ressemblent au serpent et à l’aspic qui ferment l’oreille pour ne point entendre la voix de l’enchanteur dont la parole peut les adoucir. »

106 Mais vous, laissez-vous prendre aux charmes de la sainteté ; recevez la douceur de notre Verbe ; rejetez le poison homicide, afin qu’il vous soit donné de vous dépouiller de la mort comme à ces reptiles de renouveler leur jeunesse. Écoutez mes accents ; ne fermez point vos oreilles, ne murez point votre intelligence ; mais gravez au fond de vos cœurs les paroles qui sortent de notre bouche. L’immortalité est un merveilleux remède. Ah ! de grâce ne rampez plus à la manière des serpents, « car les ennemis du Seigneur baiseront la poussière de ses pieds » dit l’Écriture. Détachez vos yeux de la terre ; regardez le ciel, admirez les merveilles divines, cessez de dresser des pièges sous les pas du juste et d’entraver la route de la vérité. Soyez prudents et sans malice ; peut-être que le ciel vous donnera les ailes de la simplicité, car il donne des ailes aux enfants de la terre, afin de vous aider à sortir de ces retraites pour aller habiter au ciel. Seulement repentez-vous de tout votre cœur, afin que tout votre cœur s’ouvre à la réception du Seigneur. « Peuples, espérez en lui dans tous les temps, répandez devant lui votre âme, dit-il » à ceux qui sont revenus récemment de leur impiété ; il est plein de miséricorde, et il fait abonder la justice.

Ô homme, crois à l’Homme-Dieu ! ô homme, crois au Dieu vivant, qui a souffert et qui est adoré ! Esclaves, croyez à celui qui est mort. Hommes, qui que vous soyez, croyez à celui qui seul est le Dieu de tous les hommes. Croyez, et vous recevrez le salut pour récompense de votre foi. « Cherchez Dieu, et votre âme vivra. » Quiconque cherche Dieu, s’occupe de son salut. Avez-vous trouvé Dieu ? vous possédez la vie.

107 Cherchons-le donc pour vivre réellement. Le prix de cette découverte, c’est la vie dans le sein de Dieu. « Qu’ils se réjouissent, qu’ils tressaillent d’allégresse en vous, tous ceux qui vous cherchent ; » qu’ils redisent éternellement : Gloire à Dieu ! Quel hymne magnifique en l’honneur de Dieu, que l’immortalité de l’âme chrétienne, qui est munie des enseignements de la justice, et porte gravés au fond d’elle-même les augustes caractères de la vérité ! Je le demande, où faut-il graver la justice ailleurs que dans l’âme du sage ? Quel autre sanctuaire ouvrirez-vous à la pudeur, à la charité, à la mansuétude ? Vous tous qui êtes marqués de ces empreintes divines, ne l’oubliez pas, vous êtes placés aux plus propices barrières de la sagesse, pour vous élancer de là dans l’arène de la vie et des tribulations. La sagesse ! elle est le port du salut à l’abri de la tempête. La sagesse ! elle donne aux enfants de bons pères, quand ils se sont jetés dans le sein du Père ; aux pères, de bons fils, quand ils ont connu le Fils ; aux épouses, de bons époux, quand ils ont tourné leurs regards vers l’époux ; aux esclaves, enfin, de bons maîtres, quand ils ont brisé la chaîne du plus honteux esclavage !

108 Ô combien la bête est plus heureuse que l’homme égaré par l’erreur ! L’animal est plongé dans la même ignorance que vous ; oui, sans doute ; mais l’animal ne trahit pas la vérité. Je ne vois point parmi les bêtes un peuple d’adulateurs ; connaissez-vous des poissons qui adorent les faux dieux ? où sont les oiseaux qui vénèrent des idoles ? Ne pouvant s’élever à la connaissance de Dieu, puisque l’intelligence leur manque, ils n’admirent du moins que la beauté d’un ciel unique. Eh quoi ! ne rougirez-vous pas, enfin, de vous être ravalés au-dessous de l’animal dépourvu de raison, vous qui avez consumé tant de siècles dans l’impiété ? Vous avez passé par le berceau, par l’adolescence, par la jeunesse ; la maturité a disparu. Vertueux, vous ne l’avez pas encore été. Parvenus au déclin de votre carrière, honorez du moins votre vieillesse. À ce moment solennel où la vie échappe, embrassez du moins la sagesse, reconnaissez Dieu, afin que le dernier terme de votre existence s’empare du commencement du salut. Vous avez vieilli dans le culte de vos fausses divinités ; venez vous rajeunir dans le culte du vrai Dieu. Le vrai Dieu vous inscrit au nombre des enfants qui ont gardé leur innocence.

