L’Église primitive jusqu’à la mort de Constantin

18. Conquêtes de l’Évangile.

Diffusion croissante de l’Évangile en Arménie, en Abyssinie, dans la Grande-Bretagne. — L’église devient de plus en plus mondaine. — Les magistrats. — La guerre. — Conclusion.

Pendant toute cette période, les progrès de l’Évangile sont incessants. Il est prêché dans les contrées où on ne l’avait pas encore entendu. Dans sa réponse à Celse, écrite vers le milieu du iiie siècle, Origène parle de nombreux évangélistes itinérants, qui traversent les villes et les villages des différentes provinces de l’empire, en répandant la semence de l’Évangile.

[Liv. III, chap. 9. Sur un point, toutefois, les progrès de l’Évangile furent subitement arrêtés. En 226, Artaxerxès, fondateur de la dynastie des Sassanides, en Perse, rétablit l’ancienne religion de Zoroastre, pour en faire l’appui de sa domination usurpée. Milman fait remarquer que c’est peut-être le seul cas d’un réveil vraiment puissant d’une religion païenne. Hist. of Christianity, II, 247.]

Deux pays méritent une mention particulière, pour avoir adopté à cette époque le christianisme comme religion nationale. Ce sont l’Arménie et l’Ethiopie (Abyssinie).

La bonne nouvelle avait été prêchée de bonne heure en Arménie. Jusqu’au règne de Dioclétien, les résultats furent fragmentaires et presque nuls. A ce moment-là, Grégoire l’Illuminateur consacra sa vie à la conversion de ce peuple. Peu après l’an 300, il réussit à persuader au roi d’Arménie et à sa cour d’accepter le baptême, et ce pays devint ainsi le premier à adopter le christianisme comme religion d’État. Grégoire fonda un grand nombre d’églises et d’écoles. Telle est l’origine de l’Église arménienne. Bien que plus ou moins viciée dès le début, aussi bien dans son esprit que dans son culte, elle a conservé jusqu’à nos jours une grande prospérité extérieure, et Etchmiadzine, au nord du mont Ararat, dont Grégoire avait fait le centre ecclésiastique de l’Arménie, est encore le siège du patriarche arménien.

L’Église d’Abyssinie doit son origine à un accident providentiel. Durant le règne de Constantin, un savant grec de Tyr, nommé Mérope, entreprit un voyage scientifique. A son retour, il aborda en Ethiopie pour se procurer de l’eau fraîche. Attaqué par les belliqueux habitants du pays, il fut pillé et mis à mort en même temps que la plus grande partie de l’équipage. Seuls, deux jeunes gens, Frumentius et Ædesius, furent épargnés. Mis en service chez le prince de la tribu, ils gagnèrent peu à peu sa confiance et son affection. Ædesius devint son échanson, et Frumentius, dont l’intelligence et la sagacité frappèrent le prince, son secrétaire. Après la mort du prince, on leur confia l’éducation de son jeune successeur, et Frumentius acquit une grande influence comme ministre d’État. Cette influence, il l’exerça en faveur du christianisme. Il noua des relations avec tous les marchands chrétiens qui fréquentaient ces parages, les aida à fonder une église, et se joignit à leur culte.

A la fin, les deux Grecs obtinrent la permission de rentrer dans leur pays.Ædesius se retira à Tyr, où il devint prêtre. L’historien Rufin l’y rencontra, et c’est lui qui nous raconte ces détails, d’après Ædesius lui-même.

Frumentius, pour sa part, se sentit appelé à une œuvre plus haute. Il désirait ardemment voir le peuple au milieu duquel il avait passé une grande partie de sa jeunesse, et dont il avait reçu tant de marques de bienveillance, afin de le faire participer, lui aussi, à la plus grande bénédiction dont l’humanité puisse jouir. Il s’arrêta par conséquent à Alexandrie, où Athanase venait d’être élu évêque. Athanase entra immédiatement dans ses vues et convoqua, pour les lui soumettre, tout le clergé d’Alexandrie. Puis, comprenant bien que personne ne pouvait, mieux que Frumentius, entreprendre l’œuvre projetée, il le consacra évêque de la nouvelle Église. Frumentius revint donc en Ethiopie et commença à propager, non sans grand succès, la foi chrétiennea. Le christianisme n’a jamais entièrement disparu, depuis, de ce pays éloigné. Mais il y est devenu bien peu chrétien.

a – Socrate, liv. I, chap. 19 ; Sozomène, liv. II, chap. 24.

[Les traditions de l’Église d’Abyssinie sont fort curieuses. La bible éthiopique, qui remonte peut-être à Frumentius, comprend le livre apocryphe d’Enoch. On y observe le sabbat juif, comme le dimanche ; la chair du porc et celle d’autres animaux impurs sont interdites ; on y conserve un modèle de l’Arche de l’alliance, à laquelle on offre des présents et des prières, et qui est le centre du culte public. On attribue une influence magique aux cérémonies extérieures et à l’immersion en particulier. Chaque année, on célèbre une fête à l’occasion de laquelle tout le monde est rebaptisé. Même, chose étrange ! Ponce Pilate est honoré comme un saint, parce qu’il a lavé ses mains du sang innocent. Les interminables discussions relatives aux deux natures du Christ, qui divisèrent la chrétienté au ve siècle et qui s’y sont éteintes depuis longtemps, n’ont pas encore cessé dans cette Église. Les Abyssins honorent les saints et les peintures ; ils n’ont pas d’images taillées ; ils s’inclinent devant les croix, mais ne veulent pas de crucifix. Chacun de leurs prêtres porte toujours une croix à la main et la présente à tous ceux qu’il rencontre afin qu’ils l’embrassent. — Si peu fidèles au vrai christianisme que soient les Abyssins, leur pays n’en est pas moins bien supérieur aux autres contrées de l’Afrique, quant à l’agriculture, aux arts, à la législation et à la condition sociale de ses citoyens. Schaff, Nicene Christianity, 778.]

