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Le semeur

Et comme une grande foule de peuple s’assemblait, et que plusieurs venaient à Jésus de toutes les villes, il leur dit en parabole : « Un semeur sortit pour semer, et en semant, une partie du grain tomba le long du chemin, et elle fut foulée, et les oiseaux du ciel la mangèrent toute ; et l’autre partie tomba sur un endroit pierreux ; et quand elle fut levée, elle sécha, à cause qu’elle n’avait point d’humidité ; et l’autre partie tomba parmi les épines, et les épines levèrent avec le grain, et l’étouffèrent ; et l’autre partie tomba dans une bonne terre, et étant levée, elle rendit du fruit, cent pour un. » En disant ces choses, il criait : Que celui qui a des oreilles pour ouïr, entende !

(Luc 8.4-8)

Dans nos contrées, lorsqu’un semeur sort pour semer, il entre dans un champ et commence aussitôt à jeter sa semence, en suivant d’un pas régulier les sillons tracés par la charrue. Mais, en Orient, dans cette terre classique du froment, on rencontre près de telle petite ville une grande plaine sans clôture, sans haies, sans autre ligne de démarcation entre les propriétés qu’une vieille borne ou une simple rangée de pierres. D’étroits sentiers traversent ces vastes terrains ouverts à tout passant, et ceux de ces sentiers qui sont les plus fréquentés prennent le nom de grande route. Ces grandes routes ne ressemblent en rien à ce que nous appelons de ce nom. Ce ne sont que des sentiers battus, desquels se détachent de temps à autre d’autres sentiers moins généralement suivis, que les voyageurs préfèrent quand ils veulent éviter la route principale, souvent infestée de voleurs. Dans ce cas, les piétons se risquent à traverser la plaine dans une direction nouvelle, et y tracent ainsi un nouveau sentier, qui est bientôt adopté par tous ceux qui se dirigent vers le même point.

Quand le semeur sort au matin pour jeter sa semence, il rencontre parfois une place qui a été labourée par la charrue rustique des Orientaux. Là, il jette sa semence en abondance. Mais, quelques pas plus loin, il trouve un sentier qui traverse le champ, et, à moins de laisser inculte une trop grande surface, il est obligé de jeter aussi une partie de son froment sur la terre durcie. Ailleurs, c’est un roc qui se dresse au milieu des sillons, et sur lequel tombe également une poignée de son blé. Ailleurs encore se trouve un coin du champ où la négligence du laboureur a laissé des amas de racines, de chardons ou d’épines. Le semeur s’en approche et y jette de sa semence. Le froment et les chardons croissent ensemble, et, comme l’indique la parabole, les épines deviennent les plus fortes et étouffent le froment, qui ne peut pas mûrir. Si nous nous souvenions que la Bible est un livre écrit en Orient, en sorte que ses métaphores et ses comparaisons ne sauraient nous être expliquées que par ceux qui ont voyagé dans ces contrées, nous rencontrerions bien moins de difficultés à comprendre une foule de passages qui sont devenus en quelque sorte inintelligibles pour les habitants de l’Occident. Or, le prédicateur de l’Évangile est comme le semeur : il ne crée pas la semence ; elle lui est fournie par son Maître. Il n’est pas au pouvoir de l’homme de former la plus petite des semences terrestres, bien moins encore de produire la divine semence de la vérité éternelle. Le prédicateur s’approche donc secrètement de son Maître et le prie de lui enseigner la Vérité. C’est ainsi qu’il se pourvoit d’une abondante provision. L’œuvre du serviteur se borne à aller dehors et à répandre sa précieuse semence au nom de son Maître. S’il pouvait discerner le meilleur terrain, il se bornerait à ensemencer les lieux qui ont été le mieux préparés par la charrue de la conviction ; mais, ne connaissant pas les cœurs, son devoir est de prêcher l’Évangile à toute créature, de jeter une poignée d’un côté, sur ce cœur durci, et une poignée de l’autre, sur ce cœur encombré par les soucis de la richesse, du plaisir et de la mondanité. Cela fait, il doit laisser à son Maître le soin du résultat, car il n’est point responsable de la moisson. Il n’est tenu qu’à ensemencer fidèlement et avec soin, à semer le plus et le mieux possible, à droite, à gauche et partout. Que si pas une seule semence ne germe ; que si pas un seul épi, ou même pas un seul brin d’herbe ne se montre le long des sillons, cet homme n’en sera pas moins approuvé et récompensé par son Maître, dès l’instant qu’il a semé de bonne semence et qu’il l’a semée avec soin.

Hélas ! hélas ! n’était que nous ne sommes point responsables du succès, avec quelle angoisse et quel désespoir ne verrions-nous pas si souvent notre labeur demeurer sans fruits et nos forces se dépenser en vain ! Nous en serions réduits à répéter avec le prophète Esaïe : « Qui a cru à notre prédication, et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé ? » Sur quatre semences, il en est une qui tombe sur une terre féconde, et trois qui s’en vont périr sur un sol improductif. Celles-là sont perdues, et on ne les retrouvera qu’au dernier jour, lorsqu’elles s’élèveront en jugement contre nos auditeurs inattentifs pour les condamner. Remarquons en passant que nous ne devons pas, mesurer notre responsabilité ni l’étendue de notre devoir au caractère plus ou moins sympathique de ceux qui nous écoutent, mais uniquement au commandement de Dieu. Nous sommes tenus de prêcher l’Évangile, qu’on soit attentif ou non. Quelles que soient les dispositions des cœurs, je dois jeter la semence aussi bien sur le terrain pierreux que sur la bonne terre, sur la grande route aussi bien que sur le sol cultivé.

Mon but aujourd’hui est tout simplement de parler aux quatre classes d’auditeurs qui se trouvent dans cette assemblée. La première est représentée par le long du chemin ; ce sont ceux qui se contentent d’écouter. La seconde comprend les endroits pierreux, c’est-à-dire les auditeurs sur lesquels la Parole ne produit qu’une impression passagère, tellement passagère qu’elle ne produit aucun fruit permanent. La troisième est celle des auditeurs sur lesquels la vérité fait une impression réellement profonde, mais les inquiétudes de cette vie et l’attrait des richesses et des plaisirs de ce monde étouffent la bonne semence. Enfin, la quatrième — la moins nombreuse, hélas ! et plaise au Seigneur qu’elle augmente considérablement ! — est celle des auditeurs attentifs et sérieux, représentant la bonne terre, et dans le cœur desquels la Parole porte du fruit, chez l’un trente, chez l’autre soixante et ailleurs cent.