Que l’Athénien suive les lois de Solon ! que l’habitant d’Argos obéisse à Phoronée, et le Spartiate à Lycurgue. Vous, si vous êtes Chrétiens, vous avez le ciel pour patrie, et Dieu pour législateur. Mais quelles sont nos lois ? « Vous ne tuerez point. – Vous ne commettrez point l’adultère. – Vous ne souillerez point l’enfance. – Vous ne déroberez point. – Vous ne porterez point faux témoignage. – Vous aimerez le Seigneur votre Dieu. » Puis viennent, pour compléter ces oracles, d’autres lois conformes à la raison, et de saintes paroles qui sont gravées dans le cœur de tous les hommes. Ainsi, par exemple : « Vous aimerez le prochain comme vous-même. – Si quelqu’un vous frappe sur la joue, présentez-lui l’autre. – Vous ne convoiterez pas ; car quiconque a regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l’adultère. »

109 Répondez ? Ne vaut-il pas mieux que l’homme s’interdise dès l’origine la convoitise des objets défendus, plutôt que de posséder l’objet de ses convoitises ?

Mais vous, l’austérité du salut épouvante votre pusillanimité. Les mets délicats flattent notre palais ; nous les préférons à cause de l’attrait naturel que le plaisir a pour nous, tandis que les aliments amers, quoiqu’ils révoltent les sens, entretiennent ou rétablissent la santé. Il y a mieux ; l’âpreté des remèdes fortifie souvent un estomac débile. Il en va de même de la coutume. Elle caresse et chatouille par une douceur apparente ; mais elle conduit à l’abîme ; la vérité, au contraire, nous emporte vers les cieux. Rude et austère au début, elle n’en est pas moins la meilleure nourrice de la jeunesse ; tantôt gynécée recommandable par la gravité des mœurs ; tantôt sénat consacré par la sagesse et la prudence. Qu’il soit difficile de l’aborder, ou qu’elle réside hors de la portée des hommes, ne le croyez pas ; elle est près de nous ; elle habite dans nos maisons, et, comme l’insinue Moïse, l’homme orné de la sagesse est tout entier dans ces trois organes, la main, la bouche, le cœur. Tel est le véritable symbole de la vérité. Pour l’embrasser complètement, il faut le concours de ces trois choses : prudence, action, parole. Mais la foule des plaisirs, en voltigeant autour de mon imagination, m’écartera de la sagesse, dites-vous. Ne craignez rien. Vous passerez sans qu’il vous en coûte, et avec le regard du dédain, à côté des frivolités de la coutume, à peu près comme le jeune homme brise les hochets qui ont diverti son enfance.

110 Au reste, la puissance divine, en brillant sur l’univers avec une incroyable rapidité et une bienveillance qui ouvre à tous un libre accès, a rempli le monde de la semence du salut. Non ; ce n’est pas sans le concours d’une éternelle Providence qu’a été accomplie par le Seigneur, dans un si court intervalle de temps, une si prodigieuse révolution ; par le Seigneur, méprisé en apparence, mais adoré de fait, expiateur, sauveur, miséricordieux, Verbe divin, Dieu véritable sans aucun doute, égal au maître de l’univers, parce qu’il était son fils et que « le Verbe était en Dieu. » La prédication proclame-t-elle sa doctrine, la foi l’accueille ; s’incarne-t-il pour revêtir la forme de la créature et jouer sur la scène de notre monde le rôle de l’humanité, la foi reconnaît encore à travers ces voiles obscurs l’athlète qui combat légitimement, et qui aide sa créature dans ce duel terrible. Né de la volonté elle-même du Père, et descendu parmi tous les hommes avec une diffusion plus rapide que celle des rayons solaires, il fit aisément resplendir sur le monde le flambeau de la connaissance divine. D’où venait-il ? qui était-il ?! Il le manifesta par sa doctrine et par ses miracles. Il est le médiateur entre Dieu et l’homme, le pacificateur universel, le Sauveur du genre humain, le Verbe sacré, la fontaine d’où jaillissent la vie et la paix, la source qui s’épanche sur toute la terre, et, pour le dire en un mot, la source par laquelle a été produite l’universalité des êtres, vaste océan de biens.