Nous avons déjà parlé de l’introduction du christianisme dans la Grande-Bretagne. L’histoire de l’Église primitive de ce pays est restée entourée d’une profonde obscurité. La plupart des légendes qui en parlent ne peuvent supporter l’épreuve de la critique historique. Tout ce qu’on peut affirmer, c’est qu’il y avait des églises dans la Grande-Bretagne durant le règne de Constance, père de Constantin, et de Constantin, son fils ; qu’au concile d’Arles (314), il y avait trois évêques anglais : Eborius, d’York, Restitutus, de Londres, et Adelfius, généralement regardé comme évêque de Lincoln.

[Robertson, i,154, 155. L’absence totale de sépultures chrétiennes en Angleterre ne permet pas de supposer une bien grande extension du christianisme dans ce pays. « Grâce à la multitude des monuments se rapportant au culte des anciens habitants de la Grande-Bretagne au temps des Romains ; grâce au nombre immense des sépultures romaines qui ont été découvertes et examinées, nous avons des renseignements sur les différentes formes du paganisme dans ce pays. Mais nous ne trouvons aucune trace quelconque du Christianisme. Il faut donc croire que, lorsque les Romains quittèrent l’Angleterre, tous ces temples et tous ces autels étaient debout, et que le paganisme était en pleine force. » Edinburgh Review, n° CXCI, art. The Romans in Britain, cité dans Cooper, Free Church, 219, 220. Cf. Green, Making of England, p. 6, mais aussi Robertson, Hist. of the Church, I, 492, n. f.]

L’histoire de saint Alban, nommé le proto-martyr d’Angleterre, et qui aurait été martyrisé du temps de Dioclétien, repose sur des témoignages peu sûrs et dont aucun n’est antérieur à l’an 429. Germanus aurait alors visité ses reliques, probablement à Vérulamium. La légende de son martyre est bien postérieure encore. C’est l’historien Bède le Vénérable qui la raconte le premier. Répétons-la, à notre tour, en laissant de côté les récits merveilleux inévitables alors, en pareille matière.

Alban, encore païen, rencontre un prêtre qui cherche à se dérober aux persécuteurs. Ses sentiments charitables l’emportent sur ses préjugés religieux, et il offre au prêtre un refuge dans sa propre maison. Là, il est vivement impressionné en voyant comment ce prêtre prie Dieu, et comment, jusque bien avant dans la nuit, il consacre de longues heures à ses dévotions. Soudain la grâce divine agit en lui, et son cœur est rempli d’un désir ardent de devenir disciple de Christ. Le prêtre l’instruit avec joie et Alban fait de rapides progrès dans la connaissance de la vérité.

Peu après, le prince du pays est averti que le prêtre est caché dans la maison d’Alban. Il envoie de suite une bande de soldats pour se saisir de lui. Dès qu’Alban l’apprend il n’hésite pas à se sacrifier lui-même, plutôt que de livrer l’homme qui a cherché un refuge sous son toit. Il revêt les habits du prêtre, vient à la rencontre des soldats et se livre à eux, comme étant celui qu’ils cherchent. Le juge devant lequel on l’amène était justement près de l’autel, offrant des sacrifices aux faux dieux. Il s’aperçoit bien vite de la supercherie, et donnant l’ordre de faire approcher Alban de l’autel, il lui dit : « Puisque tu as volontairement caché un homme sacrilège et rebelle, tous les tourments qui lui étaient destinés te seront infligés, si tu ne consens pas à rendre de suite à nos dieux le culte que nous leur rendons. » Alban répond avec calme qu’il ne peut se soumettre à un tel ordre. « A quelle famille appartiens-tu ? demande le juge. — Pour quelle raison t’enquiers-tu de ma famille ? réplique Alban ; je suis chrétien.

Le Juge. — Je te demande ton nom. Dis-le de suite.

Alban. — De mes parents je tiens le nom d’Alban. J’adore le Dieu vivant, créateur de toutes choses.

Le Juge. — Si tu veux jouir d’une longue vie, il faut que, sans tarder, tu sacrifies à nos grands dieux.

Alban. — Les dieux que vous adorez sont des démons. Ils ne peuvent rien faire en faveur de leurs adorateurs. »

A l’ouïe de ces paroles, le juge ordonne d’infliger à Alban la peine du fouet. Celui-ci la subit avec patience et même avec joie, et le juge, voyant son inébranlable résolution, le condamne à être décapité. Pour arriver au lieu du supplice, il fallait traverser un pont. Il était si encombré de monde au moment où Alban devait passer, que les gardes eurent toutes les peines du monde à s’ouvrir un passage. Le lieu même du supplice était une colline peu élevée, surmontée d’un petit plateau et couverte de fleurs. Le soldat qui devait servir de bourreau fut si ému de la fermeté et de la joie d’Alban, que, jetant son glaive, il tomba aux pieds du martyr, le priant de lui permettre de souffrir avec lui. On les décapita tous deux ; plus tard la ville de Vérulam reçut, en souvenir de ces événements, le nom de Saint-Alban ».

