Démonstration évangélique

LIVRE V

CHAPITRE III
AU PS. CIX, LE MÊME PROPHÈTE RECONNAÎT DEUX SEIGNEURS, LE PREMIER QUI EST DIEU SUPRÊME, LE SECOND QU’IL APPELLE SON SEIGNEUR ET QUI A ÉTÉ ENGENDRÉ AVANT LA CRÉATION DU MONDE.

David reconnaît le second Seigneur, comme pontife éternel du Père, assesseur du Dieu de toute créature, et témoigne d’une foi conforme à la nôtre.

« Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied. Le Seigneur va faire sortir de Sion le sceptre de votre autorité, et vous dominerez vos ennemis. La puissance vous sera donnée au jour de votre force, au milieu des splendeurs de vos saints. Je vous ai engendré avant l’aurore. Le Seigneur l’a juré, et il ne révoquera pas son serment : Vous êtes le prêtre éternel suivant l’ordre de Melchisédech ; le Seigneur est à votre droite. »

Notre Sauveur et Seigneur, le Verbe de Dieu, premier-né du toute créature, la sagesse qui a précédé les siècles, le commencement des voies de Dieu, le premier et unique fils de Dieu, qui est décoré du nom de Christ, est appelé Seigneur au psaume qui révèle à notre foi qu’il est l’assesseur et le Fils du Dieu de l’univers, du Seigneur de toutes choses, et pontife éternel du Père. Remarquez d’abord que le second Seigneur est appelé la progéniture du Père, et parce que c’est l’Esprit divin qui a suggéré les paroles de la prophétie, considérez si cet esprit qui animait le prophète-roi, ne désigne pas son Seigneur après celui du monde. Le seigneur, dit-il, a dit à mon Seigneur : « Asseyez-vous à ma droite. » Les Hébreux ont donné au premier Seigneur, comme au maître du monde, un nom inexprimable, composé de quatre lettres. Il n’en est pas ainsi du second, à qui ils donnent proprement le nom de Seigneur. Aussi le Sauveur et Seigneur Jésus, le Christ de Dieu, ayant demandé un jour aux pharisiens : « Que vous semble-t-il du Christ ? De qui est-il fils ? Et ceux-ci ayant répondu : de David (Matth., XXII, 42), comment donc, ajouta-t-il, David, sans l’inspiration de l’Esprit, l’appelle-t-il Seigneur en disant : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : « Asseyez-vous à ma droite ? » Il laissa ainsi à entendre que ce cantique ne l’appelait pas seulement le Seigneur de David, mais encore de l’Esprit qui animait le prophète : or si cet Esprit prophétique, que nous croyons être l’Esprit saint, reconnaît comme Seigneur celui qu’il révèle comme assesseur du Père, et non pas absolument, mais comme son Seigneur, à plus forte raison, le Seigneur doit-il être reconnu des puissances inférieures à l’Esprit saint et de l’universalité des créatures corporelles et spirituelles, et leur Seigneur est a juste titre l’assesseur unique du Père par qui tout existe ; puisque suivant le grand Apôtre (Coloss., I, 16) : Par lui ont été créées toutes choses dans le ciel et sur la terre, les visibles et les invisibles.

A lui seul il appartient donc de ressembler au père ; puisque seul il s’assied à sa droite ; par conséquent nulle créature n’a droit à l’honneur de la droite du principe de la royauté suprême, sinon celui dont nous avons établi la divinité par diverses preuves. C’est à lui seul, en effet, que le Seigneur suprême et souverain adresse cette parole : Asseyez-vous à ma droite ; et celle-ci : Je vous ai engendré avant l’aurore. C’est avec serment qu’il lui a conféré l’honneur du sacerdoce éternel, inamovible et immuable : Le Seigneur l’a juré, et il ne révoquera pas son serment : Vous êtes le prêtre éternel ; mais qui est désigné ? Ce n’est pas un mortel ni l’ange qui, ouvrage de Dieu, est appelé au sacerdoce perpétuel ; mais celui qui a déjà dit dans le passage déjà cité : « Le Seigneur m’a formé au commencement de ses voies pour ses œuvres ; il m’a établi avant le temps dès le commencement, avant d’avoir affermi les montagnes et élevé les collines : le Seigneur m’a engendré » (Prov., VIII, 22). Que l’attention se renouvelle, et que l’on compare ce psaume cité et le passage qui l’a précédé. Dans le premier, en effet, Dieu fait asseoir auprès de lui le second Seigneur, Notre-Seigneur, en lui disant : « Asseyez-vous à ma droite ; » et le dernier témoigne que son trône est établi dès les siècles des siècles, et l’appelle aussi Dieu. « Votre trône, ô Dieu ! est un trône éternel. » Dans le psaume cité, il est dit : « Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre autorité, et dans le quarante-quatrième, le sceptre d’équité est le sceptre de votre empire. Le premier s’exprime ainsi : « Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied ; et vous dominerez vos ennemis. » Le second : « Vos flèches sont aiguës, elles perceront le cœur des ennemis du roi. » Ainsi s’accorde dans l’un et dans l’autre ce qui concerne les ennemis de celui qui est désigné.