111 Maintenant, si vous le permettez, contemplons à son origine elle-même la grandeur du bienfait divin. Habitant du paradis, le premier homme se jouait autrefois dans la liberté de son innocence, parce qu’il était l’enfant chéri de Dieu. Mais une fois qu’il se fut soumis à la volupté, car le serpent désigne la volupté vice aux inclinations terrestres, qui rampe sur le ventre, et doit alimenter la flamme, séduit par les plaisirs corrupteurs, l’enfant grandit en rébellion, se souleva contre son père et fit rougir Dieu de son ouvrage. Quel fut le pouvoir de la volupté ? L’homme, qui avait été créé libre à cause de sa pureté originelle, se trouva enchaîné dans les liens du poché. Mais le Seigneur veut briser ses chaînes. Ô profondeur du mystère ! il revêt un corps tel que le nôtre, triomphe du serpent, réduit en servitude la mort qui régnait en souveraine, et, par une merveille où se perd l’imagination, montre libre et affranchi ce même homme qui avait été séduit par la volupté et garrotté par la corruption. Les chaînes sont tombées de ses mains. Prodige ineffable ! Dieu succombe et l’homme se relève. L’hôte déchu du paradis reçoit une récompense plus belle : le ciel s’ouvre à lui pour salaire de son obéissance.

112 Puisque le Verbe en personne est descendu parmi nous, qu’avons-nous besoin désormais de fréquenter les écoles des philosophes ? Pourquoi visiter encore Athènes, la Grèce et l’Ionie pour interroger laborieusement leur science ? Si nous voulons prendre pour maître celui qui a rempli l’univers par les merveilles de la puissance, de la création, du salut, de la grâce, de la législation, de la prophétie et de la doctrine, nous reconnaîtrons qu’il n’est pas une seule doctrine qu’il ne communique, et le Verbe a fait de l’univers un sanctuaire qui parle aussi éloquemment qu’Athènes et les écoles les plus vantées de la Grèce. Pour vous qui, ajoutant foi aux mensonges de la fable vous persuadez que le Crétois Minos s’entretînt familièrement avec Jupiter, vous sera-t-il si difficile de croire que les Chrétiens, en devenant les disciples de Dieu, sont les dépositaires de la véritable sagesse, de celle que, les philosophes les plus illustres n’ont fait que bégayer en termes obscurs, tandis que les disciples du Christ l’ont recueillie et prêchée à la terre. Dans le Christ d’ailleurs, point de division ni de partage, si je puis ainsi parler. Il n’est ni Barbare, « ni juif, ni grec, ni homme, ni femme. » Il est l’homme nouveau, transformé par le Saint-Esprit de Dieu.

113 De plus, les autres conseils ou préceptes manquent de portée et ne traitent que des questions particulières. Faut-il s’engager dans les liens du mariage ? Doit-on se mêler d’administration publique ? Est-il bon d’engendrer des enfants ? Tels sont les points qu’ils débattent. Il n’en est pas de même de la doctrine qui conseille la piété. Seule universelle, elle seule embrasse l’ensemble et le plan de la vie qu’elle dirige en toute circonstance jusqu’à son dernier moment. Si nous la prenons pour guide, la vie éternelle ne nous fera pas défaut. « La philosophie, selon le langage des anciens, est une admonition permanente qui concilie l’éternel amour de la sagesse ; mais le précepte du Seigneur illumine les yeux de l’homme. » Recevez donc le Christ, recevez le sens de la vue ; recevez la lumière,

« Afin de connaître complètement Dieu et l’homme. »