[Bède, H. E., liv. I, chap. 7. Il cite, au sujet de cet événement, Fortunatus, évêque de Poitiers, « le dernier représentant de la poésie latine en Gaule » :
Albanum egregium fœcunda Britania profert.]

Il n’est pas possible d’indiquer avec certitude la proportion entre les chrétiens et les païens à cette époque. Ils étaient plus nombreux en Orient qu’en Occident, si l’on en excepte l’Afrique. Corneille, évêque de Rome, écrivant à l’époque de la persécution de Decius, en 250, nous informe qu’il y avait alors à Rome quarante-six prêtres, sept diacres, sept sous-diacres et quarante-deux clercs ; il y avait, en outre, cinquante-deux exorcistes, lecteurs ou portiers ; enfin, plus de quinze cents veuves ou pauvres, soutenus par l’Église. De ces chiffres, on a conclu que la population chrétienne de Rome devait s’élever à cinquante mille personnes environ. Les lieux de culte étaient au nombre de quarante ; mais, à l’époque de la mort de Constantin, il devait être devenu probablement bien plus considérable. Manso évalue à sept mille le nombre des congrégations répandues dans tout l’empire. A leur tête, on comptait environ dix-huit cents évêquesb.

b – Eusèbe, H. E., liv. VI, chap. 43 ; Oplat, liv. II, chap. 34. Burton, p. 323. Manso, Vie de Constantin, cité dans Cooper, Free Church, p. 356.

Les divergences entre l’Église et le monde païen s’effacent de plus en plus. — L’accroissement du nombre et de la richesse des fidèles, le baptême des enfants et le développement du sacerdotalisme ne tardèrent pas à atténuer de plus en plus les divergences entre l’Église et le monde. La ligne de démarcation entre chrétiens et païens perdit de son acuité ou, tout au moins, se maintint pour des raisons nouvelles et toutes différentes.

Les chrétiens des premiers âges se distinguaient des païens par leur genre de vie et la pureté de leur conduite. « Étant dans la chair, ils ne vivaient pas selon la chair ; habitant sur la terre, ils étaient citoyens des cieuxc. » Maintenant, la différence porte sur des cérémonies extérieures. Les chrétiens sont les gens qui ont reçu le baptême d’eau, qui participent au pain et au vin, au sacrement, comme on dit, ou aux mystères. Non certes qu’il leur manque certaines autres qualités chrétiennes d’un caractère plus positif ! les nombreux martyres, le dévouement dans les temps de famine ou de peste, la vigilance et la sainteté de vie de milliers de fidèles prouvent encore, d’une manière éclatante au monde, la puissance fortifiante de l’Évangile. Mais, d’un autre côté, plus l’importance attachée aux cérémonies grandit, moins on s’attache à la conversion du cœur. Comment la moralité n’aurait-elle pas décliné, lorsqu’un homme comme Grégoire le Thaumaturge adoptait une discipline flexible, et faisait céder la sainte règle de l’Évangile devant les habitudes vicieuses des païens nouvellement baptisés ? Et quand, après l’édit de Milan, la porte de l’Église fut encore plus largement ouverte, ne devint-il pas extrêmement difficile, sinon impossible, de maintenir la discipline et la morale ?

cLettre à Diognète, ci-dessus, p. 29.

D’ailleurs, à mesure que le danger grandissait, la voix des gardiens des troupeaux perdait de plus en plus son énergie. Après la fin du iie siècle, les Montanistes n’eurent plus aucune influence, et toutes les sectes, comme celle des Novatiens, par exemple, qui demandaient le retour aux anciennes mœurs et à l’ancienne discipline, ne purent jamais obtenir de résultats sérieux, dans l’Église en général.

[Les Novatiens, ayant fait cause commune avec les orthodoxes contre les Ariens, furent plus tolérés que d’autres dissidents. Mais, au siècle suivant, ils furent persécutés par Cyrille d’Alexandrie. En 412, il ferma leurs églises dans cette ville et s’empara de leurs biens ecclésiastiques. Schaff, p. 942.]

Çà et là quelques personnalités font entendre, cependant, un cri d’alarme. Ainsi Commodien, vers l’an 250. Il nous reste de lui deux poèmes, écrits en un latin barbare. Ils témoignent de la grande liberté d’esprit de l’auteur. En voici un exemple. Quelques-uns de ceux dont la mission était d’instruire et de guider l’Église avaient montré une indulgence coupable, sous l’empire de la crainte ou sous l’influence des présents. Commodien s’écrie : « Tu cours avec la multitude aux vains spectacles du cirque, où Satan fait son œuvre avec bruit ! Tu t’imagines que tout ce qui est agréable est licite ! Ah ! n’aime pas le monde, ni les choses qui sont du monde ! ainsi parle la voix de Dieu ; tu le sais, tu l’approuves, et pourtant tu n’obéis pas et tu te contentes d’observer des prescriptions d’hommes. Tu te fies à ce présent qui a fermé la bouche de l’homme qui devait t’éclairer ; tu as acheté son silence ; tu as obtenu qu’il fit taire pour toi la loi divine… Sois plutôt comme Christ veut que tu sois, heureux et bon en Lui, car le monde ne te donnera que tristesse et chagrind. »

dInstructions, chap. 57, 58.

