Stromates

LIVRE TROISIÈME

CHAPITRE XIII

Réponse à Jules Cassien et à un passage que celui-ci avait puisé dans un évangile apocryphe.

J’arrive à Jules Cassien, chef de la secte des Docètes. Il s’exprime comme il suit dans son livre de la Continence ou de la Chasteté :

« Qu’on ne vienne pas me dire que l’homme, étant conformé d’une certaine manière, et la femme d’une autre, pour engendrer, la femme pour concevoir, les rapprochements de la chair sont permis par Dieu. Si cette institution émanait vraiment du Dieu vers lequel nous avons hâte d’arriver, eût-il dit : Heureux les eunuques ! Ces paroles seraient-elles sorties de la bouche du prophète ? Les eunuques ne sont point un arbre sans fruit, prenant ainsi métaphoriquement l’arbre pour l’homme que sa volonté a fait eunuque de toute pensée charnelle ?

Défenseur de sa doctrine impie, Cassien ajoute :

« Qui ne serait en droit de faire alors le procès au Sauveur pour avoir transformé notre être, et nous avoir affranchis de l’erreur et des sens par lesquels les deux sexes se rapprochent et s’unissent ? »

Ici Tatien, sorti de l’école de Valentin, s’accorde avec Cassien. L’hérétique poursuit :

« Salomé demande au Seigneur quand viendra le temps où seront connus les mystères sur lesquels elle l’interroge. — Lorsque vous aurez foulé aux pieds le vêtement de la pudeur, répond le Christ, lorsque les deux ne feront qu’un, le mâle et la femelle, et qu’il n’y aura plus ni mâle ni femelle. »

D’abord les quatre Évangiles qui nous ont été transmis ne renferment pas ce passage : il ne se trouve que dans l’Evangile selon les Égyptiens. Ensuite, Cassien me semble ignorer que les appétits du mâle signifient la colère, et ceux de la femelle, le désir, qui, transformés en actes, ont pour conséquence le repentir et la honte. Lorsque cessant de flatter la colère et le désir, qui, fortifiés par l’habitude et une éducation vicieuse, couvrent d’épaisses ténèbres la lumière de l’intelligence, on dissipe, sous l’influence du repentir, ces vapeurs grossières, et que l’on recueille son âme pour la concentrer en un point unique, dans l’obéissance au Verbe ; c’est alors que suivant le langage de Paul, il n’y a plus en nous ni homme ni femme. L’âme, se dégageant de l’enveloppe charnelle par laquelle on distingue les sexes, passe à l’état d’unité, et n’est plus ni mâle ni femelle. L’illustre Cassien se rapproche trop ici du sentiment de Platon, lorsqu’il affirme que l’âme, divine dans son principe, mais efféminée par le désir, descend ici-bas pour la génération et pour la mort.

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