Épître aux Corinthiens

V. Hautes considérations au sujet du schisme ; pressantes exhortations pour les déterminer à le faire cesser.

Vous êtes d’un esprit contentieux, jaloux pour des choses qui ne mènent point au salut. Méditez les Écritures, ces vrais oracles de l’Esprit saint ; lisez-les avec attention, voyez si elles favorisent l’injustice et l’iniquité. Vous n’y verrez pas que les justes aient été chassés par les saints. Ils ont souffert des persécutions, mais de la part des méchants ; ils ont été jetés dans des prisons, mais par des impies ; ils ont été lapidés, mais par des hommes iniques ; ils ont été mis à mort, mais par des scélérats qu’animait une détestable jalousie. Et toutes ces souffrances, ils les ont supportées avec le plus noble courage.

Quels exemples produirons-nous ici ? Est-ce par des hommes pénétrés de la crainte de Dieu que Daniel fut jeté dans la fosse aux lions ?

Est-ce par des hommes qui rendaient au Très-Haut un culte parfait et digne de lui qu’Ananias, Azarias, Misaël furent enfermés dans une fournaise ardente ? Non, sans doute.

Quels sont donc les auteurs de pareilles violences ? Des misérables chargés d’iniquités, dignes de haine et de malédiction, ont accablé d’outrages et de tortures des hommes dont toutes les vues étaient pures et irréprochables, des hommes tout occupés du service de Dieu.

Ils ne savent donc pas que le Très-Haut défend et protège ceux qui travaillent avec une conscience pure à la gloire de son nom tout-puissant ? Que cette gloire lui soit à jamais rendue !

Mais la confiance des justes au milieu des souffrances leur a valu un héritage de gloire et d’honneur. Témoin ce degré d’élévation où Dieu les a placés ; cette grandeur, cette félicité qu’il attache à leur nom pour la suite des siècles.

Voilà vos modèles et les hommes qu’il faut suivre. « Unissez-vous aux saints, nous dit l’Écriture, et cette union vous rendra saints vous-mêmes. Vous deviendrez justes avec les justes ; vous vous perdrez avec les méchants. Attachez-vous donc à ceux qui vivent dans l’innocence et la justice. Ce sont là les vrais élus de Dieu. »

Je vous le demande, pourquoi, parmi vous, ces querelles, ces disputes, ce schisme, ces guerres ? N’avons-nous pas un même Dieu, un même Christ, un même esprit de grâce répandu sur nous, une même vocation en Jésus-Christ ? Pourquoi donc déchirer ses membres ? pourquoi les mettre en lambeaux ? Pourquoi faire ainsi la guerre à notre propre corps ? Sommes-nous assez insensés pour oublier que nous sommes les membres les uns des autres ?

Rappelons-nous les paroles de notre Seigneur : « Malheur à cet homme ! Il eût mieux valu qu’il ne fût pas né, que d’avoir scandalisé un seul de mes élus ! Il eût mieux valu qu’une meule lui fût attachée au cou et qu’on le jetât ainsi dans la mer, que d’avoir donné un mauvais exemple à un seul de ces petits ! »

Qu’a produit votre division ? Elle en a perdu plusieurs, elle en a jeté un grand nombre dans le doute, et nous tous dans le deuil. Et cependant ce schisme dure encore.

Prenez l’épître que vous avez reçue de l’apôtre saint Paul. Que vous recommandait-il avant toutes choses, lorsqu’il commençait à prêcher l’Évangile ? Certes, c’était bien sous l’inspiration de l’Esprit saint qu’il vous écrivait sur lui-même, sur Céphas, sur Apollon.

Vous étiez alors partagés entre des affections différentes ; mais ce partage de cœur vous laissait moins coupables que cette division ; il venait de votre attachement aux apôtres, d’une vertu si éprouvée, et à des hommes honorés de leur estime.

Mais quels hommes vous divisent aujourd’hui et viennent ternir la gloire de cette union fraternelle si vantée parmi vous ? Voyez-les, ces hommes ! Quelle honte, mes frères, la plus flétrissante, la plus indigne de votre caractère de Chrétiens, qu’on dise que l’Église de Corinthe, si ancienne, si ferme dans la foi, se révolte contre ses prêtres pour une ou deux personnes ! Et ce bruit n’est pas seulement venu jusqu’à nous, mais jusqu’à ceux qui nous sont le plus opposés de cœur et de sentiment : de sorte que, par votre imprudence, le nom du Seigneur est blasphémé et outragé, et que vous vous mettez vous-mêmes en péril.