Un siècle plus tard, vers l’an 355, Aërius proteste à son tour. Né dans le Pont ou en Arménie, Aërius avait été consacré prêtre par son ami, le semi-arien Eustathius, évêque de Sébaste. Des discussions ultérieures s’étant élevées entre lui et son évêque, Aërius et ses nombreux partisans rompirent ouvertement avec l’Église et renoncèrent en même temps à toute possession temporelle.

L’enseignement d’Aërius atteignit, sur quelques points, un niveau presque égal à celui de certains des docteurs les plus éminents de la Réforme. Aussi lui valut-il les persécutions de l’Église orthodoxe. Épiphane, par exemple, l’attaque avec une extrême violence. Il lui reproche quatre chefs principaux d’hérésie. Le premier, d’avoir dit que l’Écriture sainte n’établit aucune différence entre les évêques et les prêtres. Le second, que les prières et les offrandes pour les morts sont non seulement inutiles, mais pernicieuses ; car, si elles leur étaient utiles, il ne serait plus nécessaire de vivre saintement, et il suffirait d’amener, par des présents ou autrement, une foule de gens à faire de telles prières ou de telles offrandes, pour que le salut du défunt fût assuré. Le troisième chef d’hérésie porte sur la question des jeûnes. Bien que moine, Aërius condamnait tous les jeûnes fixes. Un chrétien, pensait-il, devrait jeûner toutes les fois qu’il en sentirait le besoin pour le bien de son âme, mais établir des jours de jeûne obligatoire était un retour à l’esclavage de la Loi. Enfin Aërius considère l’observation de la Pâque comme un reste de superstition judaïque, et dit que les chrétiens ne devraient point célébrer cette fête, puisque l’apôtre Paul a déclaré que Christ, qui a été immolé pour nous, est notre Pâque.

« Aërius, dit son biographee, se servit des armes de l’Écriture pour combattre l’accroissement rapide du sacerdotalisme à son époque. Il osa mettre en question les prérogatives de l’épiscopat. Il essaya de délivrer l’Église du joug de cérémonies qui menaçaient de l’étouffer et de peser plus lourdement sur elle que les rites abolis du judaïsme. » Hélas ! ce fut en vain, et sa voix resta sans écho. « La protestation d’Aërius, continue le même auteur, était prématurée, et des siècles devaient s’écouler avant qu’elle pût être renouvelée avec fruit. » Malheureusement, si les chefs de l’Église ne tinrent pas compte de l’avertissement, ils n’épargnèrent pas les persécutions à celui qui l’avait donné. On refusa à Aërius et à ses amis l’entrée des églises, et même celle des villes et des villages. Ils furent obligés de vivre dans les champs, dans les carrières et dans les cavernes, et de tenir, malgré les rigueurs de l’hiver arménien, leurs assemblées en plein air.

eDict. Christ. Biog., art. Aérius. — Cf. Mosheim, H. E., I, 393 et 577, n. 145. (Trad. de Félice.)

A mesure que l’Église grandissait, les accusations odieuses lancées contre son culte ou contre les fidèles diminuaient graduellement. Sans doute, jusqu’au temps de Constantin, les écrivains païens ne ménagent pas les attaques contre l’Évangile ; mais la tactique n’est plus la même. Ce n’est plus la guerre ouverte d’un Celse ou d’un Lucien ; ce sont les insinuations et les sourdes menées de l’école néo-platonicienne, dont Porphyre est le plus illustre champion. On affirme, maintenant, qu’il n’y a pas, entre l’ancienne religion et la nouvelle, tout l’antagonisme qu’on pense, et qu’il est possible de les réconcilier en les combinant. On fait des comparaisons entre Christ et les anciens philosophes, et l’on cherche à prouver qu’ils ne lui ont pas été inférieurs. Il est probable, toutefois, que les arguments de ce genre n’entravèrent pas d’une manière sérieuse les progrès de l’Évangile. Tout au plus empêchèrent-ils quelques païens sans énergie de quitter l’ancienne idolâtrie, pour embrasser la foi nouvelle, ou encore séduisirent-ils quelques chrétiens imprudents, qui s’y laissèrent prendre et renoncèrent à la foi plus pure dans laquelle ils avaient été élevés.

[Porphyre avait environ vingt ans lorsqu’Origène mourut. Voici ce qu’il dit en parlant de lui : « Cet homme, que j’ai eu l’occasion de rencontrer quand j’étais fort jeune, jouit d’une grande célébrité à cause des ouvrages qu’il a laissés. Il était un des auditeurs d’Ammonius [Saccas], le plus grand maître de philosophie de notre temps. Mais la direction qu’il prit était bien différente de celle de ce philosophe. Ammonius, en effet, après avoir reçu une éducation chrétienne, changea de voie et revint à l’ancienne manière de vivre, dès qu’il se fut appliqué quelque temps à l’étude de la philosophie ; et Origène, au contraire, bien qu’instruit dans les lettres grecques, abandonna cette voie pour adopter ces témérités des barbares. » Eusèbe, liv. VI, chap. 19. — L’ouvrage composé par Porphyre contre le christianisme n’est pas arrivé jusqu’à nous ; mais nous possédons, par contre, quelques-unes des nombreuses répliques qu’y opposèrent les pères du iiie et du ive siècle.]