I

Je dois donc parler en premier lieu à ceux qui reçoivent la Vérité sur le bord du chemin : « Une partie du grain tomba le long du chemin et elle fut foulée, et les oiseaux du ciel la mangèrent toute. » Il en est beaucoup d’entre vous qui ne sont pas venus ici le dimanche précédent. Vous ne vouliez pas adorer Dieu et ne désiriez nullement être impressionnés par aucune prédication. Vous êtes comme le bord du chemin, qui n’était pas destiné à devenir un champ de blé. Si une seule semence de vérité venait à tomber sur votre cœur et à y germer, ce serait un miracle tout aussi surprenant que si un grain de blé germait sur la grande route. Vous êtes le bord du chemin. Si toutefois la semence est jetée adroitement, une partie pourra tomber sur vous et s’arrêter quelques instants sur vos pensées. Vous ne la comprendrez pas, il est vrai ; mais néanmoins, si elle vous est présentée d’une manière intéressante, elle demeurera un certain temps dans votre esprit. Vous parlerez peut-être de la prédication que vous aurez entendue jusqu’au moment où quelque distraction plus conforme à vos goûts fixera votre attention. Mince avantage que celui-là ! car sous peu vous aurez oublié ce que vous êtes. Plût à Dieu que nous puissions espérer de voir nos paroles prendre racine en vous ! mais cet espoir nous est interdit, car le sol de votre cœur est un terrain tellement battu par les passants — un chemin si fréquenté — qu’il est impossible qu’une semence puisse y jeter des racines profondes et vivaces. Trop de choses passent et repassent dans votre âme pour que la semence ne soit pas écrasée. Le pied de Satan se pose continuellement sur votre cœur et y mène en pâturage ses troupeaux de blasphèmes, de convoitises, de mensonges et de vanités. Puis viennent les chariots de l’orgueil, puis vient l’insatiable Mammon, dont le pas lourd rend le terrain plus dur que le diamant. Pauvre semence ! elle n’a pas un moment de repos ; les foules succèdent aux foules ! Votre cœur ressemble au palais de la bourse, sans cesse traversé en tous sens par les commerçants qui trafiquent du salut des hommes. Vous achetez et vous vendez ; mais vous êtes loin de vous douter que vous vendez la Vérité et que vous achetez la destruction de votre âme. Vous courez ça et là, et vous vous agitez pour ce qui concerne votre corps — cette enveloppe de vous-même, — mais vous n’avez aucun souci de cette précieuse chose qui y habite ; je veux parler de votre être immortel.

Vous n’avez pas, dites-vous, le temps de parler de religion. Je le comprends. Votre cœur est un carrefour si populeux, un passage si encombré, qu’il ne reste pas de place où la semence puisse germer. A supposer même qu’elle pût germer, un pied brutal en aurait bientôt broyé la tendre tige.

En certaines saisons, la semence est demeurée assez longtemps en vous pour commencer à végéter, mais tel lieu d’amusement s’est présenté ; vous y êtes entré, et l’étincelle de vie qui s’était développée dans le grain a été broyée comme par un talon de fer. Ce grain était mal tombé ; il y avait trop de monde sur cette voie publique pour qu’il pût y croître. Pendant la peste de Londres, lorsque les multitudes étaient occupées à conduire les morts dans le champ du repos, l’herbe croissait dans les rues, mais le blé n’aurait pas pu germer sur la place de Cornhill. Cherchez bien par toute la terre, fouillez-la en tous sens, jamais vous ne trouverez à acheter un blé qui puisse germer en un terrain aussi fréquenté. Votre cœur ressemble à ce vaste carrefour, car les pensées, les préoccupations, les péchés s’y rendent en foule ; — pensées d’orgueil, pensées de vanité, pensées coupables, pensées de révolte contre Dieu, — tout y afflue à la fois pour s’y agiter en tous sens ; de telle sorte que la semence de vérité, tombant au milieu de cette mêlée, est comme le grain de froment qui tombe sur la grande route. Il lui est impossible de prendre racine, il est perdu, ou, s’il échappe, les oiseaux descendent des cieux et l’emportent. Et ce qu’il y a de plus triste à penser, c’est que si nous répandons une partie de notre semence sur la voie publique, le pied du méchant ne sera pas seul à l’empêcher de germer ; le pied du chrétien lui-même contribuera à le détruire. Hélas ! le cœur de l’homme ne s’endurcit pas seulement par l’influence du péché, mais aussi par la prédication de l’Évangile. Il est des consciences que la vérité a rendues insensibles. On peut entendre des prédications jusqu’à en avoir l’âme calleuse et comme morte. Semblable au chien du forgeron, qui s’étend et qui dort près de son maître, tandis que les étincelles volent autour de son museau, vous vous coucherez et vous dormirez peut-être sous le marteau de la loi, tandis que les étincelles de la damnation voltigeront autour de vous, sans vous épouvanter, sans vous surprendre. Vous avez entendu ces choses si souvent ! nous ne vous racontons qu’une histoire si rebattue quand nous vous parlons de la colère à venir ! Les hommes qui travaillent à l’intérieur des immenses chaudières que l’on fabrique à Southwark sont abasourdis la première fois qu’ils sont appelés à manier le marteau ; ils deviennent comme sourds ; mais peu à peu ils s’habituent si bien, dit-on, à ce bruit infernal, qu’ils pourraient dormir au milieu de cette machine tandis que les ouvriers la martèlent à toute volée, avec un fracas qui égale les plus violents coups de tonnerre. Voilà ce que vous êtes devenus ! Les ministres de Dieu se sont succédé sur la grande route de votre âme, en sorte qu’elle s’est durcie au point que si Dieu dans sa miséricorde ne la fait sauter en éclats par quelque tremblement de terre, jamais la divine semence n’y pourra pénétrer. Votre âme est devenue comme un sentier battu par un continuel trafic.

