Démonstration évangélique

LIVRE VII

CHAPITRE I

D’ISAÏE

Le caractère de la venue du Seigneur parmi les hommes.

Prédiction de l’incrédulité des Juifs envers le Sauveur, et signe que leur donne le Seigneur qui est une vierge concevant un Dieu à la naissance duquel la destruction de la nation des Juifs se consommera, les nations étrangères et ennemies s’empareront de leur pays, et la terre qui était autrefois une solitude, deviendra féconde par la culture divine, prédiction évidente de l’Eglise des nations. De même que Jean, l’admirable évangéliste discourt sur Notre-Seigneur avec une élévation bien supérieure à l’intelligence humaine, dès les premières lignes de son Evangile saint, et expose avec son origine divine la manière dont il apparut au milieu des hommes par son incarnation : « Au commencement, dit-il, était le Verbe et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. Au commencement il était en Dieu, toutes choses ont été faites par lui. » Et plus bas « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous (Jean, I, 1). Ainsi ravi par l’Esprit, le prophète sur le point d’annoncer le Dieu conçu par une vierge, voit la gloire divine dans une extase qu’il raconte ainsi : « Je vis le Seigneur des armées assis sur un trône haut et sublime. Le temple était rempli de sa gloire, les séraphins formaient un cercle autour de lui, chacun avait six ailes. Deux voilaient leur visage ; deux recouvraient leurs pieds, et deux leur servaient à voler. Ils criaient l’un à l’autre Saint, saint, saint, le Seigneur de Sabaoth ; toute la terre est pleine de sa gloire » (Isaïe, VI, 1) Il ajoute : « J’entendis la voix du Seigneur : Qui enverrai-je ? qui ira pour nous vers ce peuple ? et je dis, me voici, envoyez-moi. Va, me répondit-il, et dis à ce peuple : Vous entendrez et vous ne comprendrez pas, vous ouvrirez les yeux et vous ne verrez pas. Car le cœur de ce peuple s’est appesanti, il a endurci ses oreilles et fermé ses yeux afin de ne pas voir et de n’entendre point, et de ne comprendre pas, pour ne pas se convertir afin que je ne les guérisse point. Et je dis : Seigneur, jusques à quand ? Jusqu’à ce que les villes soient désolées, privées de leurs peuples et que les maisons soient désertes, faute de possesseurs. » Mais quel est ce Seigneur qu’il est donné au prophète de voir ? Sans doute celui que nous avons constaté précédemment s’être manifesté aux patriarches d’Abraham et les avoir entretenus ; celui que déjà nous avons appris être tout ensemble Dieu, Seigneur, ange et chef de la milice du Seigneur. Au moment de dire sa venue merveilleuse parmi les hommes, l’homme saint contemple sa royauté divine, en le voyant assis sur un trône haut et sublime, et ce trône c’est celui dont il est parlé ainsi dans le psaume sur le bien – aimé (Ps., XLIV, 6) : « Votre trône, Seigneur, est un trône éternel ; » c’est sur lui que le Dieu suprême, créateur de toutes choses et son père l’appelle à s’asseoir comme étant son fils unique et chéri : « Asseyez – vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied » (Ps., CIX, 1). L’évangéliste Jean confirme cette interprétation quand après avoir cité ces paroles d’Isaïe : « Le cœur de ce peuple s’est épaissi ; il a appesanti ses oreilles, et fermé ses yeux, » il ajoute par rapport au Christ : « C’est là ce que dit Isaïe quand il vit sa gloire et qu’il lui rendit témoignage » (Jean, XII, 41). Ainsi donc, après avoir vu notre Sauveur assis sur le trône paternel de la gloire et la puissance infinie, animé de l’Esprit saint et sur le point de raconter sa venue sur la terre et sa naissance d’une vierge, Isaïe prédit d’abord que la connaissance et la gloire de Dieu se répandront sur la terre : « Les séraphins, dit-il, rangés en cercle autour de lui, criaient : Saint, saint, saint, le Seigneur de Sabaoth, toute la terre est remplie de sa gloire. » Quels sont ces séraphins qui accompagnent le Christ de Dieu ? les chœurs des anges et des puissances célestes, ou les prophètes et les apôtres ; car le mot séraphin signifie le commencement de leur bouche. Tels sont les prophètes et les apôtres dont la bouche a commencé à prêcher la céleste doctrine, c’est pourquoi ils sont nommés séraphins. De même encore les puissances de l’Esprit saint sont nommées des ailes ; elles couvrent le principe et la fin de la connaissance du Verbe Dieu ; ineffables et incompréhensibles à l’humaine faiblesse, et ne laissent apercevoir que le milieu de sa merveilleuse existence auquel seulement peut attendre l’intelligence, le principe et la fin en étant omis comme ineffables. Selon un autre sens du mot séraphin, les puissances divines et célestes seront un feu ardent ; aussi est-il écrit : « Il prend pour ses anges des esprits, et pour ses ministres la flamme du feu » (Ps., CIII, 4). Et ces intelligences sublimes profèrent et crient l’une à l’autre, chacune d’après sa puissance ; elle glorifient la sainteté de Dieu, et ce qui est le plus admirable, reconnaissent que si les cieux et ce qu’ils contiennent sont remplis de sa gloire, toute la terre l’a été de sa puissance, par son avènement annoncé, et que le prophète prédit lorsqu’il proclame plus loin sa naissance d’une vierge, et par sa naissance, l’effusion de sa gloire dans l’univers.

Le Seigneur de Sabaoth signifie le Seigneur des armées. Ce Seigneur est le chef des armées du Seigneur que les puissances divines appellent Seigneur de Sabaoth au psaume XXIII, lorsqu’elles célèbrent ainsi son retour de la terre aux cieux : « Elevez vos portes, O princes ! élevez-vous, portes éternelles, et le roi de la gloire entrera. Quel est ce roi de la gloire ? le Seigneur des armées est le roi de la gloire » (Ps. XXIII, 7). Ici encore l’hébreu dit : Le Seigneur de Sabaoth comme il est le roi de la gloire, et parce que sa venue devait remplir la terre de sa gloire, le prophète et le psalmiste disent de concert : le prophète, « toute la terre s’est remplie de sa gloire ; » et le psalmiste, au commencement même de son chant de triomphe : « Au Seigneur appartient la terre et sa plénitude ; l’univers et ceux qui l’habitent » (Ibid., 1). Après cette prédiction le prophète continue et atteste que bien que la terre soit remplie de sa gloire, cependant la nation juive ne le recevra pas ; aussi dit-il : le Seigneur dit (le Dieu des armées sans doute) : « Qui enverrai-je ? qui ira vers ce peuple ? et je dis me voici, envoyez-moi. Va, me répondit-il, et dis à ce peuple : Vous entendrez et vous ne comprendrez pas, vous ouvrirez les yeux et vous ne verrez pas. Car le cœur de ce peuple s’est épaissi, il a appesanti ses oreilles et fermé ses yeux, afin de ne point voir, de n’entendre point, et de n’avoir pas l’intelligence du cœur, de ne pas se convertir pour que je ne les guérisse point. » Aussi il annonce clairement le soulèvement des Juifs contre lui ; qu’ils le verront, mais ne le reconnaîtront pas, qu’ils l’entendront parler et instruire, mais ils ne comprendront ni ce qu’il est ni les prophètes de l’alliance nouvelle qu’il annonce. L’évangéliste saint Jean témoigne l’événement de ces prédictions lorsqu’il dit du Sauveur (Jean, X, 38) : « Mais, quoiqu’il eût fait tant de miracles devant eux, ils ne croyaient point en lui, afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie : Seigneur, qui a cru à notre parole et à qui le bras du Seigneur a-t-il été révélé ? » Aussi ne pouvaient-ils croire, et Isaïe a dit encore : « Il a aveuglé leurs yeux, et il a endurci leurs cœurs, de peur que leurs yeux ne voient, que leur cœur ne comprenne, qu’ils ne se convertissent et que je ne les guérisse. » Telles sont les paroles que proféra Isaïe quand il vit sa gloire et qu’il lui rendit témoignage. Ainsi l’évangéliste applique sans difficulté la vision d’Isaïe au Christ et au peuple juif qui, suivant la prophétie, n’a pas secouru le Seigneur qui s’est révélé au prophète. Après que le prophète a vu le Seigneur des armées, l’Esprit lui ordonne d’annoncer aux Juifs qu’ils le verront, mais qu’ils ne le reconnaîtront pas ; qu’ils entendront sa prédication et ses discours ; mais qu’ils ne les comprendront pas, parce que leur cœur sera endurci. Après avoir fait ces prédictions, Isaïe raconte la levée de boucliers que firent les ennemis d’Achaz qui régnait alors sur les Juifs, et annonce la ruine prochaine de ces agresseurs visibles. Quant à ces ennemis invisibles et spirituels qu’il a voulu figurer, ces démons, ces puissances qui échappent aux sens, dont nous avons montré au commencement de cet ouvrage les efforts pour entraîner les Juifs, et avec eux le monde dans tous les excès de l’iniquité et dans le culte impie des idoles, il nous apprend qu’ils ne seront vaincus que par l’avènement du Verbe de Dieu qui prendra la nature humaine dans le sein d’une vierge dont l’homme ne s’est pas approché. Mais voici le moment d’en faire sentir la nécessité.