Les magistrats. — Dès que l’Église eut acquis une certaine importance, et déjà avant son union avec l’État, les chrétiens d’un certain rang se trouvèrent dans une situation difficile, relativement à l’exercice des fonctions civiles. Beaucoup trouvaient l’acceptation d’une charge quelconque incompatible avec la profession de la foi chrétienne, tant que le chef de l’État appartenait au paganisme. Tel était, par exemple, l’avis de Tertullien. « Nous ne nous mêlons jamais, dit-il, des affaires publiquesf. »

f – Mosheim, I, 263-266. (Trad. de Félice.)

D’autres pensaient différemment, et nous avons vu que, sous Dioclétien, quelques-unes des plus hautes charges de l’État étaient exercées par des chrétiens. Certains membres de l’Église allaient même jusqu’à accepter des emplois qui devaient les obliger à sacrifier aux dieux et à présider aux jeux publics. Naturellement, l’Église condamnait énergiquement de pareilles infidélitésg.

g – Concile d’Elvire, canons 1-3.

Après sa victoire sur le paganisme, l’Église n’en continua pas moins à veiller sur ceux de ses membres qui exerçaient des fonctions civiles. Le premier concile d’Arles (314) décida que, lorsqu’un chrétien serait investi de la charge de gouverneur d’une province, il devrait être muni d’une lettre pour l’évêque, serait placé sous sa haute surveillance et pourrait être exclu de la communion, s’il commettait des actes contraires à la discipline de l’Église. Ces dispositions produisirent plus tard de grands abus, car ils conduisirent à l’intervention prépondérante du clergé dans tous les actes officiels et dans les fonctions purement civiles des juges, des gouverneurs et même des empereurs et des rois.

Le service militaire. — Il n’est pas douteux qu’aux iiie et ive siècles, l’objection contre le service militaire, tirée de l’antinomie entre la guerre et les préceptes de l’Évangile, n’ait perdu du terrain. Du temps de Dioclétien, nous l’avons dit d’après Eusèbeh, on trouvait dans les armées beaucoup d’officiers et de soldats chrétiens. Les Montanistes avaient perdu en nombre et en influence, et le témoignage qu’ils avaient rendu à l’Évangile sur ce point avait diminué avec eux. Nous pouvons, cependant, trouver quelques renseignements sur cette importante question, dans les livres ecclésiastiques en usage au iiie siècle et dans les siècles suivants. Les Constitutions Apostoliques restent étrangères à cet égard à l’esprit du Nouveau Testament. Elles ne dépassent pas les idées émises par Jean-Baptiste. « Si un soldat se présente, disent-elles, qu’on lui enseigne à ne point commettre d’injustice, à n’accuser personne faussement, à se contenter de sa solde (Luc 3.14). » Les Canons de l’Église d’Alexandrie (attribués à tort à Hippolyte) décident qu’ « un Nazaréen (chrétien) ne peut devenir soldat, sinon sur un ordre précis. » Une autre édition des mêmes Canons à l’usage des chrétiens d’Ethiopie semble indiquer une intelligence plus réelle de la règle évangélique : « Il n’est pas convenable aux chrétiens, y est-il dit, de porter les armes ’. » Et nous pouvons, enfin, rappeler la manière si explicite dont Lactance proteste contre la guerre et contre toute espèce de violence.

h – Denys d’Alexandrie, cinquante ans auparavant, dit qu’on comptait des soldats parmi les martyrs du temps de Dioclétien. Eusèbe, liv. VII, chap. 11.

[Canon 14 d’Abulides (Hippolyte). Ante-Nicene Library, Hippolytus. Appendice à la IIe partie, p. 135, 139. — Il n’est pas douteux qu’il y eut, suivant les Églises, des degrés divers dans la compréhension de ces applications pratiques du christianisme.]

Il est une légende de cette époque, si familière aux lecteurs des ouvrages d’histoire ecclésiastique, qu’on ne peut la passer sous silence, bien qu’elle ne puisse supporter un examen critique. C’est celle de la légion thébaine. On raconte que cette légion, composé de six mille six cents hommes, tous chrétiens, avait été appelée d’Orient en Gaule par Maximien. Arrivés près de la ville d’Agaunum, au-dessus du lac de Genève, dans la vallée du Rhône, les soldats de cette légion se rendirent compte qu’on voulait les employer à forcer leurs frères des Gaules à revenir à la religion païenne.