Après avoir décrit ce grand chemin, voyons ce que devient la bonne semence qui y est tombée. Dans une bonne terre, elle eût porté du fruit ; mais elle est tombée dans un lieu peu propice, et elle ne saurait y croître. Elle y demeure aussi sèche que lorsqu’elle est sortie de la main du semeur ; la vie qu’elle contient demeure assoupie. Le germe vivant de l’Évangile reste à la surface du cœur sans pouvoir y pénétrer. Semblable à la neige qui tombe parfois dans nos rues, et s’y fond à mesure sur le pavé, ainsi la Parole glisse sur cet homme dont je parle. Elle n’a pas le temps de communiquer la vie à l’âme d’un auditeur aussi peu attentif ; elle y reste quelques instants, mais elle n’y prend pas racine et n’y produit aucun effet.

Mais, demandons-nous, pourquoi viennent-ils l’entendre, puisqu’elle ne leur fait jamais aucun bien et n’entre jamais dans leur cœur ? Cela m’a souvent étonné. Nous avons des auditeurs qui pour tout l’or du monde ne s’absenteraient pas un seul dimanche, et qui paraissent très réjouis de se joindre à nôtre culte ; mais jamais une larme ne vient humecter leur paupière, jamais leur âme ne paraît s’élancer vers les cieux sur les ailes de la louange, jamais ils ne se joignent cordialement à nous dans notre confession des péchés. Quand pensent-ils à la colère à venir ou à l’état futur de leur âme ? Leur cœur est de fer. Autant vaudrait prêcher l’Évangile à un tas de pierres. Quel sentiment peut amener ici des auditeurs aussi insensibles ? Faudra-1-il que nous parlions à des visages de bronze et à des cœurs d’acier ? Nous aurions, à coup sur, autant de chance de convertir des lions ou des léopards que des êtres aussi insaisissables et aussi incapables d’aucune émotion. O sensibilité ! t’es-tu donc réfugiée chez les bêtes sauvages, que les hommes aient perdu toute raison ?

Je suppose qu’ils viennent à nos cultes parce que cela est convenable, et aussi parce que c’est un moyen de s’endurcir toujours plus. S’ils s’abstenaient, leur conscience les mordrait ; cela seul développerait en eux quelque peu de vie ; mais ils viennent afin de pouvoir se flatter de l’espoir que tout va bien chez eux. Ils ne sont pas irréligieux ; oh ! non. Ils ne négligent ni la maison de prière, ni le pasteur ; mais ils viennent pour croître dans l’endurcissement et pour s’enfoncer toujours davantage dans leur stupidité spirituelle et leur état de péché. O vous dont je fais le portrait, votre situation est de celles qui font pleurer les anges ! Quel état, en effet, que d’avoir devant soi et dans tout son éclat la lumière de l’Évangile, et être aveuglé au point de ne rien voir ! de n’avoir point d’oreilles pour entendre la céleste harmonie ! d’avoir en soi une pauvre âme tellement bien emprisonnée qu’aucun rayon de lumière, aucun son ne saurait pénétrer jusqu’à elle ! Le pasteur est à vos yeux semblable à quelqu’un qui joue d’un suave instrument ; mais il en joue devant une statue qui n’a point d’oreilles pour entendre. Vous pouvez suivre le développement d’une phrase, apercevoir le sens d’une métaphore ; mais le sens réel, la vie divine vous échappent entièrement. Vous êtes assis au banquet nuptial, mais vous ne touchez pas aux mets et vous n’en savourez pas le vin généreux. Vous entendez les échos des célestes halléluias qui accueillent dans la gloire les esprits rachetés, mais vous vivez sans rédemption, sans Dieu et sans Christ. Vous êtes debout, à l’entrée de la voie étroite, mais vous n’y marchez point. Vous êtes près, tout près de la maison de la miséricorde, dont la porte est entrebâillée ; vous êtes là ; vous jetez de temps à autre un petit regard à l’intérieur, mais jamais vous ne vous décidez à faire le pas qui sauve, Nous nous efforçons de vous éveiller ; nous vous pressons, nous prions pour vous et avec vous, nous pleurons sur vous ; mais vous êtes tout aussi durs, aussi insensibles, aussi insouciants que jamais. Ah ! que l’Éternel Dieu aie pitié de vous et vous arrache à une si fatale torpeur, afin que vous ne périssiez pas ! — O Esprit Saint ! brise ces cœurs semblables à la grande route et daigne les rendre féconds !

Toutefois, notre tableau n’est pas achevé. Le texte nous dit que « les oiseaux du ciel la mangèrent. » Y a-t-il aujourd’hui dans cette assemblée un de ce ces auditeurs qui reçoivent la semence sur le chemin ? Qui sait ? il en est peut-être entré un sans le vouloir ; mais il a vu une grande foule dans la rue avoisinant ce temple, et l’idée lui est venue de suivre le courant pour employer une heure. Il entend peut-être en ce moment des choses qu’il aura quelque peine à oublier ; mais, en sortant, ou, comme il s’en ira chez lui, quelqu’ancien camarade lui proposera une course pour cet après-midi, et il acceptera. La pauvre semence tombée sur un sol aussi impropice sera mangée par les oiseaux du ciel. Ils ne sont pas rares les esprits malins toujours disposés à enlever ce précieux froment ! En premier lieu, c’est le diable lui-même, ce prince de la puissance de l’air, toujours prompt à arracher toute bonne pensée et toute sainte résolution. Après lui, viennent ses innombrables légions. Il se servira de votre propre femme, de vos propres enfants, de votre propre commerce ; il les jettera au travers de votre route, en sorte qu’ils enlèveront la bonne semence. A la porte attend peut-être une pratique ; et, quoique votre intention ne soit pas de la servir aujourd’hui, vous ferez « une exception », de peur de la mécontenter, et la bonne semence est ravie, et tout son fruit compromis. O douleur ! faut-il que cette nourriture céleste devienne la proie des démons et que le froment de Dieu serve à nourrir les vautours de Satan !