Exposé de ce qui concerne la venue de notre Sauveur.

Comme c’est par un homme que la mort est entrée dans le monde, dit l’Apôtre, c’était par un homme que la victoire devait être remportée sur la mort ; ce corps de la mort devait être changé en corps de vie, et la loi du péché, qui gouvernait nos membres autrefois, être détruite pour que la justice y régnât seule au lieu de l’iniquité. C’est par les péchés de la chair que fut causée jadis la ruine de l’homme ; c’est par une chair sans souillure et exempte de corruption que devaient s’ériger les trophées sur les ennemis. Or quels sont ces ennemis sinon ces esprits qui subjuguaient les hommes par les délices de la chair. En outre, comme le Verbe de Dieu devait converser avec les hommes, confier à des oreilles de chair les préceptes de sa religion, et rendre sensible aux yeux de l’homme par des prodiges et des miracles la puissance de Dieu, il ne pouvait l’exécuter que par cet instrument du corps, parce que l’œil de l’homme ne peut rien saisir au-dessus de la matière, et que son oreille ne peut percevoir que les sons que forme la langue. Comme nous nous élevons à la connaissance des choses spirituelles et immatérielles par les objets sensibles, le Verbe de Dieu s’unit à une créature de même nature que nous, et par son entremise il confia les préceptes de salut et ses exemples de vie à ceux qui venaient entendre sa doctrine et contempler ses merveilles divines. Or il le fit sans se soumettre aux nécessités du corps, comme nous le sommes, sans repentir, ni abaissement, ni élévation en sa divinité, sans être, comme l’âme humaine, tellement lié à ce corps qu’il ne pût continuer les œuvres de la divinité, et être présent à tout, parce qu’il est Verbe, qu’il remplit et pénètre toutes choses. Enfin par cette union avec la chair, il ne contracta ni altération, ni corruption, ni souillure, parce que incorporel, spirituel et immatériel comme Verbe de Dieu, il forma cette union par sa puissance divine d’une manière qui échappe à notre intelligence, et que loin de rien recevoir d’étranger il fit part de ses prérogatives. Pourquoi donc redouter cette union avec le corps, puisque le Verbe de Dieu sans souillure ne saurait être souillé, sans impureté ne saurait être flétri, et impassible ne peut être accessible aux suites de notre faiblesse ; car les rayons du soleil ne souffrent pas en descendant sur les monts et les autres objets de la nature ? Par son efficace puissante, ce qui était corruptible s’éleva à une nature bien supérieure, devint saint et immortel, d’après ses volontés. Ainsi s’accomplissaient les projets et les actes de l’Esprit saint. Toute cette suite de merveilles fut consommée par la charité infinie de Dieu et de son Verbe pour le salut et la guérison des hommes, suivant les paroles des anciens prophètes qui annonçaient son admirable enfantement par une vierge. Or le prophète fait précéder, comme il le fallait, la prédiction de l’enfantement du Christ par une vierge, de paroles capables de réveiller l’attention ; il crie à ceux qui l’écoutent : « Si vous ne voyez, vous ne comprendrez pas. » Il y ajoute ensuite les paroles suivantes : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas » (Is., VII, 9). Alors le Seigneur parla encore à Achaz et lui dit : « Demande un prodige au Seigneur ton Dieu dans l’abîme ou dans les cieux. » Et Achaz dit : « Je ne demanderai pas, et je ne tenterai pas le Seigneur. » Le prophète s’écria : « Ecoutez, maison de David, n’est-ce donc pas assez de lasser la patience des hommes ? Pourquoi donc lassez-vous encore celle de Dieu ? Enfin le Seigneur vous donnera lui-même un prodige : Voici qu’une vierge concevra et enfantera un fils, et il sera appelé Emmanuel ; il se nourrira de lait et de miel ; avant que de connaître et de faire le mal, il s’attachera au bien. Aussi avant que l’enfant distingue le bien du mal, il se dérobera à l’iniquité pour s’attacher au bien. Et la terre que vous détestez sera abandonnée par ses deux rois. » Telle est la prophétie. Or remarquez que les premières paroles avertissent ceux qui lisent que, s’ils ne croient pas, ils ne comprendront pas. Il était indispensable de montrer que ceux qui en prendront connaissance doivent avoir non seulement de l’intelligence, mais encore de la foi, et non seulement de la foi, mais encore de l’intelligence. Aussi les Juifs qui n’ont pas cru autrefois au Christ de Dieu, bien qu’ils entendent encore aujourd’hui cette prophétie, n’en comprennent pas le sens, de sorte que la prédiction s’est vérifiée sur eux d’abord, car si chaque jour ils écoutent les prophéties qui concernent le Christ, des oreilles du corps, de celles de leur intelligence, ils ne les entendent pas. Leur ignorance n’a pour cause que leur manque de foi, ainsi que la prophétie les en avait avertis sans aucun détour. « Car, est-il dit, si vous ne croyez, Vous ne comprendrez pas. »