Dès lors, ils refusèrent de marcher. A cette nouvelle, Maximien, qui se trouvait non loin de là, ordonne de décimer deux fois la légion. Cette cruelle mesure restant sans effet sur le reste, et Maurice, commandant de la légion, ayant déclaré à l’empereur qu’ils étaient tous disposés à mourir plutôt qu’à manquer si peu que ce fût à leur devoir vis-à-vis de Dieu, l’empereur exaspéré les fait entourer par le reste de ses troupes, et la légion tout entière, posant ses armes, se soumet sans résistance à la mort. Et c’est pourquoi, depuis, on donne à cette ville le nom de Saint-Maurice. Ces faits auraient eu lieu en 286, c’est-à-dire l’année même où Maximien fut associé comme Auguste à Dioclétien. Les preuves qui les établissent sont d’une extrême faiblesse. En outre, et sans parler de cette circonstance qu’il n’en est point fait mention avant l’an 520, il se trouve qu’un fait analogue se serait passé en Syrie. Un tribun militaire grec, également nommé Maurice, y aurait été martyrisé avec soixante-dix de ses soldats.

[Robertson, I, p. 144. Gieseler, K. G., I, 216, note p. — Tous ceux qui ont visité Cologne connaissent l’ancienne église de Saint-Géréon, où la tradition du martyre des Thébains s’affirme encore sous une autre forme. L’église est garnie d’ossements innombrables, qu’on prétend être ceux de Géréon et de ses camarades de la légion thébaine. Leur martyre aurait eu lieu — nouvelle variante — sous Dioclétien. La partie inférieure des murs de l’église est garnie de pierres tombales, sur lesquelles on peut lire des inscriptions grossièrement sculptées. Voici l’une d’elles : Thebeor[urm] xii corpora et plura reconduntur hic. Douze corps et plus des Thébains sort ensevelis ici.]

Nous avons déjà cité deux exemples de soldats chrétiens se soumettant à la mort plutôt que de manquer à leur conscience. Le premier était celui de Marin, qui fit une noble confession du nom du Christ, bien qu’il dût lui en coûter et son rang et la vie. Le second, celui du centurion Marcellus, qui, plutôt que de participer à une fête païenne, jeta son épée et fut conduit au supplice. Dans les deux cas, remarquons-le, il ne s’agissait pas d’un refus de principe, si nous pouvons ainsi dire, et à cause des préceptes de l’Évangile. Mais y eut-il des cas de résistance de ce genre ? C’est ce que nous ne saurions dire. Probablement de tels scrupules étaient alors aussi impopulaires qu’aujourd’hui, et les chroniqueurs ont bien pu ne pas mettre un zèle excessif à en connaître et à en raconter les manifestations. L’histoire nous a cependant conservé un exemple remarquable de cette fermeté à refuser d’entrer dans l’armée, parce que Christ a défendu à ses disciples de prendre part à la guerre. Le héros est un des fidèles martyrs du iiie siècle.

En 295, à Tevestei, ville épiscopale de Numidie, le sergent recruteur amena, devant le proconsul Dion, un jeune homme de vingt-deux ans, nommé Maximilien, qu’il jugeait propre au service militaire. C’était durant une période de tolérance et de calme. Le jeune homme était accompagné par son père. Au moment où on allait vérifier sa taille, il s’écria : « Je ne puis pas entrer au service, je suis chrétien. » Le proconsul ne fit aucune attention à ces paroles, et ordonna à ceux qui en avaient la charge de le mesurer. Tandis qu’il était debout contre le poteau indicateur, il dit encore une fois : « Je ne puis aller à la guerre, je ne puis faire du mal, je suis chrétien. »

i – Aujourd’hui Tébessa, en Algérie.

Dion. — Mesurez-le. (L’officier proclame sa hauteur, cinq pieds dix pouces.)

Dion. — Donnez-lui les insignesj.

j – Les insignes, ou marque distinctive (signaculum) des soldats, consistaient dans l’inscription sur les mains, au moyen de piqûres, du nom de l’empereur, et dans la fixation au cou d’un collier de cuir où la devise (device) de l’empereur était gravée.

Le jeune homme résiste et s’écrie : Je ne le souffrirai pas ; je ne saurais prendre part à la guerre !

Dion. — Si tu ne veux pas servir, tu mourras.

Marimilien. — Je ne « « rirai pas. Vous pouvez me couper la tête si vous voulez. Je ne puis combattre de combat terrestre. Je suis le soldat de Dieu.

Dion. — Qui t’a donné de telles idées ?

Maximilien. — Mes propres réflexions et Celui qui m’a appelé à son service.

Dion se tournant vers son père : « Donne un sage conseil à ton fils. » Le père : « Il sait ce qu’il doit faire ; mon conseil serait inutile. »

Dion (à Maximilien). — Accepte les insignes militaires.

Maximilien. — Je n’en ferai rien. Je porte les insignes du Christ.

Dion. — Je vais t’y envoyer tout droit, auprès de ton Christ.

Maximilien. — Fais ; je suis prêt.

Dion. — Allons ! marquez-le et mettez-lui le collier.

Maximilien résiste de nouveau. « Je briserai ce collier, dit-il, parce que je le considère comme un objet sans valeur. Je suis chrétien. Il ne m’est donc pas permis de porter au cou un sceau de plomb tel que celui-là, après avoir reçu, par la grâce de mon Seigneur Jésus-Christ, le fils du Dieu vivant, le sceau de la rédemption. »

Dion. — Songe à ta jeunesse… Il est honorable pour un jeune homme d’être soldat.

Maximilien. — Je ne puis combattre que pour mon Seigneur.

Dion. — Mais il y a des soldats chrétiens dans les armées impériales !