Permettez que je m’adresse encore directement à vous, mes chers auditeurs. S’il est vrai que vous ayez entendu prêcher l’Évangile depuis votre jeunesse, que de charretées de sermons ont été usées en pure perte ! Pendant votre adolescence, vous alliez entendre le docteur un tel, et ce cher vieillard priait pour ses auditeurs avec une ferveur si grande que ses yeux en devenaient rouges de larmes. Vous rappelez-vous ces dimanches où vous vous disiez. : « Je veux m’enfermer dans ma chambre, me jeter à genoux et prier ? » Et vous ne l’avez pas fait ! Les oiseaux du ciel ont mangé la semence, et vous êtes retournés à votre train ordinaire de péché. Depuis lors, obéissant à une mystérieuse impulsion, vous êtes rarement absents de la maison de Dieu ; mais aujourd’hui les étincelles de lumière tombent dans votre cœur comme dans un océan où elles s’éteignent aussitôt. On a beau tonner à vos oreilles au nom de la loi, vous n’avez garde d’en rire, mais cela ne vous affecte pas. Christ est comme crucifié de nouveau sous vos yeux ; on vous montre ses précieuses blessures, son sang qui ruisselle ; on vous prie, on vous conjure de regarder à Lui pour avoir la vie ; mais tout cela vous laisse parfaitement indifférent. Vous ne vous êtes pas dit en tout autant de mots : « S’il faut que je périsse, je périrai, ou s’il faut que je sois sauvé, je serai sauvé. » Mais, après tout, vous en êtes venu à le penser, et maintenant, quoique nous disions ou fassions, rien ne saurait plus pénétrer vôtre cœur ; impossible d’infiltrer dans cette roche la moindre bonne pensée ! — Que puis-je faire pour vous ? Verserai-je des torrents de larmes sur ce chemin battu ? Hélas ! mes larmes ne l’attendriraient pas ; il est trop dur pour cela. Tâcherai-je d’y faire passer la charrue de l’Évangile ? Hélas ! l’acier s’en briserait sans pouvoir l’entamer. Que puis-je faire ? O Seigneur ! toi seul peux briser la roche en éclats. Toi seul peux fondre dans le sang précieux de Jésus ce cœur semblable au caillou roulé par les torrents. Veuille donc le faire maintenant, nous t’en supplions, à la louange de la gloire de ta grâce, afin que la bonne semence ne soit pas perdue, mais qu’elle puisse produire la divine moisson que ton serviteur attend avec un ardent désir, dont il ne saurait se passer, et avec laquelle il pourra se réjouir d’une joie ineffable et glorieuse.

II

Je vais maintenant m’adresser à la seconde classe d’auditeurs. « Et une partie tomba sur un endroit pierreux, et quand elle fut levée, elle sécha, à cause qu’elle n’avait pas d’humidité. » Vous pouvez vous représenter aisément cet endroit rocailleux au milieu du champ. Quelque ancienne convulsion de la nature l’a fait jaillir à la surface, et la semence y tombe comme ailleurs. Il est des auditeurs qui, au premier abord, nous causent une grande joie, et qui plus tard nous remplissent d’une tristesse plus grande encore. Ceux qui aiment les âmes peuvent seuls comprendre les douces espérances, la vive joie…, et puis l’amère déception que ces endroits pierreux nous apportent. Il est une classe d’auditeurs dont le cœur est au fond très dur, mais très tendre, semble-t-il, et très sensible à la surface. Tandis que d’autres n’ont rien trouvé de saillant dans le discours, ceux-ci versent des larmes. Pour d’autres, le sermon a été très ordinaire ; ceux-ci en sont émus jusqu’à en pleurer. Que vous prêchiez sur les terreurs de la loi ou sur l’amour de Christ expirant sur la croix, ils en sont également affectés et en reçoivent des impressions tout aussi vives. Nous en avons plus d’un de cette catégorie en ce moment. Ils ont pris et repris de bonnes résolutions et en ont toujours renvoyé l’accomplissement. Ce ne sont pas des ennemis déclarés de Dieu, qui se renferment dans une cuirasse d’acier ; ils découvrent au contraire leur poitrine pour y recevoir les coups du glaive spirituel, et semblent dire au prédicateur : « Frappe-moi là, au cœur ; dirige bien ta flèche, elle y trouvera ample demeure. » Tout réjouis à la vue de si saintes dispositions, nous lançons alors nos flèches ; mais, hélas ! sous la chair se trouve une armure invisible qui émousse tous les traits. Après s’y être pris un instant, ils tombent bientôt à terre, et il n’y a rien de fait. Voici comment la Parole de Dieu décrit cette catégorie : « Une partie tomba dans les endroits pierreux où il y avait peu de terre, et elle leva promptement, parce qu’il n’y avait pas assez de terre ; ou, comme cela est expliqué ailleurs : « Ceux qui la reçoivent dans des endroits pierreux, ce sont ceux qui ayant ouï la Parole, la reçoivent avec joie, mais ils n’ont point de racine, et ils ne croient que pour un temps ; et quand la tentation survient ils se retirent. »

Ah ! que de milliers d’auditeurs qui reçoivent la Parole avec joie ! mais ils n’ont point de convictions profondes, point d’alarmes terribles ; ils s’élancent tout-à-coup dans les bras de Christ ; ils professent une foi instantanée en son Nom ; on peut même dire que leur foi a tous les caractères apparents d’une foi véritable. En l’examinant de près, on trouve que la semence a réellement germé, qu’elle vit, qu’elle produit déjà une verte tige. Alors, nous rendons grâces à Dieu, nous nous jetons à genoux et nous frappons des mains ; nous nous écrions : « Encore un pécheur de sauvé ! encore une âme engendrée de Dieu ! encore un héritier de plus pour le ciel ! Mais, ô joie prématurée !… ce sont ceux qui ayant ouï la Parole, la reçoivent avec joie ; mais ils n’ont point de racine, parce que la terre n’est pas profonde, en sorte que la même circonstance qui leur a permis de germer si vite, les condamne à périr dès que le soleil viendra darder ses rayons brûlants. Le nombre de ces hommes est immense. Ils se présentent pour devenir membres de l’Église ; ils nous racontent comme quoi ils nous ont entendu prêcher dans telle ou telle occasion, et comme quoi cette parole est allée jusqu’au fond de leur âme, et ils n’avaient jamais goûté une joie aussi vive. « Ah ! Monsieur, il me semblait que j’allais me lever sur mon banc pendant que vous parliez de l’amour de Christ ; aussi ai-je cru en Lui à ce moment même ; oui, vraiment ! en ce même instant. » Nous leur demandons s’ils ont jamais senti le besoin d’un Sauveur ; ils répondent : oui, mais ce oui est un non. Nous les questionnons pour savoir s’ils ont jamais été convaincus de péché ; ils pensent que oui, mais ils n’en sont pas sûrs. Ils ne savent qu’une chose, disent-ils, c’est qu’ils trouvent une grande jouissance dans la piété. Nous leur demandons : Croyez-vous pouvoir persévérer dans cette voie ? — Oh ! bien certainement ! — Ils n’en doutent point. Jamais ils ne pourraient, assurent-ils, se retrouver dans la compagnie qu’ils fréquentaient jadis. Ils détestent ce qu’ils aimaient autrefois, ils l’abhorrent. Toutes choses pour eux ont été faites nouvelles, et cela s’est fait tout-à-coup. Nous leur demandons quand cette bonne œuvre a commencé, et nous trouvons qu’elle a commencé et qu’elle s’est achevée en un même instant ; ce qui veut dire qu’elle n’a été précédée d’aucun travail préparatoire, et que la charrue n’a pas remué le sol. Ils ont sauté de la mort dans la vie, de la condamnation dans la paix, avec la promptitude d’un homme qui saute à la rivière.

Nous sommes heureux, sans doute, de rencontrer des gens si bien disposés, car on ne peut pas nier qu’ils ne possèdent toutes les apparences d’une œuvre de grâce. Nous les admettons donc dans l’Église ; mais, peu de semaines plus tard, ils sont déjà moins réguliers à venir aux services. Nous leur en faisons l’observation avec ménagement, et ils nous répondent qu’ils rencontrent une si forte opposition autour d’eux qu’ils sont obligés de faire quelques concessions. Une semaine se passe, et nous ne les revoyons plus. La raison en est qu’on s’est moqué d’eux et qu’on leur a suscité quelques contrariétés. Cela a suffi pour qu’ils se retirent. Ils sont les « souples » de ce monde, — gens qui désirent aller au ciel avec Chrétien, parce que le ciel est une belle patrie. Ils marchent donc côte à côte avec lui et parlent avec effusion des splendeurs du monde à venir. Mais un marais se présente, — c’est le bourbier du découragement ; Chrétien y tombe et M. Souple s’y enfonce avec lui. « Oh !s’écrie-t-il, ceci n’était pas dans mon programme. Je ne m’attendais guère à avoir de la boue jusque par-dessus la tête. Si seulement je puis me tirer d’ici et m’en retourner en ma maison, je vous fais bien volontiers cadeau de ma part d’héritage dans cette belle patrie. » Le voilà qui saute hors de la mare, tant bien que mal, et qui se hâte de revenir sur ses pas, s’estimant trop heureux d’avoir échappé à la triste nécessité d’être chrétien. Et qu’éprouve à cette vue le ministre de Dieu ? Hélas ! il sent qu’il a compté trop vite sur la victoire. Il est comme le cultivateur qui voit son champ couvert d’une récolte florissante et qui s’en réjouit. La gelée vient le soir même flétrir cette végétation, et le lendemain il se lamente de ce que sa récolte est perdue. Ainsi se lamente le ministre de Dieu. Il se retire dans son cabinet, et, se prosternant la face contre terre, il crie : « Ah ! j’ai été trompé ! cet homme est retourné en arrière comme un chien à ce qu’il avait vomi, comme la truie qu’on avait lavée, au bourbier qui fait ses délices. » Vous vous souvenez de cette antique description qui représente Orphée comme si habile à jouer de la lyre, qu’il faisait, au dire des Anciens, danser autour de lui jusqu’aux chênes et aux rochers. Ce n’est qu’une fiction poétique, mais elle s’est réalisée plusieurs fois pour le prédicateur : sa parole a souvent ému non seulement les enfants de Dieu, mais encore les cœurs de bois et de pierre. Lorsque la lyre ne fait plus entendre ses accords mélodieux, le chêne retourne à ses racines et la roche retourne à sa place accoutumée. Le pécheur, qui s’était, à l’instar de Saül, joint à la bande des prophètes, s’en va conspirer secrètement contre l’Éternel. Tel qui, hier encore, avait chanté les cantiques et prié publiquement dans l’assemblée, s’en va à la taverne proférer des blasphèmes. Le dimanche qui suit sa réception dans l’Église, on le voit roder le soir dans les rues.

J’ai connu un homme qui m’a coûté bien des larmes amères : il était dans son village le promoteur de tout ce qui est mauvais. C’était un homme de haute stature, d’une forte constitution et d’un extérieur agréable. C’était le buveur le plus intrépide qu’il y eût à vingt lieues à la ronde. Il était la terreur du voisinage, ne craignant ni ne respectant rien, jurant et blasphémant à faire trembler. Un jour, il entra pour entendre la prédication de l’Évangile, et il pleura. Toute la paroisse en était dans l’ébahissement. « Le vieux pécheur, disait-on, a pleuré ! » et bientôt on sut partout qu’il avait reçu des impressions sérieuses. Il commença à paraître régulièrement au culte et sembla complètement changé. Le café y avait perdu sa meilleure pratique ; on ne le voyait plus passer le soir dans les lieux suspects, et on ne le rencontrait plus dans les bandes avinées qui parcouraient fréquemment les rues. Enfin, il se risqua à venir dans la réunion de prière et y raconta ce qu’il avait éprouvé et ce qui s’était passé dans son cœur. Je l’entendis même prier. Son langage était rude et grossier, mais plein de vie et d’onction. Je le notai dans ma pensée comme l’un des plus brillants fleurons de la couronne du Seigneur. Cela dura six mois, et même neuf. Il était tout feu, tout zèle ; y avait-il quelque travail difficile, c’était son affaire ; fallait-il courir à trois ou quatre lieues pour tenir une école du dimanche, il était l’homme. Il voulait à tout prix faire quelque chose pour le Seigneur, et quand il pouvait rendre le plus petit service au moindre des enfants de Dieu, il en jubilait. Mais peu à peu les railleries, les quolibets, les moqueries dont ses anciens compagnons de débauche l’accablaient, et dont il n’avait d’abord tenu aucun compte, commencèrent d’abord à le décourager. Il pensa bientôt qu’il s’était trop engoué et qu’il avait fait du fanatisme. Il entrait furtivement dans la maison de Dieu, au lieu d’y venir la tête haute. Il disparut graduellement des services sur semaine et puis des services du dimanche, et, malgré de fréquents avertissements et des instances réitérées, il retomba dans ses anciennes habitudes. Il ne redevint pas, à la vérité, aussi monstrueusement dépravé qu’auparavant, mais toute impression sérieuse s’était complètement évanouie. Il jurait, il se rejoignait aux profanes pour faire le mal, et lui, qui avait fait notre joie, — lui dont nous avions dit : « Quelle gloire pour Dieu ! quelle puissance que celle de sa grâce ! » — à notre confusion extrême, courait les places publiques dans un état honteux d’ivresse ; en sorte qu’on nous jetait ensuite à la face ces paroles : « Ah ! le joli chrétien que vous avez recruté là ! C’est un de vos nouveaux convertis qui est retourné en arrière et qui est devenu pire qu’auparavant ! Belle conquête ! belle œuvre que vous avez faite !… »

S’il est fâcheux de ressembler au « bord du chemin », il ne l’est guère moins de ressembler au « terrain pierreux. » Et cependant cette dernière catégorie d’auditeurs nous donne plus de sujets de joie que la première. Il est une sorte de gens qui se pressent toujours autour d’un jeune pasteur, et j’ai souvent pensé que c’était par un acte de sa bonne providence que Dieu envoyait de telles personnes à celui qui débute dans le ministère, tandis qu’il est jeune et qu’il a peu d’appuis pour l’encourager. Ces gens sont des plus faciles à émouvoir, et pour peu qu’il prêche avec onction, ils le sentent, ils s’attachent à lui et ils l’entourent. Mais le temps, qui met toutes choses à l’épreuve, les éprouve aussi. Ils paraissent d’un métal pur et massif ; mais l’épreuve du feu ne leur est pas favorable ; ils fondent et sont consumés. Je suis loin de vous connaître tous, mais j’en aperçois un certain nombre auxquels je pourrais dire : « C’est de toi que je parle. » Souvent, tandis que je prêchais, je fixais mes yeux sur vous, en me disant : « Voilà un homme qui, un de ces jours, sortira du monde », et j’en ai remercié le Seigneur. Ah ! voici sept ans que je vous annonce la Vérité, et vous êtes toujours les mêmes. Qui sait ? peut-être pourrez-vous m’entendre pendant sept autres années ; mais faudra-t-il que je les emploie en efforts inutiles, en vains avertissements, en appels demeurés sans réponse ? Serait-ce possible ! et faudra-t-il enfin qu’on vous dépose dans votre tombe, et que, debout sur le bord de ce sépulcre encore béant, je me mette à penser : « Ci-gît une espérance qui a trompé mon attente, une fleur qui a péri avant de s’épanouir, un homme dans le cœur duquel la grâce semblait lutter, mais n’a jamais pu régner. Il a donné un moment quelques indices de vie, mais bientôt tout est rentré dans la froide langueur d’une éternelle mort ! » Que Dieu vous sauve ! qu’il veuille vous secouer efficacement, afin que vous soyez ramené au bercail, quelque grave que soit votre état, et que toute la gloire lui en soit attribuée !

III

J’ai hâte d’arriver à la troisième classe d’auditeurs, et veuille l’Esprit de Dieu me donner de vous parler fidèlement. « Et une partie tomba parmi les épines, et les épines levèrent et l’étouffèrent. » Ici la terre est bonne, tandis que dans les deux cas précédents elle ne l’était pas. Le bord du chemin n’était pas un lieu propice ; le lieu pierreux l’était tout aussi peu. Là, aucune plante quelconque ne pouvait croître ; mais ici le terrain est bon, puisqu’il produit des épines. Le sol qui peut nourrir des chardons peut également nourrir du blé ; partout où les ronces peuvent croître et fleurir, le froment peut de même fructifier. Nous sommes sur un terrain fertile, et il n’est pas étonnant que dans cet angle de son champ le semeur ait jeté sa semence avec profusion. Voyez comme il est joyeux, un ou deux mois plus tard, quand il vient inspecter sa récolte en cet endroit ! la semence a poussé. Il y a bien çà et là certaine petite plante suspecte à peine aussi grande que le blé. « Oh ! pense-t-il, ce n’est pas grand’chose ; le froment va croître par-dessus et étouffera ces quelques chardons qui se sont mêlés malheureusement au blé. » — Ah ! pauvre cultivateur, tu ne connais pas la terrible puissance du mal, autrement tu ne parlerais pas ainsi ! — Il revient quelque temps après, et tout a grandi ; l’épi se forme déjà, mais les chardons, les épines et les ronces ont si bien entrelacé leurs pousses, que le pauvre blé peut à peine recevoir quelque rayons de soleil. Il est tellement enveloppé de festons et de feuillages que, tant à cause de l’humidité que du manque de lumière, sa tige est d’une teinte pâle et maladive. Il vit pourtant, il continue à croître ; on peut espérer qu’il donnera peut-être quelque fruit ; mais, en définitive, il n’en produit point, et le moissonneur n’en remplira pas ses mains. On voit bien quelque chose comme des épis, mais ces épis sont vides.

Hé bien ! cette classe d’auditeurs abonde parmi nous. De ce nombre sont les messieurs et les dames qui viennent nous entendre et qui comprennent très bien ce qu’ils entendent. Ce ne sont pas des gens ignorants et sans culture qui laissent échapper ce qu’on leur dit. Quand nous leur prêchons, on ne saurait nous accuser de jeter nos perles aux pourceaux. Ils se souviennent de tout ; ils conservent tout ; ils emportent tout cela dans leurs demeures, en font le sujet de leurs méditations. Ils reviennent, ils reviennent encore, et toujours ; ils font mieux, ils finissent même par faire profession de christianisme. Le blé a germé, a grandi, il a même fleuri ; bientôt il va être mûr. Mais ne vous hâtez pas trop ; ces gens ont bien des intérêts à soigner ; sur eux reposent les lourdes responsabilités d’affaires importantes ; leur maison emploie je ne sais combien de centaines d’ouvriers. Ne vous méprenez pas sur la valeur de leur piété ; le temps leur manque pour y aviser. « Il nous faut vivre, vous diront-ils. Nous ne pouvons négliger nos affaires terrestres ; il faut, de manière ou d’autre, que nous nous tirions d’embarras pour le présent, et, quant à l’avenir, nous espérons avoir plus tard le temps d’y penser. » Ils continuent à venir au culte, et la pauvre tige amaigrie continue de croître. Maintenant, les voilà devenus riches ; ils viennent en voiture, et ils possèdent tout ce qu’ils peuvent désirer. La tige, cette fois, va grandir promptement, n’est-ce pas ? Hélas ! non. Ils n’ont plus de soucis, c’est vrai, car ils ont abandonné leur commerce ; mais ils vivent à la campagne. Ils n’en sont plus à se demander : « D’où nous viendra l’argent pour payer la traite qui va nous être présentée ? » ni « Comment ferons-nous pour pourvoir aux besoins d’une famille qui augmente ? » — Non ; maintenant, au lieu d’être à court, ils ont de reste, car ils sont riches. — Fort bien ! dira quelqu’un, ils vont dépenser leurs richesses chrétiennement ; ils vont faire valoir ces talents qu’ils ont reçus. Pas du tout, vous n’y êtes pas ; leurs richesses sont un leurre. Ils sont obligés désormais de mener grand train ; il leur faut recevoir du monde, se tenir à la hauteur de leur position sociale. Bientôt il faudra songer à devenir membre du parlement et à se lancer dans toutes les trompeuses illusions des richesses. Oui, dira-t-on ; mais en attendant ils dépensent leur revenu, en sorte que le mal n’est pas si grand. Ils donnent libéralement pour la cause de Christ, ils donnent libéralement aux œuvres de charité, etc., et pendant ce temps la pauvre tige pourra se développer. — Non, non ! car, voyez maintenant les épines de la prospérité ! Généreux envers les autres, ils le sont envers eux-mêmes. Ils se réjouissent dans leurs richesses, et rien de plus naturel ; mais ces plaisirs augmentent si vite et deviennent pour eux d’une telle importance qu’ils étouffent les bonnes semences. Les grains de vérité évangélique qu’ils reçoivent ne peuvent grandir, parce qu’ils ont tel divertissement, tel concert, tel bal, puis telle soirée, en sorte qu’ils n’ont pas le temps de s’appliquer aux choses de Dieu. Les plaisirs de ce monde étouffent en eux le bon grain. Je connais plusieurs exemples de ce genre qui font frémir. Je ne puis en raconter les détails ici, de crainte qu’on aille les répéter aux parties intéressées, mais je pourrais raconter de bien tristes histoires. Je connais quelqu’un qui est haut placé dans les cercles aristocratiques, et qui m’a dit plus d’une fois regretter de n’être pas pauvre, car ce n’est qu’à ce prix, pense-t-il, qu’il pourrait entrer dans le royaume des cieux. Il occupe une position éminente, mais il m’a dit d’un ton qui me prouvait sa sincérité : « Ah ! monsieur, cette politique, cette politique ! Plût à Dieu que j’en fusse débarrassé. Elle me ronge le cœur et je ne peux pas servir Dieu comme je voudrais. Que ne puis-je me cacher dans quelque retraite où je chercherais mon Sauveur ! » J’en connais un autre qui ne sait que faire de ses richesses et qui en use noblement et généreusement. Celui-là me disait, un jour où, me promenant avec lui, je pus lire jusqu’au fond de son cœur : « Ah ! monsieur, qu’il est redoutable d’être riche ! Avec toute cette matière entre les mains, j’ai grand’peine à me tenir près de mon Sauveur. »

Ah ! mes chers auditeurs, je ne demande pas à Dieu de vous placer sur un lit de maladie et de vous y dépouiller de tout ce que vous possédez. Je ne lui demande pas de vous réduire à la mendicité, en vous enlevant tout ce qui embellit votre existence. Pareille prière ne s’échappera pas de mon cœur. Mais, si le Seigneur le faisait et si vous parveniez ainsi à sauver votre âme, ne serait-ce pas la plus heureuse de toutes vos spéculations ? Ah ! si le roi pouvait briser sa couronne et être sauvé ! Si ces rois de la finance et ces princes de la terre qui se plaignent de ce que la bonne semence ne peut pas croître en eux, pouvaient abandonner leurs riches professions et leurs brillants entourages ; si leur vie de luxe pouvait devenir une humble pauvreté, si leur table somptueuse et leur fin lin pouvaient faire place au dénuement de Lazare, avec ses chiens léchant ses plaies, et si à ce prix leur âme pouvait être sauvée, ce changement, en vérité, ne serait point à regretter. Comprenez-moi bien : je ne prétends pas que, par cela seul qu’on est riche et honoré des hommes, on ne puisse prendre son plaisir dans la grâce du Seigneur et aller au ciel ; mais combien il sera difficile d’y parvenir ! « Il est plus aisé qu’un chameau passe par le trou d’une aiguille qu’il ne l’est à un riche d’entrer dans le royaume des cieux. » Quelques-uns de ces chameaux passeront par le trou de l’aiguille ; Dieu peut le faire, et Il le fait. Mais qu’ils sont rudes les combats, qu’elles sont acharnées et désespérées les incessantes luttes qu’ils ont à soutenir contre leur pauvre chair, afin de la soumettre à la loi de Dieu ! Calme ta fougue, jeune homme, modère ton ambition, ne te hâte pas de gravir à de telles hauteurs. La tête tourne vite à cette élévation. Ne demande pas à Dieu la popularité ; ceux qui l’ont acquise l’abhorrent et voudraient s’en dépouiller. Ne lui demande plus ni réputation ni richesse ; ceux qui sont renommés et riches regardent souvent vers le passé et voudraient bien pouvoir retourner dans la retraite solitaire où ils ont vu le jour. Crie plutôt avec Agur : « Ne me donne ni pauvreté ni richesse. Seigneur, donne-moi de rester dans l’heureuse médiocrité, afin que la bonne semence puisse toujours prospérer dans mon cœur et y porter de bons fruits, un grain trente, un autre soixante et un autre cent, à ta gloire. »

IV

Je termine par l’examen du bon terrain. Sur quatre parties de terre, observez que nous n’en avons ici qu’une de bonne. Ah ! plût à Dieu que nous trouvions dans ce temple un bon auditeur, — c’est-à dire un cœur bien préparé à recevoir la semence sur quatre ! Le terrain dont il est question était bon, non pas bon par nature, mais rendu tel par l’œuvre de la grâce. Dieu y avait conduit la charrue, il l’avait remué par une profonde conviction de péché, et les sillons étaient ouverts pour recevoir la semence. Quand l’Évangile est tombé sur cette terre, elle l’a reçu aussitôt, et cet homme s’est écrié : « Voilà bien le Sauveur qu’il me fallait ! Une pure grâce ?… mais c’est justement ce qu’il faut à un pauvre pécheur ! Un refuge ?… mais que Dieu me donne d’y courir et de m’y cacher, car c’est précisément ce dont j’ai le plus grand besoin ! » La prédication de la grâce était donc ce qu’il fallait à ce terrain labouré et remué, pour le féconder. A peine tombée dans le sillon, la semence y a pris racine ; elle a produit dans certains cas un amour plein de ferveur, dans d’autres un dévouement sans bornes, dans d’autres une volonté inébranlable. Cet homme est devenu un éminent serviteur de Dieu, il s’est consacré à son service et s’y est dépensé avec joie. Il a pris place aux avant-postes de l’armée de Christ, il a paru à la brèche au plus fort du combat, il a accompli des actes d’un héroïsme rare. Un grain en a produit cent.

La semence est tombée ailleurs sur un cœur également préparé. Celui-là n’a pas pu produire autant que le précédent ; cependant il a beaucoup produit. Il s’est donné à Dieu tel qu’il était, et au milieu de ses affaires terrestres il a trouvé moyen de placer de temps en temps un mot relatif à la grande affaire du ciel. Dans sa vie de chaque jour, il a su rendre honorable la doctrine de Dieu son Sauveur. Ce grain en a produit soixante.

Enfin, la semence est tombée sur un troisième qui n’avait reçu que peu de talents et des capacités très ordinaires. Il ne pouvait briller comme une étoile ; il a brillé comme un petit ver-luisant. Il ne pouvait pas lutter comme les forts ; il s’est contenté de faire le peu qu’il pouvait, quoique ce peu fût extrêmement peu de chose. Ce grain en avait produit dix, peut-être vingt. Combien y en a-t-il de semblables à lui dans cette foule qui m’écoute ? Quand je suis monté en chaire, mon âme était brûlante ; mais, en parlant, une tristesse soudaine m’a saisi, et c’est à contre-cœur que j’ai prononcé ce discours. Mais puis-je espérer du moins que, malgré la maladresse avec laquelle j’ai jeté la semence, elle soit tombée sur quelque lieu propice, sur un bon terrain ? Y a-t-il parmi vous quelqu’un qui prie actuellement en ces termes : « O Seigneur, sauve-moi ! ô Dieu, sois apaisé envers moi qui suis pécheur ! » En ce cas, la semence est tombée dans une bonne terre. Pécheur, ta prière sera exaucée ; Dieu ne fait pas naître le désir du pardon sans être prêt à pardonner. En est-il quelque autre qui murmure : « Oh ! si je pouvais être sauvé ! » Pécheur, crois au Seigneur Jésus-Christ, et toi aussi — Oui, toi ! — tu seras sauvé ! Es-tu le plus grand des pécheurs ? donne-toi à Christ, et tes énormes péchés disparaîtront comme le rocher qui tombe dans la mer. — N’y a-t-il ici personne en ce moment qui veuille se confier en Jésus ? Se peut-il que l’Esprit de Dieu soit totalement absent de cette enceinte ? qu’il ne « se meuve » sur aucune âme ? qu’il n’engendre nulle part le souffle de la vie ? Nous allons lui demander de descendre, afin que la semence, quoique inhabilement jetée, soit protégée et fécondée, afin qu’étant arrosée et favorisée par son action toute-puissante, elle puisse donner lieu à une abondante moisson en vie éternelle. Quelle pensée solennelle ! nos dimanches et nos vastes assemblées passent et repassent…, et tant d’âmes sont encore sans rédemption ! C’est donc mon lot, à moi, d’adresser chaque année la parole à un ou deux millions d’êtres immortels, et de ces deux millions combien y en a-t-il qui demeurent sourds, insensibles, et qui restent morts dans leurs péchés ? Cette pensée m’écrase parfois. Faudra-t-il que ces assemblées passent de nouveau devant moi, dans l’éternité, et, si je les ai trompées, faudra-t-il que je reçoive de chacune de ces bouches l’imprécation d’une âme déçue et maudite par ma faute ? Faudra-t-il que chaque œil qui, du sein de ces foules, s’est fixé sur moi darde des flammes de malédiction sur mon âme pendant toute l’éternité ?… Ils auront le droit de le faire, ils devront le faire, pour peu que je n’aie pas eu en vue leur bien et que je ne leur aie pas fidèlement prêché l’Évangile de Christ. Je vous en supplie, je vous en conjure, si votre sang doit retomber sur quelqu’un, faites du moins attention à ce que je vous dis en ce moment, et permettez-moi d’espérer que vous me tiendrez pour quitte à votre égard et comme vous ayant annoncé intègrement tout le conseil de Dieu, dans la crainte que votre sang ne fût trouvé dans les pans de ma robe. Mais pourquoi ce sang retomberait-il sur quelqu’un ? N’y a-t-il point d’espérance ? le salut n’existe-t-il pas ? Tant que vous vivez encore, la porte n’est-elle pas ouverte ? Hâte-toi, cours, précipite-toi vers cette voie de salut, ô cher auditeur ! Je t’en supplie, fuis, sauve-toi ! Je t’adjure par le Dieu vivant, par le temps, par l’éternité, par le ciel, par l’enfer, cours, cours vers Jésus-Christ, avant que la mort te saisisse, car elle te cherche, elle te poursuit ! Le fantôme décharné, monté sur son cheval pâle, galope sur tes traces ! L’éternelle damnation est déjà sur ta piste ; fuis-donc, fuis, te dis-je, et te jettes dans le sein du Sauveur qui déjà t’ouvre ses bras. Crois au Seigneur, et tu seras sauvé. « Celui qui aura cru au Seigneur et qui aura été baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croit pas sera condamné. Suis-je donc exalté, suis-je fou en vous conjurant de réfléchir à ces choses ? Ah ! au jour du jugement le mot exalté ne signifiera plus que fidèle, et le mot fou ne désignera plus que l’homme qui croit ce qu’il prêche. Oh ! croyez au Seigneur Jésus-Christ, de peur qu’en ce moment, tandis que vous êtes encore là, la colère de Dieu ne s’enflamme, et que, rapide comme l’éclair, sa justice ne vous frappe et, du même coup, vous écrase ! « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez point vos cœurs. »

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