« Le verbe qui nous éclaire est plus doux que l’or, plus précieux que les pierreries, plus désirable que le miel le plus délicieux. » Et comment ne serait-il pas désirable, celui qui a produit au grand jour l’intelligence humaine ensevelie jusque là dans les ténèbres, et qui a aiguisé le regard de l’âme, où se reflètent ses rayons. De même que si le soleil voilait sa lumière, tous les autres astres disparaîtraient dans une nuit éternelle, de même, sans le bienfait de la révélation et de la lumière du Verbe, qui est venue nous inonder, il n’y aurait aucune différence entre nous et les animaux, victimes engraissées dans les ténèbres, pour être bientôt la pâture de la mort. Recevons donc la lumière afin de recevoir Dieu en même temps. Recevons la lumière, et devenons les disciples du Seigneur. N’a-t-il pas fait cette promesse à son père : « Je raconterai votre nom à mes frères, je publierai vos louanges au milieu de leur assemblée ? » Verbe éternel, racontez-moi, je vous en conjure, le nom de Dieu, votre père ; publiez ses louanges. Vos enseignements communiquent le salut ; votre cantique m’apprendra qu’en cherchant Dieu je me suis égaré jusqu’ici. Mais, ô Seigneur, quand vous me prenez par la main pour me conduire à la lumière, lorsque je trouve Dieu par votre assistance et que je reçois de vous la connaissance du Père, je deviens votre cohéritier, puisque vous n’avez pas rougi de m’avoir pour frère.

114 Secouons donc, il en est temps, cette apathique léthargie ; écartons les ténèbres qui, placées devant nos yeux comme un nuage, nous interceptent les splendeurs de la vérité ; contemplons le Dieu véritable, mais auparavant adressons-lui cette respectueuse acclamation : « Salut, ô lumière descendue des hauteurs du ciel pour briller aux yeux des hommes plongés dans les ténèbres et enfermés dans les ombres de la mort, lumière plus pure que celle du soleil, plus agréable que toutes les douceurs de la vie présente ! » Cette lumière n’est rien moins que la vie éternelle, et quiconque y participe possède la vie. La nuit fuit la clarté des cieux, et se cachant de frayeur devant le jour du Seigneur, lui cède l’empire. Partout est répandue la lumière indéfectible, et l’Occident croit enfin à l’Orient. Voilà le prodige que signifiait la création nouvelle. En effet, le soleil de justice dont le char parcourt l’univers visite également tout le genre humain, à l’exemple de son Père, « qui fait lever son soleil sur tous les hommes indistinctement, » et répand sur chacun d’eux la rosée de la vérité. Le Verbe a transporté l’Occident au Levant ; en clouant la mort à sa propre croix, il l’a montrée transformée en la vie, divin agriculteur, il a suspendu au firmament l’homme arraché par lui au trépas ; il a changé la corruption en incorruptibilité, et sous sa main la terre est devenue le ciel. Comment a-t-il accompli cette rénovation ? « En annonçant la félicité ; en excitant les peuples à l’œuvre par excellence ; en rappelant à leur mémoire quelle est la vie véritable ; » en nous investissant du magnifique et divin héritage que nulle violence ne peut enlever ; en élevant l’homme jusqu’à Dieu par la céleste doctrine ; « en donnant à l’intelligence humaine des lois qu’il a gravées dans notre cœur. » De quelles lois l’apôtre entend-il parler ? Les voici : « Tous connaîtront Dieu, depuis le plus petit jusqu’au plus grand. Je serai un Dieu propice, dit le Seigneur, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés. »

115 Adoptons les lois qui portent la vie en elles : Dieu nous presse, obéissons ; connaissons-le, afin qu’il nous soit propice. Rendons-lui, quoiqu’il n’ait pas besoin de notre salaire, une âme bien purifiée, je veux dire un culte de piété, qui soit comme le loyer que lui offre notre reconnaissance pour le domicile de la terre.