Maximilien.Ils savent ce qui leur est permis. Pour moi, je suis chrétien et ne puis faire de mal.

Dion. — Quel mal font donc ceux qui combattent ?

Maximilien. — Tu le sais bien.

Dion. — Ne méprise pas le service militaire, sans quoi tu périras misérablement.

Maximilien. — Je ne périrai pas. Tu peux, il est vrai, me faire mettre à mort ; mais mon âme vivra avec Christ.

Dion. — Rayez son nom.

Le nom rayé, le proconsul ajoute : « Puisque, dans ton impiété, tu as refusé de servir, écoute ta sentence et qu’elle serve d’avertissement aux autres ; » puis il lit sur ses tablettes : « Que Maximilien soit mis à mort par l’épée, à cause de son refus impie de devenir soldat. »

Maximilien répond : « Grâces soient rendues à Dieu ! »

Arrivé sur le lieu de l’exécution, il s’écrie : « Frères bien-aimés, efforcez-vous de voir Dieu et de recevoir de lui une telle couronne. » Puis, se tournant vers son père, il lui dit d’un ton joyeux : « Donne à ce soldat le vêtement militaire neuf que tu avais préparé pour moi. Tu viendras me rejoindre un jour, et nous glorifierons ensemble le Seigneur. » A peine avait-il prononcé ces paroles, que sa tête était séparée de son corps. Son père retourna à sa maison plein de joie, remerciant Dieu, qui avait permis qu’il pût lui offrir une aussi précieuse victime. Une dame, nommée Pomponiana, demanda son corps et le plaça dans sa chambre. De là il fut porté à Carthage et enseveli sous une colline non loin du palais et à côté du tombeau de Cyprien. Treize jours après, la dame elle-même mourut et fut enterrée à la même placek.

k – Ruinart, Acta Sincera, 300-303.

Ainsi agit, d’après le récit que l’antiquité nous a conservé, ce courageux jeune homme. Il compta sa vie pour rien en comparaison des commandements du Seigneur. Et pourtant il était isolé ; il n’avait pas, comme les martyrs des persécutions générales, de nombreux confesseurs autour de lui pour le réconforter et le soutenir. Il souffrit seul pour son Sauveur, comme son Sauveur avait souffert seul pour lui. Son exemple est donc digne d’un double respect. Ah ! si la jeunesse de nos jours, au moins celle pour qui l’obéissance à Christ est ce qu’il y a de plus important, pouvait arriver à se convaincre que toute guerre est de sa nature absolument incompatible avec l’Évangile, et pouvait se laisser guider par cette conviction ! on verrait bientôt cesser cette tyrannie du militarisme, qui écrase les peuples, qui foule aux pieds toute liberté morale et religieuse. Oui, s’ils savaient accepter joyeusement, pour obéir à leur Seigneur, les reproches, la prison, la mort même, quelle force résisterait à un pareil argument ? Ne serait-ce pas là le vrai moyen, le moyen divin, de supprimer les armées permanentes, la conscription forcée, les guerres et la préparation aux guerres, qui depuis si longtemps sont une source d’affliction pour le monde ?

Nous l’avons constaté, le respect du commandement du Christ sur ce point était moins grand au iiie siècle qu’au iie ; avec les victoires de Constantin, il disparaît entièrement. Alors s’établit cette union impie entre le culte de Mars et celui du Dieu de paix ; alors on entoure la croix de laurier, et jusqu’à nos jours l’Église en sera à la fois éblouie et avilie. Depuis Constantin, la conscience chrétienne garde, sur cette question si grave, un complet silence, à moins pourtant qu’elle ne parle pour approuver. Augustin donne quelque part l’opinion générale de l’Église en disant : « Parfois les puissances de ce monde craignent Dieu ; d’autres fois elles ne le craignent pas. L’empereur Julien était un incrédule, un apostat, un idolâtre ; pourtant les soldats chrétiens servaient sous ses ordres. Sans doute, si leur obéissance à Christ était en jeu, ils ne reconnaissaient plus que leur Maître céleste. L’empereur leur ordonnait-il d’adorer les idoles ou d’offrir de l’encens, ils préféraient obéir à Dieu qu’à lui. Mais s’il leur disait : mettez-vous en ligne de bataille ; marchez contre telle ou telle nation, ils obéissaient sans hésitation aucune à leur roi. »

Il faut arriver au xviie siècle pour que ce silence profond cesse et pour que des protestations s’élèvent. Chaque jour en voit augmenter le nombre, et chaque jour elles commandent davantage l’attention. Il faudra bien que les nations et ceux qui les gouvernent finissent par entendre, et qu’ils adoptent, en ces matières, une nouvelle et plus sainte ligne de conduite.

Conclusion. — Nous avons suivi bien imparfaitement, sans doute, mais pas à pas, l’Église chrétienne depuis son origine jusqu’à l’époque de son union avec l’Etat sous l’empereur Constantin. Ses luttes des premiers jours sont maintenant finies. Elle commence à jouir d’une grande prospérité extérieure et entre désormais dans une phase nouvelle. Rien de plus naturel, dès lors, que de nous arrêter ici.