Or, en voyant de ses yeux dans les villes et les villages et toutes les contrées, dans tous les lieux du monde, les Eglises de notre Sauveur florissantes, les peuples qui suivent ses lois, et l’innombrable multitude de ceux qui soûl consacrés à son culte, assiégés par les ennemis de la doctrine du Christ, visibles chez les hommes, invisibles et cachés, qui n’admirerait la vérité de cette prophétie, adressée au Christ : « Dominez sur vos ennemis ? » Comme le psaume cité plus haut nous apprend qu’il a été sacré de l’huile de l’allégresse, au-dessus de tous ceux, qui partagèrent cet honneur (or il était d’usage chez les Hébreux de sacrer les prêtres), le psaume CIX, que nous citons, le déclare prêtre avec plus de clarté, et développe le motif qui le fait déclarer seul pontife éternel, ce qui ne peut convenir à la nature humaine. Si le prophète-roi le proclame pontife selon l’ordre de Melchisédech, il l’oppose au pontife selon l’ordre de Moïse, à Aaron ou à ses enfants dont chacun, sans sacerdoce d’abord, oint ensuite par les hommes d’un parfum matériel, devint comme en type et en symbole un Christ emblématique et figuratif ; mais mortel qu’il était, il dépouillait bientôt le sacerdoce. D’ailleurs, loin de retendre sur toutes les nations, son pouvoir ne sortait pas de la nation juive ; au lieu du serment inviolable de Dieu, il n’était appelé à ce ministère que par le choix des hommes qui tombait souvent sur des personnes qui n’en étaient pas dignes comme sur un lieu. Cet antique pontife, selon l’ordre de Moïse, était tiré de la tribu de Lévi seulement. Il fallait qu’il descendit de la race d’Aaron, et qu’il honorât la Divinité par le sacrifice et l’effusion du sang des victimes, par un culte charnel. Mais celui que l’Ecriture appelle Melchisédech, nom qui, dans la langue grecque, signifie roi de justice, le roi de Salem ou de paix, sans père, sans mère, sans généalogie, dont l’histoire n’a marqué ni la naissance, ni la fin, n’a rien de commun avec le sacerdoce d’Aaron ; car il ne fut pas élu par les hommes, il ne fut pas sacré de l’onction sacerdotale et ne descendait pas d’une tribu qui n’existait point encore ; et ce qui est plus extraordinaire, tout incirconcis qu’il était, il bénit Abraham comme supérieur ce saint patriarche. Enfin il n’offrait pas au Dieu suprême le sang des victimes et les libations : ce n’était point dans le temple qu’il accomplissait son ministère. Comment eût-il exercé dans un temple qui n’existait pas encore ? Ainsi donc le Christ, notre Sauveur, ne devait ressembler en rien à Aaron ; car il n’est pas dit que, n’étant pas prêtre d’abord, il l’est devenu, ni qu’il a été prêtre ; mais qu’il l’est. Considérez ces mots : « Vous êtes prêtre pour l’éternité ; » il n’est pas dit : Vous serez, ne l’étant pas autrefois ; ni vous l’avez été, et vous ne l’êtes plus ; mais celui qui a dit : « Je suis qui suis » (Exode, III, 14), dit ici : Vous êtes et vous demeurerez prêtre pour l’éternité.

Puis donc que le Christ n’a pas commencé son sacerdoce dans le temps, puisque étranger a la tribu sacerdotale il ne fut pas oint de l’huile composée et matérielle, puisqu’il ne devait pas voir se terminer son sacerdoce, et être établi sur les Juifs seulement, mais sur toutes les nations, sous l’impression de ces motifs, le prophète l’élève avec raison au-dessus du sacerdoce figuratif d’Aaron, et le déclare pontife de l’ordre de Melchisédech. L’événement de l’oracle saint n’est-il pas merveilleux pour celui qui considère comment notre Sauveur, le Christ de Dieu, accomplit aujourd’hui encore, par ses ministres et d’après l’ordre de Melchisédech, les rites du sacrifice. Car, de même que, le pontife des nations, loin d’immoler des victimes, n’offrit que le pain et le vin quand il bénit Abraham, de même, notre Sauveur et Seigneur le premier, et ceux qui chez les nations tiennent leur sacerdoce de lui et qui consomment le sacrifice spirituel suivant les lois de l’Eglise, figurent avec le pain et le vin les mystères de son corps et de son sang salutaire, que Melchisédech avait prévus par l’inspiration divine, et dont il employait la figure par anticipation, ainsi que le témoigne le récit de Moïse, ainsi conçu : « Melchisédech, roi de Salem, offrit le pain et le vin, car il était prêtre du Très-Haut, et il bénit Abraham » (Gen., XIV, 18). Ainsi, le Seigneur fit-il à celui dont il est parlé, une promesse confirmée par un serment qu’il ne révoquera pas, et dit : Vous êtes le prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech. Or, apprenez ce que dit l’Apôtre à ce sujet : (Héb., VI, 17) « C’est pourquoi Dieu voulant faire voir avec plus de certitude aux héritiers de la promesse la fermeté immuable de sa résolution, employa le serment, afin qu’étant appuyé sur deux choses inébranlables par lesquelles il est impossible que Dieu nous trompe, nous eussions une puissante consolation, nous qui avons mis notre refuge dans l’espérance qui nous a été offerte. » Il dit ailleurs : « Il y a eu sous la loi plusieurs prêtres qui se succédaient, parce que la mort les empêchait de servir toujours. Mais celui-ci, demeurant éternellement, possède un sacerdoce éternel. Aussi, peut-il toujours sauver ceux qui s’approchent de Dieu par son entremise, toujours vivant pour intercéder pour nous ; car il convenait que nous eussions un pontife semblable, saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs, et élevé au-dessus des cieux » (Ibid., VII, 23). Il ajoute : « Voici l’abrégé de ce que nous avons dit : Nous avons un pontife si grand, qu’il est assis dans le ciel à la droite ; du trône de la divine Majesté, ministre du sanctuaire, et du tabernacle véritable que Dieu a dressé, et non pas l’homme » (Ib., VIII, 1). Telles sont les paroles de l’Apôtre. Vers la fin, le psaume prophétise sans obscurité la passion de celui qu’il annonce, en disant : « Il boira en passant l’eau du torrent ; c’est pourquoi il lèvera la tête » (Ps., CIX, 8). Un autre psaume désigne par le torrent le temps des épreuves, et dit : « Notre âme a franchi un torrent ; notre âme a franchi peut-être des eaux impraticables » (Ib., CXXIII, 5). Le Seigneur boira donc dans le torrent, dit le psaume, sans doute le calice qu’il indique lui-même au temps de sa passion, en disant : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi. » (Matth., XXVI, 39). Et encore : « Mais s’il n’est pas possible qu’il s’éloigne sans que je le boive, que votre volonté soit faite. » Lors donc qu’il eût bu ce calice, il leva la tête ; et, ainsi que dit l’Apôtre, comme « il s’est rendu obéissant à son Père jusqu’à la mort et à la mort de la croix, Dieu l’a élevé » (Philip., II, 8), en le tirant du milieu des morts et en le plaçant à sa droite, au-dessus de toutes les principautés, de toutes les puissances, de toutes les vertus, de toutes les dominations et de toute grandeur, non seulement dans ce siècle, mais encore dans le siècle à venir (Eph., I, 20). « Il a mis toutes choses sous ses pieds », dit-il, suivant la promesse du psaume : « Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied. » Vous dominerez vos ennemis. Or, il est évident pour tous que maintenant encore la puissance du Seigneur et la parole de sa doctrine dominent ceux qui ont cru en lui, au milieu même de leurs ennemis et de leurs adversaires.

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