Que s’ils disent que l’Ecriture désigne non une vierge, mais une jeune fille, car c’est ce qu’ils prétendent, est-ce là un signe digue de Dieu qu’une jeune fille qui doit concevoir à la manière des femmes, de l’union avec un homme ? Comment celui qui doit sortir de son sein serait-il Dieu ? et non seulement Dieu, mais encore Dieu avec nous, car c’est ce que signifie ce nom d’Emmanuel que portera le fruit de cette virginale fécondité. « Voici qu’une vierge concevra et enfantera un fils, dit le prophète, et vous l’appellerez Emmanuel, » ce qui signifie Dieu avec nous. Quel combat du Seigneur, quel travail, quelle Difficulté a lieu alors, si cette femme avait conçu à la manière ordinaire ? nos exemplaires de l’Ecriture, ouvrages des septante, ces savants qui, Juifs d’origine, étaient très-versés dans les sciences de leur pays, s’expriment ainsi : « N’est-ce donc pas assez pour vous que de lasser la patience des hommes ? pourquoi donc lassez-vous encore celle de Dieu ? aussi le Seigneur vous donnera lui-même un prodige, voici qu’une vierge concevra et enfantera un fils, et il sera appelé Dieu avec nous. » Car c’est là, comme je l’ai observé, le sens du mot Emmanuel. Suivant ce même sens il est dit dans les exemplaires des Juifs, d’après la version d’Aquila, ce savant qui ne fut pas Juif, mais prosélyte : « Ecoutez donc, maison de David, n’est-ce pas assez d’être à charge aux hommes ? faut-il l’être aussi au Seigneur mon Dieu ? aussi il vous donnera lui-même un prodige : voici qu’une jeune fille concevra et enfantera un fils que vous appellerez Emmanuel. » Telle est aussi la version de Symmaque. Or ce Symmaque fut, dit-on, Ebionite. C’était le nom de certains sectaires juifs qui passaient pour recevoir le Christ, et dont Symmaque partageait les erreurs. Cet auteur traduit donc ainsi ce passage : « Ecoutez, maison de David, ne vous suffit-il pas de lasser les hommes ? faut-il aussi lasser mon Dieu ? aussi il vous donnera lui-même un prodige : voici qu’une jeune fille conçoit et enfante un fils que vous nommerez Emmanuel. » Comme, en effet, le peuple juif au cœur dur et difficile à plier à la piété, fatigua les anciens prophètes jusqu’à les faire suer, les accabler, leur susciter des travaux et des luttes extraordinaires, aussi ce n’est donc pas assez pour vous, est-il dit, d’avoir fatigué les prophètes de Dieu, et d’avoir résisté à ces hommes du Seigneur ? vous fatiguez encore mon Dieu, et vous résistez à mon Dieu. Or, Théodotion traduit encore ainsi : Or, le prophète nomme ici son Dieu et non le Dieu du peuple qu’il interpelle, celui qui doit être fatigué et exposé à des résistances ; et il n’eût pas dit mon Dieu du Dieu suprême que vénéraient les Juifs, et dont le culte qu’ils tenaient de leurs pères se conservait chez eux. Mais cette opposition, cette lutte, ce travail du Dieu de la prophétie, quel est-il, sinon de venir parmi les hommes en descendant dans le sein d’une vierge, suivant notre interprétation et celle des septante, ou, d’après celle des Juifs modernes en naissant d’une jeune fille ? Du reste Moïse lui-même appelle jeune fille celle qui est reconnue vierge. Tel est le nom qu’il donne à celle qui est fiancée à un homme, déjà répudiée par un autre. Cet Emmanuel qui naîtra de cette femme aura une puissance bien supérieure à celle du commun des hommes, puisqu’il choisira le bien avant de connaître le mal, et qu’il s’écartera de l’iniquité pour s’attacher à la vertu, et cela non seulement dans la jeunesse, mais dès son enfance même. Car il est écrit : Avant que l’enfant distingue le bien du mal, il se dérobera à l’iniquité pour s’attacher au bien paroles qui témoignent de l’ignorance où il sera du mal. Et encore il porte un nom supérieur à ceux de l’homme : Dieu avec nous. Aussi le signe qui en est donné est-il dit avoir de la profondeur et de l’élévation : de la profondeur, pour sa descente parmi les hommes, ou son abaissement jusqu’à la mort ; de l’élévation, pour son divin rétablissement de la profondeur où il était, ou pour les mystères de sa préexistence divine. Or, quel sera ce Dieu avec nous, sinon ce Seigneur Dieu qui a été reconnu précédemment et qui ne s’est point révélé à Abraham sous une autre forme que celle d’un homme ? Ceux de la circoncision rapporteront-ils cette prophétie à Ezéchias, le fils d’Achaz, en supposant qu’il fût prédit à son père ? Mais Ezéchias ne fut pas Dieu avec nous, et Dieu n’exécuta par lui rien de digne de sa majesté. Le Seigneur n’éprouva à sa naissance ni résistance ni difficulté. D’ailleurs Ezéchias est exclu encore par l’époque de la prophétie. Cette prédiction se fit sous le règne d’Achaz ; or, déjà le prince était né avant que son père ne montât sur le trône. Et si cette prophétie ne peut s’appliquer à ce prince, bien moins encore le pourrait-elle à quelque autre des juifs qui ont vécu depuis, et elle n’a son accomplissement qu’à la naissance du véritable Emmanuel, du Dieu avec nous, et à la venue du Verbe de Dieu parmi les hommes ; car, après l’abandon des deux rois, la terre de Judée devint un désert, comme l’annonçait l’oracle en ces termes : La terre sera abandonnée par ses deux rois. Ce qui va être établi à la lettre en effet : A l’époque d’Achaz et d’Isaïe fils d’Amos, et aux jours où cette prophétie fut faite, le roi de Damas en Syrie, et le roi d’Israël, non pas celui qui régnait à Jérusalem, mais le prince qui gouvernait à Samarie la multitude des Juifs séparés de la loi de Dieu, formèrent alliance et vinrent assiéger les sujets des rois, fils de David. Après avoir annoncé la ruine de ces deux princes, la prophétie déclare que les Juifs de cette époque et les nations infidèles qui s’étaient donné la main pour la destruction du peuple de Dieu vont être dissipés et contraints à la retraite, et toutefois que le royaume et la succession des princes légitimes seront détruits et terminés à la naissance de celui qu’ont annoncé les prophètes du Dieu avec nous. Or songez bien au temps où le royaume de Damas et celui des Juifs furent détruits, à l’époque où la terre des Juifs demeura sans roi, ainsi que cette contrée de Damas si puissante autrefois, et dont la domination s’était jadis appesantie sur la Syrie entière ; car l’Emmanuel ne peut naître, et celui qui est prédit ne peut venir qu’après leur destruction. Si donc il est possible de voir ces deux puissances subsister encore, il serait inutile de chercher davantage, et il faudrait, aujourd’hui encore, prolonger son espérance dans l’avenir. Mais si leur ruine est évidente, si, ni le trône de Damas, ni celui de Jérusalem n’apparaissent à nos regards, assurément cette prophétie s’est accomplie : « La terre sera abandonnée par ses deux rois dont vous craignez l’approche. » Ici les rois sont mis pour les royaumes. Symmaque lit : la terre dont vous avez essuyé les violences sera abandonnée par ses deux rois. Et Aquila : la terre dont vous avez horreur sera abandonnée par ses deux rois. Théodotion traduit ainsi la terre que vous maudissez sera abandonnée par ses deux rois. Vous le voyez : la terre demeurera sans roi ; mais quelle terre sinon celle de Damas et celle d’Israël ? car c’est sur elles que régnaient ces deux rois désignés par ce passage, dont le roi Achaz avait en horreur et en aversion les royaumes si fâcheux et si contraires à sa puissance. Or quand ces événements eurent-ils lieu ? Après leur accomplissement, en effet, a dû s’exécuter le dernier trait de la prophétie, l’enfantement du Dieu avec nous par la vierge.