« Renvoyons-lui de l’or pour de l’airain, de riches hécatombes pour quelques victimes. »

Regardez ! pouvait-il vous livrer la terre à un prix moins élevé ? Il vous accorde, en outre, l’eau pour vous servir de boisson, la mer et les fleuves pour naviguer, l’air pour respirer, le feu pour aider l’industrie humaine, le monde pour être votre habitation. Est-ce tout ? Il vous permet d’envoyer de la terre des colonies dans le ciel. Encore un coup, pour des bienfaits si multipliés et des créations si diverses, quel modique retour il vous demande ! Les malades qui croient à la puissance de la magie reçoivent avec respect des amulettes qu’ils attachent à leur cou et des enchantements qu’ils estiment salutaires. Pour vous, vous dédaignez même de suspendre à vos poitrines le Verbe céleste, notre Sauveur ; et, incrédules aux enchantements divins, vous ne voulez pas vous affranchir des passions, qui sont les maladies de l’âme, ni du péché, qui est la mort éternelle. Hommes chez lesquels le sentiment et la vue sont émoussés, vous vivez dans les ténèbres, pareils à ces animaux qui se creusent des demeures souterraines, sans autre souci que votre nourriture et environnés de corruption. Mais il y a une vérité qui vous crie : « La lumière sortira des ténèbres. » Que la lumière resplendisse donc enfin dans la partie secrète de l’homme, je veux dire dans son cœur ; oui, que les rayons de la science se lèvent et illuminent de tout leur éclat l’homme intérieur, le disciple de la lumière, l’ami du Christ, et son cohéritier, surtout quand le nom auguste et vénérable d’un père compatissant qui n’impose à ses enfants que des obligations douces et salutaires, sera parvenu à la connaissance d’un fils bon et religieux. Qui se laisse diriger par lui excelle en toutes choses ; il marche à la suite du Très-Haut, il obéit au Père, il reconnaît son égarement, il aime Dieu, il chérit le prochain, il accomplit le précepte, il a droit à la récompense, il la revendique hautement.

116 Le dessein éternel de Dieu, c’est de sauver le genre humain : voilà pourquoi le Dieu de la miséricorde lui a envoyé le bon pasteur. Le Verbe, ayant dévoilé la vérité, manifesta aux hommes les mystères du salut, afin qu’ils se sauvassent par le repentir, ou qu’ils fussent condamnés par le jugement, s’ils refusaient de se soumettre. La voilà cette prédication de la justice, bonne nouvelle pour les cœurs dociles, sentence de mort pour les rebelles. Et quoi ! la trompette des combats rassemblera ses légions et proclamera la guerre ; et le Christ, qui entonne jusqu’aux dernières limites du monde le cantique de la paix, n’aura pas le droit de rassembler sa pacifique milice ? Il n’en est rien, ô homme ! Il a convoqué sous ses drapeaux, par la voix de son sang et de sa doctrine, les paisibles combattants auxquels il a ouvert le royaume des cieux. La trompette de Jésus-Christ, c’est son évangile. La trompette sacrée a retenti, nos oreilles se sont ouvertes à ses accents. Revêtons donc les armes de la paix : « Prenons la cuirasse de la justice, le bouclier de la foi, le casque du salut, et l’épée spirituelle qui est le glaive de Dieu. » C’est ainsi que l’apôtre nous prépare à de généreux combats. Telles sont nos armes, impénétrables à tous les coups. Protégés par elles, marchons intrépidement contre l’ennemi, éteignant les traits enflammés de l’esprit malin par les flèches que le Verbe a trempées dans l’eau réparatrice, répondant aux bienfaits sacrés par le cantique de la reconnaissance, et honorant le maître de l’univers par son Verbe divin. Il vous a promis son assistance. « Vous achèverez à peine de m’invoquer, dit-il lui-même, que je vous crierai : Me voici ! »

117 Ô sainte et bienheureuse puissance par laquelle Dieu habite avec les hommes ! Il faut donc tout à la fois imiter et adorer la meilleure comme la plus noble des natures. Or, on ne peut imiter Dieu qu’en l’honorant par la sainteté ; on ne peut l’honorer qu’en l’imitant. Par conséquent le céleste et divin amour ne s’attache véritablement aux hommes que quand la beauté réelle, excitée par le Verbe divin, a resplendi dans une âme. Mais voilà le point capital. Le salut marche du même pas que la volonté sincère ; la vie éternelle et la libre détermination s’enchaînent, pour ainsi parler, dans des nœuds indissolubles. Point d’autre exhortation à la vérité que celle qui, semblable à l’ami le plus tendre, veille à nos côtés jusqu’à notre dernier soupir, et qui, compagne toujours fidèle, escorte l’âme alors qu’elle remonte pure et entière vers la céleste patrie.