Si notre but a été de montrer l’Église primitive dans sa simplicité apostolique, et de signaler l’addition graduelle de rites et d’observances étrangers à l’esprit du christianisme (bien que la vérité évangélique ne soit jamais restée sans témoins fidèles), nous nous sommes efforcés de conserver toujours une probité parfaite, de ne cacher, sciemment du moins, aucune vérité, de n’admettre aucun mensonge, et de donner en même temps, autant qu’il nous a été possible, une vue générale de l’ensemble.

Un fait ressort clairement de notre étude : c’est que, de très bonne heure, l’Église a commencé à être envahie par les éléments misérables et inférieurs de ce monde. Nous avons vu le témoignage unanime des pères de l’Église primitive condamner nettement des formes et des superstitions, qu’aujourd’hui encore un grand nombre de chrétiens de profession considèrent, malgré leur origine tardive, comme une partie essentielle de la religion.

Nous ne voudrions pas, pourtant, que cette dégénérescence précoce de l’Église visible amenât à en désespérer. Bien comprise, l’histoire ecclésiastique ne saurait produire un tel résultat. « L’Église militante, a écrit Trenchl, compte à chaque époque des triomphes et des chutes. Les triomphes peuvent être plus sensibles à tel ou tel moment, dans tel ou tel pays, tandis que les chutes le sont dans d’autres. Mais ni les triomphes, ni les chutes ne restent cachés. Il peut y avoir des chrétiens qui ne voient qu’un seul côté ; cherchons à ne fermer les yeux sur aucun des deux. Pour nous, qui croyons à la divine fondation de l’Église dans le monde, sachons voir dans tous les temps — et bien des preuves infaillibles sont là pour nous y aider — l’Église triomphante. Mais, d’un autre côté, puisque nous savons que le trésor de la grâce est contenu dans des vases de terre, sachons aussi voir les chutes de toutes les époques, voir l’idée divine toujours imparfaitement réalisée par l’humanité ; en un mot, contemplons courageusement les deux faces de la vérité. »

lMediaeval Church History, lect. I, p. 12.

Au milieu de toutes les vicissitudes de la vie extérieure de l’Église, au milieu de ses luttes et de ses altérations, un point doit particulièrement frapper le chrétien sérieux. De génération en génération, on rencontre des témoins de Christ. L’organisation de l’Église à pu être corrompue ; la foi a pu être encombrée par des inventions humaines ou par des restaurations appartenant à une économie antérieure, mais il ne s’en est pas moins trouvé des hommes dont les écrits, marqués, pour ainsi dire, du sceau de l’Esprit-Saint, peuvent encore servir à défendre la vraie foi chrétienne. L’influence des Irénée, des Tertullien, des Cyprien, des Clément, des Origène, n’a pu que contribuer à édifier et à accroître l’Église spirituelle de Christ, et ce ne sont pas quelques doctrines ou quelques idées sur le gouvernement de l’Église, dépassant les unes et les autres les limites de l’enseignement biblique, qui ont pu empêcher ce résultat. Ils étaient les témoins vivants d’un vivant Sauveur. Ce sont de tels hommes que d’âge en âge le Seigneur suscite, pour qu’ils lui rendent témoignage dans le monde, pour qu’ils nourrissent et dirigent l’Église, qu’il s’est acquise par son propre sang. Nous ne devons pas oublier non plus quelques-uns de ceux dont la situation extérieure dans l’Église a été toute différente, et dont aucun monument n’a conservé les noms ; ni même certains chrétiens auxquels les « Pères de l’Église » ont refusé la main d’association. De tels hommes aussi, bien qu’on ait pu les taxer d’hérésie, à l’égal des docteurs de l’erreur et de l’immoralité ; bien que les hommes ne leur aient témoigné ni reconnaissance, ni honneur ; de tels hommes, disons-nous, ont occupé une vraie et importante place dans l’Église universelle et ont, au même titre que leurs frères plus illustres, et dans de plus difficiles circonstances, rendu à leur Seigneur un témoignage vivant et précieux.

Si donc l’étude de l’histoire de l’Église primitive fournit de nombreuses preuves des erreurs et de l’infirmité humaines ; si, trop souvent, elle remplit le cœur de tristesse, en montrant le bien transformé en mal ou méconnu, elle n’en renferme pas moins un enseignement d’un prix exceptionnel à nos yeux. Elle confirme notre foi dans la sagesse de Dieu et dans ses desseins miséricordieux pour l’humanité. Elle nous montre qu’il a toujours veillé sur son Église ; qu’il n’a jamais permis que la lumière de la vérité fût éteinte ; qu’il a toujours pourvu aux besoins de chaque génération. Même dans les périodes les plus sombres, alors que les siècles avaient abaissé le niveau de l’Église au point que, dans son culte et dans sa manière de concevoir la piété, elle semblait avoir complètement perdu son caractère primitif, il y avait encore dans son sein, comme en Israël au temps de l’idolâtrie d’Achab, sept mille hommes qui n’avaient pas fléchi le genou devant Baal. Les âges les moins brillants de l’Église ont toujours offert l’espérance précieuse d’une nouvelle aurore. Sans doute, depuis que la lumière éclatante de la Réforme a paru, le ciel de l’Église a souvent été couvert par des nuages amoncelés. Mais l’Église n’en conserve pas moins sa marche ascensionnelle vers la vérité, et c’est dans l’espérance d’un avenir de plus en plus glorieux que nous pouvons rendre à Dieu de joyeuses actions de grâces.

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