Il est certain pour ceux qui ont étudié l’histoire que, au temps de la manifestation de notre Sauveur Jésus-Christ, l’autorité des descendants des rois se maintint sur Damas, car le saint Apôtre parle d’Aretas, le roi de Damas. Le royaume des Juifs subsistait encore, quoique en confusion et contre les règles de la loi. Car ce n’était point de David que tiraient leur succession directe Hérode ou ceux qui après lui gouvernèrent la Judée du temps de notre Sauveur. Après la manifestation et la prédication évangélique de la doctrine du fils de la Vierge, aussitôt la terre fut abandonnée par ses deux rois. En effet, la puissance romaine avait alors asservi le monde ; les gouvernements des nations et des cités étaient détruits en tout lieu, et cette prophétie, et d’autres aussi, s’accomplirent alors. Tel est le sens naturel ; mais, dans le sens spirituel, cette prédiction révèle le calme, la tranquillité et la paix de l’âme qui a reçu ce Dieu né, l’Emmanuel. Quand, en effet, le Christ et sa doctrine eurent établi leur pouvoir sur les hommes, alors furent dissipés les ennemis, c’est-à-dire ces deux genres d’impiété, l’idolâtrie avec la multitude des erreurs diverses, et la corruption des mœurs. Voilà ce que représentaient ces deux rois figuratifs. Le roi de Damas était l’erreur de l’idolâtrie répandue chez les nations, et le chef du peuple schismatique était l’entraînement funeste hors du culte légal du Seigneur. Or, il est évident qu’il faut prendre ces paroles allégoriquement suivant le sens spirituel, puisqu’une prédiction qui sera citée, dit encore qu’au jour de l’Emmanuel des mouches et des abeilles viendront dans la Judée, les unes de l’Egypte, les autres de l’Assyrie, que la tête, les pieds et la barbe seront rasés ; que l’homme nourrira une génisse et deux brebis, et le reste ; détails qui doivent s’accomplir dans le même temps, qui ne peuvent s’entendre à la lettre, et qu’il faut prendre seulement dans un sens plus élevé. Voici les passages où l’Ecriture désigne le mode de la génération de notre Sauveur Jésus-Christ, c’est ce qu’atteste l’évangéliste qui dit : « Or, voici quelle fut la génération de Jésus-Christ : Marie, sa mère, ayant été fiancée à Joseph, avant d’être ensemble, il se trouva qu’elle avait conçu du Saint Esprit. Or comme Joseph, son époux, était un homme juste, et qu’il ne voulait pas la flétrir, il résolut de la renvoyer en secret. Pendant qu’il y songeait, l’ange du Seigneur lui apparut dans son sommeil, et dit : Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre Marie pour ton épouse, car ce qui est né en elle est du Saint-Esprit. Elle enfantera un fils et tu lui donneras le nom de Jésus, parce que lui-même délivrera son peuple de ses iniquités. Tout cela fut fait pour accomplir ce que le Seigneur avait dit par le prophète : Voici qu’une vierge concevra et enfantera un fils, et il sera appelé Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous. » Ainsi, d’après nous, la vérité de la prédiction divine est confirmée par l’événement, qui seul peut témoigner de la vérité d’une prophétie. Considérons ici ces événements qui doivent avoir lieu un jour, au temps sans doute de l’Emmanuel. « Le Seigneur, dit-il, d’un coup de sifflet appellera les mouches qui règnent sur les bords du fleuve d’Egypte, et l’abeille de l’Assyrie (Isaïe, VII, 18). Elles viendront et se reposeront dans les vallées du pays, dans les creux des rochers, dans les cavernes, dans les fentes et sur tous les arbres. En ce jour, le Seigneur rasera la tête avec ce fer si grand qui a été acheté au-delà du fleuve du roi d’Assyrie ; il fera tomber les poils des pieds et la barbe. Et en ce jour l’homme nourrira une vache et deux brebis, et le lait étant abondant, il mangera le beurre ; car le beurre et le miel seront la nourriture de quiconque restera sur la terre. Et alors toute terre où seront mille vignes du prix de mille sicles de viendra déserte et se hérissera d’épines. Ils y entreront avec l’arc et les flèches, parce que le pays sera désert et couvert de ronces, et toute montagne labourable sera labourée. La crainte n’y pénétrera plus ; car cette terre inculte et garnie de ronces deviendra une prairie pour les brebis et un lieu de repos pour les bœufs. La prophétie rapporte tous ces événements au jour de l’Emmanuel. Voici le moment de chercher de quelle manière elle peut être considérée, après en avoir partagé le sens. Le prophète dit : « En ce jour le Seigneur d’un coup de sifflet appellera les mouches qui règnent sur le bord du fleuve d’Egypte et l’abeille de l’Assyrie. » Sans doute ici le prophète veut désigner les âmes des premiers idolâtres ou ces puissances immondes et farouches qui sont appelées mouches et mouches d’Egypte qui se plaisent sur les victimes des idoles et dans leur sang, l’abeille de Dieu ‘insecte armé d’un dard, qui sait gouverner, obéir et faire la guerre, qui repousse et frappe son ennemi. Le prophète témoigne ici qu’à l’ordre du Seigneur, comme à un coup de sifflet, ces insectes accourront, les uns, de la terre de l’idolâtrie ; les autres, du pays des dominateurs (car Assyrien se traduit par dominateur) pour soumettre la Judée, en punition de l’incrédulité de ses enfants aux miracles du Christ, au jour de l’Emmanuel. Or, il désigne ainsi les nations étrangères et guerrières qui doivent se fixer à Jérusalem et dans la Judée. Notre-Seigneur le prédit lui-même plus clairement encore lorsqu’il annonça que Jérusalem devait être foulée aux pieds par les nations. Ce qui s’accomplit peu après les paroles du Sauveur, lorsque les Romains s’emparèrent de la ville et y introduisirent des étrangers qu’ils y fixèrent. Il est dit aussi que le Seigneur rasera avec le tranchant du roi des Assyriens, c’est-à-dire de la puissance coercitive du prince de ce siècle, la tête, les pieds, la barbe d’un peuple qui ne peut être que le peuple juif encore. Cela signifie qu’il fera tomber sa parure et sa gloire sous la main des maîtres du monde. Ce sont les Romains qu’il désigne ainsi ; car je suis persuadé que le nom d’Assyriens s’applique à chacun des peuples qui dans les périodes des siècles ont dominé les nations, parce que le sens hébreu du mot Assyrien est dominateur, et les Romains sont aujourd’hui les dominateurs. Le Seigneur suprême abattit avec le glaive des Romains, c’est-à-dire avec leur puissance civile et militaire, la gloire dont s’enorgueillissait la nation juive, et sa force représentée par la barbe, les cheveux et le poil des pieds, et Dieu ne se servit jamais de la puissance romaine pour effacer leur gloire qu’après l’avènement de notre Sauveur, l’Emmanuel promis. Au lieu du roi d’Assyrie, Aquila met : en le royaume d’Assyrie ; Théodotion, avec le roi d’Assyrie, et Symmaque de même, et tous avec justesse, parce que la prophétie ne menace pas de raser la tête du roi des Assyriens, mais les abaissements indiqués seront produits par le glaive et la puissance du roi des Assysiens, ce qui est confirmé par l’événement. Si on a le loisir de se livrer à des recherches, on trouvera dans les prophéties plusieurs circonstances où les Assyriens jouent le premier rôle, et qui cependant ne peuvent se rapporter à ce peuple, mais bien à la puissance qui s’est élevée sur ce monde, à chaque siècle. Nous avons vu même que les Perses ont été appelés Assyriens par les Hébreux. Voilà pourquoi nous croyons que la parole sainte désigne ici les Romains dont la puissance depuis la venue du Sauveur gouverne le monde, gouvernée elle-même de Dieu. Que l’on n’aille pas supposer que nous voulons rapporter aux Romains tout ce que l’Ecriture attribue aux Assyriens, ce serait folie et impudence de notre part ; mais il y a quelques traits mêlés aux prophéties sur le Christ que nous appliquons aux Romains à cause du nom d’Assyrien qui est donné toujours à la nation qui domine la terre, comme nous le démontrerons en son lieu. Quand je réfléchis au motif qui a porté à user d’un nom étranger, en évitant de désigner les Romains par leur nom propre, je n’en vois point d’autre que celui-ci. Sous l’empire des Romains la doctrine de Jésus -Christ devait briller aux yeux des hommes, et les saintes lettres être publiées dans la capitale des Romains et dans les nations soumises à leurs lois. Afin que la clarté de l’Ecriture ne fit point naître de division entre les peuples qui étaient à la tête du monde, la vérité céleste s’enveloppa de voiles en plusieurs prophéties, surtout dans les visions de Daniel, et en particulier dans la prédiction dont nous cherchons le sens, où elle appelle Assyrien le peuple qui domine l’univers. Ainsi c’est le glaive des Romains qui doit faire tomber la gloire de la Judée, après la naissance de l’Emmanuel.

« Or, en ce jour, évidemment celui de l’Emmanuel, c’est-à-dire dans le jour de la manifestation du Christ, l’homme, est-il dit, nourrira une vache et deux brebis, et alors le lait étant abondant, le beurre et le miel seront la nourriture de quiconque restera sur la terre. » Assurément il faut convenir que voilà la prédiction de la famine et de l’étrange pauvreté où doit tomber le peuple juif, pénurie si affreuse qu’il ne pourra se nourrir de pain, comme c’est l’ordinaire, ni même labourer, semer ou moissonner, qu’enfin il ne possèdera point de troupeaux de brebis, ni d’autres bestiaux, mais qu’il aura deux brebis et une génisse dont le lait subviendra à ses besoins. Autrement encore, et dans un sens figuré, celui qui est laissé sur la terre, c’est le chœur des apôtres et des évangélistes, fils de la circoncision, qui ont embrassé la foi du Christ et du Sauveur. Chacun d’eux devenu un reste choisi par l’élection de la grâce, et nommé pour cela, quiconque restera sur la terre, nourrit une génisse et deux brebis, c’est-à-dire les trois ordres de l’Eglise, l’un, des chefs, et les deux autres, des fidèles. Le peuple de l’Eglise du Christ étant divisé en deux classes, celle des croyants, et celle des fidèles qui ne sont pas encore honorés de la régénération par l’eau, et à qui l’Apôtre a dit : « Je vous ai donné du lait, et non une nourriture solide » (I Cor., III, 2). Ceux qui sont plus parfaits sont la génisse, progéniture des bœufs ; parfaits comme fut l’Apôtre lui-même, qui dit de lui et de ceux qui travaillent comme lui : « Dieu, porte-t-il donc un grand intérêt aux bœufs, ou plutôt ne le dit-il pas pour nous » (I Cor., XI, 9) ? Celle génisse symbolique formée des usages et des enseignements apostoliques, c’est l’ordre entier des princes de l’Eglise qui ont besoin de la culture des âmes, et ils doivent s’avancer dans la vertu tellement, que par leur fécondité ils offriront dans les doctrines initiatrices un lait vivifiant et spirituel assez abondant pour en soutenir un grand nombre.

Tandis que telle sera la condition de ceux qui demeureront sur la terre en ce jour, c’est-à-dire à l’avènement de l’Emmanuel, une autre circonstance s’accomplira. Laquelle donc ? « Toute terre du peuple juif, est-il dit, où seront mille vignes du prix de mille sicles, deviendra déserte et se hérissera d’épines ; car ils y entreront avec l’arc et les flèches (il est clair qu’il s’agit des ennemis), parce que le pays sera désert et couvert de ronces pour le jour de l’Emmanuel, » c’est-à-dire pour le moment du lever du soleil des intelligences que notre Sauveur a fait luire sur tous les hommes et les puissances impures et ennemies qui ont captivé autrefois sous leur empire l’Egypte et le pays d’Assyrie. « Au coup de sifflet de Dieu, comme à son ordre et à son impulsion, elles envahiront leur contrée, dit le prophète, parce qu’elle mérite ce châtiment. Elles s’arrêteront dans les vallées, dans les creux des rochers, dans les cavernes et dans toutes leurs fentes, c’est-à-dire dans leurs âmes et leurs sens corporels, dans leurs pensées et dans leurs esprits divisés ; et, suivant le passage cité, dans toutes leurs contrées. » Or, qui ne serait frappé de stupeur, en voyant de ses yeux les diverses parties de la Judée occupées par les ennemis : les étrangers et les idolâtres maîtres de ses villes et de ses bourgades et la prophétie n’annonce pas seulement ces malheurs à la nation infidèle, mais elle prédit que le glaive du roi d’Assyrie que nous entendons, rasera leur tête, les poils de leurs pieds et leur barbe, et fera ainsi tomber tout leur éclat antique en ce jour ; à cette fatale époque, elle leur annonce qu’ils tomberont dans une telle privation des biens de Dieu, qu’ils ne pourront se substanter du pain de l’intelligence, ni d’une nourriture céleste et spirituelle ; mais ils aimeront à prendre le lait de l’enfance, nourriture passagère. Et encore leurs vignes seront plantées dans une terre inculte.