Dans quel but vous exhortè-je, sinon pour que vous obteniez le salut ? Le Christ n’a pas d’autre vœu. Pour tout dire en un mot, il vous accorde la vie. Mais quel est ce Christ ? Je vous l’apprendrai en peu de mots ; il est le Verbe de la vérité, le Verbe de l’incorruptibilité, il régénère l’homme en le ramenant à la vérité, il est l’aiguillon du salut ; c’est lui qui chasse la corruption, c’est lui qui bannit la mort ; c’est lui qui a bâti dans l’homme un sanctuaire vivant pour y ériger Dieu. Purifiez ce temple de tout votre pouvoir ; abandonnez au vent et à la flamme les plaisirs et la mollesse, comme des fleurs périssables. Cultivez prudemment, au contraire, les fruits de la tempérance ; consacrez-vous vous-même à Dieu comme les prémices de la moisson, afin que tout soit à lui, le bienfait et la reconnaissance du bienfait. Il convient au disciple du Christ de paraître digne du trône et d’en avoir été jugé digne en effet.

118 Fuyons la coutume, fuyons-la comme le nautonier évite un promontoire fécond en naufrages, comme il se dérobe aux menaces de Charybde, ou bien aux séductions des mensongères sirènes. La coutume ! elle étouffe l’homme dans ses bras ; elle le détourne de la vérité ; elle le pousse hors des chemins de la vie. De quel nom appeler ce fléau ? filet captieux, crible de la perdition, fosse où tombe l’imprudent, gouffre où tout va s’engloutir.

« Poussez votre navire loin de cette fumée et par-delà ces vagues mugissantes. »

Compagnons qui sillonnez les mêmes flots, ah ! fuyons cette mer où bouillonnent des volcans. L’île est pleine de périls. Voyez-vous les débris et les cadavres qui couvrent ses bords. La volupté seule, riante courtisane, attire les passagers par les sons enivrants d’une musique populaire et commune : « Viens, ô noble Ulysse, gloire et orgueil des Grecs ! aborde vers ce rivage, afin d’y entendre une harmonie divine. »

Vous l’entendez, ô nautonier ! elle vous flatte, elle vante votre célébrité ; mais la femme impudique essaie d’enchaîner à son char l’orgueil et la gloire de la Grèce. Laissez-la se repaître de cadavres : l’Esprit saint nous vient en aide par son assistance. Passer dédaigneusement auprès de la volupté, sans vous laisser prendre à ses caresses.

« Que la femme qui se glisse sous votre toit ne vous séduise pas par la douceur de son langage et la beauté de ses formes. »

Passez outre, en fermant l’oreille à ses chants : ils donnent la mort. Dites un mot, et vous êtes sauvés. Attachez-vous au bois du salut, et vous serez affranchis de toute corruption. Le Verbe du Seigneur sera votre pilote et l’Esprit saint vous dirigera vers le port de la céleste félicité. C’est alors que vous contemplerez mon Dieu ; alors que vous serez initiés aux sublimes mystères et à ces délices dont le ciel a le secret et qui me sont réservés, « délices telles que l’oreille n’en a point entendu de semblables, et qui jamais ne sont montées dans l’intelligence de l’homme. »

« Je crois voir briller dans les cieux deux soleils ; une double Thèbes se montre à mes regards, » s’écriait un ancien, agité par des transports idolâtriques et enivré d’une pure chimère. J’ai pitié de ce furieux et je me garderais bien d’exhorter au salut qui demande le calme de la raison un esprit ainsi aliéné. « Le Seigneur veut la conversion du pécheur et non sa mort. »

