Démonstration évangélique

LIVRE VI

CHAPITRE XX

D’ISAÏE

Le Christ doit aller en Égypte, les circonstances diverses de son avènement. Vision contre l’Égypte.

« Voici que le Seigneur est porté sur une nuée légère (Isaïe, XIX, 1). Il entrera en Egypte : à sa présence les idoles de l’Egypte seront ébranlées, et les cœurs seront dans l’effroi. L’Egyptien s’élèvera contre l’Egyptien le frère s’armera contre son frère et l’homme contre le voisin, la cité contre la cité et la loi contre la loi. L’esprit qui dirige l’Egypte s’évanouira. Je dissiperai ses conseils. Elle interrogera ses dieux et ses idoles, les démons qui font sortir leur voix du sein de la terre et les Pythons. Je livrerai ce peuple à des maîtres cruels, et des rois farouches le gouverneront », et le reste.

Cette prophétie marque que le second Seigneur inférieur au Dieu de l’univers, le Verbe de Dieu viendra en Egypte, non pas sous des voiles et d’une manière invisible, mais sur une nuée légère, ou plutôt sur une légère épaisseur : car tel est, dit-on, le sens de l’hébreu. Que les Juifs nous disent quand après les jours d’Isaïe, le Seigneur a vécu dans l’Egypte, et quel est ce Seigneur ; car le Dieu suprême est unique. Qu’ils disent encore en quel sens il est porté sur une nuée légère, et comment il monte sur une partie de la terre. Qu’ils expliquent cette épaisseur légère, et pourquoi ne dit-on pas que le Seigneur habile au milieu de l’Egypte sans en parler ? Quand se sont réalisés, suivant l’histoire les traits de la prophétie, je dis de l’ébranlement des idoles de ce pays, ouvrage de la main des hommes, les guerres d’Egyptiens à Egyptiens, à cause de la venue du Seigneur ; et les dieux de l’Egypte, les démons, sans doute, si puissants autrefois, sans force, et dans l’impuissance de ne pouvoir répondre à leurs adorateurs, par la crainte que leur inspirait le Seigneur : enfin, quels /sont ces maîtres durs, ces rois auxquels doit être livrée l’Egypte à la venue du Seigneur, et pourquoi ce peuple sera-t-il alors livré à de féroces dominateurs ? Que l’on explique encore les autres détails de la même manière ; car pour nous, nous prétendons qu’elles ne se sont accomplies qu’à la manifestation de notre Sauveur Jésus-Christ. Verbe de Dieu et puissance de Dieu le Christ a accompli la prophétie en tous ses sens, en vivant en Egypte sur la nuée légère. Le prophète, d’après le texte hébreu appelle nuée légère son séjour parmi les hommes dans le corps qu’il doit à une vierge et à l’Esprit saint. Aquila dit avec plus de justesse :

Voici que le Seigneur monte sur une obscurité légère et entre en Egypte ; il nomme obscurité légère, le corps conçu par l’opération de l’Esprit saint. Or, cette partie de la prophétie s’est accomplie à la lettre, lorsque l’ange du Seigneur étant « apparu en songe à Joseph, lui dit : lève-toi, prends l’enfant et sa mère ; fuis on Egypte et y demeure jusqu’à ce que je l’avertisse » (Matth., II, 13). Et alors habita en Egypte le Seigneur et le Verbe de Dieu, à l’âge de l’enfance, uni à la chair, formé dans le sein de la Vierge mère, matérielle comme toute chair, mais légère comme bien supérieure à notre nature, et appelée justement nuée légère comme produite par l’action de l’Esprit saint, et non point par l’union charnelle.