Car, ainsi que le prophète le dit lui-même, lorsque le vigneron et le maître de ce peuple attendent les raisins de la vigne, elle a produit des épines, et les clameurs de l’iniquité au lieu de la justice. Aussi il enlève sa haie, il détruit son mur, et témoigne qu’il en fera un terrain en friche, qu’il la livrera à ses ennemis, et ceux-ci entreront armés d’arcs et de lèches, et autorisés de l’ordre que le Seigneur leur a donné avec discernement et sagesse, parce que la terre enfin est inculte et hérissée d’épines. Pour cela donc qu’ils sont devenus comme un terrain en friche et couvert de ronces, « ils viendront, est-il dit, ceux qui ont reçu puissance sur eux. » Ne soyez pas surpris de voir cette menace enveloppée d’obscurité et du voile des figures. Déjà a été sentie la sagesse de cette précaution de l’Esprit qui voulait que la prédiction de la dernière ruine des Juifs fût environnée de ténèbres, afin que ce peuple gardât ces terribles témoignages pour notre instruction et notre utilité, de nous, les Gentils. Or, si les prophéties eussent annoncé clairement aux Juifs leur destruction, et aux Gentils leur élévation, nul des fils de la circoncision n’eût veillé à leur conservation ; tous au contraire se fussent ligués contre des témoignages si contraires à leurs intérêts, et nous qui descendons des Gentils, nous ne pourrions invoquer les témoignages des prophètes sur notre Sauveur et sur nous-mêmes. Du reste, après toutes ces calamités qui doivent affliger les Juifs aux jours de l’Emmanuel, suivant une autre interprétation, ce petit nombre d’entre eux qui sera laissé, c’est ce reste que l’Apôtre dit être sauvé par l’élection de la grâce. Il nourrira une génisse et deux brebis, et dans l’abondance de leur lait, il mangera le beurre et le miel ; sous cette figure nous avons compris le chœur apostolique des disciples de notre Sauveur, dans le second développement du texte. De même qu’il est annoncé que ce reste précieux sera honoré de si grands privilèges, ainsi l’est-il encore, après que la terre des Juifs et de la vigne du Seigneur se sera couverte de ronces et d’épines, et auront été abandonnée pour cela aux ennemis, tout sommet labourable sera labouré. C’est là, ce me semble, l’Eglise de Jésus-Christ, dont le Seigneur dit lui-même : « La ville située sur le haut d’une montagne ne peut être cachée » (Matth., V, 15) ; cette montagne, je pense, est l’ordre élevé, noble et sublime de l’Eglise. Le sommet labourable, dit-il, sera donc labouré ; de sorte que loin que les appréhensions l’atteignent, il perdra tellement sa première solitude, ses épines et ses buissons, qu’il offrira à la brebis une prairie et au bœuf un lieu de repos. Il est facile de comprendre comment l’Eglise du Christ couverte, autrefois de ronces et d’épines, a changé sous l’influence de la grâce au point de produire l’herbe et les pâturages de la fertilité spirituelle, propres à ceux qui ont la douceur et la simplicité des brebis, et d’être labourée et travaillée par ceux qui, par : venus à un état plus parfait, sont nommés bœufs, et dont l’Apôtre dit ces paroles déjà citées « Dieu a-t-il donc soin des bœufs, ou plutôt ne le dit-il pas pour vous ? car c’est pour vous qu’il est écrit que celui qui laboure doit labourer avec espoir, et celui qui broie, avec l’espérance de jouir. » La terre, autrefois déserte et inculte s’est tellement renouvelée à l’avènement de Jésus-Christ, qu’elle a pu offrir à ces bœufs que nous venons de dire, le genre de labour convenable. Or remarquez ici comment en un même sens sont annoncés l’enfantement par une vierge, et l’état sauvage et désert où tombera une terre si fertile autrefois, et dont la valeur égalait mille sicles, ainsi que la manière dont elle est abandonnée aux guerriers qui s’avanceront contre elle avec l’arc et les flèches, parce qu’elle s’est hérissée d’épines et qu’elle est devenue stérile. Les montagnes auront une condition bien différente : incultes autrefois, couvertes d’épines, elles offriront alors des prairies aux brebis, et aux bœufs du repos, de sorte que ce qui est labourable sera labouré, et les appréhensions ne l’atteindront plus. Voilà, à mon avis, un indice clair de l’enfantement de Notre-Seigneur par une vierge, et des événements qui sont survenus alors et coup sur coup aux Juifs et aux Gentils événements qui formèrent des révolutions absolues : pour les Juifs, la chute d’un état sublime dans la dernière des conditions ; et pour l’Eglise des Gentils, l’élévation de sa stérilité première à une fécondité divine, grandes promesses qui ne doivent s’accomplir qu’au moment seul de la manifestation de l’Emmanuel, et qui ne se sont réalisées, conformément aux prophéties, qu’après la venue du Sauveur, ce qui résulte de ce qui a été dit des Juifs et de l’élévation de l’Eglise des nations. Or si à l’avènement du Sauveur Jésus-Christ, les royaumes de Damas et de Judée n’eussent pas été détruits ; s’il ne nous eût pas été donné de voir l’abandon où les deux peuples ont laissé leur pays, et les établissements qui y ont formés les nations étrangères et idolâtres, si l’emplacement si vénérable du temple ne fût pas devenu inculte et hérissé d’épines et de ronces ; si des idolâtres impurs, ennemis de ces peuples, n’eussent pas marché contre eux avec l’arc et les flèches, entraînés hors de leur pays par l’impulsion de Dieu, pour s’arrêter en ces contrées et s’en approprier les villes et tous les lieux ; si encore à l’enseignement du Christ les nations qui embrassèrent sa foi n’eussent pas vu changer leur stérile et sauvage abondance en une fertilité sainte et spirituelle, selon Dieu ; si enfin ceux qui virent le Christ n’eussent pas cru en lui, et n’eussent pas embrassé sa doctrine, et si tous les autres détails de la prophétie n’eussent pas eu leur entier accomplissement aux jours de Jésus notre Sauveur, il ne serait pas le Christ promis. Mais s’il est sensible à un aveugle même, comme on dit, que ces prophéties sont accomplies seulement depuis le temps de la manifestation de Jésus, pourquoi douter encore de sa naissance d’une vierge, et ne pas croire par une sage soumission ce qui est le principe de ces événements, en les voyant s’exécuter aujourd’hui, ces événements qui se voient aujourd’hui encore, c’est l’incrédulité des Juifs qui s’opiniâtrent de plus en plus, suivant la prédiction : « Vous écouterez et vous ne comprendrez pas ; vous regarderez et vous ne verrez pas, parce que le cœur de ce peuple s’est appesanti. » C’est le siège de Jérusalem, la solitude absolue du lieu saint, la présence des nations infidèles qui tiennent ce peuple asservi sous leurs dards, c’est-à-dire sous leur despotisme, ce qu’indiquaient les mouches et les abeilles de la prophétie ; c’est enfin le changement de la solitude ancienne des nations en une culture divine. A la vue de ces merveilles, qui ne serait ravi d’admiration ? Qui ne confesserait la divinité de ces prophéties en apprenant qu’il y a plus de mille ans qu’elles sont écrites et confiées à ce peuple, et que cependant elles n’ont eu leur entier accomplissement qu’à la venue de notre Sauveur. Si donc la prédiction est merveilleuse, si l’événement de la prédiction est plus merveilleux encore et surpasse toute intelligence, pourquoi douter que le premier avènement de celui qui est prédit ait dépassé toutes les idées et contrarié les usages des hommes, quand l’évidence de ses miracles, autorité non moins grande que celle de sa naissance, fait une nécessité de recevoir les autres traits qui le concernent.

Aux paroles qui suivent celles-ci, une prairie pour les brebis, et un lieu de repos pour les bœufs, succède une autre prophétie du même genre qui commence ainsi : Et le Seigneur m’a dit : Prends un livre. Après l’avoir exposée, nous la développerons.

DU MÊME PROPHÈTE

Dans la nouvelle Ecriture, c’est-à-dire sous la nouvelle alliance, une prophétesse doit concevoir de l’Esprit saint et enfanter un fils. Celui-ci soumettra ses envieux et ses ennemis : rejeté des juifs, il sera le salut des nations. Ce passage fait pressentir le châtiment de la nation incrédule.