119 Viens donc, ô insensé, non plus le thyrse à la main, ni la couronne de lierre sur la tête. Jette le turban de ton Dieu ; dépouille les ornements de ses fêtes ; reprends ta raison. Je te dévoilerai le Verbe et les mystères du Verbe, en adoptant tes images et tes symboles. Voici la montagne sainte et chérie de Dieu, qui n’a point, comme votre Cithéron, fourni matière aux mensonges de la fable, mais qui est consacrée par les prodiges de la vérité. Montagne sanctifiée par la sagesse ! chastes ombrages habités par la pudeur. Là ne s’égarent point, dans les aveugles transports de Bacchus, les sœurs de Sémélé, frappées par la foudre, ces Ménades initiées par l’impure dilacération des victimes. À leur place, tu trouveras les filles de Dieu, vierges éclatantes d’innocence, qui célèbrent les vénérables mystères du Verbe, en formant des chœurs d’une pudique sobriété. Les justes chantent alternativement un hymne en l’honneur du maître de l’univers. Les jeunes filles font résonner le luth sacré ; les anges célèbrent Dieu ; les prophètes proclament leurs oracles ; d’harmonieux concerts retentissent ; on poursuit le thyase d’une course rapide ; les élus volent, saintement désireux de retrouver promptement leur père. Approche ; ma main te présente le bois sur lequel tu peux appuyer tes pas chancelants. Hâte toi donc, ô Tirésias, commence de croire, tes yeux se rouvriront à la lumière. Le Christ qui rend la vue aux aveugles, brille plus éclatant que le soleil. Avec la foi, la nuit fuira de ta paupière ; la flamme infernale s’éteindra ; la mort se retirera vaincue. Infortuné vieillard, toi qui ne peux contempler ta patrie terrestre tu contempleras la magnificence des cieux.

120 Ô mystères véritablement saints ! Ô clartés pures et sans mélange ! Aux rayons de ces torches nouvelles, j’envisage la beauté du ciel et les grandeurs de Dieu. En recevant l’initiation, je reçois la sainteté. C’est le Seigneur qui est ici l’hiérophante ; il marque du sceau de sa lumière le prêtre qu’il illumine, et il remet entre les mains de son Père l’adepte qui a cru, pour que son père le conserve dans toute la longueur des siècles. Voilà quelle est la célébration de nos mystères. Viens donc, si bon te semble, recevoir l’initiation chrétienne. Alors, de concert avec les anges et pendant que Dieu le Verbe mêlera ses chants aux nôtres, vous formerez des chœurs de danses joyeuses autour de celui qui n’a jamais commencé et qui ne finira jamais, autour du Dieu unique et véritable.

Ce Jésus éternel, unique grand-pontife du Dieu unique, c’est-à-dire du Père, intercède au ciel pour tous les hommes et sur la terre ne cesse de les exhorter. « Prêtez l’oreille, ô nations, » ou plutôt, hommes qui que vous soyez, qui avez reçu la raison en partage, Grecs et Barbares, écoutez-moi ! Je convoque le genre humain tout entier, dont je suis le créateur par la volonté de mon Père. Venez vous ranger sous les lois d’un seul Dieu et d’un seul Verbe. Qu’il ne vous suffise pas de vous élever au-dessus de l’animal stupide, puisque, de tous les êtres condamnés à mourir, vous êtes les seuls que ma magnificence gratifie de l’immortalité. Je veux en effet, oui je veux vous honorer de ce privilège en vous arrachant, par une faveur complète, à l’ignominie de la corruption. Mais je vous communique en même temps le Verbe, c’est-à-dire la connaissance de Dieu. Je me donne à vous sans réserve. Dessein de Dieu, pensée et harmonie du Père, Fils, Christ, Verbe éternel, voilà ce que je suis, le bras du Seigneur, la puissance universelle et suprême, la volonté du Père ! Le passé m’a entrevu déjà plus d’une fois, mais sous des images affaiblies et dégénérées. Je viens donc, ô hommes, vous réformer d’après ce modèle primitif, afin que vous deveniez semblables à moi. Approchez ! ma main bienfaisante épanchera sur vos membres le parfum de la foi pour qu’ils répudient la corruption et la mort ; je vous montrerai, sans voile et dans sa rigide beauté, la justice par laquelle vous vous élèverez jusqu’à Dieu. « Vous tous qui êtes fatigués et qui ployez sous le faix, venez à moi, je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vos épaules, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. Vous trouverez le repos de vos peines ; car mon joug est plein de douceur et mon fardeau est léger. »