Faisons promptement disparaître ce scandale ; revenons au Seigneur, pleurons notre égarement ; prions-le de nous rendre sa protection, de se réconcilier avec nous, de nous replacer, de nous rétablir dans la voie si pure, si glorieuse, de notre première union fraternelle.

Elle est la porte même de la justice qui s’ouvre vers la vie, selon ce qui est écrit : « Ouvrez-moi les portes de la justice ; j’y entrerai, je louerai le Seigneur. C’est la porte du Seigneur : par elle les justes iront à lui. »

Heureux ceux qui sont entrés par cette porte, qui n’ont point quitté la voie de la sainteté et de la justice, et sont restés fidèles au devoir sans se laisser intimider !

Quelqu’un parmi vous est-il ainsi fidèle au Seigneur, assez éloquent pour expliquer sa loi, assez habile pour discerner la vraie doctrine, et d’ailleurs pur dans ses mœurs ?

Qu’il soit d’autant plus humble qu’il est plus grand ! Qu’il cherche ce qui est utile à tous et non à lui seul !

Il sera fidèle observateur de ce commandement, s’il est animé de l’esprit de charité selon Jésus-Christ. Et qui peut parler dignement de ce lien de la charité divine ? Qui peut relever, comme il convient, la grandeur de ses avantages ? Le degré d’élévation où elle nous place est au-dessus de toute expression. La charité nous lie étroitement à Dieu ; elle couvre la multitude des péchés ; elle souffre tout, elle supporte tout avec patience ; en elle, rien de bas ni de superbe ; elle ne connaît point les schismes, elle n’allume point de divisions, elle ramène tout à la concorde ; c’est par elle que les élus de Dieu arrivent à la perfection.

Sans la charité rien n’est agréable à Dieu. C’est par un excès de charité que lui-même nous a adoptés.

C’est par son immense charité envers nous que le Christ, soumis à la volonté de son père, a livré son sang pour nous, son corps pour notre corps, sa vie pour la nôtre.

Vous voyez, mes frères, combien sa charité est grande, admirable ; combien le langage est impuissant pour relever son excellence !

Quel homme peut trouver ce trésor, sinon celui que Dieu en a jugé digne ? Demandons-lui surtout la grâce de vivre selon la charité, exempts de reproches, dégagés d’affections terrestres.

Toutes les générations depuis Adam jusqu’à nous se sont écoulées, mais ceux à qui Jésus-Christ a fait la grâce de mourir au sein de la charité vivent à jamais dans le séjour des justes, et leur gloire apparaîtra dans tout son éclat, lors de la visite du Christ, quand il entrera dans son règne.

Car il est écrit : « Va, mon peuple, entre pour un moment dans l’intérieur de ta maison, jusqu’à ce que ma colère et mon indignation soient passées. Alors je me souviendrai du jour favorable ; je vous ferai sortir de vos tombeaux. »

Quel est notre bonheur, mes frères, si nous savons accomplir les préceptes du Seigneur dans un esprit de paix, de concorde et de charité, et par celle-ci mériter la rémission de nos péchés ! Car il est écrit : « Heureux ceux dont les iniquités ont été remises et les péchés couverts ! Heureux l’homme à qui le Seigneur n’a point imputé son péché et dont la langue ne recèle point la fraude ! C’est ici la félicité même accordée aux élus par Jésus-Christ, à qui appartient la gloire dans les siècles des siècles. »

Nous tous, qui avons péché par les secrètes surprises de l’ennemi, demandons grâce. Que les auteurs du schisme consultent l’intérêt de tous. Ceux qui vivent dans la crainte et dans l’amour de Dieu aiment mieux voir tomber le châtiment sur leurs propres têtes que sur celles de leurs frères ; ils préfèrent tourner contre eux-mêmes la sentence de mort, plutôt que de détruire cette belle et sublime harmonie transmise par nos pères. Ne vaut-il pas mieux avouer sa faute, que d’endurcir son cœur, à l’exemple de ceux qui se révoltèrent contre Moïse, ce serviteur de Dieu ?

Leur punition fut éclatante : ils sont descendus vivants au fond de l’abîme ; la mort les a dévorés.

Si Pharaon et son armée, et tous les grands de l’Égypte, ont péri engloutis au fond de la mer Rouge, avec les chars et les cavaliers, n’est-ce point pour avoir endurci leurs cœurs insensés, après tant et de si grands prodiges opérés sur la terre d’Égypte par le serviteur de Dieu, le fidèle Moïse ?

Dieu, qui n’a besoin de rien, ne demande que l’aveu de nos fautes. David, un des élus, s’écrie : « J’avouerai mon péché au Seigneur, et ce sacrifice lui sera plus agréable que celui d’un jeune taureau dont le front et les pieds portent déjà les marques de ses forces naissantes. »

Que les pauvres voient et se réjouissent !