Le Seigneur ajouta : « Prends un livre neuf, grand et écrit en écriture de l’homme : hâtes-toi d’enlever les dépouilles ; car le voici présent ; prends-moi des témoins fidèles avec le prêtre Urie et Zacharie fils de Barachie » (Isaïe, VIII, 1). Et je m’approchai de la prophétesse, et elle conçut et enfanta un fils. Et le Seigneur me dit nomme-le, hâtes-toi d’enlever les dépouilles, pille vite, car avant que l’enfant sache nommer son père ou sa mère, il subjuguera la puissance de Damas, et enlèvera les dépouilles de Samarie devant le roi d’Assyrie. » Cette prophétie se rattache à la précédente ; car la vierge qui dans la première doit enfanter le Dieu avec nous est nommée ici prophétesse. Si l’on cherche de qui elle concevra ne s’étant point unie à l’homme, voici ce qu’apprend l’oracle saint : « Je m’approchai de la prophétesse, est-il dit, elle conçut et enfanta un fils. » Ce qu’il faut rapporter au Saint-Esprit qui suggérait cette merveille à celui qu’il inspirait. L’Esprit lui-même reconnaît qu’il s’est approché de la prophétesse. Cette union s’est consommée à la conception de notre Sauveur Jésus, alors que « l’ange Gabriel fut envoyé de Dieu en une ville de Galilée, nommée Nazareth, vers une vierge, fiancée à un homme appelé Joseph, qui était de la maison et de la famille de David. » Il lui dit : « Je vous salue, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes. » Et encore « Ne craignez pas ; car vous avez trouvé grâce devant Dieu, et voici que vous concevrez et que vous enfanterez un fils que vous appellerez Jésus. » Et Marie ayant dit : « Comment cela se fera-t-il ? car je ne connais point d’homme ? » L’ange répondit : « L’Esprit saint viendra sur vous, et la puissance du Très-Haut vous couvrira de son ombre. Aussi le saint qui naîtra sera-t-il nommé le Fils de Dieu » (Luc, I, 26). Dans la prophétie précédente, à la naissance de l’Emmanuel, avant que l’enfant sache distinguer le bien du mal, la terre sera abandonnée par les deux rois qui l’assiègent, celui de Samarie et celui de Damas. Et celle-ci, avant que l’enfant sache appeler son père ou sa mère, il subjuguera la puissance de Damas et s’emparera des dépouilles de Samarie, dont les rois doivent être détruits à la naissance de l’Emmanuel. En effet, sous Achaz, roi de Juda, et du temps d’Isaïe, deux rois s’unirent pour assiéger le peuple gouverné par les descendants de David, comme il a été dit déjà. L’un fut le roi des nations idolâtres de Damas, l’autre celui de la multitude des Juifs séparés qui habitaient Samarie, ville de la Palestine, que l’on nomme aujourd’hui Sébaste. C’est d’eux que Dieu dit à Achaz, par la bouche du prophète : « Ne crains pas et ne te trouble pas devant ces deux morceaux de bois, devant ces tisons fumants » (Isaïe, VII, 4). Et après avoir annoncé la mort prochaine et imminente de ces deux princes, il ajoute que leurs royaumes seront entièrement ruinés et détruits à la naissance du Dieu qui doit être avec nous. Nous avons établi par l’histoire que le royaume de Damas et celui des Juifs subsistèrent jusqu’à la venue de notre Sauveur Jésus-Christ. Après sa manifestation, ils tombèrent, ainsi qu’il avait été prédit, alors que la puissance des Romains et la prédication divine eurent envahi la terre. Après avoir proféré ces paroles, le prophète s’élève encore et commence une exposition plus profonde. Il voit deux ordres d’ennemis invisibles, de démons cruels et acharnés, qui livrent des assauts multipliés au genre humain : l’un, des esprits attachés à entraîner tous les hommes dans l’idolâtrie et dans des croyances erronées ; et l’autre, de ceux qui sont attentifs à corrompre les mœurs. L’homme de Dieu, après avoir figuré par le roi de Damas, les démons acharnés à établir l’idolâtrie, et par le roi de Samarie, les esprits impurs qui cherchent à faire déchoir de la sagesse et de la tempérance, annonce que la terre, c’est-à-dire les habitants qui l’occupent, n’en sera délivrée qu’à l’avènement du Dieu Emmanuel. Lorsqu’il aura apparu et soumis les âmes à sa puissance, nul de ceux qui l’habitaient jadis ne demeurera plus. Ainsi donc vous pouvez encore ici entendre ces mots : Il subjuguera la puissance de Damas et enlèvera les dépouilles de Samarie, du triomphe de la puissance de notre Sauveur Jésus-Christ sur tous nos ennemis invisibles qui déjà depuis longtemps assiégeaient les hommes de leurs tentatives impies et funestes indiquées précédemment. Enfin en suivant le sens propre, vous pouvez voir que d’après les promesses divines, à la naissance et à la manifestation de notre Sauveur, la puissance de Damas fut détruite, et les dépouilles de Samarie furent enlevées, c’est-à-dire que les royaumes dont l’existence s’est prolongée jusqu’à cette époque, ont été détruits alors et jusqu’à ce jour, suivant les prédictions divines. Quelques-uns avanceront encore que les mages qui vinrent de l’Orient adorer le Christ enfant, sont la puissance de Damas ; et même, dans un sens plus général encore, tous ceux qui ont rejeté l’idolâtrie impie et attachée à une multitude de dieux, pour se soumettre à la parole du Christ, surtout s’ils étaient du nombre des puissants du siècle par leur éloquence et leur sagesse, représentent la puissance de Damas. Alors les dépouilles de Samarie seront les disciples et les apôtres choisis parmi les Juifs par notre Sauveur. Après les avoir conquis comme des dépouilles sur les Juifs attachés à le repousser, il les a armés contre le roi des Assyriens, c’est-à-dire contre le prince de ce siècle. Et comme ces mots : Devant le roi d’Assyrie, sont traduits par Aquila plus clairement ainsi : A la face du roi d’Assyrie, voyez s’il ne désigne pas l’empire romain, puisque, suivant ce que nous avons établi précédemment, Assyrien signifie celui qui domine et celui qui est dominé. Mais comme en cette prédiction sur notre Sauveur il est fait mention du roi d’Assyrie, nous la rapportons sagement à la puissance romaine, car Dieu la destine à asservir les nations. Ainsi donc cet enfant qui naît doit s’emparer de la puissance de Damas et des dépouilles de Samarie, et les distribuer à la face des Assyriens et aux yeux de ceux que Dieu conduit, et il le fera à sa naissance, animé d’une force divine et ineffable, bien qu’il paraisse au milieu des hommes dans un corps infirme. Le prophète reçoit l’ordre d’écrire ces prédictions en écriture de l’homme sur un livre grand et nouveau ; et ainsi est désigné le caractère de la nouvelle alliance. Il prend encore pour témoins de ce qui a été dit le grand prêtre et un prophète, parce que l’oracle divin avertit que dans les démonstrations sur le Christ, il faut recourir aux témoignages du sacerdoce légal et ensuite à ceux des prophètes. Il veut que ceux qui doivent voir la naissance de l’enfant qui est prédit, soient des témoins fidèles, afin qu’ils puissent comprendre la prophétie ; car si vous ne croyez, vous ne verrez point, était-il dit plus haut. Il veut encore que l’on ait la lumière de Dieu, car c’est ce que signifie le nom d’Urie, et que le fils de bénédiction conserve en son cœur la mémoire de Dieu ; ce que signifie le nom de Zacharie, fils de Barachie.