121 Hâtons-nous ! marchons à grands pas, ô hommes, simulacres amis de Dieu, effigies formées à la ressemblance du Verbe ! Hâtons-nous ! marchons à grands pas, adoptons le guide bienfaisant qui nous montre l’incorruptibilité au bout de la carrière, et commençons de chérir le Christ. Il attela jadis au même joug l’âne et le fils de l’âne. Aujourd’hui, courbant sous le joug de Dieu l’humanité tout entière, cocher divin, il pousse notre char vers l’immortalité, se hâtant ainsi d’accomplir les symboliques promesses du passé. Jadis il entrait triomphalement dans Jérusalem ; aujourd’hui le conquérant remonte vers les cieux. Ah ! quel sublime spectacle pour les regards de Dieu le Père, que son Fils éternel rapportant à ses pieds les trophées de sa victoire ! Réveillons donc en nous l’ambition du bien ; sachons aimer Dieu, et assurons-nous à jamais la possession des trésors impérissables, qu’est-ce à dire ? de Dieu et de l’éternité. Nous avons le Verbe pour auxiliaire ; mettons notre confiance dans le Verbe. Que nous importent les richesses et la gloire de la terre ? Ne connaissons d’autre passion que la vérité du Verbe. Dieu pourrait-il nous voir avec plaisir, d’une part, n’attacher aucun prix aux trésors les plus estimables, et de l’autre, esclaves volontaires de la démence, prostituer notre admiration au délire, à l’ignorance, à l’aveuglement, à l’idolâtrie et à la plus hideuse impiété ?

122 Car j’applaudis aux enfants des philosophes, quand je les entends proclamer que le sacrilège et l’impiété se trouvent au fond de toutes les œuvres produites par la démence. Il y a mieux. Compter l’ignorance parmi les différentes espèces de folie, n’est-ce pas confesser que le genre humain est une vaste multitude d’insensés ? Il ne faut donc pas mettre en question, vous dira le Verbe, lequel vaut mieux de persister dans sa folie ou de revenir à la sagesse. Loin de là ! Zélateurs de la sagesse, et invinciblement attachés à la vérité, une fois connue, marchons de toutes nos forces à la suite de Dieu, bien persuadés que l’universalité des êtres lui appartient, comme ils lui appartiennent en effet. De plus, comme la plus noble de toutes les propriétés divines, c’est l’homme sans contredit, jetons-nous dans ses bras, aimons le Seigneur et n’oublions pas que telle doit être l’occupation de notre vie tout entière.

S’il est vrai qu’entre les amis tout soit commun, et que l’homme soit l’ami de Dieu, glorieux privilège que lui a conquis la médiation du Verbe, ce qui appartient à Dieu est devenu la propriété de l’homme, puisque dans la merveilleuse amitié de Dieu et de l’homme tout est devenu commun. Maintenant à qui donner le nom d’opulent, de sage, d’illustre ? Au Chrétien seul, qui sert pieusement son maître. Lui seul est l’image de Dieu ; lui seul a été formé à sa ressemblance, puisque l’intervention du Christ l’a élevé à la justice, à la sagesse, à la sainteté, et par conséquent, à la ressemblance avec Dieu. Bienfait insigne que le prophète exprimait par ces paroles : « Je le déclare, vous êtes tous des dieux et les fils du Très-Haut ! » L’adoption, en effet, est pour les Chrétiens, mais pour les Chrétiens seuls. Dieu, qui est le père de ceux qui l’écoutent, repousse les rebelles qui l’outragent. Voulez-vous donc savoir comment se gouvernent les disciples du Christ ? « Leurs discours ressemblent à leurs pensées, leurs actions à leur discours, et leur vie à leurs actions. » Les jours de ceux qui connaissent Jésus-Christ s’écoulent dans une succession de biens non interrompue.

123 Mais nous en avons dit assez, j’imagine. Peut-être même qu’épanchant les inspirations que Dieu nous suggérait, nous nous sommes laissé trop emporter à notre amour pour les hommes et au désir de les exhorter au salut, qui est le premier de tous les biens. Peut-on achever sans regret les discours où se révèlent les mystères de la vie qui n’aura jamais de fin ? Il ne vous reste donc plus qu’à choisir entre le jugement et la réconciliation. Lequel vaut le mieux ? Je ne crois pas qu’il soit possible de délibérer longtemps entre ces deux extrémités : la mort peut-elle entrer en comparaison avec la vie ?

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