Préparation évangélique

LIVRE I

CHAPITRE V
QUE CE N’EST POINT SANS AVOIR FAIT DE SAGES RÉFLEXIONS QUE NOUS AVONS ABJURÉ L’ERREUR SUPERSTITIEUSE DE NOS PÈRES

Vous vous ferez une idée du principal bienfait de la parole du salut, si vous réfléchissez à l’erreur superstitieuse de l’ancienne idolâtrie qui, par la violence des démons, affligea jadis l’universalité du genre humain. Fécondée par une vertu divine, cette parole tira du paganisme comme d’une nuit ténébreuse les Grecs et les Barbares, pour faire luire sur eux le soleil de l’intelligence et la vive lumière de la véritable piété envers le Dieu qui régit l’univers. Qu’avons-nous besoin d’entrer dans de longs détails pour faire voir que nous n’avons pas cédé à une foi aveugle, mais que nous n’avons consulté que notre raison, nos plus chers intérêts, et les traits caractéristiques de la vraie religion ? C’est là tout le sujet de cet ouvrage. Ainsi, nous exhortons vivement ceux qui peuvent suivre l’enchaînement d’une démonstration, à sonder la force de nos raisonnements et à approfondir les preuves sur lesquelles nous appuyons nos dogmes, afin d’être prêts à en entreprendre la défense auprès de quiconque nous interrogerait sur les motifs de notre espoir.

Mais comme tous ne sont point capables de cette espèce d’attention, et comme la parole de Dieu ne prêche que l’humanité, qu’elle ne rejette personne et qu’elle offre à chaque individu le remède qui lui convient, et qu’elle appelle à un traitement plus facile l’ignorant et l’idiot, c’est donc avec raison que nous conduisons comme par la main, à la vie religieuse les plus ignorants qui commencent seulement leur instruction, les femmes, les enfants et ce qu’on appelle le vulgaire ; nous leur donnons à tous la saine foi comme un remède divin, en imprégnant leurs âmes des saines doctrines sur la providence de Dieu, sur l’immortalité de l’âme et sur la nécessité de mener une vie vertueuse. N’est-ce pas ainsi que nous voyons agir ceux qui s’occupent avec talent de la guérison des maladies corporelles ? Ils s’exercent et étudient beaucoup pour apprendre tout ce qui concerne la médecine, et quand ils mettent la main à l’œuvre, ils suivent en tout point la raison et la science, ceux qui les approchent pour obtenir guérison se livrent à la confiance et à l’espoir d’une amélioration dans leur santé, de manière que, ne pouvant rien comprendre de bien juste aux préceptes de cette science, la confiance et un heureux espoir sont ce qui les soutient. Un excellent médecin qui indique ce dont il faut se garder et ce qu’il convient de faire, est comme un prince et un maître qui ordonne avec connaissance de cause ; le malade lui obéit comme à un roi et à un législateur, persuadé que ses ordonnances tourneront à son avantage. C’est ainsi que des disciples reçoivent d’un maître les préceptes d’une doctrine, persuadés qu’ils sont que ces préceptes ne peuvent que leur être utiles ; et même personne ne s’occuperait de philosophie si l’on n’attachait d’avance du profit à la profession de philosophe, il est arrivé de là que l’un a embrassé la doctrine d’Épicure, un autre a réglé sa conduite sur celle des cyniques, un troisième s’est attaché à la philosophie de Platon, un autre à celle d’Aristote ; on en a vu enfin d’autres qui préféraient encore à toutes les doctrines celle des stoïciens, chacun embrassant le parti qu’il espérait et croyait être le meilleur. C’est ainsi que les hommes se sont attachés aux arts que l’on appelle moyens ; les uns ont adopté la vie militaire, d’autres se sont lancés dans la carrière du commerce, persuadés qu’ils étaient que leur profession était celle qui pouvait leur procurer le plus de moyens d’existence. Les premiers mariages, les premières unions, formés dans l’espoir d’avoir des enfants, avaient aussi leur source dans une douce confiance. Et encore celui qui se livre aux hasards de la navigation ne jette point d’autre ancre de salut que la confiance et un heureux espoir. Un autre s’adonne aux travaux de l’agriculture ; après avoir jeté le grain sur la terre, il se repose bien tranquillement, attendant le changement de la saison, et bien persuadé que la semence déjà corrompue dans les entrailles de la terre, et cachée par suite de pluies abondantes, revivra comme sortant du sein de la mort. Celui qui quitte sa patrie pour entreprendre un long voyage en pays étranger, s’adjoint comme d’excellents guides l’espoir et la confiance. Enfin que voyons-nous qui ne nous convainque que toute la vie des hommes est appuyée sur ces deux uniques fondements ? Pourquoi seriez-vous surpris que les vérités si essentielles à l’âme fussent transmises par la foi à ceux qui n’ont pas le loisir de les apprendre en détail et de les approfondir avec un soin particulier, et qu’il fût permis à d’autres d’en scruter les raisons mêmes, et de vérifier les démonstrations des doctrines qu’on leur a enseignées ? Mais, après avoir préludé en peu de mots par ces observations préliminaires qui ne seront pas sans utilité, revenons sur le premier chef d’accusation, et répondons à ceux qui nous ont demandé qui nous étions et quel était notre point de départ.

Nous sommes Grecs de naissance ; nous pensions comme les Grecs ; mais réunis comme l’élite de toutes les nations pour former en quelque sorte une armée nouvelle, nous avons abjuré la superstition de nos pères : c’est un fait que nous ne voudrions pas nier ; mais en nous attachant aux livres des Juifs, et recueillant dans leurs prophéties la plus grande partie des vérités qui constituent notre doctrine, nous n’avons pas cependant jugé convenable d’adopter le genre de vie de ceux qui suivent le régime de la circoncision ; c’est encore un fait dont nous conviendrons volontiers. C’est actuellement le moment de donner la raison de tout cela ; or, comment pourrions-nous prouver que nous avons bien agi en abandonnant les coutumes de nos pères, si nous ne commencions par mettre ces mêmes coutumes sous les yeux de ceux entre les mains desquels tombera cet ouvrage ? C’est ainsi que la vertu divine de la Démonstration évangélique deviendra l’évidence même, si tous les hommes voient clairement de quels maux elle annonce heureusement la guérison. Comment prouverons-nous l’à-propos de notre attachement aux écrits des Juifs, si nous ne démontrons pas la vertu de ces mêmes écrits ? Il est donc très convenable de faire connaître la raison pour laquelle, en adoptant leurs livres, nous avons rejeté leur genre de vie, et surtout il faut que l’on sache en quoi consiste positivement la doctrine évangélique, quel est, à proprement parler, le christianisme, qui n’est ni hellénisme, ni judaïsme, mais une nouvelle science et véritable théosophie, dont le nom même annonce la nouveauté. Ainsi donc, commençons d’abord par examiner les anciennes doctrines théologiques de tous les peuples et celles de nos pères, doctrines qui font encore actuellement du bruit dans toutes les villes ; scrutons les graves dissertations des grands philosophes sur la formation du monde et l’origine des dieux, afin que nous connaissions si nous avons eu raison ou tort de nous en écarter. Dans les choses que je vais divulguer, je ne parlerai pas d’après moi-même, mais j’emploierai les expressions de ceux qui se sont montrés les plus zélés défenseurs de ceux qu’ils appellent des dieux, je me mettrai ainsi à l’abri de tout soupçon d’imposture.

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