Telles sont les explications que nous donnons des figures. Or, si quelqu’un de ceux de la circoncision prétend que ce n’est pas là leur sens, qu’il nous montre quel fut jamais l’Emmanuel qui parut parmi eux, comment le prophète s’unit à la prophétesse, quelle fut cette femme, comment elle conçut aussi tôt, quel est le fils qu’elle enfanta et dont le nom donné par le Seigneur fut : Christ, hâtez-vous d’enlever les dépouilles ; et quelle fut la raison de ce nom mystérieux. Qu’il fasse voir comment, avant de savoir appeler son père et sa mère, cet enfant doit subjuguer la puissance de Damas et enlever les dépouilles de Samarie, devant le roi des Assyriens. Pour nous qui prenons ces prédictions et à la lettre et d’une manière figurée, nous démontrons qu’elles se sont accomplies à la naissance du Sauveur, lorsque nous faisons voir qu’il faut tantôt les entendre dans leur sens naturel, et tantôt les considérer dans un sens plus relevé. Aussitôt après ces paroles, il ajoute en termes couverts : Et le Seigneur me parla encore et dit : « Parce que ce peuple a rejeté les eaux de Siloé qui coulent en silence et qu’il a préféré Raasim et le fils de Romélie, voici que le Seigneur précipitera sur vous les eaux impétueuses et enflées d’un torrent, le roi d’Assur et sa gloire. Il emplira toutes vos vallées, il foulera aux pieds toute enceinte, et il enlèvera de Juda quiconque pourra lever la tête ou consommer quelque entreprise. Son camp embrassera tout votre pays. Dieu est avec nous, reconnaissez-le, nations, et vous soumettez ; peuples des extrémités de la terre, prêtez une oreille attentive » (Isaïe, VIII, 5). Ces paroles ne peuvent avoir de sens que dans l’acception figurée ; par les eaux de Siloé qui coulent sans bruit, elles désignent l’enseignement évangélique de la doctrine du salut. Siloé, en effet, signifie l’envoyé, et ce ne peut être que le Verbe de Dieu envoyé par son père, et dont Moïse relève ainsi la grandeur le chef ne manquera pas en Juda, ni le prince en sa postérité, jusqu’à ce que vienne celui qui a été promis et qui sera l’attente des nations. Au lieu de à qui il a été promis, l’hébreu met Siloam, et par ce mot la prophétie désigne ici encore celui qui a été envoyé. Raasim était le roi des peuples idolâtres de Damas, comme le fils de Romélie était celui des Juifs schismatiques de Samarie. Dieu menace donc ceux qui repousseront le Siloam, c’est-à-dire l’Emmanuel, l’envoyé, le fils de la prophétesse, et qui, bien que sa doctrine, breuvage doux et fécondant, soit répandue avec douceur et paix, se soustrairont à elle pour se soumettre au prince des nations idolâtres ou au chef de l’apostasie du peuple ; Dieu les menace, dis-je, d’amener contre eux les eaux du fleuve, impétueuses et abondantes, et la prophétie fait entendre quelles sont ces eaux, lorsqu’elle dit que c’est le roi d’Assyrie ; ainsi, dans le sens spirituel, l’oracle sacré désigne le prince de ce siècle ou la domination romaine toute-puissante aujourd’hui, à laquelle furent livrés ceux qui refusèrent cette eau du Siloam qui coule avec paix, et s’attachèrent à des croyances mensongères et opposées à la droite raison. Aussitôt après qu’ils eurent rejeté l’Evangile de notre Sauveur et refusé de goûter les eaux du Siloam qui coulent avec calme, l’armée romaine s’avança, dirigée par la main de Dieu ; elle remplit leurs vallées ; elle foula toute enceinte aux pieds ; elle enleva de la Judée tout homme qui pouvait lever la tête et consommer quelque entreprise ; et leur camp se développa au point d’embrasser la Judée tout entière.

Tout cela s’accomplit à la lettre contre les Juifs ; et si vous voulez en connaître la cause, écoutez : Le Dieu Emmanuel, le fils de la Vierge était au milieu de nous et n’était pas avec eux, car s’ils l’eussent possédé, ils n’auraient pas essuyé ces calamités. Aussi le prophète annonce-t-il à haute voix l’Emmanuel aux nations : Dieu est avec nous, dit-il ; reconnaissez-le, nations, et vous soumettez. Or, déjà cela a été expliqué, afin de faire comprendre qu’il faut entendre la plupart des prophéties, tantôt dans leur sens naturel, et tantôt dans un sens figuré. Il faut maintenant continuer l’explication des derniers traits de la prophétie. Si les circoncis prétendent encore que ces événements ne s’accompliront que par le Christ qu’ils attendent, persuadés qu’ils sont que ces paroles doivent s’entendre à la lettre, comment ce Sauveur futur subjuguera-t-il la puissance de Damas, et enlèvera-t-il les dépouilles de Samarie devant le roi d’Assyrie, aujourd’hui que Samarie est détruite et n’existe plus, que la puissance appelée de Damas est vaincue, ainsi que celle d’Assur à laquelle ont succédé jadis les empires de Médie et de Perse qui l’ont renversée. Tandis qu’aujourd’hui nul de ces peuples n’apparaît plus, comment attendre leur destruction pour l’avenir ? D’ailleurs ils ne sauraient avancer que cette prophétie se soit réalisée d’abord ; car, pour ne suivre que le sens littéral, raconte-t-on que jamais, chez les Hébreux, il soit né d’une prophétesse et du prophète Isaïe, un fils qui ait subjugué la puissance de Damas et se soit emparé des dépouilles de Samarie devant le roi des Assyriens. Il faut donc convenir que ces événements n’ont eu lieu dans le sens indiqué qu’à l’avènement de Jésus, notre Sauveur, par lequel nous avons démontré que se sont accomplies ces prédictions. D’après la prophétie, un livre neuf est écrit sur cet avènement, symbole de la nouvelle alliance où est annoncée la naissance du fils de la prophétesse, dont la puissance ineffable et mystérieuse doit jeter entre les mains des Romains, d’après l’expression prophétique, la puissance des royaumes de Damas et de Syrie, et ces dépouilles de Samarie que nous avons déjà expliquées : car, dans le sens spirituel, après avoir conquis les disciples parmi les Juifs, comme des dépouilles, et les avoir revêtus d’armes spirituelles et d’intelligence, il les opposa à ce roi d’Assyrie dont il est parlé, et en fit comme ses propres soldats. Pour ceux qui se détournèrent de cette eau de sa doctrine vive et féconde et au cours paisible, et qui préférèrent l’inimitié et la haine du Seigneur, il les livra au roi d’Assyrie, auquel ils sont encore soumis ; car il s’éleva sur toutes leurs vallées et sur leurs enceintes, et enleva de la Judée princes et rois, qui sont nommés tête, et quiconque pouvait consommer quelque entre prise, de sorte que dès lors et jusqu’à ce jour, ils n’ont plus ni tête ni homme doué de l’intelligence des choses divines, comme ceux qui faisaient leur ornement antique, prophètes, justes ou fidèles serviteurs de Dieu. Or, c’est une chose sensible que la manière dont leur pays a été et est encore soumis à leurs ennemis et à leurs rivaux, et que tout cela ne s’est accompli qu’à la venue de l’Emmanuel. Voilà le contenu de l’Ecriture qui désigne l’Emmanuel méconnu des Juifs, et la cause des châtiments qu’ils ont éprouvés, mais reconnu de nous, qui sommes les Gentils, et établit l’auteur du salut et de la connaissance de Dieu. Aussi est-il dit ensuite : « Dieu est avec nous ; reconnaissez-le, nations et vous soumettez. » Nous avons été vaincus, en effet, nous, les nations, lorsque nous avons embrassé sa foi et que nous avons été subjugués par la vérité et par la puissance du Dieu descendu parmi nous ; vaincus, nous avons déféré à sa parole, nous tous qui habitons jusqu’aux extrémités de la terre, selon la prophétie : Prêtez une oreille attentive, peuples des extrémités de la terre. Pour nous, nous avons été vaincus, et nous avons déféré à sa voix. Mais à ceux des Gentils qui ont décliné sa foi, il adresse ces paroles : « Vous qui avez été forts, soumettiez-vous ; car, si désormais vous êtes forts, désormais vous serez vaincus, et les projets que vous formerez ne subsisteront point, parce que voici Dieu avec nous. » Ainsi le Seigneur avertit ceux qui résistent à sa puissance, et par ses paroles claires il annonce à ceux qui se refusent à la foi, repoussent la doctrine du Christ, et luttent contre sa main puissante, que, malgré leurs efforts, ils ne pourront combattre le Dieu avec nous, et que tous leurs projets contre nous ne pourrons subsister, parce qu’avec nous est l’Emmanuel. Il est facile de sentir que tel fut en effet l’issue des menaces et des emportements des princes contre nous, et que toutes ces menaces furent sans effet, parce que Dieu est avec nous.

DU MÊME PROPHÈTE

Ce fils qui doit naître ou d’une vierge ou d’une prophétesse, est désigné comme Dieu, ange du grand conseil, et sous d’autres noms merveilleux ; et sa naissance fera briller aux yeux des nations la lumière de la vraie piété.

« Et d’abord agis avec promptitude, contrée de Zabulon et terre de Nephtali, vous qui habitez les rives de la mer, au-delà du Jourdain, Galilée des nations. Peuple qui étiez assis dans les ténèbres, voyez une grande lumière. Le jour s’est levé sur ceux qui habitaient les ténèbres et l’ombre de la mort, » etc. (Isaïe, IX, 1).

Et plus loin :

« Ils enlèvent toute robe acquise par fraude et le vêtement acquis par échange, et ils espèreront quand même ils passeraient par le feu ; car un enfant nous est né et un fils nous a été donné. Il porte sur son épaule le signe de sa domination ; son nom est l’ange du grand conseil, l’admirable, le conseiller, le Dieu fort, le puissant, le prince de la paix, le père du siècle à venir. J’apporte la paix aux princes et à lui la force. Sa puissance est grande, et sa paix n’a pas de bornes ; il s’assiéra sur le trône de David et dans son empire pour le gouverner et le diriger avec discernement et justice. Dès maintenant et à jamais le zèle du Dieu des armées fera ce prodige. »

Voilà la troisième fois que le prophète annonce cet enfant, et toujours avec des indices différents. Or, comme notre but est de montrer le caractère de la venue de Dieu parmi les hommes, remarquez comment il est annoncé. D’abord c’est l’Emmanuel, le Dieu, fils de la Vierge ; ensuite c’est le petit enfant de la prophétesse et de l’Esprit saint, qui n’est autre que celui qui vient d’être nommé ; enfin, celui qui est désigné ici est le même que celui qui l’a été précédemment. Son nom, selon les septante, est l’ange du grand conseil et, d’après quelques exemplaires, l’admirable, le conseiller, le Dieu fort, le puissant, le prince de paix, le père du siècle à venir ; le sens de l’hébreu est, comme l’atteste Aquila : car un petit enfant nous est né, un fils nous a été donné, et il porte sur l’épaule la mesure. Son nom est l’admirable conseiller, le fort, le puissant, le père, le prince de paix, et sa paix est sans fin. Il est, d’après Symmaque : car un enfant nous a été donné, un fils nous a été donné. Son nom sera l’admirable, le conseiller, le fort, le puissant, le père du siècle, le prince de paix, et sa paix est sans fin.

