Épître aux Corinthiens

I. Pureté des premières mœurs effacée par les désordres du schisme.

Quel étranger, amené parmi vous, ne vantait votre foi si ferme et si riche de vertus, n’admirait la sagesse et la douceur de votre piété envers Jésus-Christ, ne publiait partout la magnificence de votre hospitalité, et ne vous estimait heureux de connaître la vérité d’une manière si parfaite et si certaine[1] !

[1] Qui reconnaîtrait, dans cette description de l’Église de Corinthe, les mœurs de cette ville naguère si dissolue et maintenant tout angélique ? Qu’on rapproche saint Clément de tout ce qui s’écrivait alors, et l’on jugera de quel abîme de corruption Jésus-Christ a retiré le genre humain. On voit les mœurs de ce siècle dans Horace, dans Juvénal, dans Martial, dans Pétrone. Les infamies dont ces auteurs sont remplis se disaient et s’écrivaient publiquement, parce que l’on ne se cachait pas pour les commettre. Il semble que la Providence ait conservé tous ces livres, d’ailleurs si pernicieux, pour que l’on comprenne mieux le bienfait du Christianisme. On voit les mêmes abominations dans Suétone, dans les auteurs de l’histoire d’Auguste qui décrivent les deux siècles suivants, dans Lucien, dans Apulée, dans Athénée. Les Pères mêmes de l’Église ont été obligés d’en parler assez ouvertement, entre autres saint Justin, saint Clément d’Alexandrie, Tertullien.

Vous faisiez tout sans acception de personne ; vous marchiez dans les voies du Seigneur, soumis à vos pasteurs, et rendant à vos vieillards un juste tribut d’hommages ; vous inspiriez à la jeunesse des sentiments honnêtes et vertueux ; vous recommandiez aux femmes d’agir en tout avec une conscience pure, chaste, irréprochable ; de porter à leurs maris toute l’affection qui leur est due ; enfin, vous leur appreniez, dans la dépendance où la loi de Dieu les a placées, à faire régner la décence dans leurs maisons, la modestie dans toute leur conduite.

Humbles de cœur, exempts de tout orgueil, soumis plutôt que dominateurs, plus portés à donner qu’à recevoir, vous saviez vous contenter de ce que Dieu nous accorde pour le voyage de cette vie ; vous prêtiez l’oreille la plus attentive à sa parole ; vous élargissiez vos cœurs pour la recevoir ; l’image de ses souffrances était sans cesse sous vos yeux. Alors vous jouissiez d’une paix profonde, honorable ; vous éprouviez un désir insatiable de bonnes œuvres ; l’abondance des dons de l’Esprit saint se répandait sur tous ; remplis d’un zèle saint et d’une pieuse ardeur, vous éleviez vos mains vers le Tout-Puissant avec une tendre confiance, le suppliant de vous pardonner s’il vous échappait quelques fautes involontaires.

Jour et nuit vous montriez une tendre sollicitude pour vos frères, un désir ardent de voir tous les élus de Dieu parvenir au salut par l’effet de sa miséricorde et par la pureté de leur conscience.

On admirait votre candeur, votre simplicité, votre disposition à pardonner les injures. La moindre apparence de schisme et de division vous faisait horreur. Vous pleuriez les chutes de vos frères ; vous vous jugiez coupables de leurs fautes. C’était sans regret que vous faisiez le bien, prêts à tous les genres de bonnes œuvres.

Une vie si digne de respect, si riche de vertus, faisait votre plus bel ornement ; et c’est ainsi que vous accomplissiez tous vos devoirs dans la crainte du Seigneur. Ses préceptes étaient gravés sur les tables de vos cœurs.

Aussi gloire, bonheur, tout vous était donné avec surabondance ; mais cette parole de l’Écriture s’est accomplie : « Le bien-aimé a bu, il a mangé ; et quand il a été enivré, rassasié de biens, il s’est révolté. »

De cette source on vit sortir la jalousie et la discorde, les querelles et la rébellion, les persécutions et les troubles, la guerre et la captivité.

Alors « les derniers du peuple se soulevèrent contre les grands ; des hommes obscurs, contre ceux qui étaient dans la gloire ; les insensés, contre les sages ; les jeunes gens, contre les vieillards. » Ah ! si la justice et la paix se sont éloignées, c’est que la crainte du Seigneur n’habite plus parmi vous ; c’est qu’on s’aveugle au sein même des lumières de la foi ; c’est qu’on sort de la voie tracée par ses enseignements ; c’est qu’on ne vit plus pour le Christ et d’une manière digne de lui ! Chacun marche au gré de ses passions et fait revivre en soi cette envie inique et impie, à laquelle la mort doit son entrée dans le monde.