Or, voici la raison de son séjour parmi ce peuple. Comme c’est au sein de cette nation qu’a pris naissance l’erreur de l’idolâtrie ; et que les Egyptiens paraissaient les plus superstitieux des hommes ennemis déclarés du peuple de Dieu et les plus éloignés de sa prophétie ; c’était donc sur eux que la puissance de Dieu dut d’abord s’établir, et c’est pour cela encore que la foi de l’Evangile s’est affermie dans le cœur des Egyptiens avec plus de force que partout ailleurs. Aussi la prophétie dit que le Seigneur viendra parmi les Egyptiens, et non que les Égyptiens viendront en Judée, ni qu’ils iront l’adorer à Jérusalem, ni qu’ils se feront prosélytes des Juifs suivant les prescriptions de Moïse, ni qu’ils offriront leurs sacrifices sur l’autel du temple ; elle n’en dit rien ; mais c’est le Seigneur qui doit habiter parmi ce peuple, l’honorer de sa présence et l’enrichir de ses bienfaits ; son séjour accomplira tout ce que les événements munirent réalisé après la manifestation de notre Sauveur Jésus-Christ. Or, entrons dans le détail. Les esprits pervers et impurs oui infectaient l’Egypte, cachés depuis des siècles dans des statues et subjuguant à leur tyrannie les âmes des Egyptiens, sentirent une puissance inconnue et divine venir parmi eux et aussitôt ils se troublèrent et s’émurent ; leur cœur, leur intelligence s’obscurcit ; repousses et vaincus par la force invisible qui les poursuivait, et, semblable à un feu, les consumait d’une manière inexprimable. Telles sont les souffrances invisibles qu’éprouvèrent les démons au moment de l’entrée corporelle en Egypte de notre Sauveur Jésus-Christ. Cependant lorsque son Evangile eut été prêché ouvertement chez les Egyptiens, comme dans le reste du monde, et que sa puissance invisible qui opérait secrètement, agissait par les apôtres et faisait retentir la doctrine sainte par leur bouche, eut annoncé le culte du Dieu seul unique et seul véritable, et ramené à la vérité les victimes des démons, aussitôt l’Egypte et les autres nations furent agitées, et déchirées par des séditions et des guerres intestines ; les uns abandonnèrent les faux dieux, pour s’attacher à la foi du Christ de Dieu ; les autres furent animés de la fureur des démons, jusqu’à s’élever contre leurs frères, et à frapper leurs amis du tranchant du glaive, en haine de la doctrine du Christ. Car, dit le prophète : « l’Egyptien s’élèvera contre l’Egyptien, le frère fera la guerre à son frère, l’homme contre son voisin » (Matth., IV, 21). Et le Sauveur confirme ainsi cette prédiction dans les Evangiles : « Le frère fera périr le frère ; le père, son fils ; et les enfants s’élèveront contre leurs parents et les tueront. » Et encore : « Ne croyez pas que je sois venu donner la paix à la terre : non je vous le dis, mais la guerre ; car dès ce jour, cinq qui seront dans une maison seront divisés ; trois seront contre deux, et deux contre trois. Tous seront séparés le père d’avec le fils et le fils d’avec le père ; la mère d’avec la fille et la fille d’avec la mère ; le belle-mère d’avec sa bru ; la bru d’avec sa belle-mère » (Id., X, 34). En quoi diffèrent ces paroles de la prophétie qui annonce que l’Egyptien s’élèvera contre l’Egyptien, et que le frère fera la guerre à son frère ? La loi de la nouvelle alliance du Christ s’éleva au-dessus de la loi de l’idolâtrie, alors qu’en sa lutte avec les enseignements de ce culte insensé, l’Eglise de Jésus, cité et république mystérieuse, se déclara contre les constitutions des nations infidèles. Aussi est-il dit : « La cité contre la cité et la loi contre la loi. » Il est facile de voir les Egyptiens, et tous les idolâtres, l’esprit même de l’idolâtrie, qui troublés maintenant encore, se consultent entre eux pour ruiner la doctrine du Christ et l’abolir parmi les hommes ; mais qui sont dissipés par la sagesse du Dieu qui a dit dans la prophétie : « L’esprit qui divise l’Egypte s’évanouira et je dissiperai ses conseils. » Ils interrogèrent et sollicitèrent contre nous dans les oracles et les prédictions leurs dieux, les démons recelés dans les idoles et les devins si puissants jadis, et ne purent rien en obtenir. Car, « ils interrogèrent leurs dieux, leurs idoles et leurs Pythons, dit le prophète. » Mais les hommes qui ont recours à ceux que l’erreur semble établir dieux n’en retireront aucun service, et le Seigneur les livrera à des maîtres et à des rois farouches, lorsque entraînés par les démons et animés de leur fureur, ils susciteront des persécutions contre l’Eglise de Dieu. Or, remarquer ici que jusqu’à l’avènement de notre Sauveur Jésus-Christ, toute l’Egypte était gouvernée par ses rois propres et particuliers, que les Egyptiens vivaient régis par leurs propres lois et dans une pleine liberté, et que leur monarchie était aussi antique qu’illustre ; mais que dès l’instant où le premier empereur des Romains, Auguste sous le règne duquel naquit Notre-Seigneur, eut asservi l’Egypte, depuis que Cléopâtre, le dernier rejeton des Ptolémées fut captive, ce peuple passa sous la puissance romaine, en reçut des lois et des ordonnances, et se vit privé de son indépendance et de sa liberté : et ainsi fut vérifié l’oracle sacré qui annonçait les préfets de province, les préteurs et les autres magistrats inférieurs. En ces termes : « Je livrerai l’Egypte à des hommes, maîtres cruels. » Et les empereurs par les paroles qui suivent et qui sont traduites par Aquila : « Et le roi ayant augmenté sa puissance s’élèvera sur eux. Et par Symmaque : et le roi fort étendra sa puissance sur eux. » Or, ce Irait désigne, ce me semble, l’empire romain. Sa puissance ayant mis un frein et des chaînes au peuple le plus superstitieux de tous et aussi aux autres nations, ils n’osèrent et ne purent élever la voix contre l’Eglise de notre Sauveur.

A cette prophétie succèdent quelques prédictions obscures et dont les difficultés exigent une interprétation développée et profonde : elles recevront leur explication dans le temps convenable, lorsque, avec l’aide de Dieu, nous expliquerons les promesses divines.

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