Ainsi, d’après les septante, ce n’est pas seulement l’ange, mais l’ange du grand conseil, l’admirable, le conseiller, le Dieu fort, le puissant, le prince de paix et le père du siècle à venir qui doit apparaître et être petit enfant. Dans ce qui précède vous avez entendu appeler le Verbe de Dieu de plusieurs manières, et Dieu et Seigneur, ainsi qu’ange du Père et chef des armées du Seigneur. Mais quel est-il donc ? Suivant Aquila et le témoignage rapporté de l’hébreu, celui qui doit naître parmi les hommes et se montrer enfant, c’est l’admirable, le conseiller, le fort, le puissant, le père, et encore le prince de la paix qui n’aura point de fin. D’après Symmaque, c’est l’admirable, le conseiller, le fort, le puissant, le père du siècle, le prince de la paix et d’une paix sans bornes. Enfin, selon Théodotion, c’est celui qui conseille merveilleusement, le fort, le puissant, le père, le prince de la paix, pour multiplier la discipline, et sa paix est sans fin. J’abandonne le reste à votre méditation, en vous faisant remarquer que ce père du siècle, ce prince de la paix éternelle, et cet ange du grand conseil est annoncé comme devant naître et apparaître petit enfant, comme animé en sa venue parmi les hommes, du désir de consumer ceux qu’irritait le salut qu’il accorda aux nations, les malins esprits ou les hommes impies dont il dit : Qu’ils enlèveront toute robe acquise par fraude, et le vêtement acquis par échange. Or, quels sont-ils, sinon ceux dont il est dit ailleurs comme en la personne du Christ : Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont jeté le sort sur ma robe, ainsi que tous ceux qui prirent part à cette impiété, et qui y donnèrent leur consentement (Ps., XXI, 19). Et alors à la vue de ce jugement fatal, ils souhaiteront d’avoir été consumés par le feu avant leur crime, plutôt que d’avoir outragé l’ange du grand conseil. Or, considérez en vous-même s’il n’est pas au-dessus de l’ordre des choses humaines que sa paix soit annoncée comme éternelle, et qu’il soit proclamé le père des siècles, et, en outre, l’ange et l’ange du grand conseil, le Dieu fort, et sous les autres titres que nous avons entendus. En outre, le prophète dit qu’il relèvera le trône de David, ce qu’il faut entendre de la manière suivante. Parmi les nombreuses promesses que Dieu a faites à David, il est dit : « J’étendrai sa main sur la mer, et sa droite sur les fleuves. Il me dira : Vous êtes mon père, mon Dieu, et l’asile de mon salut. Et moi, je l’établirai mon premier-né, élevé entre les rois de la terre. Je lui garderai éternellement ma miséricorde, et mon alliance avec lui sera immuable. Je rendrai sa race éternelle, et son trône égalera, par sa durée, les jours du ciel. Et encore, je l’ai juré une fois par ma sainteté si je mentais à David !… Sa race sera éternelle, et son trône s’élèvera devant moi comme le soleil et comme la lune, formés pour l’étendue des siècles » (Ps., LXXXVIII, 25).

Malgré ces promesses que Dieu fit à David dans les psaumes, les impiétés des successeurs de ce roi arrêtèrent les faveurs de Dieu. La puissance de la race de David se maintint jusqu’à Jéchonias et au siège du lieu saint par les Babyloniens, de sorte que dès lors ni le trône de David, ni ses descendants, ne gouvernèrent les Juifs. Mais cette abolition des promesses faites à David et que nous venons de voir, l’Esprit saint l’annonce aussi en ces termes lorsqu’il dit : « Mais vous, Seigneur, vous avez rejeté, méprisé, vous avez repoussé votre Christ. Vous avez rompu l’alliance faite avec votre serviteur. Vous avez souillé sa majesté dans la poussière. Vous avez abattu ses remparts. » Et un peu plus bas : « Vous avez semé sur la terre les débris de son trône. Vous avez abrégé ses jours. Vous l’avez couvert d’ignominie (Ib. 39). L’exécution de ces événements, qui avait commencé à la captivité du peuple à Babylone, se prolongea jusqu’à l’empire des Romains et de Tibère. Dans l’intervalle aucun des descendants de David ne parut sur le trône royal des Hébreux, jusqu’à l’avènement du Christ. Mais quand notre Sauveur et Seigneur Jésus-Christ, rejeton de la race de David, eut été proclamé roi dans le monde, alors le trône de David sortit de ses ruines et se releva de la terre ; il fut rétabli par la royauté divine de notre Sauveur, pour demeurer toujours ; et de même encore que le soleil devant le Seigneur, il éclaire la terre des rayons de la lumière de sa doctrine, conformément au témoignage du psaume et à celui du prophète que nous venons de citer, et qui dit de l’enfant qui doit naître, qu’il s’assiéra sur le trône éternel et durable promis à David, et dans son empire pour le gouverner et le diriger avec discernement et justice dès maintenant et à jamais. Or, un témoignage digne de foi de l’accomplissement de ces prédictions sera l’ange Gabriel qui dit à la Vierge dans l’entretien qu’il eut avec elle : « Ne craignez pas, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu ; et voici que vous concevrez et que vous enfanterez un fils, et vous l’appellerez Jésus. Il sera grand, et il sera appelé le fils du Très-Haut, et le Seigneur lui donnera le trône de David, son père, il règnera dans tous les siècles sur la maison de David, et son règne n’aura point de fin » (Luc, I, 30). Dans le psaume cité, le prophète qui attend la naissance du Christ, et impute à son délai et à son retard la ruine du trône de David, s’écrie dans l’excès de sa douleur : Mais vous, Seigneur, vous avez rejeté et méprisé, vous avez repoussé votre Christ. Puis il conjure Dieu d’accomplir ses promesses au plus vite, et dit : « Où sont, Seigneur, ces anciennes miséricordes que vous avez jurées à David dans votre vérité. » Or, il est clairement prédit que ces miséricordes se réaliseront à la naissance de l’ange du grand conseil en qui « ils espèreront quand même ils auraient passé par le feu. » Car un enfant nous est né, et il nous a été donné un fils qui est l’ange du grand conseil. A qui ? nous, sinon à ceux de la Galilée des nations qui avons cru en lui, et pour lesquels il a été le soleil de lumière, la cause de la joie, la source du breuvage récent et nouveau du mystère de la nouvelle alliance, suivant la prophétie : « Bois ceci d’abord, agis avec vitesse, contrée de Zabulon et terre de Nephtali, vous qui habitez les rives de la mer au-delà des rives du Jourdain, Galilée des nations. Peuple qui étiez assis dans les ténèbres, vous voyez une grande lumière. Le jour s’est levé sur ceux qui habitaient les ténèbres et l’ombre de la mort. » Ceux que désigne la parole sainte, ce sont les Gentils qui ont embrassé la foi du Christ de Dieu, ainsi que les disciples et les apôtres que notre Sauveur a tirés de la terre de Zabulon et de celle de Nephtali, et qu’il a choisis pour être les hérauts de l’Evangile. C’est à eux que l’ange du grand conseil, le fils a été donné comme source de salut, mais pour ceux qui ne croiraient pas en lui, il vient comme un feu et un embrasement. La cause de cette disposition est, dit le prophète, le zèle du Seigneur. Le zèle du Seigneur les armera et fera ce prodige (Isaïe, IX, 7). Or, quel est ce zèle ? Celui sans doute dont parle Moïse, quand il dit : « Ils m’ont provoqué par des dieux qui n’en sont pas ; ils m’ont irrité avec leurs vaines idoles. Et moi je les provoque rai avec un peuple qui n’est pas le mien ; je les irriterai avec un peuple insensé » (Deut., XXXII, 21).

Maintenant qu’avec l’aide de Dieu, nous avons exposé, d’après divers extraits des prophètes, le caractère de l’avènement parmi les hommes et de la manifestation de celui qui a été annoncé, voici sans doute le moment de considérer en quel lieu il doit naître, de quelle race il doit descendre, et à quelle tribu des Juifs il doit appartenir ; ce que nous allons faire ici.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant