Lettre à l’empereur Constance

LETTRE DE S. CYRILLE A L’EMPEREUR CONSTANCE

Mai le septième. (l’an 351.)

A l’Empereur très chéri de Dieu et très pieux CONSTANCE Auguste, CYRILLE, évêque de Jérusalem, salut dans le Seigneur.

I.

Voici la première lettre que j’adresse à Votre MAJESTÉ Impériale depuis mon installation sur le siège de Jérusalem. Ce sont les prémices d’une correspondance qu’il convient à VOUS et à moi d’établir entre nous.

Vous ne trouverez pas ici des phrases de cour, mais la relation d’une merveilleuse apparition dont le Dieu maître du ciel vient de nous gratifier. J’en écarte tout le vain étalage de paroles dont un rhéteur s’efforcerait d’orner des probabilités. Mais j’établirai à vos yeux la vérité des prédictions contenues dans les saints Evangiles par le simple récit du fait que je vais vous exposer.

II.

Nous laissons à d’autres le soin de chercher ce qu’ils ont de plus précieux, pour le déposer sur votre auguste tête[1]. Ce sont ordinairement des couronnes d’or enrichies de pierreries les plus fines et des perles les plus pures. Quant à nous, nous n’empruntons rien à la terre pour former notre couronne ; car ce qui sort de la terre finit par y rentrer.

[1] Pour le déposer sur votre auguste tête.
C’était en effet l’usage de mettre soi-même, sur la tête des Empereurs, les couronnes dont on leur faisait hommage. Synésius dit à l’Empereur Arcadius : « Je suis envoyé par la ville de Cyrène pour déposer sur votre auguste tête une couronne d’or. » (In Orat. de Reg. pag. 2.)
C’était à genoux que l’offrande s’en faisait. Ammien Marcellin dit dans la vie de Julien l’Apostat (lib. XXI, 3) que des Princes Sarrasins vinrent le trouver dans son camp, et lui offrirent à genoux une couronne d’or en signe de soumission. On avait souvent recours à ce moyen pour apaiser la colère du Prince. (Voy. Catéch. XXIII, 10.) (Note du Traducteur.)

Nous nous empressons de faire connaître à votre PIÉTÉ l’insigne et magnifique faveur dont le ciel vient de gratifier Jérusalem sous le règne de VOTRE AUGUSTE MAJESTÉ, non pas que nous ayons la prétention de vous initier comme un néophyte à la connaissance de Dieu ; car nous n’ignorons pas que Votre piété personnelle est pour tous une leçon continuelle[2] ; mais pour vous confirmer dans ce que vous n’ignorez pas, et vous affermir dans la foi. Nous nous hâtons de vous adresser cette relation, pour que vous qui tenez de vos aïeux le sceptre[3] impérial, vous appreniez à estimer encore plus les couronnes qui viennent du ciel, pour que vous saisissiez cette occasion de rendre maintenant au Dieu du ciel des actions de grâces encore plus ferventes, pour vous inspirer plus de confiance et plus d’ardeur dans la répression de vos ennemis, puisque vous comprendrez par les prodiges dont le ciel honore votre règne, combien il prend d’intérêt à VOTRE AUGUSTE PERSONNE et à VOTRE PUISSANCE.

[2] Votre piété personnelle est pour tous une leçon continuelle.
Cyrille fait ici l’éloge de la science théologique de l’empereur ; c’était en effet le faible de ce prince de vouloir passer pour savant théologien. Il feuilletait continuellement les Livres saints. (Voy. infr. n. 6.) Il s’établissait juge en matière de foi et de dogmes, il rédigeait des professions de foi. Il prenait parti pour telle ou telle opinion. Mais les éloges que lui adresse ici S. Cyrille regardent plutôt sa piété réelle que ses livres et ses écrits. (Note du Traducteur.)

[3] Pour vous qui tenez de vos aïeux le sceptre.
Constantius II était fis de Constantin le Grand, petit-fils de Constantius Chlore, descendant de Claude II. Trebellius Pollion, dans la vie de ce dernier, fait remonter sa généalogie à Vespasien, et c’est de celui-ci que la famille de Constantin avait hérité du nom patronymique Flavius.

III.

Ce fut sous le règne de Constantin votre Père, Prince chéri de Dieu et de très-heureuse mémoire, que le bois salutaire de la croix fut découvert. Cette faveur divine fut accordée à sa piété, pour seconder son zèle dans la recherche des lieux saints que les temps d’impiété avaient ensevelis sous d’immenses ruines.

C’est votre règne, AUGUSTE EMPEREUR, qui surpassez en piété tous vos aïeux, que le ciel a voulu illustrer aux yeux des siècles à venir, non plus par des prodiges terrestres, mais par des signes célestes.

C’est sous votre règne qu’a paru dans les cieux sur Jérusalem, dans un éclat qui effaçait la splendeur du soleil, la croix, cet insigne trophée de la victoire que notre Sauveur Jésus-Christ Fils unique de Dieu remporta sur la mort.

IV.

Dans les saints jours de la fête de la Pentecôte, les nones de mai[4] (le 7 mai) vers la 3ème heure du jour (9 heures du matin) il parut au ciel au-dessus du mont Golgotha une très-grande croix composée de lumière qui s’étendait jusqu’à la sainte montagne des Oliviers. Elle eut pour témoins non pas une ou deux personnes, mais la ville toute entière. Elle n’a point été, comme on pourrait peut-être le croire, un de ces phénomènes qui paraissent et disparaissent en quelques instants. Mais cette croix a brillé sur la terre pendant plusieurs heures, constamment visible aux yeux de tout le monde, effaçant par son éclat celui même du soleil qui l’aurait d’ailleurs absorbé, si la lumière de la croix n’eût pas été supérieure à celle de l’astre du jour aux yeux des spectateurs.

[4] Dans les saints jours de la fête de la Pentecôte, les nones de mai. (le 7 mai.)
On ne trouve point cette date dans les manuscrits de Roé, de Casaubon, des Génovéfains, ni dans l’édition de Grodécius ; mais on la trouve dans les éditions de Gretzer, de Prévost, et dans le manuscrit d’Ottoboni.
Il est évident qu’il y a une erreur de copiste, si l’on en croit les tables chronologiques publiées par Du Cange (Dict. infim. latinit. Vo Annus, t. I) où l’on trouve que l’an 351, Pâques tombait le 31 mars, et que la Pentecôte était éloignée du 7 mai de plus de 10 jours. (Note du Traducteur.)

On vit aussitôt accourir dans l’Eglise tout le peuple de la ville, frappé d’une crainte mêlée de joie, à la vue d’un tel prodige. Les jeunes et les vieux, les hommes et les femmes, jusqu’aux filles qui vivent en retraite dans l’intérieur des maisons ; les indigènes, les étrangers, les Chrétiens, les Gentils qui affluent ici de tous les côtés.

Tous de concert, tous d’une voix unanime chantèrent aussitôt les louanges de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, l’auteur des prodiges, convaincus par leur expérience que la vérité du christianisme ne s’appuie pas sur les moyens oratoires de la sagesse humaine, mais sur les effets sensibles de l’esprit et de la puissance de Dieu. (1 Corinthiens 2.4.) Bien moins sur la prédication qu’en font les hommes, que sur les témoignages que le ciel se plaît à lui rendre.

V.

Quant à nous, habitants de Jérusalem, qui avons été témoins oculaires de ce consolant prodige, qui en avons rendu grâces au Roi des rois, à Jésus-Christ, fils unique de Dieu, comme nous le ferons encore ; quant à nous qui avons dans ces saints lieux, comme nous le ferons toujours, adressé au ciel de ferventes prières pour la prospérité de votre empire qui est sous la protection de Dieu, nous avons pensé qu’il ne nous était pas permis d’enfouir dans le silence cette heureuse apparition dont Dieu nous a gratifiés ; mais que nous devions nous hâter d’en donner avis à un Prince que le ciel a doué d’une haute piété. C’est ce que nous faisons aujourd’hui même sans plus tarder, afin que votre foi qui est déjà éminente jette encore dans votre cœur de plus profondes racines, en apprenant les merveilles dont le ciel signale votre règne, afin que votre confiance en Notre-Seigneur Jésus-Christ s’affermisse de plus en plus, que votre valeur innée marche constamment et généreusement sous l’étendard de la croix[5], comme si Jésus-Christ combattait en personne à vos côtés, que vos guerriers portent à leur tête ce signe glorieux dont le ciel même vient de proclamer la majesté aux yeux des mortels.

[5] Que votre valeur innée marche… sous l’étendard de la croix.
S. Cyrille parle ici du labarum, étendard de Constantin, qui portait une croix et le monograme du Christ Constantius II voulut être représenté sur les médailles tenant en main le labarum. (Vid. Bar. Ad ann. 353, n. 3.)
Plusieurs auteurs, entr’autres Nicéphore (lib. m, n. 12) parlent de trois croix qui apparurent à Constantin, la première à Rome, lorsqu’il sortit pour combattre Maxence ; la seconde sous les murs de Byzance, lorsqu’il réduisit cette ville sous ses lois ; la troisième, lorsqu’il rejeta les Scythes au-delà du Danube. Ce fut en mémoire de ces trois croix qu’il fit faire trois croix de bronze, avec cette inscription : Jesus Christus vincit. (Note du Traducteur.)

VI.

Le voilà donc ce signe, Empereur chéri de Dieu, le voilà ce prodige que les Prophètes ont annoncé[6], que le Sauveur lui-même a signalé dans ses Evangiles. Il a reçu son accomplissement, en attendant un autre plus solennel encore[7]. Car, dans l’Evangile selon S. Matthieu, Jésus-Christ, en soulevant le voile de l’avenir aux yeux de ses disciples et de nous leurs héritiers, leur disait : Alors paraîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme. (Matthieu 24.30.)

[6] Le voilà ce prodige que les Prophètes ont annoncé.
Il est difficile de soupçonner de quel Prophète veut ici parler S. Cyrille. Peut-être avait-il en vue ces paroles du Prophète Ezéchiel : Ascendit gloria Domini de medio civitatis, stetitque super montem, qui est ad orientem urbis (XI, 23) que S. Jérôme applique à la croix qui parut en feu sur le mont des Oliviers ; ou bien encore ces paroles d’Isaïe : Levabit signum in nationes (XI, 12) que S. Basile explique aussi par le signe de la croix. (Note du Traducteur.)

[7] En attendant encore un autre plus solennel.
C’est bien à tort que Baronius a reproché à S. Cyrille d’avoir vu dans l’apparition de la croix l’accomplissement entier et parfait de cette prédiction de Jésus-Christ : Tunc apparebit signum Filii hominis in cœlo. Le PC. a constamment fait l’application de ces paroles au second et dernier avènement de Jésus-Christ. (Catéch. XIII, 41 ; XV, 22.)
Reste seulement à savoir s’il a eu raison d’attribuer à une prophétie unique une double solution. Mais il me paraît amplement justifié par l’usage où les interprètes ont toujours été d’envisager une seule prophétie sous un double point de vue ; par exemple : L’abomination de la désolation, prédite par Daniel, reçut son accomplissement prochain sous Antiochus Epiphane. (lib. 1 Machab. I, 57.) Ensuite sous Tite et Vespasien, comme Jésus-Christ lui-même l’avait interprétée. Enfin cette même prophétie recevra son complément sous l’Antechrist. (Voy. Cassien, Collat. VIII, n. 5.) S. Basile regarde la prophétie de Jésus-Christ : Apparebit, etc., comme vérifiée en partie, du moins en ce qui concerne le salut des hommes. (In Isaiœ cap. XI, 32.) (Note du Traducteur.)

Familier, comme vous l’êtes, avec les saints Evangiles que vous avez toujours en mains, vous y reconnaîtrez aisément les divines prédictions qu’ils contiennent sur ce sujet.

J’exhorte VOTRE MAJESTÉ à persévérer de plus en plus dans cette louable assiduité, et à méditer surtout les versets subséquents à celui que je viens de citer. Car les paroles du Sauveur exigent que nous les méditions avec autant d’assiduité que de piété, pour ne pas être surpris par l’ennemi du genre humain.

VII.

Voilà, SIRE, les premières paroles que je porte au pied du trône de VOTRE MAJESTÉ chérie de Dieu. Voilà la première fois que du haut de la chaire de S. Jacques je fais entendre ma voix pastorale au TRÈS-SINCÈRE, TRÈS-PIEUX EMPEREUR qui adore avec nous le Fils unique de Dieu notre Sauveur, de ce Dieu qui a consommé ici à Jérusalem[8] suivant les divines Ecritures le salut du monde entier, qui a ici même broyé la mort sous ses pieds, qui de son propre et précieux sang a effacé les péchés des hommes, qui a accordé à ceux qui croiraient en lui la vie et la grâce incorruptible du Saint-Esprit.

[8] De ce Dieu qui a consommé ici à Jérusalem…
Il avait dit (Catéch. XIII, 28) que c’était sur le Golgotha, le centre de la terre, que Jésus-Christ avait consommé le salut des hommes. Il avait apporté en preuve ces paroles du Psalmiste : Operatus est salutem in medio terræ. (LXXIII, 12.)

Que sa puissance et sa grâce vous couvre de ses ailes, vous comble de joie, vous orne de ses plus brillantes vertus, vous glorifie dans une nombreuse postérité.

Que le Roi des rois, que Dieu, l’auteur de tout bien, vous conserve, vous et votre auguste famille, ajoute à vos ans une longue suite d’années pour la gloire de l’Eglise, et le bonheur des nations soumises à votre empire.

Puisse le Dieu de l’univers répondre à nos vœux, vous accorder à vous et à votre auguste famille une santé secondée de toutes les vertus pendant de longues années pour présider au bonheur des Eglises chrétiennes et de l’empire romain, le maintenir en paix et glorifier toujours la très-sainte et CONSUBSTANTIELLE Trinité[9], notre vrai Dieu à qui appartient toute gloire dans les siècles des siècles !

[9] La très-sainte et consubstantielle Trinité.
ICe n’est pas sans étonnement qu’on trouve ici placé le mot de consubstantiel, que l’on n’a rencontré nulle part dans tout le cours des Catéchèses, où il se présentait si souvent et si naturellement, tandis que nous le lisons ici pour la première fois dans une lettre étrangère à ce sujet, à l’ennemi mortel de ce mot, au partisan déclaré de l’Arianisme, en face de qui il avait de puissants motifs de le supprimer. Mais l’histoire de sa vie à laquelle nous renvoyons le lecteur, explique ce problème. (Note du Trad.)

Ainsi soit-il.

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