Il dit encore ailleurs : « Présentez à Dieu un sacrifice de louanges ; offrez vos vœux au Très-Haut ; invoquez-moi au jour de l’affliction, et je vous délivrerai ; une âme brisée par le repentir est le sacrifice que demande le Seigneur. »

Vous avez une connaissance pleine et entière des divines Écritures ; vous êtes entrés dans le sens profond des divins oracles ; rappelez-les donc à votre pensée et à votre souvenir.

Lorsque Moïse eut atteint le haut de la montagne, et qu’il eut passé là quarante jours et quarante nuits dans le jeûne et la pénitence, le Seigneur lui dit : « Lève-toi ; descends promptement d’ici, parce que ton peuple, tiré par toi de l’Égypte, a commis l’iniquité ; il a quitté aussitôt la voie que tu lui avais montrée. Tous se sont fait une idole qu’ils ont forgée eux-mêmes. » Et le Seigneur lui dit encore : « Je vois que ce peuple a la tête dure. Laisse-moi l’exterminer ; j’effacerai son nom de dessous le soleil, et je t’établirai sur un peuple grand, nombreux et plus puissant. » Alors Moïse s’écria : « Non, Seigneur ! pardonnez-leur, ou bien effacez-moi du livre des vivants. » Ô prodige de charité, ô perfection que rien ne peut surpasser ! le serviteur parle librement à son maître ; il demande pardon pour son peuple ou veut périr avec lui !

Qui d’entre vous est assez généreux, assez humain, assez compatissant pour s’écrier : Si à cause de moi on se dispute, on se divise, on fait schisme, je cède, je me retire où l’on voudra ; je consens à tout ce que le peuple demande de moi, pourvu que le troupeau de Jésus-Christ, que les prêtres établis pour le gouverner, demeurent dans l’union et dans la paix.

Une gloire immense sera le prix d’une telle conduite ; celui qui saura la tenir est sûr de trouver partout un asile ; car la terre et tout ce qu’elle renferme est au Seigneur.

Telle a été et telle sera toujours la conduite de ceux qui vivent de cette vie toute divine qui ne laisse jamais de repentir. Ne trouvons-nous pas chez les païens eux-mêmes des exemples d’un semblable dévouement ? N’a-t-on pas vu des princes, des rois, pendant les ravages de la peste, s’offrir eux-mêmes à la mort pour sauver la vie de leurs sujets ? N’a-t-on pas vu de généreux citoyens se bannir de leur patrie pour arrêter une sédition ?

On en connaît parmi nous qui ont présenté leurs mains aux chaînes pour en délivrer leurs frères ; d’autres qui se sont réduits en esclavage, et avec le prix de leur liberté ont acheté du pain à leurs frères[6].

[6] Le dévouement de Vincent de Paul a commencé avec l’Église. La charité fraternelle était si bien pratiquée par les premiers Chrétiens, que les païens, en parlant d’eux, se disaient les uns aux autres : « Quelle espèce nouvelle de gens est-ce ceci ? Voyez avec quelle tendresse ils s’aiment. Ils n’ont rien en propre et en particulier ; ce que l’un possède appartient à tous ; leur vie même n’est pas à eux, ils sont prêts, à la sacrifier les uns pour les autres. »

Que de femmes, soutenues de la grâce de Jésus-Christ, se sont élevées, par l’héroïsme de leur courage, au-dessus de la faiblesse de leur sexe !

Judith, voyant sa ville assiégée, demande aux anciens du peuple qu’il lui soit permis de passer dans le camp ennemi. Elle sortit donc, s’offrant au péril pour sa patrie et pour son peuple assiégé ; et Dieu livra au bras d’une femme le puissant Holopherne.

Esther, dont la foi fut si vive, ne s’exposa pas à un moindre danger pour sauver les douze tribus condamnées à périr. Elle pria, dans le jeûne et le cilice, l’auteur et le souverain maître de toutes choses, le Dieu des siècles ; et ce Dieu, voyant l’humilité de son cœur, sauva le peuple, à cause du péril qu’elle avait osé affronter.

Et nous aussi prions pour ceux qui sont tombés dans l’égarement ; demandons pour eux l’humilité et la modération ; qu’ils obéissent ici, non à l’homme, mais à la volonté de Dieu. À l’aide de la miséricorde divine, le sentiment de leurs fautes leur deviendra devant Dieu et devant les saints une source de grâces et de mérites. Recevez, ô mes frères, cette correction fraternelle, qu’il est si rare de mal recevoir.

Ces avis, que nous nous donnons mutuellement, sont assurément ce qu’il y a de meilleur et de plus salutaire. Ils nous rattachent à la volonté divine, et à ce sujet l’Écriture-Sainte nous dit :

« Le Seigneur m’a repris avec sévérité, mais aussi il n’a pas laissé mon âme en proie à la mort ; le Seigneur reprend celui qu’il aime, il châtie l’enfant qu’il protège. Que le juste me reprenne et me corrige dans sa miséricorde, et que l’huile des pécheurs ne couvre point ma tête. » Et ailleurs : « Heureux l’homme que Dieu corrige lui-même et qui ne repousse point la réprimande du Tout-Puissant ! Si Dieu cause un moment de douleur, il présente aussitôt le remède ; il blesse et sa main guérit. Six fois il t’arrachera aux tribulations, et à la septième le mal ne t’atteindra plus ; dans la famine, il te préservera de la mort ; dans les combats, du tranchant du glaive ; tu échapperas aux traits d’une méchante langue, et tu ne craindras plus le mal quand il surviendra ; tu riras des vains efforts de l’injustice et de l’iniquité, et tu ne redouteras point les bêtes sauvages, car elles s’adouciront pour toi ; tu verras la paix régner sous ta tente, et celle-ci ne sera jamais ébranlée ; tu verras ta race se multiplier, et tes enfants croître comme l’herbe des prairies ; tu entreras au tombeau comme un blé mûr que l’on moissonne en son temps, ou comme les gerbes apportées à l’autel au temps de la moisson. »

Vous voyez, mes frères, que, tout en nous châtiant, Dieu nous aime ; et comme le châtiment de sa part est tout miséricordieux, il veut, dans les coups salutaires dont il nous frappe, nous faire trouver d’utiles leçons.

Vous donc qui avez jeté les premières semences de division, soumettez-vous aux prêtres et recevez la correction fraternelle dans un véritable esprit de pénitence.

Fléchissez l’orgueil de vos cœurs, apprenez à vous soumettre, quittez cette jactance de paroles si vaines et si superbes. Ne vaut-il pas mieux être petit et recommandable dans le troupeau de Jésus-Christ, que de se voir dépossédé de ses espérances par une trop haute opinion de soi-même ? Car voici ce que dit le livre nommé Panarêtos, c’est-à-dire qui renferme tous les préceptes de la vertu : « Je vous ferai entendre le langage de mon esprit, je vous enseignerai ma parole. Parce que je vous ai appelés et que vous ne m’avez pas obéi, parce que je prolongeais au loin ma voix, et que vous n’avez pas été attentifs ; parce que vous avez rendu inutiles mes conseils, et que vous avez été rebelles à mes réprimandes, moi, je me rirai à mon tour de votre ruine ; je me réjouirai lorsqu’arrivera votre perte, quand la terreur viendra soudain, quand la ruine fondra sur vous comme une tempête, quand se précipiteront la détresse et l’angoisse : alors vous m’invoquerez et je ne vous écouterai pas ; les méchants me chercheront et ne me trouveront point, parce qu’ils ont haï la sagesse et qu’ils n’ont pas embrassé la crainte du Seigneur, parce qu’ils n’ont pas voulu prêter attention à mes conseils et qu’ils se riaient de mes réprimandes ; alors ils mangeront le fruit de leurs crimes, ils seront rassasiés de leur impiété. »

Que Dieu qui voit tout, qui commande aux esprits, qui règne sur toute chair, qui a choisi notre Seigneur Jésus-Christ, et vous par lui, pour être son peuple privilégié, donne à toute âme qui invoque son saint et glorieux nom la foi, la crainte, la paix, la patience, la modération, la continence, la pureté, la tempérance, pour qu’elle lui soit agréable par Jésus-Christ, notre pontife suprême, notre puissant protecteur, et qu’à lui soient rendus gloire, majesté, puissance, honneur, maintenant et dans tous les siècles des siècles.

Rendus à la paix et à la joie, faites repartir promptement les députés que nous vous avons envoyés, Claudius, Éphébus, Viton, Valère, Testunatus, afin qu’ils nous apportent au plus tôt l’heureuse nouvelle du rétablissement de l’union et de la concorde que nous désirons si ardemment, et que nous puissions, sans le moindre retard, nous réjouir du retour de la tranquillité parmi vous.

Que la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ soit avec vous et avec ceux qui sont sur toute la terre les élus de Dieu en Jésus-Christ, par lequel gloire, honneur, puissance, règne éternel advienne à ce Dieu dans les siècles des siècles.

chapitre précédent retour à la page d'index