Car voici ce qui est écrit : « Il arriva que Caïn présentait au Seigneur des fruits de la terre.

« Mais Abel offrait les premiers-nés de ses troupeaux et les plus grasses de ses brebis. Le Seigneur jeta des regards favorables sur Abel et sur ses présents, et les détourna de Caïn et de ses sacrifices. Celui-ci en fut vivement affligé, et l’abattement était sur son visage ; le Seigneur lui dit : « Pourquoi es-tu triste ? Pourquoi ton visage est-il abattu ? C’était bien de m’offrir des sacrifices, mais n’as-tu pas péché en usant de réserve ? Cependant, bannis la crainte ; ton frère se tournera vers toi, et tu le domineras. »

« Et Caïn dit à son frère Abel : « Sortons dans la campagne. » Quand ils y furent arrivés, il se jeta sur son frère Abel et le tua. »

Vous le voyez, mes frères, le premier fratricide fut l’ouvrage de l’envie.

L’envie força Jacob, notre père, à fuir la présence de son frère Esaü.

L’envie suscita contre Joseph des persécutions dont le but était la mort, et qui le réduisirent en servitude.

Ce fut l’envie qui empêcha Moïse de reparaître devant le roi d’Égypte Pharaon, après qu’il eut entendu l’un des Israélites lui adresser ces paroles : « Et qui t’a placé au-dessus de nous comme juge et comme arbitre ? Veux-tu me traiter comme l’Égyptien que tu as tué hier ? »

L’envie d’Aaron et de Marie les retint hors du camp ; elle précipita vivants, au fond de l’abîme, Dathan et Abiron, révoltés contre Moïse, ce serviteur de Dieu. Par elle, enfin, David fut exposé, non-seulement à la haine des étrangers, mais encore aux persécutions du roi Saül.

Mais laissons là les faits anciens ; venons aux athlètes de nos jours ; prenons les beaux exemples que nous offre notre siècle.

Nous verrons l’envie livrer les fidèles enfants de l’Église, ses véritables colonnes, à des persécutions qui ont été jusqu’à la mort. Portons nos regards sur les saints apôtres.

L’injustice de l’envie a fait passer Pierre par d’innombrables épreuves, qui lui valurent cette couronne du martyre avec laquelle il est entré dans le séjour de la gloire due à ses combats. Elle a fait remporter le prix de la patience à Paul, qui fut jeté sept fois en prison, battu de verges et lapidé.

Devenu le hérault de l’Évangile, du couchant à l’aurore, il reçut, en récompense de sa foi, une gloire incomparable. Après avoir éclairé le monde entier et s’être avancé jusqu’aux extrémités de l’Occident, il souffrit le martyre par l’ordre des magistrats. C’est ainsi qu’il abandonna la terre pour aller habiter le séjour même de la sainteté, nous laissant un sublime exemple de patience.

À ces hommes d’une vie toute céleste vint s’adjoindre une multitude d’élus, qui furent comme eux en butte à des outrages, à des tourments sans nombre, et comme eux des modèles admirables[2].

[2] Saint Clément parle de saint Pierre, de saint Paul et de leurs disciples. Ainsi s’est fondée la tradition apostolique, et il est impossible d’y refuser son assentiment. Auprès de saint Pierre étaient saint Marc qu’il nomma son fils, saint Clément dont nous lisons l’épître, saint Évode, qui lui succéda à Antioche, saint Lin et saint Clin, qui lui succédèrent à Rome. Auprès de saint Paul étaient saint Luc, saint Tite, saint Timothée et encore saint Clément, pape. Auprès de l’apôtre saint Jean se trouvent saint Polycarpe et saint Papias. Ces saints s’appliquaient à retenir la doctrine des apôtres dans leur mémoire plutôt que dans des écrits, et l’enseignaient par la pratique et par les discours. C’est ainsi qu’en imitant leurs maîtres ils se rendaient eux-mêmes les modèles des fidèles. Et voilà la tradition plus propre à perpétuer une doctrine que l’Écriture, de l’aveu même des philosophes qui ont tant écrit !

Persécutées par l’envie, livrées à des supplices cruels, inouïs, Danaïde et Circé sont restées inébranlables dans la foi, et ont su dans un corps délicat mériter la plus noble récompense.

La jalousie a séparé les épouses de leurs époux, et effacé cette parole d’Adam notre père : « C’est ici l’os de mes os, la chair de ma chair. »

Enfin, la jalousie, l’esprit de contention, ont renversé de grandes cités et arraché de leurs fondements de puissants empires.

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